CHAPITRE 23 TRAITEMENT DES ANÉMIES
TRAITEMENT DES ANÉMIES
Physiopathologie
Plusieurs éléments sont indispensables à la formation du GR : l’erythropoïétine, la vitamine B12, les folates pour la synthèse de l’ADN, le fer pour la synthèse de l’hémoglobine. Le renouvellement quotidien des GR nécessite notamment des apports importants en fer. La transferrine ou sidérophiline est une glycoprotéine possédant deux sites de fixation pour le fer (deux atomes de fer pour une molécule de transferrine) qui assure le transport du fer de l’intestin vers les réserves hépatiques et vers les réticulocytes. La ferritine, protéine de grande taille permet, quant à elle, le stockage du fer et sa détoxification. La ferritinémie est ainsi le reflet des réserves en fer mobilisable dans l’organisme. Les valeurs de référence des différents constituants d’exploration du statut martial sont présentées dans le tableau 23.1.
L’érythropoïèse s’arrête lorsque la concentration corpusculaire en hémoglobine (CCMH) atteint 32-36 %. Une anomalie de synthèse de l’ADN entraîne un ralentissement de la maturation nucléaire alors que la concentration optimale en hémoglobine est atteinte, d’où un arrêt des mitoses et une macrocytose. À l’inverse, une anomalie de synthèse de l’hémoglobine ne permet pas que la CCMH soit atteinte au terme du nombre total des mitoses, d’où la microcytose. L’hypochromie et la microcytose vont donc de pair [1].
ANÉMIE PAR CARENCE EN FER
Les besoins en fer chez l’homme sont de 1 à 2 mg/j [2]. L’aliment qui en contient le plus est la viande rouge (2-5 mg de fer par 100 g) avec un taux d’absorption de 10-20 %. Le fer des végétaux est moins abondant et moins absorbable. Le manque d’apport survient surtout chez les nourrissons (nourris au lait), les personnes âgées et les végétariens.
Physiopathologie
Le diagnostic d’anémie par carence en fer est posé en cas d’anémie microcytaire hyposidérémique (< 11 μmol/L chez la femme, < 12 μmol/L chez l’homme) associée à une augmentation de la capacité totale de fixation en fer de la transferrine (CTF) ou sidérophiline (N : 45-80 μmol/L) ou à une baisse de la ferritinémie (< 10 μg/L) [3]. L’anémie inflammatoire est l’autre cause d’anémie microcytaire hyposidérémique : dans ce cas, la CTF n’est pas augmentée et il existe un syndrome inflammatoire (augmentation de la VS, de la CRP, du fibrinogène).
L’anémie par carence en fer s’installe progressivement avec épuisement des réserves avec augmentation de la CTF, puis diminution du taux de fer sérique avec apparition d’une microcytose et enfin anémie hypochrome microcytaire. Si l’augmentation de la CTF est le 1er signe à apparaître lors d’une anémie par carence en fer, elle est également le dernier marqueur à se normaliser sous traitement.
Médicaments
Formes orales
Les formes orales sont à base de sels ferreux (fer ferreux Fe2+). La posologie journalière chez l’adulte est de 100 à 200 mg de fer métal en une ou plusieurs prises. La posologie journalière chez le nourrisson et chez l’enfant est de 3 à 5 mg/kg de fer métal. Il existe de nombreuses spécialités orales de fer disponibles en France (tableau 23.2).
DCI | Noms commerciaux | Présentations |
---|---|---|
Ascorbate ferreux | Ascofer | Gélule 33 mg |
Chlorure ferreux tétrahydraté | Fer UCB | Solution buvable 500 mg/5 mL |
Férédétate de sodium | Ferrostrane | Sirop 34 mg/5 mL |
Fumarate ferreux | Fumafer | Comprimé 66 mg |
Fumarate ferreux | Fumafer | Sirop 33 mg/cuillère dose |
Gluconate ferreux | Tot’Hema | Ampoule buvable 50 mg |
Succinate ferreux | Inofer | Comprimé pelliculé 32,5 mg |
Sulfate ferreux (+ acide ascorbique) | Timoferol | Comprimé enrobé 50 mg |
Sulfate ferreux (+ acide ascorbique) | Fero-Grad Vitamine C 500 | Comprimé enrobé 105 mg |
Sulfate ferreux heptahydraté | Fer AP-HP* | Gélule 0,5 mg |
Sulfate ferreux sesquihydraté | Tardyferon | Comprimé enrobé 80 mg |
Sulfate ferreux sesquihydraté (+ acide folique) | Tardyferon B9 | Comprimé enrobé 50 mg |
*Fer AP-HP est spécifiquement indiqué en traitement préventif de la carence martiale du nouveau-né et du nourrisson.
Critères de choix thérapeutique
Référentiels scientifiques
Le traitement d’une anémie par carence en fer repose sur deux éléments : le traitement étiologique de la carence et le traitement de supplémentation en fer. La transfusion sanguine dans cette pathologie doit être évitée autant que possible, l’anémie étant d’installation progressive et le plus souvent bien tolérée [3].
Un traitement de fer par voie intraveineuse est indiqué en cas d’impossibilité de recourir à la voie orale ou en cas d’inefficacité de celle-ci. Dans ces cas, ainsi que lorsque les réserves en fer doivent être reconstituées rapidement, un traitement par fer injectable est un traitement de 1re intention [4]. L’EPO peut être administrée conjointement au fer en cas d’anémie ferriprive sévère [4]. Ferinject est la spécialité à base de fer injectable la plus récemment commercialisée en France. La HAS a estimé que Ferinject « n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) par rapport aux autres spécialités de fer injectable dans le traitement de la carence en fer lorsque les préparations orales de fer ne sont pas efficaces ou ne peuvent être utilisées. Cette spécialité qui ne contient pas de dextran, représente un moyen supplémentaire utile en raison de ses modalités d’utilisation » [4]. La HAS a en effet réévalué en janvier 2011 le Service Médical Rendu de Ferrisat (complexe hydroxyde ferrique – dextran) comme insuffisant au regard des accidents allergiques plus graves et plus nombreux avec la spécialité qu’avec Venofer (complexe hydroxyde ferrique – saccharose) [5]. En résumé, le bénéfice qu’apporte Ferinject par rapport à Venofer est la rapidité de perfusion ; ces deux formes devant être privilégiées par rapport à Ferrisat, qui comme les formes historiques de fer injectées par voie intramusculaire, présente des risques accrus de choc pour les patients.
Dans le cas particulier des patients hémodialysés, il existe une perte de fer inévitable liée à l’hémodialyse. Selon les recommandations de l’AFSSAPS sur le traitement de l’anémie au cours de l’insuffisance rénale chronique [6], « les patients ayant une anémie par carence en fer et ceux ayant une anémie traitée par EPO doivent recevoir une supplémentation en fer ». Chez les patients hémodialysés, la voie intraveineuse est la voie optimale pour l’administration du fer [6].
Chez la femme enceinte, il est inutile de proposer de façon systématique des compléments en fer. Ils ne profitent ni à la santé de la mère ni à celle du fœtus et peuvent avoir des effets indésirables pour la mère. Dès le début de la grossesse, le recueil d’informations doit permettre de repérer les carences martiales et dès lors de proposer un hémogramme [7].
Prévention des effets iatrogènes
Interactions médicamenteuses
Les formes orales de fer présentent toutes les précautions d’emploi avec les médicaments suivants :
– cyclines : diminution de l’absorption des cyclines par formation de complexes avec les sels ferreux ;
– fluoroquinolones : diminution de la biodisponibilité des fluoroquinolones par chélation et effet non spécifique sur l’absorption ;
– diphosphonates, L-thyroxine, méthyldopa, D-pénicillamine : diminution de leur absorption ;
– topiques gastro-intestinaux (sels, oxydes et hydroxydes de calcium, magnésium, aluminium) : diminution de l’absorption des sels ferreux.
Optimisation thérapeutique
Adaptation posologique
Pour la voie intraveineuse, de nombreuses adaptations posologiques sont nécessaires.
Indications spécifiques
– à la posologie recommandée de 2 à 4 mg/kg de fer par semaine pendant 4 à 12 semaines en fonction du déficit ;
– et maintenue à la posologie de 2 mg/kg administrée une ou deux fois par mois.
Anémies liées aux maladies chroniques inflammatoires de l’intestin. – Une supplémentation en fer par voie intraveineuse peut être envisagée lorsque Hb < 10,5 g/dL. La posologie recommandée est de 100 à 200 mg par injection, 1 à 3 fois par semaine.
Enfant. – La posologie recommandée est de 3 mg/kg par injection, 1 à 3 fois par semaine.
Mises en garde et précautions d’emploi
Une hypotension peut survenir en cas de perfusion trop rapide de fer.
Règles spécifiques d’administration
Les formes injectables de fer sont exclusivement destinées à l’administration intraveineuse.
– Venofer s’administre toujours en perfusion intraveineuse lente, éventuellement directement dans le circuit sanguin extracorporel en hémodialyse. La spécialité doit être diluée extemporanément dans du sérum physiologique (100 mg de fer = 5 mL dans un maximum de 100 mL). La dose maximale injectable est de 300 mg (dans un maximum de 300 mL de sérum physiologique en 90 minutes minimum).
– Ferinject est la seule forme de fer injectable en bolus, à la dose maximale de 200 mg (4 mL) avec un maximum de 3 injections par semaine. Une dose de Ferinject comprise entre 200 et 500 mg doit être injectée dans 100 mL de sérum physiologique en 6 minutes. Une dose de Ferinject comprise entre 500 et 1 000 mg doit être injectée dans 250 mL de sérum physiologique en 15 minutes.
– Ferrisat nécessite, en raison des risques liées à la perfusion mentionnées précédemment, l’injection d’une dose test de 25 mg de fer (= 0,25 mL) en 1 à 2 minutes chez tout nouveau patient. En l’absence de réactions, une dose de 100 à 200 mg peut être administrée par voie intraveineuse lente après dilution dans 10-20 mL de sérum physiologique ou G5 % (0,2 mL/min). En cas de dose > 200 mg, celle-ci devra être diluée dans 500 mL de sérum physiologique ou de G5 % et administrée en perfusion de 4 à 6 h ; les premiers 25 mg devront êtres administrés en 15 min, le débit peut ensuite être augmenté à 45-60 gouttes/min. Il est possible d’administrer selon les mêmes modalités Ferrisat dans le versant veineux d’un dialyseur au cours d’une séance d’hémodialyse.
Effets indésirables
Formes injectables
Pour les formes intraveineuses, les effets indésirables les plus graves sont les réactions anaphylactoïdes à la perfusion. Elles sont plus graves et plus fréquentes avec Ferrisat [5]. Les reactions se traduisent par la survenue d’urticaires, rashs, prurit, fièvre, frissons. Les réactions aiguës sévères restent très rares (< 1/10 000), se traduisant par une détresse respiratoire et/ou un collapsus cardio-vasculaire. Elles surviennent au cours des 1res minutes de la perfusion.
ANÉMIES MÉGALOBLASTIQUES
Physiopathologie
En cas d’anémie mégaloblastique, il faut rechercher une cause de carence ou un défaut d’utilisation de la vitamine B9 (folates) et/ou de la vitamine B12 (cobalamines). Les causes de carence en folates sont une carence d’apport (dénutrition, alimentation sans légumes verts, ni fruits, ni laitages), une carence par malabsorption digestive, une carence par excès d’utilisation ou de pertes (grossesse, affections hématologiques, maladies inflammatoires, hémodialyse), une carence liée à un alcoolisme ou une hépatopathie. La dernière cause de carence en folates est la prise de médicaments antifoliques (méthotrexate, pémetrexed, sulfaméthoxazole/triméthoprime, anticonvulsivants, pyriméthamine, salazopyrine principalement). Les causes de carence en vitamine B12 sont les suivantes : carence d’apport chez les végétariens stricts (végétaliens), carence d’utilisation par malabsorption gastrique (le plus fréquemment maladie de Biermer dont le diagnostic repose sur la carence en vitamine B12 et la mise en évidence d’anticorps anti-facteur intrinsèque) ou intestinale (maladies inflammatoires type Crohn), enfin rares carences liées à la prise de certains médicaments (biguanides, cholestyramine, cimétidine, colchicine…) [1].