Chapitre 23. Kinésithérapie en oncologie et soins palliatifs
Ingrid de Biourge and Valérie-Anne Heine
Introduction
« Le cancer est un terme générique pour un groupe de maladies d’origine inconnue et probablement multiple survenant dans tous les tissus composés de cellules potentiellement capables de division. Le cancer est caractérisé par une prolifération cellulaire non contrôlée aboutissant à l’invasion locale et à des métastases à distance [1]. »
Si le cancer est connu de tous, il nous semble important de souligner le fait qu’il peut toucher de nombreux organes et qu’il pose des problèmes spécifiques dont l’importance, découlant de leur fréquence et de leur gravité, est élevée. Cette maladie multisystémique nécessite une attention particulière et sa prise en charge variée requiert une réflexion multidisciplinaire impérative. La prise en charge par le kinésithérapeute sera très variable mais s’intègrera toujours dans une démarche globale, tant au niveau respiratoire, moteur et psychologique que social. Dans ce cadre, la gestion de la douleur fait partie intégrante du rôle du kinésithérapeute qui se doit de joindre au côté technique une prise en charge humaine et créative.
Si l’évolution du cancer peut être défavorable et mener à une prise en charge purement palliative, il est important de maintenir une distinction nette entre l’oncologie et les soins palliatifs. En effet, la prise en charge par le kinésithérapeute d’un patient cancéreux peut être curative ou uniquement de confort.
Parallèlement, les soins palliatifs (en institution ou à domicile) accompagnent de nombreux patients atteints de pathologies autres que cancéreuses en phase terminale. La prise en charge palliative correspond à tout traitement mis en place pour soulager le patient sans chercher à le guérir.
Dans les deux cas, il nous semble primordial de respecter les désirs du patient et de veiller au maintien d’une bonne qualité de vie.
Oncologie
Manifestations cliniques
Le diagnostic de cancer est souvent posé suite à l’apparition de signes d’alertes locaux (saignements, troubles fonctionnels digestifs ou urinaires, plaie qui ne guérit pas, apparition de nodules, toux persistante…). En dehors de ces signes, les circonstances de découverte sont souvent plus tardives et extrêmement variées.
Le kinésithérapeute devra, dans sa prise en charge, être attentif et tenir compte de nombreux symptômes influençant l’état général du patient.
L’un d’entre eux, et non le moindre, est la fatigue intense. Ce symptôme, le plus souvent mentionné par les patients, entraîne une importante diminution de la qualité de vie. Il est lié à la maladie proprement dite, aux difficultés psychologiques qui exigent un surcroît d’énergie, à l’anémie et aux traitements subis.
Un autre symptôme fréquemment observé est la perte de poids. Conséquente à l’anxiété, aux effets secondaires des traitements et aux changements du métabolisme (diminution de l’appétit et augmentation des dépenses caloriques du corps), elle peut avoir un impact sur l’état général, psychique et physique du patient. Le kinésithérapeute devra y être attentif, conseiller le patient dans ses activités de la vie journalière, veiller à entretenir les capacités cardiorespiratoires et limiter l’asthénie de celui-ci.
Atteintes respiratoires liées au cancer
Cancer ORL
Symptomatologie
Les atteintes ORL sont majoritairement des tumeurs malignes de la cavité buccale, du pharynx et du larynx qui surviennent chez des patients dans un contexte d’alcoolisme et de tabagisme.
Une mauvaise hygiène buccodentaire est fréquemment remarquée chez ces patients, mais nul ne peut dire si elle est un cofacteur de la maladie ou une simple conséquence du mode de vie.
Outre son risque d’obstruction ou de compression dû à la masse tumorale, ce cancer est d’une agressivité locale marquée. Cette maladie ne se guérit qu’au stade locorégional et est donc considérée comme incurable dès la présence de métastases, souvent pulmonaires. Elle est également incurable en cas de rechute locorégionale non susceptible de répondre à la chirurgie ou à la radiothérapie. Notons que dans le cadre d’un cancer lié à un contexte alcoolotabagique, un haut risque de cancers multiples existe.
La gravité de ces cancers impose une prise en charge rapide et des traitements combinés (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie) et agressifs ayant des conséquences morphologiques et fonctionnelles importantes, nécessitant parfois une trachéotomie.
Les symptômes sont les troubles de l’alimentation, la dysphagie, la dyspnée et le stridor inspiratoire qui peut entraîner de la toux.
Complications secondaires
Les complications secondaires sont généralement liées aux traitements :
• les troubles de la déglutition liés à la tumeur elle-même, à une chirurgie mutilante, à des troubles de sensibilité ou à la douleur ;
• la douleur liée à la tumeur et/ou à la mucite ;
• la mucite, inflammation d’une muqueuse qui recouvre l’intérieur des cavités et viscères. Chez les cancéreux, cette inflammation est le plus souvent provoquée par la toxicité du traitement : la radiothérapie entraîne une radiomucite, la chimiothérapie une chimiomucite. Dans les deux cas, la mucite provient de l’action du traitement sur la couche de cellules qui est à la base de la muqueuse. Elle peut engendrer une gêne à la déglutition et à l’expectoration. Notons que la mucite se guérit en plusieurs semaines après la fin des traitements de radiochimiothérapie [2] ;
• les risques liés à la trachéotomie.
Rôle du kinésithérapeute
Les patients traités pour un cancer ORL présentent souvent une stase de fond de gorge, pouvant entraîner à plus long terme des infections pulmonaires classiques par fausse déglutition. Outre la réhabilitation (voix, déglutition…), le kinésithérapeute respiratoire tiendra un rôle dans la gestion de l’encombrement des voies aériennes supérieures et bronchiques. Dès lors, les soins de bouche, une attention particulière aux signes d’encombrement bronchique, voire une kinésithérapie de désencombrement devront être mis en place. Par ailleurs, une prise en charge motrice sera souvent nécessaire pour limiter le risque de perte fonctionnelle et d’autonomie liée aux traitements et à l’état cachectique de ces patients.
Cancer pulmonaire
Il existe deux types de cancers pulmonaires dont le traitement médical et le pronostic diffèrent : le cancer bronchique à petites cellules dont le pouvoir métastatique est majeur et le cancer bronchique non à petites cellules.
Symptomatologie
Les signes cliniques les plus fréquents liés à la tumeur bronchique sont : la toux, les douleurs thoraciques, la dyspnée liée à l’obstruction bronchique ou à un épanchement pleural, les expectorations, les hémoptysies et la perte de poids.
La dyspnée d’origine primaire est liée à la compression partielle ou totale d’une ou plusieurs bronches ayant pour conséquence une diminution de la ventilation pulmonaire. Dans ce cadre, le kinésithérapeute tiendra un rôle dans l’apprentissage des techniques d’ouverture thoracique et d’exercices visant à augmenter la capacité inspiratoire des autres territoires pulmonaires. Ces mêmes techniques peuvent être utiles pour limiter la dyspnée secondaire dont l’étiologie est très variable (épanchement pleural, encombrement…).
La présence d’expectorations purulentes peut être liée à une infection en amont d’une sténose ou à une nécrose tumorale. Dès lors, le kinésithérapeute effectuera les manœuvres de désencombrement classiques : ventilation manuelle, augmentation du flux expiratoire, drainage postural, exercices à pression positive expiratoire…
Complications pulmonaires d’un néoplasme pulmonaire
Notons que le poumon est le site métastatique le plus commun pour de nombreuses tumeurs malignes. Les atteintes les plus fréquentes sont les nodules pulmonaires solitaires ou multiples et les lymphangites carcinomateuses [3].
Les complications pulmonaires sont nombreuses et seront prises en charge par le kinésithérapeute de manière similaire à une prise en charge dont l’atteinte d’origine n’est pas néoplasique :
• l’épanchement pleural : il survient suite à l’envahissement de la plèvre viscérale et parfois entraîne une atélectasie. C’est une complication fréquente et de mauvais pronostic chez le patient cancéreux au stade avancé mais aussi une cause fréquente de détresse respiratoire ;
• la pleurésie : la pleurésie primitive maligne est plus rare que la pleurésie néoplasique [4] ;
• l’infection pulmonaire : observée chez de nombreux patients cancéreux, elle est fréquemment présente chez le patient cancéreux bronchique. Le risque d’infection à ce niveau est en effet majoré par l’existence d’une obstruction bronchique tumorale et, chez les patients tabagiques, par une diminution des mécanismes de défense de l’arbre trachéobronchique ;
• la lymphangite carcinomateuse : forme particulière de dissémination métastatique intrapulmonaire, elle est caractérisée par l’infiltration des canaux lymphatiques. Son symptôme pulmonaire principal est la dyspnée ;
• le syndrome restrictif pulmonaire : il peut être la conséquence d’une chirurgie ou de la présence d’atélectasies, de raideurs et de douleurs thoraciques ;
• l’hémoptysie : elle est présente dans 20 à 25 % des cancers du poumon et augmente le risque de surinfection pulmonaire, de bronchectasies et d’embolie pulmonaire ;
• la compression du nerf phrénique peut entraîner une paralysie du diaphragme ;
• la détresse respiratoire : liée à la maladie elle-même, à la bronchite chronique (fréquente) et aux traitements [5], elle est la conséquence des différentes atteintes précitées ;
• les métastases osseuses : lorsque la paroi thoracique est touchée, les risques de douleur limitant la mobilité de même que le risque de fractures peuvent entraver la ventilation.
La kinésithérapie respiratoire consistera en une ventilation manuelle, un travail d’expiration contre résistance, l’utilisation de la spirométrie incitative et le travail d’ouverture thoracique. Ces exercices seront réalisés dans des positions variables selon la localisation de l’atteinte.
Toutes ces complications ne nécessitent pas nécessairement l’intervention du kinésithérapeute. Néanmoins, notre pratique nous pousse à conseiller d’évaluer tous les bénéfices qu’elle peut engendrer par rapport à la symptomatologie du patient.
Outre la prise en charge de ces symptômes respiratoires, le kinésithérapeute réfléchira sur les possibilités et le bénéfice d’une revalidation cardiopulmonaire globale.
Diverses recherches sur le sujet doivent encore être réalisées. Notre pratique, confirmée par une étude pilote réalisée afin d’évaluer l’influence des exercices physiques sur la capacité respiratoire chez les patients cancéreux, nous le confirme. Il a été démontré qu’à la suite du traitement de la maladie, un programme de réhabilitation améliore la capacité pulmonaire et la tolérance à l’exercice des patients cancéreux [6].
Complications liées aux traitements
Le traitement classique du cancer peut comporter de la chimiothérapie, de la radiothérapie et de la chirurgie, utilisés de manière distincte ou associée. Il est destiné à combattre la maladie dans un espoir de guérison ou afin de limiter ses conséquences et d’augmenter la durée de vie.
Certains cancers, principalement le cancer du sein et de la prostate, peuvent également être traités par hormonothérapie. L’immunothérapie, quant à elle, est utilisée pour des patients déjà atteints d’un cancer afin de stimuler leur immunité.
Le cancer et son traitement nécessitent une grande demande physique et métabolique pour le patient. L’infection, fréquente chez les patients cancéreux, exacerbe ces besoins et peut les mener jusqu’à l’hypoxie. Il a été démontré que, dans ce cadre, la kinésithérapie peut augmenter la fonction respiratoire. L’instauration, la durée et la fréquence des traitements seront établies en fonction de la capacité du patient à collaborer. En effet, un traitent excessif mènera à une exacerbation des symptômes plutôt qu’à leur amélioration. Dans ce cadre-ci, un bon positionnement du patient, une relaxation, une aide à l’expansion pulmonaire, un travail de désencombrement, une mobilisation de la cage thoracique et une réhabilitation pulmonaire peuvent être envisagés [7].
D’autres traitements non spécifiques à l’oncologie peuvent également être associés afin de gérer les complications liées à la maladie (troubles sanguins, de l’alimentation et du sommeil, infections, douleurs, etc.).
Chimiothérapie
Il existe plusieurs types de chimiothérapie et de protocoles. Une chimiothérapie peut être administrée par voie sanguine, per os ou par voie intrathécale. Afin de faciliter l’administration par voie sanguine, une chambre de perfusion implantable pour accès veineux permanent (port-àcath) [figure 23.1] peut être placée, le plus souvent sous les téguments thoraciques. La chambre de perfusion, apparente sous la peau de la paroi thoracique, est reliée à un cathéter qui est introduit dans la veine cave via la veine sous-clavière. De manière générale et surtout si le port-àcath est relié à une aiguille et une pompe ou perfusion pour un traitement en cours, il vous faudra simplement éviter de prendre appui sur celui-ci lors de vos manœuvres de ventilation.