13. Évaluation de la qualité de vie chez l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

Chapitre 13. Évaluation de la qualité de vie chez l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

Dominique Monnin and Jean-Paul Janssens





Éducation thérapeutique et qualité de vie


Les notions d’éducation thérapeutique et de qualité de vie sont indissociablement liées dans les contextes de traitement et de réhabilitation. L’une comme moyen utilisé par les soignants pour aider les patients à mieux vivre avec leur problème de santé, l’autre pour mesurer à quel point cette vie est affectée par la maladie ou contrôler l’efficacité des interventions thérapeutiques dont le but annoncé est d’aider les patients à être plus satisfaits de leur vie.

Les moyens déployés sous l’appellation « éducation thérapeutique » couvrent une vaste palette d’interventions qui va de l’enseignement d’une technique de soins comme l’inhalation d’un médicament jusqu’à des psychothérapies – le plus souvent d’orientation comportementale – en passant par diverses formes de support et plans d’action. La dynamique de groupe est souvent mise à contribution pour permettre aux patients de bénéficier de l’expérience des personnes qui vivent avec une affection similaire à la leur et de lutter contre les risques de désocialisation.

Les soignants disposent aujourd’hui d’un certain nombre d’outils qui leur permettent de mesurer la qualité de vie des patients ou, du moins, la façon dont ceux-ci s’estiment satisfaits de leur vie. Il s’agit toujours de questionnaires dans lesquels les patients sont invités à prendre position sur des postulats proposés à leur appréciation. Certains dressent un tableau de qualité de vie globale (« Short Form 36 » [SF 36]), d’autres cherchent à préciser la satisfaction de patients atteints d’une même affection (St George’s Respiratory Questionnaire [SGRQ], pour les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO]). Une fois les données récoltées, reste cependant à déterminer quels types d’informations fournissent ces questionnaires et à quel point elles sont fiables pour évaluer les effets d’un traitement ou le devenir d’un patient.

Ce chapitre tentera une approche compréhensive des notions que recouvre le terme d’« éducation thérapeutique », puis décrira les apports et limites des outils d’évaluation de la qualité de vie.


Compliance, adhérence et autres écarts


La médecine occidentale produit une abondante littérature consacrée à la compliance des patients à leur traitement. Ce terme anglais à consonance latine (certains auteurs francophones préfèrent parler d’adhérence) désigne la manière dont une personne malade suit plus ou moins scrupuleusement ce qu’un soignant lui a prescrit. La quasi-totalité des textes publiés à ce sujet discutent la même question : une bonne part des gens ne font pas ce qui figure sur l’ordonnance établie à leur intention (médicaments non ingérés, régimes alimentaires non respectés, hygiène de vie négligée…). Après analyse, les auteurs proposent généralement une manière d’améliorer cette situation qui, toutes pathologies confondues, motive plus de 10 % des hospitalisations aux États-Unis et dont le coût annuel se chiffre en milliards de dollars [1]. On comprend que les gestionnaires de santé s’y intéressent ; les soignants aussi, qui se sentent mis en cause dans leur efficacité par ces patients peu compliants !



Un phénomène complexe


La non-compliance revêt des formes très diverses : horaires erronés, dosages inexacts, interruptions prématurées, pauses, voire même oubli total du traitement. Les raisons le plus souvent invoquées par les patients réfèrent à l’impression qu’ils n’ont pas besoin d’un tel traitement, que celui-ci ne servira à rien, qu’il pourrait s’avérer néfaste ou qu’ils n’ont pas bien compris les instructions qu’ils ont reçues [3]. L’avis des médecins à ce sujet varie parfois considérablement par rapport à celui de leurs patients. À titre d’exemple, les médecins considèrent que si les diabétiques ne suivent pas le régime qui leur est prescrit, c’est à 80 % une question de motivation ; les conditions économiques, l’environnement sociofamilial, les limitations physiques ou physiologiques invoqués par les patients ne sont pas considérés comme des interférences plausibles [4].

Le même écart se manifeste dans la manière dont les douleurs des patients sont prises en considération par les soignants : d’un côté, « un professionnel soucieux du contrôle de la douleur du et par le patient », en face de lui, un être souffrant « qui se plaint que les soignants ne l’écoutent pas » [5]. Les deux parties peinent à trouver la voie qui permettrait d’exprimer douleur et souffrance avec des mots. À l’évidence, chacun ne place pas les mêmes attentes dans la rencontre que constituent la consultation ou la séance de traitement [6]. Les patients se focalisent sur leurs symptômes et la manière dont ils seront reconnus, éprouvent un corps devenu étrange, vivent l’angoisse de la maladie, s’inquiètent de l’avenir, expérimentent un sentiment bizarre de solitude, d’exclusion de leur groupe social… Mais le besoin d’écoute, de compréhension au sens profondément humain du terme qui les habite vient souvent se briser sur les impératifs d’efficacité anamnestique et horaire que s’impose le soignant, interrompant ainsi le récit de son interlocuteur ; toutes les 12s, précise une étude qui s’est intéressée aux échanges patients–soignants [7] ! Quand l’un confie son vécu, son interlocuteur lui répond en termes scientifiques. La spirale des messages indirects est entamée. « Soumis au stress et à l’anxiété provoqués par la maladie, certains patients régressent vers des besoins infantiles auxquels les médecins ne sont pas habitués à faire face. Irrités de cette non-réponse à leur attente, ils manifestent leur insatisfaction par des attitudes de non-compliance » [8].


Éclairage sémantique


Le malentendu se retrouve au sein même des mots qui constituent le dialogue. Le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend que la racine latine du mot ordonnance réfère à « mettre en ordre, mettre de l’ordre, d’où gouverner, disposer de » [9]. D’abord utilisé dans le langage juridique, ordonnance « exprime l’idée d’une volonté, d’une décision émanant d’un supérieur » et sera repris au XVIe siècle dans le vocabulaire médical sous la forme de « prescrire par ordonnance ». Prescrire signifie d’abord « condamner, enrôler », puis devient progressivement « fixer de façon précise, exiger, rendre une chose indispensable ». Le préfixe pre marque le lieu, « devant », mais aussi l’antériorité. La prescription a été pensée et écrite par quelqu’un d’autre ; elle figure là, sur un papier. Ne reste plus qu’à la mettre en pratique. Elle provient d’un supérieur qui jouit d’un pouvoir comparable à celui de la justice, plus important même puisqu’en fin de compte, ce feuillet sur lequel ont été jetés quelques mots est susceptible d’engager l’avenir du patient ; plus encore, son absence d’avenir, sa mort. C’est dans ce contexte que le patient est appelé à se montrer compliant, c’est-à-dire se plier à « une règle, un ordre, quelque chose que quelqu’un d’autre veut qu’il fasse » [10] ; à moins qu’il ne réagisse contre cette prescription car, si le préfixe co signifie habituellement « avec », il est bon de se rappeler que cet « avec » veut dire à la fois rassemblement et opposition, « le partenaire étant aussi l’adversaire ». Dans des circonstances comme la guerre ou le sport, faire une partie de tennis avec un ami signifie aussi jouer contre cet ami. Il n’y a qu’un pas de l’obéissance à la révolte ; le patient qui ne fait pas vraiment siennes les prescriptions médicales a de multiples raisons de les biaiser, de les contourner ou tout simplement de les ignorer.


Relation soignant–soigné


À parcourir la littérature médicale, deux évidences s’imposent d’emblée : « Lorsque les patients sont encouragés à participer à leur traitement […], l’évolution de la maladie et les résultats de la thérapie en sont améliorés [mais] cependant, il serait naïf d’imaginer que le simple fait de fournir des informations amènera infailliblement le patient à être compliant [à son traitement] » [11]. À la sortie d’une consultation de pédiatrie, près d’une mère sur quatre ne peut pas expliciter clairement les indications que le médecin lui a fournies concernant le traitement de son enfant [12] ! Il s’avère donc primordial « de clarifier les composantes de l’interaction qui permettent de définir une approche centrée sur le patient, à même non seulement de fournir les éléments d’une anamnèse médicale et sociale complète et fiable, mais aussi d’identifier les problèmes émotionnels » [13]. Le vécu du patient ne peut pas entrer dans une dichotomie savoir/vécu. Il forme un savoir spécifique sur la manière dont le patient vit sa maladie, entièrement dépendant des chemins que celui-ci a empruntés pour l’acquérir. Un savoir qui prend la forme d’un gain de sens, constitue une manifestation de l’intention. Quelle est la nature de l’interaction qui permet l’accès à cette conscience, quelles en sont les exigences et, partant, quel en sera le contenu ?

Historiquement, le médecin a d’abord été celui qui écoute et conseille. Plus tard, le développement scientifique a proposé des techniques d’analyse qui permettent de quantifier un certain nombre de données biologiques et de les utiliser comme autant d’indicateurs pour diagnostiquer une affection et suivre son évolution. Depuis quelques années, le monitoring nous garantit des informations en temps réel. Une puce électronique parvient à relever le nombre de médicaments sortis d’un emballage, la fréquence, la durée, les horaires d’utilisation d’un appareil, ou d’autres paramètres que le soignant consulte à espaces réguliers, sur l’appareil ou par télémétrie. Mais, si le « mouchard » dit combien de comprimés sont sortis de la boîte, il ne précise pas s’ils ont été absorbés [14] ! Et, sur un autre plan, même entrés dans la pratique quotidienne, il faut bien reconnaître qu’analyse et monitoring revêtent un caractère inquisiteur et ne devraient être utilisés qu’avec le consentement du patient. En témoignent les récentes discussions éthiques autour des tests de dépistage du sida : peut-on ou non les pratiquer à l’insu d’un individu ? Il demeure néanmoins que ces avancées technologiques constituent des outils intéressants, souvent même décisifs dans le suivi d’un grand nombre d’affections.

Dans la foulée de l’avènement des sciences cognitives, ont fleuri les concepts d’éducation thérapeutique et d’éducation à la santé. Ces interventions de type pédagogique reposent toutes plus ou moins sur les principes de la psychologie comportementale : la maladie constitue un bouleversement dans la vie d’un individu. Face à cet imprévu, celui-ci s’enlise dans la dépression ou travaille à développer des adaptations. Cela requiert un processus d’apprentissage qui progressera d’autant mieux que l’apprenant sera épaulé et disposera d’indicateurs qui lui permettent de juger de la difficulté à laquelle il est confronté, des stratégies à développer, des moyens à engager et des progrès déjà réalisés pour parvenir à son but. On peine à compter les séminaires, formations et autres ouvrages qui garantissent tous les secrets de ce type d’approche aux soignants.


Quelle approche pédagogique ?


Hors des querelles d’école, demeure une question cruciale : les soignants doivent-ils développer des approches pédagogiques à même d’aider le patient, voire tout un chacun, à cheminer dans un processus d’apprentissage qui l’aidera à respecter des préceptes par eux édictés ou ont-ils, bien au-delà de simples interventions comportementalistes, à accompagner une personne dans son processus de formation au sens large du terme, celui qui permet à l’individu de dévoiler et de vivre les possibles de sa vie, parfois dans la douleur et la souffrance ? En d’autres termes, si la société le fait pour certaines vaccinations rendues obligatoires par exemple, une personne peut-elle s’arroger le droit de contraindre une autre personne, positivement ou négativement, sous motif de promouvoir sa santé ?

Dans un ouvrage de vulgarisation autant que de référence [15], André Giordan montre bien comment les trois grandes traditions de la pédagogie ne cessent de s’entrecroiser pour tisser la toile du savoir efficient. L’apprendre ne peut se résumer à un « simple mécanisme d’enregistrement » effectué par un cerveau qui accumulerait les informations provenant d’une source extérieure. Pas plus qu’il ne peut être réduit au résultat d’un entraînement dans lequel l’enseignant diviserait les tâches à accomplir en activités effectuées par l’apprenant dont l’intérêt serait tenu en éveil par des récompenses ou des pénalisations. Pas question enfin de considérer que l’apprentissage puisse s’effectuer par la seule propension des individus à rechercher et sélectionner des informations en réponse à leur curiosité naturelle. Essayons donc avec l’auteur de poser les critères essentiels de l’apprendre :




• «Un savoir est une chose que l’on s’invente pour expliquer – c’est-à-dire donner du sens à – une situation [et] ce sens […] n’est jamais directement accessible » ;



• «La compréhension d’un savoir nouveau est le résultat d’une transformation – souvent radicale – de la représentation mentale de l’apprenant. […] L’Autre (un inconnu rencontré au hasard ou un professionnel – enseignant, médiateur) doit faciliter la production de sens de chaque individu, en l’accompagnant et en interférant avec ses conceptions » ;


• « Cette transformation ne peut se réaliser sans une certaine confiance en soi ni une certaine confiance en l’autre, en celui qui peut faciliter » ;


• «[Sinon],on n’apprend que ce qui nous fait plaisir ou ce qui renforce nos convictions ; en fait, ce que l’on connaît déjà » ;


• «Intimement liée à l’histoire de l’individu, [la représentation] forme le soubassement de son identité et plonge ses racines dans la culture ambiante. [Elle] fait office de filtre pour décoder le réel et permet d’agir, d’échafauder des explications, de formuler des hypothèses, d’effectuer des prévisions ou encore de prendre des décisions » ;


• «Ce n’est que lorsqu’une connaissance revêt pour lui un sens [qu’un individu] se l’approprie et fait évoluer son système de représentation » ;


• «La prise en compte des conceptions de l’apprenant doit impérativement devenir le point de départ obligé de tout projet éducatif » ;


• « Le projet devient vraiment mobilisateur quand [les apprenants] ont la possibilité de réfléchir sur l’action entreprise, la capacité à coopérer et à négocier ou à prendre des responsabilités dans l’élaboration des stratégies. »

Le patient se construit au sein d’un environnement dans lequel il se sent en sécurité, un monde cohérent, mais pas forcément logique au sens scientifique du terme. Au point que cet univers peut paraître plus ou moins insensé à tout autre que lui. Cette représentation n’est cependant pas figée ; elle peut évoluer. Elle le fera si le sujet est suffisamment ébranlé pour remettre la cohérence de son monde en question et si la nouvelle représentation qui émerge a un sens pour lui. Mais il ne peut accepter d’aller vers l’inconnu que s’il possède une certaine confiance en lui et en la personne qui l’incite au changement.

La non-compliance surgirait donc lorsque l’ordonnance s’inscrit dans un contexte d’opposition plutôt que de collaboration. Le déséquilibre induit par le soignant va au-delà de ce que permet le lien de confiance qui unit les deux protagonistes. Déplacé trop loin de ses bases, le patient se trouve face à quelque chose dont il ne voit pas le sens ; il s’en méfie ou prend franchement peur. Il trouve tout naturellement la réassurance dans ses habitudes antérieures et continue donc à fonctionner dans cette cohérence, consciemment ou non. Si l’évolution personnelle passe obligatoirement par la remise en question des conceptions établies, quelle attitude facilite cette remise en question tout en garantissant l’autonomie de l’autre, sa capacité de fixer lui-même ses propres normes ? Que peut-on dire de la relation à établir lors de la rencontre soignant–soigné ?


Décider ou guider ?


Autre question intéressante, qu’est-ce qui légitime ou simplement pousse le soignant à autoriser, imposer ou interdire une attitude, un geste, un mode de vie à un patient ? Traitant ce sujet, Jean-François Malherbe n’hésite pas à parler de furor sanandi et à stigmatiser la médecine occidentale qui « refuse de considérer la maladie comme un langage, un dialogue du sujet avec lui-même dans un environnement géo-bio-social, la réalisation provisoire mais efficace d’un équilibre de survie, même malheureux » [16]. L’auteur ne propose pas d’abandonner les malades à leur sort, il interroge les soignants sur leur « ambition de nous délivrer de la mort » et martèle qu’« il est plus commode de faire la morale aux gens sur les causes du cancer que de les soutenir et de les éclairer dans le cheminement souvent chaotique de leur liberté vers une plus entière responsabilité à l’égard d’eux-mêmes, des autres… ». Il rappelle aussi que « le travail psychique auquel chacun de nous est appelé face à la mort qui vient n’est codifié dans nul mode opératoire préétabli, […] que ce travail est toujours pénible et difficile, qu’il comporte toujours sa part d’angoisse et de souffrance »… pour le patient comme pour le soignant « qui, lui aussi – et son art le lui rappelle chaque jour –, s’achemine inexorablement vers la mort ».

Science et bon sens dictent de chercher ce projet de vie chez et avec le patient. Mais le réduire à une stratégie, un plan d’action, revient à l’amputer de sa substance vitale, feindre de croire que nous maîtrisons la totalité et la complexité des causalités qui conditionnent l’action. Bernard Honoré met en garde contre cette attitude qui oublie « le sens existentiel de la santé et du projet comme expression d’un dévoilement des possibles, d’une liberté, donc d’un choix lui-même possible parmi les possibles, d’un dépassement toujours ouvert sur un accomplissement jamais achevé. [Où la santé] n’est pas une succession d’états scientifiquement observables, mesurables, prévisibles, mais ce qui les traverse, les relie en un cours de vie » [17].


Le processus de formation


En tant que crise, la maladie représente un événement au sens décrit par Henri Maldiney, « une épreuve dans et par laquelle nous nous apprenons nous-mêmes avec le monde. Résoudre la crise, c’est intégrer l’événement en se transformant ». L’événement ne se prévoit pas plus qu’il ne s’organise, il surgit de notre rencontre avec le monde. « Rencontrer, c’est se trouver en présence d’un autre, dont nous ne possédons pas la formule et qu’il nous est impossible de ramener au même, à l’identité du projet dont nous sommes l’ouvreur » [18]. Mais, cet « autre en tant que personne ne peut pas être mis à découvert. Il se révèle ou il ne se révèle pas. [Sa] connaissance est toujours aussi connaissance de soi, à travers celle d’un individu ; elle se fait mais elle nous fait aussi ; elle est comparable à un voyage, à une véritable aventure, dont on ne sort pas indemne » [19]. La marge de manœuvre est infime, le formateur ne le sait que trop bien car tout « projet est recherche d’un ailleurs, d’un inexistant et ne va jamais sans son alter ego, le rejet » [20]. Bousculé trop fort, trop loin de ses bases, comme la moule il se referme, se laisse ballotter par les flots… pour reprendre son chemin initial à la première accalmie.


Le soignant tient le rôle de guide, au sens du guide de montagne qui entreprend une course avec son client vers le sommet que celui-ci a choisi d’atteindre. Disponible, attentif, bienveillant autant que rigoureux, il propose la voie qui convient le mieux aux possibilités de son client, celle aussi qui, à son appréciation, est à sa portée et lui procurera le plus de satisfaction. Le client choisit ; tous deux se mettent en route. La compétence de l’un n’exclut pas celle de l’autre, pas plus qu’elle n’en remplace les efforts, le mérite et la fatigue à l’arrivée. Au lendemain d’un projet qui l’a amené à préparer (pendant plus de 1 an) puis à réaliser l’ascension du mont Blanc avec six adolescents, un guide confie : « Tenir compte de leur âge, de leur inexpérience, de leur diversité, de leur potentialités engendre de nouvelles approches à développer en plus des règles alpines classiques. » Toute analogie avec une situation de soin ne serait pas nécessairement fortuite… D’autant que cet exemple illustre la dynamisation des projets personnels au sein d’un groupe. La maladie est toujours l’expérience douloureuse d’une distanciation d’avec nos proches. Qui n’a pas ressenti cette rupture du lien social à l’occasion d’une maladie d’enfance ? Plus tard aussi même si, adultes, nous nous interdisons bien souvent de laisser émerger ce type de sentiments sous couvert de raison.

Dans les sociétés traditionnelles, le chaman maintient le tissu social en présidant à des rituels de guérison en groupe. L’individualité occidentale cherche dans l’« épreuve partagée » [22] à renouer le fil qui permet d’inscrire le malheur individuel dans le tissu de l’amitié. Les visites à une connaissance hospitalisée, les associations de malades, la participations aux funérailles même illustrent ce travail de support (au sens que Winnicott donne à ce terme) du souffrant par son entourage et ceux qui ont traversé la même épreuve. Le groupe garantit à la personne malade ou handicapée qu’elle est toujours bien des siens, les pairs témoignent qu’il est possible de « faireavec » : une vie est encore envisageable malgré la maladie. Dans la prolongation de ce prendre-soin social, il y a certainement une place dans les interventions professionnelles des soignants pour cultiver le lien interpersonnel, en prenant à l’occasion appui sur les ressources formatrices de celles et ceux qui ont déjà traversé la crise, afin de permettre à celui qui souffre de trouver et mobiliser l’énergie nécessaire pour franchir le cap du désespoir vers une nouvelle forme de santé.

« Pareille approche contraint à prendre de la distance vis-à-vis de notre propre conception de la santé au moment où nous sommes partie prenante de l’action, à renoncer à toute certitude, à inclure dans la critique celle de nos propres idées sur ce qui paraît nécessaire pour guider l’action », précise Bernard Honoré [17]. Nous sommes alors amenés à cheminer dans l’acceptation de l’inachèvement et de l’incertitude, le renoncement à une action qui vise à débarrasser la vie de la maladie et de la mort qui comptent définitivement parmi ses éléments constitutifs. Reste alors le privilège d’accompagner des patients – humains en tous points semblables à nous – au fil d’une vie qui s’épanouit avec la maladie et la mort, où la maladie n’est pas seulement un avatar, mais aussi, selon l’expression de Pascal Bruckner [22], « une occasion de réorganiser son rapport au réel, non au réel biologique mais au réel de l’impossible tout-dire impliqué par le fait du langage ; […] l’occasion d’inaugurer une nouvelle voie de frayage ». Au-delà de l’apprentissage d’un geste ou d’une attitude plus ou moins automatisé, accepté, assimilé, le prendresoin se découvre alors accompagnement du patient dans sa recherche d’un sens à ce qu’il vit et la mise en projet de son avenir.


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Oct 9, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 13. Évaluation de la qualité de vie chez l’insuffisant respiratoire chronique obstructif

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