Chapitre 22. Kinésithérapie respiratoire en gériatrie
Emmanuel Guérot and Damien Moerman
PLAN DU CHAPITRE
Définition du patient gériatrique
L’amélioration des conditions de vie (alimentation, hygiène, conditions socioéconomiques…) et les progrès de la médecine ont permis un allongement considérable de l’espérance de vie au cours du xxe siècle, particulièrement dans les pays développés. Ainsi, les personnes âgées de plus de 65 ans constituent actuellement 12 % de la population des États-Unis et plus de 15 % de celle de l’Union européenne. Cette tendance, associée à une baisse relative des naissances dans ces pays, explique que la part des sujets âgés pris en charge dans les structures hospitalières ne cesse d’augmenter et qu’il est désormais indispensable d’en bien connaître les particularités.
Définir ce qu’est une personne âgée est une tâche difficile. L’âge chronologique est habituellement utilisé, mais le seuil retenu est très variable. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère un sujet comme « âgé » au-delà de 65 ans ; c’est pourquoi un grand nombre d’études, notamment les plus anciennes, utilisent cette valeur. Toutefois, la population ainsi définie paraît très hétérogène, au moins dans les pays développés, ce qui a amené un certain nombre d’auteurs à la scinder en trois sous-groupes (65–74 ans, 75–84 ans, > 85 ans). L’étude de la littérature médicale permet ainsi de retrouver de multiples définitions (65, 70, 75 ans…) avec cependant une très nette tendance à reculer la limite au-delà de 75, puis de 80 ans [1], certaines études très récentes s’intéressant même spécifiquement aux patients de plus de 90 ans [2]. L’analyse de ces travaux montre que, quelles que soient les conditions de prise en charge (médicale ou chirurgicale, aiguë ou chronique), le pronostic des personnes âgées est avant tout dépendant de leur état de santé antérieur et des comorbidités plus ou moins importantes qu’elles présentent, alors que l’âge chronologique pris isolément n’influe que très modérément sur leur devenir [3].
En l’absence de consensus ou de définition stricte, on peut actuellement proposer l’âge de 80 ans comme limite pour une population gériatrique, tout en insistant sur la nécessaire prise en compte de l’état de santé antérieur et des comorbidités afin d’obtenir des groupes de patients relativement homogènes.
Physiopathologie de l’appareil cardiorespiratoire chez la personne âgée
Afin de pouvoir prendre en charge de façon adaptée des patients de plus en plus âgés, il est nécessaire de connaître les modifications physiologiques, notamment respiratoires et cardiovasculaires, liées au vieillissement, indépendamment de toute pathologie intercurrente.
Modifications respiratoires
Avec l’âge, la structure histologique et anatomique du parenchyme pulmonaire se modifie. Des altérations du renouvellement des fibres élastiques et collagènes et surtout des liaisons entre ces fibres entraînent une augmentation de la compliance pulmonaire [4, 5]. Les bronchioles terminales et les alvéoles tendent à se dilater avec une réduction de la surface d’échange alvéolaire, associée à une diminution du nombre de capillaires par alvéole. Enfin, les bronches périphériques ont une tendance accrue au collapsus expiratoire en raison de la diminution de leur force de tension élastique, participant à l’augmentation du volume résiduel que nous reverrons [5, 6].
Du fait du développement de calcifications des cartilages intercostaux, d’arthrose costovertébrale et de cyphoscoliose, la compliance pariétale diminue [7]. La force des muscles respiratoires, notamment le diaphragme et les abdominaux, diminue nettement [8], alors que le rôle des muscles intercostaux est très réduit en raison de la rigidité de la paroi thoracique.
L’augmentation de la rigidité pariétale, la diminution de l’élasticité pulmonaire et la diminution de la force musculaire respiratoire expliquent les modifications fonctionnelles respiratoires observées chez les sujets âgés. Le volume résiduel ainsi que la capacité résiduelle fonctionnelle augmentent alors que la capacité vitale (CV) diminue, la capacité pulmonaire totale (CPT) ne variant pas avec l’âge [5, 9]. Il existe aussi très fréquemment une limitation expiratoire importante, quelle que soit la façon dont elle est explorée [10]. Ainsi, le volume expiratoire maximum par seconde (VEMS) est diminué, alors que le rapport de Tiffeneau ne se modifie pas en raison de la baisse de la CV. De même, on retrouve très fréquemment une limitation significative des débits expiratoires [8, 10].
On considère usuellement que la PaO2 diminue avec l’âge et plusieurs auteurs ont proposé des équations correctives pour tenir compte de cette baisse. En fait, cette réduction de la PaO2 semble être d’importance très relative et surtout sa relation avec l’âge n’est pas linéaire. Si on observe effectivement une réduction de la PaO2 liée à l’âge jusqu’à 74 ans, la PaO2 devient indépendante de l’âge dans une population de sujets sains âgés de plus de 75 ans [11]. Il n’existe par ailleurs aucun effet de l’âge sur le pH ou la PaCO2. Enfin, la sensibilité à l’hypercapnie semble réduite chez les sujets âgés.
Si le réflexe de toux n’est pas altéré chez les personnes âgées [12], l’efficacité de la clairance mucociliaire diminue significativement avec l’âge [13]. Cette modification, associée au collapsus expiratoire déjà décrit, à la réduction de la force musculaire respiratoire et à la forte prévalence des troubles de déglutition, explique la fréquence des atélectasies et la précarité du drainage bronchique dans cette population.
Modifications cardiaques
Au niveau cardiaque, le vieillissement est associé à une augmentation de la masse myocardique ventriculaire, principalement au niveau du septum interventriculaire. Sur le plan histologique, il existe une réduction du nombre de myocytes compensée par une hypertrophie de ceux-ci et une accumulation de fibres collagènes [14]. Ces anomalies, entraînant une réduction de la compliance pariétale ventriculaire et des troubles de la relaxation, sont à l’origine des perturbations de la fonction diastolique observées [15]. Le remplissage passif du ventricule gauche est ainsi considérablement réduit et le maintien d’un débit cardiaque normal devient de plus en plus dépendant de l’efficacité de la systole auriculaire [16]. Le maintien d’un rythme sinusal apparaît ainsi capital, toutefois il est fréquemment retrouvé des dépôts amyloïdes au niveau auriculaire après 70 ans. De même, les cellules pacemaker du nœud sinusal se raréfient, remplacées par de la fibrose. Ces modifications expliquent la fréquence de la survenue de troubles du rythme supraventriculaires, parfois responsables d’altérations majeures de la fonction cardiaque, chez les sujets âgés.
Adaptation à l’effort
L’adaptation à l’effort des personnes âgées se fait par des mécanismes différents de celle de sujets plus jeunes. Le niveau d’effort maximal, apprécié par la consommation maximale d’O2 (VO2 max), est réduit avec l’âge, quel que soit le niveau d’entraînement [17]. Au contraire des sujets jeunes, la fonction cardiaque n’est pas le facteur limitant principal chez les sujets âgés. Le débit cardiaque maximal à l’effort n’est, en effet, pas modifié par l’âge. Toutefois, cette augmentation du débit cardiaque liée à l’effort se fait par augmentation du volume télédiastolique ventriculaire gauche, entraînant selon le mécanisme de Frank-Starling une augmentation du volume éjecté, et non pas une accélération de la fréquence cardiaque (FC) comme chez le sujet jeune [15]. C’est pourquoi le maintien d’un rythme sinusal est primordial pour assurer l’adaptation à l’effort des personnes âgées.
La limitation à l’effort des sujets âgés est donc le plus souvent conditionnée par la fonction respiratoire [8]. Les modifications histologiques et fonctionnelles décrites plus haut, notamment l’augmentation de la compliance pulmonaire et de la rigidité pariétale, expliquent que les sujets âgés ne peuvent pas augmenter leur ventilation minute maximale autant que des sujets plus jeunes [17]. En effet, cette augmentation se fait chez eux plus par augmentation de la fréquence respiratoire (FR) que du volume courant (VT). Ce mode d’adaptation, moins efficace et plus coûteux en dépense énergétique, explique la réduction de la VO2 max déjà mentionnée.
Ces limites d’adaptation à l’effort des personnes âgées sont toutefois également liées au déconditionnement cardiovasculaire secondaire à la réduction d’activité et à l’augmentation de la sédentarité de ces personnes et restent donc accessibles, au moins partiellement, au réentraînement. Ainsi, la VO2 max. de sujets âgés soumis à un entraînement régulier, bien qu’inférieure à celle de sujets plus jeunes, atteint une valeur double de celle de sujets de même âge non entraînés [17].
Les différents outils mis à la disposition de la kinésithérapie lors d’infections respiratoires
Les modifications physiologiques, liées au vieillissement, du système respiratoire prédisposent le sujet âgé aux pathologies pulmonaires. La plus connue et la plus répandue est la pneumonie : les personnes âgées entre 70 et 79 ans ont 10 fois plus de risque de la développer par rapport aux sujets plus jeunes. De plus, 90 % des décès liés à une pneumonie se retrouvent chez les patients âgés [18].
Malgré le peu de littérature sur la kinésithérapie respiratoire et la gériatrie, le texte qui suit propose un fil conducteur aux traitements de ces maladies respiratoires survenant au sein d’une population gériatrique et auxquelles le kinésithérapeute peut être confronté.
L’oxygénothérapie
Suite à l’hypersécrétion bronchique liée à l’infection respiratoire, l’hypoxémie s’installe progressivement et se caractérise par une diminution de la pression artérielle en O2 (PaO2) et de la saturation en O2. La valeur normale de la PaO2 varie avec l’âge en raison des changements que subit le système respiratoire au cours du vieillissement comme décrit ci-dessus. Dans un service de gériatrie, l’interprétation du résultat de la PaO2 obtenue après l’analyse des gaz du sang est réalisée à partir de la formule suivante :
104 − 1/3 de l’âge [19].
Ainsi, la PaO2 d’une personne âgée de 90 ans devrait avoisiner 74mm Hg, c’est-à-dire 104 − (90/3). Dans ce cas précis, une PaO2 inférieure à 74mm Hg sera considérée comme pathologique et une prescription d’O2 sera envisagée. L’administration d’O2 reste un traitement symptomatique et non causal de l’hypoxémie.
L’aérosolthérapie [20, 21]
Actuellement, aucune étude, à notre connaissance, ne permet de relever les substances médicamenteuses à préconiser et leur fréquence d’utilisation en phase aiguë d’infection respiratoire. Seuls les effets secondaires liés au vieillissement sont connus comme étant aggravés par l’inhalation des β2-agonistes (une tachycardie, une augmentation des tremblements et de l’anxiété), des anticholinergiques (une exacerbation du glaucome et de l’hypertrophie prostatique) et des corticoïdes (un risque de perturbation de la glycémie et de fragilité cutanée).
L’usage d’aérosols-doseurs (AD) ne permet pas d’obtenir des résultats meilleurs par rapport aux nébulisateurs en termes d’efficacité. De plus, l’utilisation d’un AD demande la collaboration du patient, l’ajustement adéquat de l’embout avec la bouche et la capacité à fournir un débit inspiratoire suffisant. Ces trois conditions ne se retrouvent pas souvent dans une population gériatrique. L’association de nébulisateurs et d’AD est conseillée si les capacités physiques et intellectuelles du patient le permettent, sinon les thérapeutes devront recourir préférentiellement aux nébulisateurs.
Chez les personnes âgées, les inhalateurs à poudre sèche (IPS) sont souvent préférés aux inhalateurs à gaz pressurisé. De plus, Janssens [22] a montré que :
– un débit inspiratoire de pointe (DIP) de 60L/min s’avère indispensable à la bonne déposition particulaire au sein de l’arbre bronchique tandis qu’un DIP inférieur à 30L/min est insuffisant ;
– le DIP dépend de la capacité vitale du patient et de la résistance interne de l’IPS. Seuls 30 % des sujets, atteints ou non de la BPCO, sont incapables de générer un DIP supérieur à 45L/min, débit nécessaire pour un IPS à réservoir de type Turbohaler®.
Les techniques d’aide au désencombrement bronchique chez la personne âgée
Lors d’un épisode infectieux, le drainage bronchique est rendu difficile et est expliqué par la faiblesse des muscles respiratoires, la diminution de l’efficacité de la clairance mucociliaire et le collapsus expiratoire liés au vieillissement. La liste des techniques proposées ci-dessous n’est pas exhaustive et aucune d’entre elles n’a été validée chez les sujets âgés. Cependant, il semble intéressant de choisir parmi l’augmentation du flux expiratoire, le drainage autogène (DA), les systèmes avec pressions expiratoires positives (PEP) et l’aspiration endotrachéale (AET) afin de mobiliser les sécrétions.
L’augmentation du flux expiratoire
L’augmentation du flux expiratoire par des pressions sur le thorax peut s’appliquer à toute la population gériatrique, quel que soit le niveau de collaboration du malade. Malgré l’ostéoporose omniprésente dans cette tranche d’âge, le risque de fracture du gril costal est peu relaté, surtout si les manœuvres sont coordonnées avec les mouvements du thorax. Cependant, elles ne peuvent se réaliser sur une zone abritant un boîtier de pacemaker.
Le drainage autogène
Le manque de force et d’endurance des muscles respiratoires est lié à la diminution des fibres de type IIa (fibres rapides et résistantes à la fatigue), la sédentarité, les infections et la prise de cortisone. Le diaphragme, responsable de 85 % de l’activité des muscles respiratoires, est lui-même touché par ce problème [23].
Le risque lié à un mauvais fonctionnement diaphragmatique est un asynchronisme ventilatoire et une répartition inégale de l’air dans les différents territoires pulmonaires : lors de la phase expiratoire, il y aura peu de débit d’air pour déplacer les sécrétions. Cet inconvénient se rencontre surtout chez des patients grabataires avec une démence avancée (respiration thoracique). De ce fait, le DA s’avère particulièrement intéressant afin de solliciter le diaphragme et de mobiliser les sécrétions.
De plus, le DA ainsi que l’augmentation du flux expiratoire associés à la toux permettront l’évacuation des sécrétions de l’arbre bronchique. La toux doit être limitée dans le temps et ne sera pas toujours efficace : elle accentue le collapsus expiratoire.
Les systèmes à pressions expiratoires positives
Les systèmes avec PEP se distinguent en deux catégories : les PEP oscillantes (exemples : le Flutter®, l’Acappella®…) et les PEP continues (exemples : la bouteille à eau, les lèvres pincées, les PEP masques…). Dans les services de gériatrie, le PEP système sous la forme d’une bouteille d’eau dans laquelle le patient souffle pour faire des bulles (« barboteur ») est un adjuvant aux autres techniques de désencombrement et ce, avec la collaboration des patients.