21: TRAITEMENT DES DYSLIPIDÉMIES

CHAPITRE 21 TRAITEMENT DES DYSLIPIDÉMIES






GÉNÉRALITÉS



Physiopathologie


Les dyslipidémies consistent en une altération de la fonction et/ou des concentrations plasmatiques de lipides et résultent d’une interaction entre des facteurs génétiques et environnementaux. Les principaux lipides plasmatiques sont : le cholestérol, les triglycérides, les esters de cholestérol, les acides gras et les phospholipides. Alors que le cholestérol est essentiel à la formation des membranes cellulaires et à la synthèse de certaines hormones et des sels biliaires, les triglycérides sont une source d’acides gras libres. Ils constituent une réserve d’énergie au niveau du tissu adipeux et peuvent être utilisés directement par les muscles comme source d’énergie. Les cellules obtiennent le cholestérol nécessaire à leur fonctionnement de deux façons, soit par synthèse intracellulaire, soit par extraction de la circulation systémique. Les lipides circulants, le cholestérol et les triglycérides peuvent être extraits de l’alimentation ou synthétisés par le foie. Le cholestérol intracellulaire est stocké sous sa forme estérifiée.


Comme les lipides ne sont pas solubles dans l’eau, leur transport est assuré par les lipoprotéines. On distingue six classes de lipoprotéines :



Toutes les particules de lipoprotéines ont la même structure de base formée de lipides et de protéines. Elles sont sphériques et constituées de deux parties : la surface et le noyau. La surface est composée de lipides hydrophiles, soit les phospholipides et le cholestérol libre, et de protéines, les apoprotéines. Le noyau contient, quant à lui, les lipides hydrophobes, soit les triglycérides et le cholestérol estérifié. Cette structure permet ainsi le transport des lipides insolubles dans le sang.


Parmi les lipoprotéines, les chylomicrons sont les plus grosses et les moins denses, alors que les HDL sont les plus petites et les plus denses (tableau 21.1). Plus une lipoprotéine contient de triglycérides, moins elle est dense. Cependant, les grandes classes de lipoprotéines sont hétérogènes. Par exemple, on retrouve des LDL de grosseurs variables. Les petites (plus denses) LDL ont un pouvoir athérogène plus grand que les grosses LDL.



Une fois ingérés, les lipides alimentaires émulsionnés grâce aux sels biliaires sont hydrolysés et absorbés par la muqueuse intestinale, puis réestérifiés et mis en circulation sous forme de chylomicrons. L’apport alimentaire quotidien est d’environ 100 g de triglycérides et 0,2 à 0,5 g de cholestérol.


Une fois dans la circulation, les triglycérides des chylomicrons sont hydrolysés par la lipase lipoprotéique située sur l’endothélium vasculaire. Les acides gras libérés sont captés par les cellules adipeuses et les muscles puis, reconstitués en triglycérides. Les constituants en surplus à la surface des chylomicrons (phospholipides, cholestérol libre, apo-A, apo-C) sont transférés aux HDL. Le résidu de chylomicron qui en résulte est par la suite capté par les cellules hépatiques qui convertissent le cholestérol en sels biliaires ou le redistribue à d’autres tissus.


À partir du glycérol et des acides gras libérés par le tissu adipeux, produit sur place ou provenant de sucres alimentaires, le foie fabrique des triglycérides, mis en circulation sous forme de VLDL, qui contiennent aussi du cholestérol. Le rapport triglycérides/cholestérol des VLDL est d’environ 4.


Les triglycérides des VLDL sont également hydrolysés par la lipase lipoprotéique de l’endothélium vasculaire. Les acides gras ainsi libérés sont distribués aux tissus adipeux et aux muscles. Le résidu de VLDL, l’IDL, se retrouve relativement enrichi en cholestérol estérifié. Alors que les VLDL peuvent être athérogènes dans certaines conditions, le potentiel athérogène des IDL paraît indiscutable. Une certaine proportion des IDL est éliminée de la circulation par le foie. La lipase hépatique hydrolyse les triglycérides des IDL restantes. La diminution du contenu en triglycérides des IDL conduit à la formation des LDL, dont le contenu en cholestérol constitue environ 70 % de la cholestérolémie totale. Les LDL sont spécifiquement reconnues par des récepteurs cellulaires reconnaissant l’apoprotéine B (apo B). Ces récepteurs sont présents à la surface des membranes cellulaires de tous les tissus, mais surtout dans le foie. Lorsque les LDL se lient à ces récepteurs, l’endocytose permet au complexe récepteur-LDL de pénétrer dans la cellule où il est dissocié. Le cholestérol est alors transféré à un réservoir de cholestérol intracellulaire. Comme l’apo B est contenue dans plusieurs particules athérogènes (LDL, IDL et VLDL), la mesure de celle-ci pourrait être un indicateur plus précis de maladies coronariennes que les LDL. Récemment, il a été démontré que les taux élevés d’apo B étaient associés à une formation accrue de plaques athérosclérotiques et une incidence plus élevée de maladies cardiovasculaires. Par conséquent, les lignes directrices canadiennes 2009 sur le diagnostic et le traitement des dyslipidémies ont intégré les niveaux sériques d’apo B comme une cible thérapeutique principale alternative. Cependant, les taux de LDL demeurent la seule cible primaire de traitement selon les lignes directrices européennes 2011 ; les taux d’apo B étant une cible secondaire et optionnelle à cause de la disponibilité limitée du test dans les laboratoires.


Les HDL sont synthétisées par le foie et l’intestin. Elles permettent de transporter le cholestérol libre des tissus vers le foie et les reins où il est catabolisé. Par conséquent, un individu présentant des niveaux bas de HDL (< 1 mmol/L selon l’Afssaps, 2005) présente un risque élevé de maladie coronarienne en raison d’une capacité diminuée à éliminer l’excès de cholestérol circulant.



Athérosclérose


Une des premières étapes dans le développement de l’athérosclérose est le mouvement de LDL circulantes vers l’espace sous-endothélial vasculaire. Ce phénomène est directement relié à une quantité excessive de LDL en circulation et se trouve induit par l’hypertension, le tabagisme, le stress, etc.


Les LDL natives ne contribuent pas vraiment au développement de l’athérosclérose. Ce sont plutôt des LDL modifiées qui en sont le facteur clé. Sitôt après l’entrée dans l’espace sous-endothélial, les LDL sont modifiées principalement par oxydation ce qui induit une attraction des monocytes. Une fois recrutés dans l’espace sous-endothélial, ces monocytes sont transformés en macrophages qui ingèrent les LDL oxydées par phagocytose et deviennent des cellules spumeuses. L’accumulation de ces cellules spumeuses conduit à la formation de la strie lipidique qui est reconnue comme étant le précurseur de l’athérosclérose.


Les dyslipoprotéinémies peuvent apparaître de façon isolée ou constituer une dyslipidémie de type mixte (tableau 21.2). Elles peuvent également dépendre d’une cause primaire (génétique) ou d’une cause secondaire (tableau 21.3). Il est bien entendu qu’une multitude de désordres lipidiques peut exister. Cependant, seulement quelques-uns sont réellement communs et d’importance clinique (tableau 21.4). Ils peuvent résulter d’un trouble d’élimination ou de synthèse d’une lipoprotéine.


Tableau 21.2 Classification de Fredrickson-Levy-Lees.
























Types Élévations de(s) lipoprotéine(s)
I Chylomicrons
IIa LDL
IIb LDL + VLDL
III IDL
IV VLDL
V VLDL + chylomicrons

Tableau 21.3 Causes secondaires de dyslipidémie.























Hypercholestérolémie

Hypertriglycéridémie

Hypercholestérolémie et hypertriglycéridémie

Hypocholestérolémie

Baisse de HDL


Tableau 21.4 Caractéristiques des principales dyslipidémies primaires.































Désordres Problèmes métaboliques Effets sur les lipoprotéines
Hypercholestérolémie familiale Récepteurs des LDL dysfonctionnels ou absents ↑LDL
Dys-β-lipoprotéinémie familiale ↓de l’élimination des chylomicrons et VLDL restants ↑VLDL restants, ↑IDL
Hypercholestérolémie polygénique ↓de l’élimination des LDL ↑LDL
Hyperlipidémie familiale combinée ↑production d’apoB et de VLDL ↑VLDL, ↑LDL
Hyperapo-α-lipoprotéinémie familiale ↑production d’apoB ↑apoB
Hypo-α-lipoprotéinémie ↑catabolisme des HDL HDL


Médicaments utilisés


Il existe cinq classes de médicaments utilisés dans le traitement des dyslipidémies. Ils agissent par divers mécanismes sur la biosynthèse des VLDL et LDL, le catabolisme des LDL, l’élimination des VLDL, l’absorption du cholestérol ou l’élévation des HDL. De plus, certains agents (les inhibiteurs de la HMG-CoA réductase) semblent posséder d’autres effets dits pléiotropiques, qui pourraient expliquer une partie de leur efficacité clinique.




Mécanisme d’action



Inhibiteurs de la HMG-CoA réductase ou « statines »


Les inhibiteurs de la HMG-CoA réductase inhibent, au niveau du foie, l’enzyme responsable de la transformation intracellulaire de la HMG-CoA en mévalonate, une étape clé dans la synthèse endogène du cholestérol (figure 21.1). Cette inhibition entraîne une augmentation des récepteurs à LDL hépatiques et, en conséquence, augmente leur catabolisme. L’augmentation des récepteurs à LDL hépatiques entraîne également une diminution, à un degré moindre, des IDL et des VLDL. L’effet résultant de la majorité des inhibiteurs de la HMG-CoA réductase sur les lipoprotéines plasmatiques est une réduction significative des LDL, une diminution modérée des triglycérides et une augmentation légère des HDL. En plus de leur effet direct sur les taux de lipoprotéines circulantes, les inhibiteurs de la HMG-CoA réductase semblent avoir des effets pléiotropiques leur permettant de diminuer le taux d’événements ischémiques. Les principaux mécanismes proposés sont une stabilisation de la plaque athéromateuse, une amélioration de la fonction endothéliale, une réduction de l’oxydation des LDL, une réduction de l’expression du facteur tissulaire, des effets bénéfiques sur la fibrinolyse et un effet antiplaquettaire.




Fibrates


Les fibrates agissent sur les lipoprotéines par plusieurs mécanismes. Le mécanisme d’action principal des fibrates semble être via une activation du facteur de transcription nucléaire PPAR-α (peroxisome proliferator-activated receptor-α) qui régule la transcription de la lipase lipoprotéique (LPL). La LPL est une enzyme clé dans le métabolisme des lipoprotéines et la production d’énergie. Cette activation entraîne une augmentation du catabolisme du contenu en triglycérides des VLDL ainsi que des VLDL comme tel. De plus, les fibrates semblent augmenter la synthèse d’apolipoprotéines AI et de HDL au niveau des hépatocytes, réduire les niveaux d’apo B circulantes, augmenter le ratio cholestérol/triglycérides en diminuant le transfert d’ester de cholestérol par les HDL aux VLDL et aux LDL et possiblement augmenter le transport du cholestérol des cellules périphériques aux hépatocytes. De plus, les fibrates semblent également inhiber la biosynthèse du cholestérol en modulant l’activité de la HMG-CoA réductase. L’effet résultant sur les lipoprotéines plasmatiques est résumé dans le tableau 21.6. Le fénofibrate possède également un effet uricosique intéressant. Bien que la combinaison d’un fibrate avec une statine ne soit pas recommandée de façon routinière, les diabétiques semblent en bénéficier significativement ; c’est toutefois interdit en France en dehors de rares exceptions. Toutefois, la combinaison de gemfibrozil avec une statine n’est pas recommandée.







Pharmacocinétique




Fibrates


Les principaux paramètres pharmacocinétiques des fibrates sont résumés dans le tableau 21.8. La prise de nourriture influence favorablement l’absorption de tous les fibrates. En général, ces agents sont très liés aux protéines plasmatiques et sont principalement excrétés dans l’urine sous forme de métabolites glucuronoconjugués. L’élimination des fibrates est influencée par l’insuffisance rénale, quoique l’excrétion du gemfibrozil, qui est moins compromise en cas d’insuffisance rénale, semble faire exception.






CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE



Traitement de l’adulte


Le lien de causalité qui existe entre l’hypercholestérolémie et l’athérosclérose est appuyé par de nombreuses études épidémiologiques, animales, génétiques et cliniques. À partir de ces données, plusieurs groupes de travail en Europe, au Canada et aux États-Unis ont élaboré des lignes directrices définissant et traitant les dyslipidémies.


La décision de mettre en place une thérapeutique afin de corriger une dyslipidémie repose essentiellement sur l’évaluation des facteurs de risque cardio-vasculaires (tableau 21.9) et sur la présence ou non d’une maladie athé-rosclérotique.


Tableau 21.9 Facteurs de risque pour l’athérosclérose.

















Âge (Homme > 45 ans, Femme > 55 ans)
Histoire familiale d’athérosclérose précoce (chez le père ou un frère < 55 ans/chez la mère ou une sœur < 65 ans)
Certaines dyslipidémies (LDL élevée, HDL < 1 mmol/L, rapport de cholestérol total/HDL élevé)
Tabagisme actuel ou cessé depuis moins de 3 ans
Diabète
Hypertension (PA≥ 140/90 mmHg ou traitement par antihypertenseurs)
Obésité ou syndrome métabolique


Traitement de l’hypercholestérolémie


L’instauration d’une thérapeutique appropriée repose sur l’analyse des concentrations plasmatiques de lipoprotéines circulantes, l’identification d’anomalies lipoprotéiques et l’établissement de buts précis à atteindre selon les facteurs de risque de maladie coronarienne. Ainsi, le cholestérol total et les HDL devraient être mesurés chez tous les adultes de plus de 20 ans, au moins une fois tous les cinq ans. La classification initiale de l’hypercholestérolémie chez les patients sans preuve de maladie coronarienne se retrouve dans le tableau 21.10.




Établir le niveau de risque


Plusieurs outils d’évaluation du risque sont actuellement utilisés et ont été revus systématiquement dans les dernières années, dont les plus couramment utilisés sont le système du score de risque Framingham et le système SCORE (Systemic Coronary Risk Estimation). Les autorités nord-américaines utilisent le score de risque Framingham dans leurs lignes directrices, tandis que les lignes directrices européennes actuelles sur la prévention des maladies cardiovasculaires recommandent l’emploi du système SCORE qui est basé sur des données provenant de grandes cohortes européennes plus représentatives. Dans les deux cas, les patients ayant une maladie athérosclérotique évidente (maladie vasculaire périphérique, maladie coronarienne, anévrisme de l’aorte abdominale, maladie carotidienne symptomatique) et les diabétiques sont considérés d’emblée à haut risque de maladie coronarienne. Pour les patients qui n’ont aucune évidence de maladie athérosclérotique ou de diabète, le niveau de risque à court terme peut être estimé en utilisant le score de risque SCORE ou de Framingham. Les tables de Framingham décrites à la figure 21.2 sont basées sur les données d’une étude épidémiologique américaine et permettent une estimation du risque de maladie coronarienne à 10 ans en tenant compte des facteurs de risque majeurs. Selon les lignes directrices canadiennes, on peut distinguer trois niveaux de risque basés sur le score de risque de Framingham (SRF) : 1) Risque élevé (les patients ayant une maladie cardiovasculaire documentée, les diabétiques et ceux ayant un SRF > 20 %), 2) risque modéré (SRF ≥10 % et < 20 %) et 3) faible risque (SRF < 10 %). Le système SCORE détermine le risque en tenant compte des facteurs de risque classiques tels que le sexe, le tabagisme, la tension artérielle systolique et le profil lipidique (cholestérol total, HDL et rapport du cholestérol total/HDL). En se basant sur le système SCORE, les lignes directrices européennes de 2011 identifient quatre niveaux de risque : 1) Très haut risque (maladie cardiovasculaire athérosclérotique documentée, diabète, néphropathie chronique ou un risque SCORE à 10 ans estimé ≥10 %, 2) haut risque (un facteur de risque individuel très élevé tel qu’une hypertension sévère ou une dyslipidémie familiale ou un risque à 10 ans estimé ≥5 % et < 10 %, 3) risque modéré (risque SCORE à 10 ans estimé ≥1 % et < 5 % et 4) faible risque (risque SCORE à 10 ans < 1 %). La majorité des individus d’âge moyen dans les pays industrialisés se trouveraient dans la catégorie du risque modéré, mais la présence de facteurs de risque moins classiques (obésité, inactivité physique, habitudes alimentaires, etc.) contribuerait à un risque effectif plus élevé (tableau 21.11).



Tableau 21.11 Liste de certains facteurs de risques émergents pour les maladies coronariennes.































Abondance de petites particules denses de LDL
CRP (protéine C-réactive) élevée
Conditions prothrombotiques (hyperfibrinogénémie, haut niveau de l’inhibiteur à l’activateur du plasminogène …)
Conditions pro-inflammatoires (maladies inflammatoires auto-immunes chroniques …)
Intolérance au glucose/Hyperinsulinémie
Infection à Chlamydia pneumoniae
Hypertriglycéridémie
Hyperlipoprotéinémie (a)
Hyperhomocystéinémie
Faible apport en fruits et légumes
Facteurs psychosociaux (dépression, anxiété, stress, statut socio-économique …)
Insuffisance rénale
Mode de vie sédentaire
Polymorphismes de la 5-lipoxygénase

Il est à noter que les tables de Framingham et SCORE doivent être utilisées avec circonspection puisqu’elles ont certaines limites. Entre autres, elles ne permettent pas d’évaluer efficacement le risque de certaines populations comme, par exemple, les patients souffrant d’hyper-cholestérolémie familiale et elles permettent la prédiction du risque sur un terme relativement court (10 ans). De plus, l’évaluation du risque ne s’applique pas aux personnes avec un risque extrême ou inhabituel, comme par exemple une histoire familiale de maladie prématurée, ou à celles d’origine ethnique plus à risque, et elle ne tient pas compte des facteurs de risque liés au mode de vie (obésité, inactivité physique) et des facteurs de risque émergents (voir tableau 21.11).

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May 4, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 21: TRAITEMENT DES DYSLIPIDÉMIES

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