Chapitre 20 Syndromes musculaires et neuromusculaires
Les syndromes de limitation motrice, dits aussi syndromes de restriction1, revêtent des formes très diverses, leur point commun étant l’impotence musculaire (cf. chapitre 3) [1–5].
Stratégie opératoire
Lignes directrices de la stratégie opératoire
Une impotence musculaire provoque inévitablement une gêne fonctionnelle ; le sujet dont la binocularité est normale est particulièrement handicapé ; il peut endurer :
• des troubles asthénopiques dus aux efforts de restitution lorsque la compensation de l’impotence reste possible ;
• une diplopie par désalignement de l’un ou des deux yeux ; pour l’éviter, il adopte, s’il le peut, une position de torticolis, tête tournée en direction du muscle impotent si la tension de celui-ci est insuffisante ou en direction opposée si cette tension est excessive ;
• et/ou une réduction du champ moteur ; pour regarder droit devant, le sujet doit adopter une position de torticolis ; lorsque l’atteinte est bilatérale et touche les muscles verticaux synergiques, supérieurs ou inférieurs, de façon à peu près symétrique, le torticolis est vertical, tête relevée ou abaissée.
Principes de la stratégie opératoire
relâcher ou libérer ce qui fait obstacle ou, au contraire, renforcer ce qui n’apporte pas un appui suffisant à la motilité oculaire ; il serait vain de vouloir rétablir un jeu musculaire normal ou subnormal en se contentant d’agir sur l’antagoniste homolatéral ou sur les muscles de l’autre œil en laissant subsister l’entrave motrice ;
réajuster, s’il le faut, l’équilibre entre le muscle dont l’entrave a été levée et son antagoniste homolatéral ;
parfois, freiner ou affaiblir l’antagoniste et/ou le synergiste controlatéral.
En cas d’altération du muscle lui-même, l’intervention consiste avant tout à relâcher le muscle atteint s’il est rétracté, à le renforcer s’il est relâché. Une intervention sur l’antagoniste homolatéral n’est justifiée que si celui-ci est déficient ou, au contraire, cliniquement hyperactif ; une intervention sur l’œil adelphe peut être nécessaire, lorsque l’atteinte est unilatérale, pour freiner ou affaiblir, selon le cas, l’antagoniste ou le synergiste controlatéral ; lorsque l’atteinte est bilatérale, l’intervention est souvent aussi bilatérale.
En cas de bride musculaire, l’intervention consiste avant tout à lever l’obstacle anatomique responsable de l’impotence. Une intervention sur le muscle lui-même et/ou son antagoniste homolatéral n’est justifiée que pour rééquilibrer au besoin ces muscles, après la libération de la bride ; une intervention sur l’œil adelphe n’a de sens que pour freiner, selon le cas, l’antagoniste et/ou le synergiste controlatéral, lorsque l’obstacle anatomique n’a pu être entièrement levé.
La correction chirurgicale est à envisager :
Particularités techniques
Les techniques opératoires doivent, ici comme ailleurs, être adaptées aux données particulières du déséquilibre oculomoteur.
Dans les suites immédiates de l’intervention, le champ moteur de l’œil opéré est en général plus réduit qu’il ne l’était avant l’intervention. Mais il va s’élargir progressivement au cours des mois suivants et, tout au moins, retourner à l’état antérieur ; dans les cas favorables, il va s’élargir ou même se normaliser. Il est donc impératif d’attendre 6 mois au moins avant d’envisager de freiner, dans un second temps opératoire, le ou les synergistes controlatéraux, pour aligner leur action sur celle du ou des muscles dont l’action reste limitée. Ce freinage s’obtient, comme ailleurs, au moyen d’une myopexie postérieure. Des injections répétées de toxine botulique dans ces mêmes muscles peuvent également être utilisées dans ce but ; mais leur effet est moins contrôlable que celui de la myopexie.
Syndromes congénitaux de dysinnervation crânienne
Les syndromes congénitaux de dysinnervation crânienne englobent tous les syndromes d’impotence musculaire de nature neuromusculaire qui résultent d’un trouble précoce, souvent héréditaire, du développement des noyaux d’un ou de plusieurs nerfs crâniens au cours de l’embryogenèse ; parfois ils sont dus à une embryopathie ou un effet médicamenteux indésirable (dont la thalidomide). Ils peuvent affecter les VIe, IIIe, IVe et VIIe nerfs crâniens. Aux anomalies innervationnelles s’ajoutent une fibrose des parties non innervées du ou des muscles impotents et, parfois aussi, une disposition anatomique anormale de leur terminaison antérieure et de leur insertion sclérale.
L’association d’une impotence musculaire congénitale et d’une binocularité normale, mais limitée à une partie seulement du champ du regard, est pathognomonique [3,4]. Les sujets atteints recherchent toujours à utiliser la partie où les axes visuels sont alignés de manière à pouvoir bénéficier de leur vision binoculaire normale, même si c’est au prix d’un torticolis ; dans les autres directions, la neutralisation de l’œil atteint, plus rarement de l’œil sain, prévient la diplopie, avec parfois une amblyopie, de profondeur variable, surajoutée. S’il persiste une déviation strabique malgré le torticolis, les sujets utiliseront une binocularité aussi proche que possible de la normale2. Le torticolis est obligé dans les cas bilatéraux où aucun des yeux ne peut atteindre la position primaire.
Syndrome de rétraction de Stilling-Duane
Le syndrome de rétraction de Stilling-Duane3 [6–8] ou, pour les auteurs de langue anglaise, de Duane, est le plus fréquent des syndromes congénitaux de dysinnervation crânienne : il est le résultat d’une innervation aberrante du droit latéral par des fibres du IIIe nerf crânien. Les images IRM montrent, dans la majorité des cas, que cette anomalie est liée à une agénésie partielle ou totale du noyau et du tronc du VIe nerf crânien remplacés par un rameau atypique partant de la branche inférieure du IIIe nerf crânien et allant au muscle droit latéral ; d’autres configurations sont également possibles, mais plus rares [9,10].
Types du syndrome
Bien que son expression clinique revête des formes variées, on peut reconnaître à ce syndrome trois ou, plus probablement, quatre formes principales ; la classification adoptée par A. Huber en 1974 est la plus généralement admise aujourd’hui [11,12] (tableau 20.1 et figure 20.1).
Fig. 20.1 Les quatre types d’innervation aberrante du droit latéral constituant le syndrome de Stilling-Duane,
DM = droit médial ; DL = droit latéral.
Le type I (figures 20.2 à 20.4), de loin le plus fréquent, est caractérisé par un déficit (quasi) total de l’abduction de l’œil atteint, par une rétraction de cet œil avec rétrécissement de la fente palpébrale lors de l’adduction et une légère protrusion de l’œil avec élargissement de la fente palpébrale lors de la tentative d’abduction ; selon le cas, l’adduction peut être normale ou légèrement déficiente. L’enregistrement électromyographique (EMG) montre que le droit latéral est stimulé lors de l’adduction et qu’il est inhibé lors de la tentative d’abduction ; la partie de ce muscle qui n’est pas innervée est fibreuse ; l’innervation du droit médial est en revanche normale. Il en résulte une cocontraction des deux muscles et, de ce fait, une rétraction de l’œil atteint lors de l’adduction, et un corelâchement et, de ce fait, une protrusion de l’œil lors de la tentative d’abduction.
Fig. 20.2 Exemple de syndrome de Stilling-Duane de type I.
Source figure 20.2C : C. Speeg-Schatz, CHRU de Strasbourg.
Le type II (figure 20.5) est caractérisé par un déficit (quasi) total de l’adduction de l’œil atteint et une rétraction de celui-ci avec rétrécissement de la fente palpébrale lors de la tentative d’adduction ; selon le cas, l’abduction peut être normale ou légèrement limitée. L’enregistrement EMG montre que le droit latéral est stimulé lors de l’abduction et lors de la tentative d’adduction ; l’innervation du droit médial est normale. Il résulte de la double innervation du droit latéral par les VIe et IIIe nerfs crâniens, une contraction isolée du droit latéral lors de l’abduction et une cocontraction des deux muscles et, de ce fait, une rétraction de l’œil lors de la tentative d’adduction.
Le type III est caractérisé par un déficit (quasi) total de l’abduction et de l’adduction de l’œil atteint et par une rétraction de cet œil avec rétrécissement de la fente palpébrale lors de la tentative d’adduction. L’enregistrement EMG montre que le droit latéral et le droit médial sont également stimulés lors de la tentative d’adduction et également inhibés lors de la tentative d’abduction (figure 20.6).
Fig. 20.6 Syndrome de Stilling-Duane de type III.
Source figure 20.6B : G. Klainguti, Hôpital ophtalmique, Lausanne.
La divergence synergique, décrite par Wilcox et al. [12], peut être considérée comme le type IV : elle est caractérisée par une absence de l’adduction de l’œil atteint et une abduction paradoxale, qui survient lors de la tentative d’adduction et qui est par conséquent synergique de l’abduction de l’œil adelphe. L’enregistrement EMG montre que le droit latéral de l’œil atteint est davantage stimulé que le droit médial lors de la tentative d’adduction, d’où résulte une contraction simultanée des deux droits latéraux ; il est inhibé lors de la tentative d’abduction (figure 20.7).
Un déséquilibre vertical et/ou une incomitance alphabétique en A ou V sont associés au syndrome de rétraction dans un quart des cas selon Mühlendyck [13].
La déviation verticale en adduction, vers le haut et/ou vers le bas, sans incomitance alphabétique, résulte en général du glissement sur le globe d’un droit latéral inextensible en raison de la cocontraction des deux droits horizontaux et de la laxité de la partie temporale de la capsule de Tenon ; elle peut être au premier plan et donner le change pour un syndrome de rétraction vertical [8].
Dans des formes exceptionnelles d’innervation paradoxale, l’abduction de l’œil atteint peut être synergique de l’élévation ou de l’abaissement du globe ; l’enregistrement EMG montre que l’activité électrique du droit latéral est couplée à celle du droit supérieur ou du droit inférieur. Un syndrome de rétraction vertical, uni- ou bilatéral, a été décrit par quelques auteurs [14] : l’élévation ou l’abaissement du globe sont limités et s’accompagnent d’une rétraction du globe.
Le syndrome affecte les sujets des deux sexes de façon à peu près égale, contrairement à ce qui était admis précédemment ; il touche plus souvent l’œil gauche que l’œil droit. Il est parfois bilatéral ; s’il en est ainsi, il peut être de type différent des deux côtés. Pour Rowe et al. [15] il est plus probable qu’il soit bilatéral neuf fois sur dix, mais très asymétrique dans 95 % de ces cas, de sorte que l’impotence peut passer facilement inaperçue du côté le moins atteint (cf. figure 20.4D).
Stratégie opératoire
Un traitement chirurgical n’est justifié que dans la mesure où il permet de réduire les inconvénients résultant du syndrome de rétraction [13,16–20].
Correction du torticolis et atténuation simultanée de la rétraction
Le recul de l’antagoniste homolatéral du muscle impotent, déjà proposé par Duane [6], est le geste logique pour corriger le torticolis et par conséquent le strabisme en position primaire. Ce recul est suffisant à lui seul, lorsque la rétraction est légère.
L’angle strabique est rarement supérieur à 20° ; s’il l’est cependant et si l’œil atteint est dominant [13], l’opération peut au besoin être complétée par un recul du droit homonyme de l’œil adelphe au cours d’un second temps opératoire (cf. infra : Procédés à éviter et Dosage opératoire).
Le recul simultané de l’antagoniste homolatéral et du muscle impotent a l’avantage de corriger le torticolis et de réduire en même temps la rétraction et, par conséquent, le rétrécissement de la fente palpébrale dans le regard en direction opposée au déficit [19].
• En cas de type I et déficit de l’abduction et de strabisme convergent, on recule le droit médial et, à un moindre degré, le droit latéral de l’œil atteint (cf. infra : Procédés à éviter).
• En cas de type II et déficit de l’adduction et de strabisme divergent, on recule le droit latéral et, à un moindre degré, le droit médial de l’œil atteint.
• En cas de type III, on recule les deux droits horizontaux de l’œil atteint dans le but de réduire la rétraction due à la cocontraction lors de la tentative d’adduction ; le dosage appliqué à chacun des muscles est ajusté de manière à corriger en même temps une éventuelle ésotropie ou exotropie en position primaire.
• Lorsque l’atteinte est manifestement bilatérale, on pratique un recul des quatre muscles droits horizontaux, en tenant compte de la symétrie ou l’asymétrie de l’impotence motrice et de la rétraction, ainsi que de la déviation à corriger ; ce recul peut éventuellement être ajustable d’un côté pour l’antagoniste du muscle impotent.
• Lorsque l’impotence touche un muscle vertical et qu’elle entraîne un torticolis et/ou une rétraction gênants, l’intervention consiste à reculer les deux droits verticaux de l’œil atteint, selon le sens et l’importance de la déviation en position primaire et selon le torticolis ; l’intervention est bilatérale, si l’atteinte est bilatérale ; de l’un des côtés, on aura recours à une suture ajustable pour éviter un décalage vertical résiduel en position primaire.
• Lorsque l’abduction de l’œil atteint est paradoxale, c’est-à-dire synergique de l’abduction de l’œil adelphe dans le type IV ou des mouvements verticaux (de l’abaissement du globe en particulier), et qu’elle est socialement gênante pour le sujet, on cherche à la réduire ; la solution la plus simple pour y parvenir est d’affaiblir le droit latéral de l’œil atteint au moyen d’un recul avec clivage (cf. infra) ; on doit lui associer un recul du droit médial homolatéral, afin de pouvoir sauvegarder l’alignement des yeux dans le regard droit devant.
Correction de la déviation verticale en adduction du type I
Le recul du droit latéral de l’œil atteint suffit le plus souvent à éliminer le glissement latéral du droit latéral sur le globe lors de l’adduction [13,19]. L’effet peut être renforcé en lui associant une myopexie équatoriale de ce muscle ou un clivage de 12 mm avec réinsertion en Y des deux languettes musculaires à 5 ou 6 mm en arrière de l’insertion du droit vertical correspondant, le long du bord temporal de celui-ci [19].
Enfin, en cas de fibrose partielle du droit médial, la ténotomie de la partie fibreuse de ce muscle corrige l’incomitance A [13].
Élargissement du champ moteur
En cas de type I, il est possible d’élargir davantage le champ de l’abduction par une transposition des droits verticaux vers le droit latéral impotent selon le procédé de Hummelsheim, modifié par Kaufmann ou Rüssmann ; mais cette intervention n’est pas prioritaire et ne doit être effectuée que dans un second temps opératoire, si la gêne due à la limitation motrice le justifie (cf. infra).
Procédés à éviter
• Le renforcement du muscle impotent, même combiné à un recul de l’antagoniste homolatéral, n’élargit que très modestement le champ moteur ; ce faisant, il majore la rétraction et le rétrécissement de la fente palpébrale dans le regard en direction opposée ; c’est pourquoi il est à éviter.
• Le recul en première intention du synergiste controlatéral du muscle impotent n’est pas logique ; il ne peut avoir d’effet sur le muscle impotent ; son effet sur l’action de l’antagoniste homolatéral du muscle impotent ne peut être que limité, car ce muscle est en règle générale fortement hypo-extensible : il réduit en outre le champ de vision de l’œil sain à son opposé (sans bénéfice binoculaire, car la neutralisation persiste dans l’hémichamp correspondant à l’impotence).
• La myopexie postérieure du muscle synergique controlatéral ne peut corriger l’impotence musculaire ; en réduisant l’incomitance, elle réduit surtout le champ moteur de l’œil normal ; elle se solde donc au total par une perte fonctionnelle.
• La transposition des droits verticaux en première intention, associée ou non à un recul du droit médial homolatéral, ne nous paraît pas raisonnable : alors que les résultats des reculs sont réguliers et satisfaisants, ceux des transpositions sont inégaux aux dires des différents auteurs qui l’ont proposé, avec un risque de déviation verticale résiduelle [18] ; le gain en abduction se fait en outre au détriment de l’adduction.
Dosage opératoire
La quantité de recul appliquée au droit latéral et au droit médial de l’œil atteint diffère selon le sens et l’importance de la déviation en position primaire et selon le torticolis.
Pour un premier temps opératoire et un recul simultané :
• le dosage du recul du muscle impotent est de 2 à 3 mm au maximum, selon l’importance de la rétraction du globe dans le regard en direction opposée ;
• le dosage du recul de son antagoniste homolatéral est de 5 mm au minimum à 7 mm (ou 8 mm chez l’adulte) au maximum, selon la déviation strabique responsable du torticolis et l’extensibilité du muscle ; il faut garder à l’esprit qu’un recul de plus de 6 mm aura pour conséquence une diplopie à l’extrémité du champ du regard opposée à l’œil atteint dans le type I ou de l’œil atteint dans le type II, du fait de la limitation de l’adduction ou de l’abduction de l’œil atteint à la suite du recul ;
• au besoin, le dosage du recul est de 3 à 5 mm du synergiste controlatéral, si la déviation en position primaire dépasse 20°.
Syndrome (ou séquence) de Moebius
Le syndrome de Moebius, du nom de l’auteur qui l’a décrit en 18884 et a publié une série de 44 cas en 1892, est une affection rare (≈︀ 0,002 % des naissances) [21].
Le syndrome de Moebius résulte d’un trouble du développement embryonnaire au cours de la 6e à la 8e semaine d’aménorrhée, lui-même consécutif à une insuffisance de perfusion artérielle de la région des noyaux moteurs du tronc cérébral. Sa pathogénie génétique hétérogène ou tératogénique est encore imparfaitement élucidée [5,22,23].
Le syndrome oculomoteur associe, à des degrés divers, une diplégie faciale, une limitation, symétrique ou non, de l’abduction et, à un moindre degré, de l’adduction et parfois des mouvements verticaux. Il ne correspond à aucun schéma paralytique : il résulte autant de parésies que de contractures musculaires. Certains patients peuvent présenter une paralysie du regard horizontal ; celle-ci respecte toutefois les mouvements de convergence. L’état oculomoteur reste le plus souvent stationnaire ; il peut, cependant, aller en s’aggravant si les contractures augmentent [23].
De multiples anomalies peuvent être associées au syndrome oculomoteur ; elles sont variables d’un cas à l’autre et peuvent affecter la réfraction (avec amblyopie), la sécrétion lacrymale (larmes de crocodile, absence ou retard du larmoiement paroxystique), la face, le cou, le thorax et les extrémités, ainsi que le développement mental ; ells sont communes à d’autres syndromes. C’est en raison de cette délimitation nosologique imprécise que l’on substitue aujourd’hui le terme de « séquence » de Moebius à celui de syndrome pour désigner l’ensemble du tableau clinique.
Le traitement du syndrome oculomoteur est chirurgical : la stratégie opératoire se décide au cas par cas, selon la déviation strabique – habituellement une ésodéviation, souvent à grand angle, rarement une exodéviation ou une déviation verticale –, le torticolis qui en découle et les potentialités binoculaires du patient.
En cas d’ésotropie, l’opération [2,23] consiste à :
• reculer les deux droits médiaux de 4 à 7 mm, en sachant que l’abord de ces muscles peut être difficile du fait de leur contracture ou d’une insertion sclérale plus postérieure que normalement ;
• selon le cas, notamment lorsque la part de la paralysie est prédominante, plisser les droits latéraux, soit au cours du même temps opératoire, soit au cours d’un temps ultérieur ;
• exceptionnellement, compléter le résultat par une opération de transplantation des droits verticaux vers le droit latéral.
Syndrome de Brown-Jaensch
H.W. Brown a décrit en 1950 un « syndrome (congénital) de bride de l’oblique supérieur » [24], sous le nom originel de « syndrome congénital de la gaine de l’oblique supérieur ». Auparavant P.A. Jaensch avait décrit en 1928 une forme acquise post-traumatique de ce syndrome [25]. Aussi convient-il d’associer le nom des deux auteurs [26].
Le syndrome de Brown-Jaensch est une limitation de l’élévation en adduction, active et passive, de l’œil atteint, typiquement depuis le méridien horizontal jusqu’au-delà du méridien vertical ; il est dû « à l’impossibilité [mécanique] du tendon réfléchi d’allonger son trajet entre la trochlée et son insertion [sclérale] » [3]. Peu de signes différencient les formes congénitales et acquises (figure 20.8).
Fig. 20.8 Syndrome de Brown-Jaensch à gauche.
A. Version droite, limitation de l’élévation en adduction. B. Version gauche normale.
Le syndrome congénital affecte plus souvent l’œil droit que le gauche ; il peut être bilatéral. Dans la forme typique, l’impotence verticale n’apparaît qu’au-dessus du méridien horizontal et ne s’accompagne pas d’hypotropie en position primaire ; dans le regard vers le haut, elle est triple avec une exotropie et une incyclotorsion qui augmentent en abduction ; cette incomitance en Y est due au non-relâchement qui touche non seulement l’action élévatrice, mais aussi l’action abductrice et incyclorotatrice du muscle atteint. Dans l’hémi-champ de vision inférieur, la motilité oculaire est normale ; paradoxalement on ne note pas ou guère d’hyperaction de l’oblique inférieur homolatéral, ni du droit supérieur controlatéral. La vision binoculaire est normale en dehors du champ correspondant au trouble moteur ; dans ce champ, en revanche, la plupart des patients éprouvent de la diplopie.
Dans le syndrome congénital « plus », l’impotence déborde le méridien horizontal vers le bas en adduction et, à un degré de plus, aussi en position primaire. L’hypotropie due à l’impotence, et parfois aussi à l’hyperaction compensatrice de l’incyclotorsion, plus tard à la contracture consécutive du droit inférieur homolatéral [27], oblige les sujets à adopter une position de torticolis, menton plus ou moins relevé, pour échapper à la diplopie.
Plusieurs hypothèses ont été avancées au sujet de la physiopathologie du syndrome congénital. Celle émise par Mühlendyck [26] a un fondement anatomoclinique, l’existence d’un cordon fibreux de la moitié postérieure du tendon réfléchi, rémanence d’un muscle oblique supérieur primitif. L’auteur se fonde sur la phylogenèse du muscle oblique supérieur selon Fink [28] et sur sa propre expérience clinique : chez les vertébrés inférieurs (poissons, reptiles, oiseaux), l’oblique supérieur, pendant supérieur de l’oblique inférieur, s’insère dans la région de la trochlée ; chez les mammifères, son insertion orbitaire a reculé jusqu’au voisinage de celles des muscles droits, tandis que l’insertion antérieure s’est transformée en poulie, de sorte que le muscle a gardé son champ d’action originel. Ce cordon (fibreux parce que non innervé) a été retrouvé dans tous les cas opérés par Mühlendyck (73 cas consécutifs) et d’autres opérateurs [26]. Une autre hypothèse est celle d’un syndrome de dysinnervation en corrélation avec l’absence du IVe nerf crânien à l’IRM et la cocontraction des obliques supérieur et inférieur lors de l’élévation en adduction [29]. Des anomalies musculaires différentes sont sans doute possibles, mais exceptionnelles.
Dans les formes acquises, inflammatoire ou traumatique, ou consécutives à une résection ou un plissement de l’oblique supérieur, l’incomitance en Y tend à augmenter en adduction. L’impotence peut être intermittente ; elle peut céder, momentanément ou définitivement, à des efforts répétés d’élévation en adduction lorsqu’il existe une entrave qui empêche le tendon de coulisser librement dans le canal trochléaire ; le sujet ressent alors un brusque déblocage qui s’accompagne d’un clic, parfois audible, phénomène appelé « signe du clic » [30]. Les essais de duction peuvent être douloureux.
Les différences séméiologiques entre les formes congénitales et acquises s’expliquent par les lieux différents de l’entrave mécanique : dans les formes congénitales, il se situe au niveau du cordon fibreux ; dans les formes acquises, il se situe au niveau de la trochlée [26]. Dans un cas comme dans l’autre, le test de duction forcée confirme l’existence d’un obstacle mécanique, empêchant l’élévation en adduction.
Stratégie opératoire
Le syndrome de Brown-Jaensch congénital ne doit pas obligatoirement être opéré : on n’intervient pas en l’absence de gêne, lorsque le sujet est capable d’aligner les yeux en position primaire sans effort et, par conséquent, sans torticolis, et sait éviter le regard en direction du déficit moteur, s’il est source de diplopie [31]. Le syndrome congénital peut en outre régresser spontanément. Il peut parfois céder après plusieurs semaines d’exercices de duction en direction nasale supérieure.
En revanche, dès lors que l’impotence oblige le sujet atteint à adopter une position de torticolis (et que les exercices sont restés sans effet), une intervention est indiquée ; celle-ci consiste à exciser la bride qui empêche l’élévation en adduction (cf. chapitre 12).
Test de duction forcée
Il convient toujours de vérifier, en début d’intervention, l’existence de l’obstacle mécanique supposé, en pratiquant un test de duction forcée en direction nasale supérieure ou selon la méthode de Plager (cf. chapitre 7).
Dégagement du tendon réfléchi
Le tendon réfléchi est abordé du côté temporal et nasal du droit supérieur et exploré sur toute sa longueur sous-, intra- et extraténonienne en partant de son insertion sclérale [31]. Celle-ci se situe normalement à cheval sous le bord temporal du droit supérieur (cf. chapitre 1) ; mais elle peut avoir une position inhabituelle, le long du bord nasal de ce muscle et/ou plus loin en arrière. Cette exploration ne doit jamais être délabrante. Le tendon dégagé, on teste l’extensibilité musculaire par une traction effectuée dans l’axe du tendon.
Levée de l’obstacle : la technique actuelle
Le cordon tendu et inextensible occupe la partie postérieure du tendon réfléchi ; il doit être séparé de la partie antérieure souple, puis réséqué sur une longueur de 1,5 à 2 cm à partir de son insertion sclérale, de manière à libérer la motilité passive du globe (cf. figure 12.18) [26]. La partie antérieure du tendon est laissée en l’état. Le globe oculaire est maintenu en élévation et adduction au moyen d’un fil de traction transpalpébral, laissé en place pendant 5 jours.
Suites opératoires
L’élévation en adduction active reste limitée au cours des premiers mois postopératoires, probablement en raison du parcours d’extension de l’oblique supérieur qui reste limité (le parcours total n’ayant jamais été utilisé auparavant) ou d’un épaississement de la partie rétrotrochléenne du tendon. C’est pourquoi la normalisation de la motilité active doit être facilitée soit par le maintien de l’œil en adduction et élévation (cf. supra), soit par une occlusion ne laissant que le secteur nasal et supérieur du champ du regard découvert (avec occlusion totale de l’œil sain), portée pendant 1 mois [13].
Syndromes de fibrose congénitale
Les syndromes de fibrose congénitale des muscles oculomoteurs entrent dans le cadre des syndromes de dysinnervation crânienne. Leur origine est génétique [1] : ils résultent d’anomalies du développement embryonnaire du IIIe nerf crânien et sont caractérisés par l’impotence d’un ou de plusieurs muscles et l’existence d’innervations aberrantes5 [2,32–34]. Ils peuvent être uni- ou bilatéraux, incomplets ou complets.
Syndrome de fibrose des droits médiaux
Le syndrome de fibrose des droits médiaux conduit à un blocage en adduction de l’œil atteint, s’il est unilatéral, ou des deux yeux, s’il est bilatéral, et dans ce cas à un torticolis obligé, vers l’un ou l’autre côté.
Le traitement chirurgical a pour but de ramener les yeux en position primaire. Pour y parvenir, on doit pratiquer un recul majoré, sur anses, du ou des droits médiaux, après avoir libéré ces muscles de toutes les adhérences fibreuses qui les retiennent ; on lui associe un recul ténonien (cf. chapitre 9) ou conjonctivo-ténonien. Le recul est complété, dans le même temps opératoire, par un plissement du ou des droits latéraux, afin d’assurer une contre-tension ; celui-ci est d’autant plus utile que ces muscles sont davantage hyperextensibles. Le ou les globes sont maintenus en abduction pendant 6 à 10 jours au moyen de fils de traction [2].
Syndrome de fibrose des droits inférieurs
Le syndrome de fibrose des droits inférieurs conduit à un blocage des yeux vers le bas et, s’il est bilatéral, à un torticolis obligé, tête défléchie vers l’arrière.
Syndrome de fibrose généralisée
Les syndromes de fibrose généralisée touchent à des degrés divers l’ensemble des muscles innervés par le IIIe nerf crânien (figure 20.9). Trois types génétiques ont été décrits par Andrews et al. [1] :
• le type I (CFEOM 1), le plus fréquent, est dû à une anomalie génétique de la région du centromère du chromosome 12 ; son hérédité est autosomale dominante à expressivité variable ; il associe un blocage des yeux en hypotropie et, par nécessité, un torticolis, tête en forte extension, un ptosis vrai (par faiblesse du releveur de la paupière supérieure) et un faux ptosis, à des mouvements aberrants de convergence lors de la tentative de regard vers le haut, de divergence lors du regard vers le bas et de déviation verticale lors des mouvements horizontaux ; ceux-ci sont inégalement limités ; un phénomène Marcus Gunn peut leur être associé ;
• dans le type II (CFEOM 2), dû à une anomalie chromosomique du locus 11q13, à hérédité autosomale récessive, les yeux sont bloqués en abduction ; un ptosis y est associé ;
• dans le type III (CFEOM 3), dû à une anomalie chromosomique du locus 16qter, à hérédité autosomale dominante, les yeux sont bloqués en abduction et hypotropie ; un ptosis y est associé.
Le torticolis et le ptosis qui lui est associé constituent des handicaps majeurs qu’il est nécessaire de corriger ; c’est le but du traitement chirurgical : il consiste d’abord à amener les yeux en position primaire au moyen d’un large recul des muscles les plus tendus et à corriger les éventuelles anomalies de position des muscles et de leurs insertions sclérales, puis à corriger autant que possible le ptosis. Il est préférable d’opérer les patients dès les premières années de la vie, à un moment où l’élasticité de l’appareil suspenseur des globes oculaires n’est pas encore altérée (le test de duction forcé est encore normal après désinsertion des muscles pathologiques) [18].