7: Dosage opératoire et ajustement peropératoire

Chapitre 7 Dosage opératoire et ajustement peropératoire





image Attention


Le calcul du dosage de l’action ou de chacune des actions chirurgicales en fonction de la valeur du ou des angles cibles à corriger est l’une des quatre étapes clés (cf. chapitre 5) qui permettent de parvenir, autant que cela est possible, au résultat postopératoire voulu, c’est-à-dire optimum et stable à long terme.


Le débat au sujet du dosage opératoire a été ouvert par von Graefe en 1857 [1]. Sa longue histoire, jalonnée de travaux nombreux et souvent remarquables, n’est sûrement pas encore parvenue à son terme ; mais il bénéficie aujourd’hui d’une large clarification. Il est démontré désormais de façon incontestable qu’en dépit de facteurs de variation individuels, les effets opératoires sont dosage-dépendants.



Effet opératoire


La recherche de l’effet opératoire a longtemps reposé sur des bases purement empiriques. Depuis Cüppers, elle se fonde sur des données objectives.



Efficacité chirurgicale


D’un point de vue purement géométrique, un recul de 1 mm de l’insertion d’un muscle droit combiné à un avancement de 1 mm de son antagoniste homolatéral devrait avoir un effet angulaire de 4,7° pour un globe d’un diamètre de 24,5 mm et de 5° pour un globe d’un diamètre de 23 mm1. Mais en réalité, cet effet est atténué par les forces passives de l’ensemble des quatre autres muscles et celles de l’appareil capsuloligamentaire (figure 7.1) (cf. chapitre 1). Le coefficient d’ « efficacité chirurgicale » ou rendement, rapport de l’effet obtenu à l’effet géométrique théorique [2], n’approche de la valeur de 1 (sans pouvoir l’atteindre) que si « l’on retrouve après l’intervention, le globe étant redressé, les mêmes conditions de tension dans le droit médial et dans le droit latéral que celles qui existaient avant l’intervention » [3], c’est-à-dire si la contre-tension de l’antagoniste a été ajustée, en sens contraire, d’une quantité équivalente en termes de tension et non de distance. Si l’opération porte sur un seul muscle, l’effet est atténué par le muscle antagoniste dont la contre-tension reste inchangée ; il l’est d’autant plus pour un plissement ou une résection que la contre-tension de l’antagoniste est plus forte et pour un recul que la contre-tension est plus faible.



Une opération bimusculaire a, de ce fait, une plus grande probabilité d’atteindre le résultat visé qu’une opération monomusculaire ; le corollaire en est qu’en dehors d’indications particulières, une opération doit par principe être binoculaire.




Le résultat postopératoire, une probabilité


Raisonner en termes de prévisibilité au sujet des résultats des opérations de strabisme laisserait supposer que la relation entre le dosage opératoire effectué et l’effet obtenu reste plus ou moins aléatoire. Or, il est bien établi aujourd’hui que l’effet est étroitement corrélé au dosage, tel qu’il a été calculé et exécuté ; le résultat n’est pas pour autant certain : il est probable. C’est donc en termes de probabilité qu’il convient de considérer les résultats postopératoires.


La probabilité d’obtenir le résultat voulu s’évalue à partir d’un calcul paramétrique élémentaire :






Pour réduire la moyenne des écarts par rapport à l’effet visé ou, de façon plus concrète, la fréquence et l’ampleur des écarts, il faut s’attacher à diminuer l’incidence des facteurs de variation. Deux voies opposées s’offrent aux opérateurs :



celle de la prise en compte de paramètres de référence additionnels2 :






opératoire : celle avec laquelle l’intervention est exécutée dans chacun de ses détails (cf. chapitres 10 à 13) ; la réduction des causes des écarts, à la portée de tout opérateur, est une exigence de la chirurgie des strabismes d’aujourd’hui ;

celle des sutures ajustables :







Calcul du dosage opératoire



Dosage des opérations conventionnelles sur les muscles droits


Étant établi que les résultats postopératoires sont dosage-dépendants, c’est à partir de l’effet moyen des différents procédés opératoires que l’on peut déterminer le dosage qui permet d’obtenir, dans chaque cas particulier, l’effet voulu.



Effet opératoire moyen et calcul du dosage opératoire


Au départ, les auteurs ont évalué individuellement l’effet moyen pour chacun des procédés opératoires et pour chaque muscle ; partant de là, ils calculaient séparément le dosage du recul et de la résection ; ils majoraient la somme des deux de 20 % en cas d’opération combinée unilatérale (droit médial + droit latéral), suivant la classique règle d’Alvaro [9]. Certaines formules de calcul, fondées sur la même approche, indiquaient en outre la répartition entre le recul et la résection, en prenant en compte les forces musculaires élastiques supposées ou le contexte clinique (âge, angle strabique, ampleur de l’abduction en cas d’ésotropie) [10,11].


L’approche est aujourd’hui plus simple parce qu’elle disjoint le calcul du dosage et la répartition de celui-ci ; elle part de l’effet opératoire global, ainsi que Kaufmann et al. l’ont proposé [12] :





Ces dosages et leur répartition peuvent au besoin être ajustés en fonction des données peropératoires (cf. infra).


Les chiffres des effets opératoires globaux, établis sur plus de 10 000 opérations par Rüssmann et Kaufmann, sont (tableau 7.1) :



Tableau 7.1 Effet opératoire moyen global sur l’angle de base en cas de strabisme concomitant selon Rüssmann et Kaufmann.















Opération bimusculaire
(dosages moyens)
Effet angulaire (°/mm)
Opération combinée unilatérale (droit médial + droit latéral) en cas d’éso- ou d’exotropie 1,5–1,6
Recul bilatéral du droit médial pour l’angle de base (minimum) en cas d’ésotropie 1,5–1,6
Recul bilatéral du droit latéral pour l’angle de base (maximum) en cas d’exotropie 0,8



Il est rappelé pour mémoire qu’en cas d’ésotropie avec excès de convergence, le dosage du recul bilatéral du droit médial ou de l’opération combinée unilatérale est calculé, s’il n’est pas associé à une myopexie postérieure, à partir de l’angle maximum ; il a alors un effet de 2°/mm, mais laisse souvent persister, au moins partiellement, l’excès de convergence [12]. Il est d’autre part bien établi aujourd’hui que si ce dosage dépasse 10 mm, il conduit à terme à une exotropie consécutive dans plus de la moitié des cas [13,14].


Pour être plus précis encore, Rüssmann et Konen ont proposé une méthode de calcul mathématique qui permet de calculer le dosage opératoire global en fonction du type du strabisme à corriger et de celui de l’intervention projetée, en tenant également compte de l’état de la correspondance rétinienne [15].




Un tel programme a l’avantage de passer des données diagnostiques aux choix et aux dosages opératoires selon des enchaînements toujours identiques, échappant aux fluctuations de la subjectivité ; il facilite en outre l’autocontrôle et le progrès de la pratique opératoire. Il n’est cependant qu’un moyen qui ne saurait dispenser de bien examiner les patients, ni d’avoir un bon entraînement opératoire.



Validité et limites des dosages opératoires moyens en cas de strabisme concomitant


Les chiffres d’effets opératoires moyens, indiqués ci-dessus, sont valables dans le contexte des strabismes concomitants pour :






Au-dessous de ces limites, le dosage est proportionnellement moins efficace, voire sans effet, notamment si l’opération ne porte que sur un seul muscle. Si, en revanche, elle porte sur deux muscles, comme il est la plupart du temps préférable, sinon nécessaire, et que le calcul indique qu’il suffit d’un dosage faible, il ne faut pas hésiter à s’y tenir. Il en est ainsi lorsque :



En pareil cas, le petit recul ou le petit plissement n’est pas facultatif en raison de son faible dosage ; il est nécessaire, utile et efficace.


Au-dessus des limites indiquées, le dosage est proportionnellement plus efficace du fait d’une mise sous tension accrue de l’appareil fibro-musculo-élastique périmusculaire ; à un degré de plus, il expose à des effets indésirables, voire néfastes, telles une limitation du jeu moteur par insuffisance musculaire ou au contraire par effet de bride, une aggravation des incomitances, une énophtalmie et une modification de l’ouverture de la fente palpébrale [22,23].


En outre, le risque de surcorrection immédiate ou consécutive à long terme augmente dès que l’on atteint ou dépasse les dosages limites.





Validité et limites des dosages moyens en cas de strabisme incomitant ou de nystagmus : les dosages forts


Des dosages forts, dépassant plus ou moins largement les limites supérieures indiquées ci-dessus (cf. tableau 7.2), sont possibles et fréquemment nécessaires pour le traitement des paralysies oculomotrices, des nystagmus ou d’anomalies musculaires marquées. Ils permettent soit de :






Distance de la myopexie postérieure de Cüppers


La distance à laquelle doit se faire la fixation sclérale pour la myopexie postérieure de Cüppers doit tenir compte du diamètre du globe qui dépend de l’âge du patient et de la réfraction ; elle dépend aussi du muscle concerné. Elle doit théoriquement être proportionnelle, suivant les courbes établies par Cüppers, à l’excès de convergence que l’on cherche à freiner.



Distance de la myopexie selon le muscle opéré


En réalité, l’hyperaction d’un muscle par rapport à son synergiste controlatéral ne peut être qu’imparfaitement quantifiée. Dans les faits, la marge entre un dosage insuffisant et inopérant et un dosage excessif et paralysant est étroite. C’est pourquoi Cüppers et la plupart des opérateurs à sa suite ont adopté des dosages très uniformes (tableau 7.3).



Les distances recommandées pour la myopexie sont le plus souvent des longueurs d’arc, sans que cela soit précisé ; or déjà aux distances de myopexie les plus courtes, les deux longueurs entre arcs et cordes diffèrent de 0,5 à 1 mm ; la différence se creuse d’autant plus que la distance de fixation est plus grande et que le diamètre du globe est plus petit (tableau 7.4). Il convient donc de s’assurer que le marqueur utilisé indique bien des longueurs d’arc.



En outre, la distance de l’insertion musculaire au limbe pouvant varier de ± 1 mm, parfois davantage, d’un sujet et d’un œil à l’autre, il faut, pour être précis, apporter une correction correspondante à la mesure de la distance de la myopexie [10,11] : lorsque l’insertion est plus proche du limbe que la moyenne, il faut augmenter la mesure d’autant et lorsqu’elle est plus éloignée, il faut la réduire d’autant. En effet, ce n’est pas la distance de la myopexie à l’insertion du muscle qui compte ici, mais sa position par rapport au centre de rotation du globe ; la mesure à partir du limbe serait plus logique, mais, en raison de la plus grande longueur de l’arc mesuré, elle augmenterait l’incidence du diamètre du globe ; à moins de connaître celui-ci, elle augmenterait par conséquent aussi l’imprécision.



Myopexie postérieure du droit médial


Pour le droit médial, la distance de la myopexie varie selon l’âge du sujet de 12 à 14,5 mm en arrière de l’insertion primitive (cf. tableau 7.3).


L’excès de convergence ne peut être évalué qu’à travers sa manifestation clinique, c’est-à-dire à partir de la différence entre l’angle maximum et l’angle minimum ; cette évaluation quantitative est nécessairement approchante ; la conséquence en est qu’un dosage bien pesé et une intervention minutieuse ne permettent pas toujours d’obtenir l’effet de freinage souhaité.


Celui-ci peut être insuffisant ou au contraire excessif, selon la tension passive des droits médiaux à partir de laquelle s’exerce l’action freinatrice de la myopexie (cf. infra). Le dosage du recul qu’il convient d’associer, ou non, à la myopexie est de ce fait déterminant (cf. infra).




image Exemple


Rüssmann [24] a établi une formule qui s’applique à la myopexie postérieure bilatérale du droit médial ; elle permet de déterminer avec plus de précision à quelle distance de l’insertion primitive, en millimètres d’arc, il convient de fixer le muscle, en fonction de la différence en degrés entre l’angle maximum (de près) et l’angle minimum (de loin) :



image



Chez l’enfant, lorsqu’un excès de convergence justifie une myopexie postérieure, celle-ci doit être bilatérale ; la plupart des opérateurs l’effectuent d’emblée des deux côtés au cours du premier temps opératoire (cf. chapitre 18) ; une myopexie unilatérale est rarement suffisante et provoque des incomitances, parfois difficiles à corriger [12]. Péchereau et al. préfèrent procéder en deux temps, opérer un côté d’abord et l’autre côté ultérieurement. D’autres, enfin, effectuent d’abord un premier temps de chirurgie conventionnelle et le complètent, si besoin, par la myopexie dans un deuxième temps [12].


Chez l’adulte, la myopexie bilatérale peut entraîner une diplopie gênante dans les regards latéraux ; celle-ci régresse spontanément, mais peut mettre une année avant de disparaître ; elle est due à l’inévitable micro-exotropie dans les versions horizontales du fait du léger amortissement de l’adduction par l’action de la myopexie et/ou de la poulie ténonienne. Une myopexie unilatérale peut, en revanche, être indiquée et utile en complément de la chirurgie conventionnelle en cas d’ésotropie monolatérale avec spasmes de convergence de l’œil dévié, amblyope ou non.


Au-delà des distances indiquées (cf. tableau 7.3), la myopexie entraîne une paralysie du muscle concerné ; cet effet a été recherché dans des cas de nystagmus sans zone de repos relatif [25].





Recul musculaire associé à la myopexie postérieure


L’effet de la myopexie postérieure seul sur l’angle minimum dépend de l’importance de cet angle : il est en règle générale minime ou nul, si l’angle est proche de ou égal à zéro ; il est partiel, rarement égal à l’angle minimum, si celui-ci est plus important. C’est pourquoi il est le plus souvent nécessaire d’associer un recul du muscle à la myopexie postérieure, et/ou une résection du droit latéral homolatéral, ou encore à un recul du droit médial controlatéral : les deux procédés se complètent logiquement (cf. chapitre 4).





Dosage des opérations sur les muscles obliques


Le dosage des opérations d’affaiblissement et de renforcement des muscles obliques est d’une approche plus complexe que celui des opérations des muscles droits. Cela tient à plusieurs raisons : les déviations résultant d’un déséquilibre des muscles obliques ne peuvent être ramenées à un seul chiffre [26] ; la mesure, notamment dans les regards latéraux, est parfois malaisée, voire impossible chez le jeune enfant ; enfin l’efficacité chirurgicale (le nombre de degrés corrigés par millimètre d’affaiblissement ou de renforcement) est, en première analyse, plus variable pour les muscles obliques que pour les muscles droits.



Dosage estimé


C’est pourquoi beaucoup d’opérateurs se fondent encore sur une évaluation clinique approximative de la déviation verticale en adduction ; ils la quantifient en termes de légère (+), moyenne (++), forte (+++) ou très forte (++++) et indiquent le dosage optimum pour chacun de ces degrés ; ils préconisent :



Si la déviation verticale en adduction dépasse 10°, le dosage doit être réparti entre les obliques supérieur et inférieur, en se souvenant que l’opération combinée a une efficacité accrue (cf. infra).



Dosage calculé


Cüppers et al. [27] ont cependant montré, il y a bien des années déjà, que le dosage des opérations sur les muscles obliques peut être calculé avec plus de précision en mesurant les déviations verticales et rotatoires et non seulement horizontales.




image Complément


Kaufmann, puis Kolling (dans une étude exhaustive menée sous la direction de Kaufmann [26]) ainsi que Rüssmann [24] sont parvenus à déterminer, pour chaque type d’intervention, le rapport entre le dosage opératoire et la modification apportée à chacune des composantes de la déviation ; leurs chiffres ont été repris plus récemment par Simonsz [28].

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May 4, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on 7: Dosage opératoire et ajustement peropératoire

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