Chapitre 20 Item 49 – Évaluation clinique et fonctionnelle d’un handicap cognitif
Objectifs pédagogiques
CEN
Connaissances requises
Connaître les définitions de déficiences, incapacités et handicaps.
Connaître les principales fonctions cognitives (attention, langage, mémoire, praxies, fonctions visuo-spatiales, fonctions exécutives).
Connaître les principales bases cérébrales des fonctions cognitives (spécialisation hémisphérique, fonctions des lobes frontaux).
Connaître les principaux déficits cognitifs et troubles comportementaux secondaires à des lésions cérébrales (aphasie, troubles de la mémoire, apraxies, troubles visuo-spatiaux, etc.).
Connaître les principales causes de déficits cognitifs (psychogènes et neurologiques).
Objectifs pratiques
Conduire l’interrogatoire et l’examen d’un patient :
Par l’interrogatoire du patient et de sa famille, savoir évaluer le retentissement de ses déficits cognitifs et de ses troubles comportementaux dans ses capacités de réalisation des activités élémentaires et élaborées de la vie quotidienne.
Par l’interrogatoire du patient et de sa famille, savoir évaluer le retentissement familial, social et professionnel de ses déficits cognitifs et de ses troubles comportementaux.
• Appliqué aux fonctions cognitives, un processus pathologique entraîne une déficience8 (déficit) qui correspond aux symptômes (une aphasie, une apraxie, par exemple). L’évaluation cognitive explore schématiquement des domaines cognitifs distincts (attention, fonctions exécutives, mémoire, langage, praxies, capacités visuo-spatiales). Le matériel nécessaire à l’évaluation comprend des images, des dessins géométriques, des listes de mots et de phrases, des questionnaires (cf. Annexes). Son interprétation doit tenir compte de divers facteurs, notamment socio-éducatifs, culturels et motivationnels. Elle peut être limitée par la présence de troubles de l’attention, du langage ou du comportement.
• Une incapacité traduit la conséquence fonctionnelle dans une situation spécifique (par exemple, lire, conduire, téléphoner, s’habiller).
• Le handicap exprime le retentissement dans la vie sociale (perte du statut professionnel, modification des relations familiales, dépendance pour la conduite automobile, etc.).
• Lors de l’évaluation, un temps important est dévolu à l’interrogatoire9 du patient et de son entourage. L’évaluation est menée avec tact, adaptée :
I Comportement
Seront recherchés par l’interrogatoire et l’observation clinique : idées délirantes (par exemple, de préjudice), hallucinations (auditives, visuelles), modification des comportements sociaux (agitation/agressivité, irritabilité, désinhibition), réduction des comportements auto-initiés (apathie), modification des affects et de l’humeur (dépression, anxiété, exaltation, indifférence), rigidité mentale, comportements stéréotypés (par exemple, actions répétitives, déambulation), troubles du sommeil, appétit/comportement alimentaire (par exemple, sélectivité des aliments), anosognosie (pouvant aller de la réduction de la conscience du trouble au déni)10.
III Mémoire
A Définitions
1 Mémoire à court terme
• La mémoire à court terme est une mémoire de stockage bref des informations et de capacité limitée (par exemple, retenir un numéro de téléphone avant de le noter).
• La mémoire de travail correspond à la capacité à manipuler les informations maintenues en mémoire à court terme.
– La mémoire à court terme est évaluée par l’empan à l’endroit, verbal (répétition d’une série de chiffres ou de mots énoncés au rythme d’un par seconde par l’examinateur) et visuel (l’examinateur touche successivement une série de cubes disposés devant lui selon une séquence prédéfinie et le patient a pour consigne de reproduire cette séquence spatiale).
– La mémoire de travail est évaluée par l’empan à l’envers, verbal (répétition d’une série de chiffres ou de mots énoncés par l’examinateur dans l’ordre inverse) et visuel (l’examinateur touche successivement une série de cubes disposés devant lui selon une séquence prédéfinie et le patient a pour consigne de reproduire cette séquence dans l’ordre inverse).
2 Mémoire à long terme
Les processus de mémoire à long terme sont de deux types :
• la mémoire procédurale, qui concerne des processus inconscients (implicites) ; c’est la mémoire du « savoir-faire » : un exemple est la mémoire des habiletés motrices acquises (faire du vélo, jouer d’un instrument de musique) ; en pratique clinique courante, la mémoire procédurale n’est pas évaluée ;
• la mémoire déclarative, qui concerne des processus d’accès conscient (explicites) à l’information et qui comprend :
B Évaluation
• Schématiquement, une information perçue nécessite successivement :
• Le terme rappel est utilisé quand le sujet évoque une information antérieurement acquise (par exemple, trois mots « pomme », « bus », « tabouret ») :
• La reconnaissance consiste à repérer l’information apprise au sein d’une liste à choix multiples (par exemple, « voiture, train, vélo, bus »).
1 Interrogatoire
• mémoire biographique : chronologie des lieux d’habitation, emplois successifs, histoire familiale (prénoms et noms des apparentés), dates et lieux d’événements importants (mariage, naissances, voyages) ;
• mémoire des événements personnels : visites, déplacements, événements marquants de la semaine ou des mois précédents ;
• mémoire topographique : trajet effectué, localités traversées, disposition des rues bordant le domicile, disposition des pièces du logement ;
• mémoire didactique : connaissances générales selon le contexte culturel du sujet (par exemple : quelle est la capitale de l’Italie ? quel est le sens du mot igloo ?) ; connaissances acquises en fonction du métier, des intérêts (par exemple, les noms des outils ou ustensiles utilisés par un mécanicien, une cuisinière, un jardinier, les parties d’un moteur, les ingrédients d’une recette, les saisons des différentes plantations) ;
• mémoire chronologique publique : par exemple, la succession des présidents de la République, des maires de la ville, des événements sportifs ou culturels (lieux des Jeux Olympiques, vainqueurs) ;
• mémoire de l’actualité récente (événements relatés dans les médias).
2 Examen
• l’orientation temporospatiale (Mini Mental State, cf. Annexe 2) ;
• la mémoire à court terme : énoncer une suite de chiffres (7, 3, 9) au rythme d’un par seconde, à rappeler immédiatement en augmentant progressivement leur nombre (empan) ;
• la mémoire à long terme : énoncer des mots, les faire rappeler immédiatement (encodage) puis après une tâche interférente (test des trois mots, Mini Mental State, cf. Annexe 2) ; dénommer des images, puis tester rappel et reconnaissance ; copier trois dessins sans signification, puis tester rappel et reconnaissance ; apprentissage de mots sur entrée visuelle (test des cinq mots, cf. Annexe 3).
C Anatomie
• La mémoire de travail est sous la dépendance du cortex préfrontal dorsolatéral.
• La mémoire procédurale implique les noyaux gris centraux et le cervelet.
• La mémoire déclarative met en jeu des réseaux neuronaux cortico-diencéphaliques. Le principal est le circuit de Papez (il comprend l’hippocampe qui se projette, via le fornix, sur les corps mamillaires, puis le noyau antérieur du thalamus, le cingulum, l’hippocampe ; ce circuit comprend également des projections réciproques via le fornix entre l’hippocampe et le complexe magnocellulaire basal, ou basal forebrain).
D Causes : amnésies et déficits mnésiques
• Les lésions du cortex préfrontal dorsolatéral entraînent un déficit en mémoire de travail et en mémoire à long terme, avec oubli de la chronologie des informations, mauvaise autoévaluation et réduction des stratégies d’apprentissage et de récupération (→ déficit en rappel libre avec amélioration des performances par l’indiçage et/ou la reconnaissance).
• Les lésions bilatérales du circuit de Papez entraînent une amnésie antérograde par déficit de stockage (→ déficit en rappel libre peu ou pas amélioré par l’indiçage et/ou la reconnaissance) associée à une amnésie rétrograde variable. Cette amnésie est pure dans les lésions temporales internes (bi-hippocampiques) et s’accompagne parfois de fabulations et de fausses reconnaissances (syndrome de Korsakoff) dans les localisations diencéphaliques — en fonction de la topographie des lésions, d’autres signes peuvent être associés (par exemple, aphasie, troubles du champ visuel…) ; une lésion unilatérale de ce circuit cause un déficit mnésique prédominant en modalité verbale ou visuelle, selon sa localisation gauche ou droite.
1 Causes principales selon la topographie des lésions
• Temporales internes (bi-hippocampiques) : infectieuses (par exemple, encéphalite herpétique), vasculaires (artères cérébrales postérieures), post-anoxiques, post-intoxication au CO, paranéoplasiques et dysimmunitaires (encéphalite limbique), dégénératives (maladie d’Alzheimer débutante).
• Fornix : tumeurs du troisième ventricule.
• Corps mamillaires et thalamus : lésions cellulaires par carence en vitamine B1 (Korsakoff), vasculaires (uni- ou bi-thalamiques).
• Cingulaires : tumeurs frontales internes, vasculaires (ischémie post-rupture d’anévrisme de la communicante antérieure).
• Préfrontales dorsolatérales : tumeurs frontales externes, vasculaires (artères cérébrales moyennes), dégénératives (dégénérescence frontotemporale).
F Amnésies psychogènes
Une plainte mnésique associée à des tests normaux (ou faiblement perturbés) sont observés en cas d’anxiété et de dépression — toutefois, dépression et anxiété coexistent parfois avec une démence débutante et les difficultés mnésiques peuvent résulter de leur association. Un événement source de traumatisme psychique ou un conflit affectif peuvent être associés à des amnésies spécifiques, lacunaires. Ces amnésies rétrogrades, parfois massives avec amnésie d’identité, peuvent être dues à différentes causes psychogènes : traumatismes psychiques et/ou physiques (par exemple, agression), manifestation de névrose hystérique, simulation.
IV Langage
A Définitions
Les aphasies sont des troubles acquis du langage secondaires à des lésions cérébrales :
• en prenant comme exemple « tabouret » [tabure], les erreurs ou paraphasies du langage oral sont qualifiées de phonémiques quand le phonème attendu est substitué, omis, déplacé ou répété ([tature] [rature]), de sémantiques quand existe un lien de sens (par exemple, « chaise » ou « fauteuil »). En l’absence de proximité phonémique ou sémantique identifiable, la production sera qualifiée de paraphasie verbale s’il s’agit d’un mot de la langue [tarte] ou de néologisme dans le cas contraire [puirte] ;
• dans la modalité écrite, les erreurs sont qualifiées de paragraphies ;
• circonlocution ou périphrases sont parfois utilisées par le patient pour pallier le manque du mot ;
• le trouble de la syntaxe peut être un agrammatisme, avec une omission des mots grammaticaux et une simplification des phrases (« une mère, un enfant, de l’eau, inondation »), ou une dysyntaxie, avec un usage incorrect des mots grammaticaux : accord, genre, nombre (« il y aurait de l’eau, mais l’enfant vont tomber dans la cuisine »).
B Évaluation
1 Examen
L’entretien juge quel est le débit de l’expression spontanée, indépendamment du contenu. Ce débit est qualifié de non fluent (diminué) ou de fluent (normal, augmenté, voire logorrhéique). La dénomination d’images sert à quantifier le manque du mot11. Les troubles de syntaxe sont révélés par la description d’une image mettant en scène des personnages ou la construction d’une phrase à partir de deux ou trois mots (par exemple, « enfant »/« boulangère »/« croissant »). La compréhension des mots est explorée par la désignation d’une image parmi un choix appartenant ou non à la même catégorie (par exemple, « Montrez le fauteuil parmi des images de meubles »), la compréhension de phrases élémentaires par l’exécution d’ordres (par exemple, « Avec la main gauche, touchez l’épaule droite, puis le nez ») ou la compréhension complexe par la désignation d’images d’action parmi un choix (par exemple, « Montrez l’image où le garçon est tiré par le chien »). Ces épreuves sont réalisées à l’oral et à l’écrit. La répétition utilise des mots puis des phrases de longueur croissante (« lit », « autobus », « déménagement », « l’argument de l’avocat l’a convaincu ») pour révéler des troubles de la boucle audio-phonatoire et des paraphasies phonémiques. L’exploration du langage écrit consiste à faire lire, écrire et épeler des mots réguliers (par exemple, café, table), irréguliers (par exemple, baptême, examen, oignon) et des non-mots (logatomes, qui ne peuvent être lus/écrits que par une application des règles de transcription graphème/phonème : churin, sorpichon, par exemple).