L’auteur remercie Sébastien Fosseprez pour les illustrations de ce chapitre.
Pierre Delguste
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Poumons, cage thoracique, bronches, nerfs phréniques, capillaires pulmonaires, diaphragme, trachée, plèvre, centres respiratoires, compartiment abdominal… En vrac, voici quelques éléments parmi beaucoup d’autres ayant un rôle à jouer dans la respiration. *
Les quelques notions, extrêmement succinctes, qui suivent tentent, à la suite de l’anatomiste, de décrire les mécanismes de base qui permettent à une molécule d’O2 s’étant hasardeusement trouvée sur votre passage de se retrouver en quelques instants au fin fond de votre poumon avant d’être emportée par un torrent sanguin pour terminer sa vie quelque part dans une cellule de votre foie, d’un muscle de votre petit orteil ou de ce cerveau qui tente de comprendre et stocker les phrases que vous êtes en train de lire !… Sans omettre bien sûr le fait que cette molécule d’O2 aura croisé quelque part son cousin de mauvaise réputation, le dioxyde de carbone, qui emprunte le chemin inverse.
Échangeur pulmonaire et pompe respiratoire
L’échangeur pulmonaire
Le système respiratoire, c’est avant tout un « échangeur », un ensemble de structures fonctionnant selon des lois physiques et chimiques permettant la diffusion et le transport du combustible qu’est l’O2 du poumon vers toutes les cellules du corps humain et, selon un itinéraire inverse, de déverser dans les alvéoles le principal produit de déchet de notre métabolisme, le dioxyde de carbone.
Sous le regard du physiologiste, l’échangeur pulmonaire est composé des voies aériennes (VA), des alvéoles pulmonaires et de la circulation sanguine pulmonaire.
L’unité fonctionnelle respiratoire est représentée par l’acinus, composé d’une bronchiole respiratoire ainsi que des sacs alvéolaires et capillaires pulmonaires qui en dépendent.
Ce chapitre ne traite pas de la physiologie des échanges gazeux, ce sujet étant évoqué par ailleurs. Cependant, pour la bonne compréhension des chapitres qui suivent, retenons l’essentiel :
Une situation pathologique (pneumonie, emphysème, embolie pulmonaire…) atteignant un ou plusieurs éléments de l’échangeur pulmonaire est responsable d’une insuffisance respiratoire.
Une insuffisance respiratoire se caractérise par une hypoxémie isolée : chute de la pression partielle en O2 du sang artériel (PaO2), la pression partielle en CO2 du sang artériel (PaCO2) restant dans les limites de la normale, voire étant abaissée, sauf dans des situations extrêmes. L’hypoxémie isolée, véritable « marque de fabrique » des pathologies de l’échangeur pulmonaire, s’explique par le fait que l’hyperventilation des zones pulmonaires saines (non atteintes par une pneumonie, par exemple) est capable de compenser l’hypoventilation des zones malades quand au rejet de CO2, mais pas en ce qui concerne la diffusion et le transport de l’O2. Ceci est dû en ordre principal aux modes de transport des gaz respiratoires (principalement lié à l’hémoglobine pour l’O2 et dissout pour le CO2) et aux capacités de diffusion respectives de ces gaz.
Si l’échangeur pulmonaire a pour fonction d’assurer la diffusion et le transport des gaz respiratoires, il est totalement incapable, par lui-même, de remplir un rôle tout aussi important : le remplissage et la vidange pulmonaire entre l’air atmosphérique et le poumon. En effet, le poumon est un organe inerte, dépourvu d’innervation motrice susceptible de modifier sa forme et donc de le remplir ou le vider de ses gaz respiratoires. Au repos, c’est-à-dire en l’absence de toute force exercée sur sa structure, le poumon prend la forme d’un petit amas de tissus, pratiquement vide de tout gaz et pas plus volumineux qu’un poing fermé, ramassé autour de son hile.
Au sein de l’appareil respiratoire, la forme du poumon et ses modifications géométriques durant la ventilation lui sont données par cet autre élément essentiel du système respiratoire qu’est la pompe respiratoire.
La kinésithérapie respiratoire ne dispose d’aucun moyen d’action directe sur le poumon malade. Elle traite ou agit sur des symptômes : encombrement bronchique, dyspnée, déconditionnement. Pour rencontrer ses objectifs, la kinésithérapie respiratoire ne peut agir que par l’intermédiaire des éléments de la pompe respiratoire.
La pompe respiratoire
La pompe respiratoire est constituée d’un groupe d’éléments anatomiques agissant en série et tous indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble. Un dysfonctionnement d’un quelconque de ses éléments rend caduque l’action des autres.
Le rôle de la pompe respiratoire est d’assurer les déplacements des gaz respiratoires (l’air inspiré et expiré) depuis l’environnement extérieur vers le poumon et viceversa.
La cage thoracique
Elle est composée des côtes, du sternum, d’une partie de la colonne vertébrale (D1 à D12) et du diaphragme. Elle représente le « contenant » de l’échangeur pulmonaire, la structure qui va lui donner et modifier sa forme. Ainsi, en cas de déformations importantes de la cage thoracique (cyphoscoliose grave, aplatissement du diaphragme), le poumon va en subir les conséquences et voir ses volumes également perturbés.
Les muscles respiratoires
Par elle-même, la cage thoracique n’est pas plus capable que le poumon de modifier sa géométrie, d’augmenter ou de diminuer ses dimensions. Ce rôle est celui des muscles respiratoires, souvent considérés de manière erronée comme le moteur de la ventilation pulmonaire. Les muscles respiratoires – diaphragme, intercostaux, scalènes, sterno-cléido-mastoïdiens et muscles de la paroi abdominale – agissent et interagissent afin de moduler de façon harmonieuse et fonctionnelle la géométrie thoracique, tant durant l’inspiration que durant l’expiration.
Les actions et interactions des muscles respiratoires seront analysées plus en détail à la fin du chapitre.
Le système nerveux
Il est à peine nécessaire de rappeler que pour pouvoir se contracter, les muscles nécessitent d’être stimulés. C’est le rôle du système nerveux périphérique (nerfs phréniques, nerfs intercostaux, etc.) et central (moelle épinière, centres respiratoires et cortex cérébral), dernier élément de la chaîne constituant la pompe respiratoire.
L’élément manquant… l’interface échangeur-pompe respiratoire
Nous venons de voir que la pompe respiratoire représentait la structure capable de modifier la géométrie du poumon et d’assurer la ventilation pulmonaire. Une structure anatomique indispensable manque encore à cette description, c’est le lien, l’interface entre le poumon en tant qu’échangeur et le thorax, premier élément de la pompe respiratoire. Cette structure est la plèvre.
Le rôle de la plèvre
Il est impossible de comprendre le rôle indispensable joué par la plèvre sans se rappeler quelques notions de base relatives aux autres structures du système respiratoire. Tant le poumon que la cage thoracique sont des structures élastiques, caractérisées entre autres par une « position de repos » occupée par cette structure lorsqu’elle n’est soumise à aucune force extérieure. Cette position ainsi que toutes les autres occupées par le poumon et/ou la cage thoracique peuvent être exprimées par rapport aux volumes pulmonaires (mesurés en spirométrie) auxquels ces positions correspondent.
Ainsi, la position de repos du poumon correspond à un volume inférieur au volume résiduel (VR). La position de repos du thorax, quant à elle, correspond à un volume proche de 75 % de la capacité pulmonaire totale (CPT) [figure 2.1]. En l’absence d’une structure reliant ces deux éléments, on comprend qu’il est totalement impossible de rendre le poumon solidaire du thorax et de lui permettre d’en suivre les mouvements afin de modifier ses volumes. Autrement dit, sans interface poumon-thorax, pas de ventilation pulmonaire possible.
Figure 2.1 |
La plèvre remplit ce rôle primordial dans la mécanique thoracopulmonaire.
Constituée de deux feuillets solidaires l’un de l’autre (en situation normale) dont l’un tapisse totalement la surface des poumons (plèvre viscérale) et l’autre la surface du thorax et du diaphragme (plèvre pariétale), la plèvre « oblige » le poumon et le thorax à quitter leur position de repos et à se situer dans une position intermédiaire correspondant à un équilibre parfait entre les forces de recul pulmonaire et thoracique. Cette position dans laquelle les forces de recul pulmonaire et thoracique sont égales et de sens opposé correspond à la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) et représente la position de repos de l’ensemble du système respiratoire (figure 2.2). C’est la position adoptée par un système respiratoire qui n’est soumis à aucune action ou force extérieure (cadavre ou personne curarisée).
Figure 2.2 |
Les conséquences des déficits de la pompe respiratoire
Nous avons vu plus haut que les déficits de l’échangeur pulmonaire sont responsables d’une insuffisance respiratoire, elle-même stigmatisée par une hypoxémie isolée.
Les dysfonctionnements (graves) d’un ou plusieurs éléments de la pompe respiratoire caractérisent quant à eux une insuffisance ventilatoire. Cette insuffisance du « soufflet » ne peut, par définition, être compensée naturellement. La « marque de fabrique » d’une insuffisance de la pompe respiratoire est donc représentée par une « hypoventilation alvéolaire », soit une hypoxémie et une hypercapnie.
La ventilation pulmonaire
Au repos
Lorsque le système respiratoire est au repos, il règne donc entre les deux feuillets pleuraux une pression négative (infra- atmosphérique) due aux forces de recul thoracique et pulmonaire transmises à la plèvre. C’est la pression intrapleurale (P pl).
La pression régnant à ce moment à l’intérieur du poumon (pression intrapulmonaire) est égale à zéro (pression atmosphérique). Il n’y a aucun déplacement gazeux entre les poumons et l’air extérieur (figure 2.3).
Figure 2.3 |
L’inspiration
Stimulés par le système nerveux, les muscles respiratoires (inspirateurs) se contractent. Ce faisant, ils agissent sur le thorax et en augmentent le volume (descente du diaphragme et élévation des côtes).
Cette contraction musculaire agit donc comme une force qui s’ajoute à la force de recul du thorax. L’équilibre entre les forces de recul du thorax et du poumon est donc rompu en faveur de celle du thorax. Le thorax augmente de volume et la pression intrapleurale diminue. La pression intrapleurale, devenue donc plus négative, exerce une traction à la surface du poumon qui augmente de volume. Le poumon se gonfle.
L’augmentation de volume du poumon provoque une chute de la pression intrapulmonaire qui devient infraatmosphérique. De ce fait, un déplacement d’air se produit depuis l’extérieur vers l’intérieur du poumon : c’est l’inspiration (figure 2.4). On le voit, c’est bien la pression pleurale qui agit directement sur le poumon pour augmenter son volume et permettre l’inspiration.
Figure 2.4 |
La pression intrapleurale peut donc être considérée comme le « moteur de la ventilation pulmonaire ».
…Pas convaincu ?… Imaginez ce qui se passe lorsque le fonctionnement pleural est perturbé, comme en cas de pneumothorax complet par exemple. Dans ce cas, quelle que soit la force musculaire appliquée au thorax, quelle que soit l’augmentation de volume thoracique qui en résulte, cette augmentation du volume du thorax ne sera d’aucun effet sur la pression intrapleurale et donc sur le poumon.
Pour être tout à fait exact, notons encore que, lors de l’inspiration, la pression négative qui règne à l’intérieur des VA et permet le déplacement des gaz respiratoires agit également sur la plèvre en augmentant la pression négative intrapleurale.
À la fin de l’inspiration
L’ensemble thorax-poumons se situe dans une position d’équilibre (figure 2.5) dans laquelle :
Figure 2.5 |
• la force de recul du poumon est plus élevée qu’au repos (le poumon tend plus à se fermer) ;
• la force de recul du thorax est moins élevée qu’au repos (le thorax tend moins à s’ouvrir) ;
• la force de traction exercée par les muscles respiratoires correspond exactement à la différence entre les forces de recul pulmonaire et thoracique (recul pulmonaire = recul thoracique + force musculaire) ;
• la pression pleurale est stabilisée à un niveau plus négatif qu’au repos ;
• la pression intrapulmonaire est égale à la pression atmosphérique ;
• il n’y a aucun déplacement gazeux entrant ou sortant des poumons.
L’expiration
Nous avons vu précédemment que le système thoracopulmonaire est une structure élastique. Le système tend donc à revenir passivement vers sa position de repos, correspondant à la CRF. La séquence en est la suivante : la relaxation des muscles inspirateurs supprime la force qui s’ajoutait au recul thoracique pour rendre la pression intrapleurale plus négative et maintenir les poumons en ouverture. À ce moment, la force de recul du thorax est inférieure en valeur absolue à celle du poumon. Celui-ci va donc retourner vers sa position de repos en diminuant de volume.
La pression intrapulmonaire devient dès lors positive et les gaz contenus dans le poumon vont se diriger vers l’extérieur du système. C’est l’expiration (figure 2.6).
Figure 2.6 |
Pour prolonger l’expiration jusqu’au VR par exemple, les muscles expirateurs doivent être actifs à partir de la CRF. Leur force s’ajoutera à la force de recul pulmonaire afin de s’opposer au recul thoracique et permettre ainsi au volume de réserve expiratoire (VRE) d’être expulsé des poumons (figure 2.7).
Figure 2.7 |
Durant l’expiration normale, la pression intrapleurale reste négative. En revanche, sous l’effet d’une forte contraction des muscles expirateurs ou d’une pression externe exercée sur la paroi thoracique, comme nous le verrons plus loin, la pression intrapleurale peut devenir positive. Dans ce cas, la force musculaire expiratoire s’ajoute à la force de recul pulmonaire pour en diminuer le volume et augmenter ainsi rapidement la pression intrapulmonaire pour générer une « expiration forcée ».
Mécanique thoracopulmonaire et ventilation mécanique
Plusieurs chapitres de cet ouvrage traiteront de la ventilation mécanique (VM), de ses indications, modalités d’application et résultats. De façon grossière, on peut dire qu’une VM se voit indiquée lorsqu’un élément quelconque de la pompe respiratoire se révèle défaillant (coma, section de moelle épinière, fatigue musculaire, myopathie, cyphoscoliose grave…). Les mécanismes d’action de la VM sur le système mécanique thoracopulmonaire diffèrent selon les modalités ventilatoires concernées.