2: Introduction à Généralités

Introduction à Généralités


Une symptomatologie de la cheville et/ou du pied est un motif de consultation fréquent, ses causes peuvent être multiples mais l’étiologie la plus fréquente reste mécanique (Tu 2011). Nos expériences cliniques nous amènent à penser que dans les problèmes de talalgie, d’épine calcanéenne, de fasciite plantaire ou de douleur atypique du pied, les dysfonctions des nerfs périphériques jouent un rôle important et cela autant chez les sportifs que chez les non sportifs (Butler 2001, Shacklock 2005, Jolly 2005, Toomey 2009, Nelson 2011).


La face médiale de la cheville et du pied représente un carrefour important où différents éléments, s’entremêlent, il est très difficile d’y dissocier les structures orthopédiques des structures neurales. À la face latérale par contre, courent plusieurs nerfs cutanés superficiels, vulnérables à la compression et à la mise en tension; particulièrement en cas d’entorse de la cheville et du pied en flexion plantaire et inversion (Pahor 1996, Kleinrensink 2003).


Certains sportifs tels que: les athlètes, les coureurs à pied, les joueurs de basket-ball ou de tennis, les footballeurs, etc. poussent souvent leurs structures, y compris les nerfs du pied, jusqu’aux limites physiologiques (Schon 1990, Jackson 1991, Jackson 1992, Krivickas 2000, Pećina 2001, McCrory 2002, Barr 2005, Kinoshita 2006). Kadel (2006) et Kennedy (2008) rapportent des cas de neuropathies au niveau de la cheville et du pied chez le danseur classique.


Cliniquement, nous sommes souvent confrontés à une douleur et/ou une symptomatologie de type neuro-orthopédique, qui risque de devenir chronique et rebelle, si nous ne tenons pas compte de la dysfonction neurogène (Akuthota 2009) dans notre management.


Les syndromes canalaires du pied survenant suite à un traumatisme aigu ou à des microtraumatismes répétés sont trop fréquemment mal diagnostiqués. Une bonne connaissance de la neuro-anatomie du pied permet de mieux comprendre leurs signes cliniques. Une anamnèse détaillée complétée d’un examen clinique basé sur des tests neurodynamiques, neurologiques et orthopédiques se révèlent indispensables à l’établissement d’un diagnostic fiable.







Chapitre 1 – Le syndrome du canal tarsien postérieur

Le syndrome du canal tarsien est classiquement défini comme le piégeage du nerf tibial postérieur au niveau de la face médiale de la cheville. Il est provoqué par un excès de contraintes mécaniques exercées dans le tunnel, sous le rétinaculum des fléchisseurs du pied et des orteils. Plusieurs auteurs ont fait une revue de la littérature concernant ce syndrome (Cimino 1990, Johnston 1994, Reade 2001, Oztuna 2002, Alshami 2008a, Toomey 2009, Gould 2011).


Pour éviter toute ambiguïté terminologique, soulignons que nous parlerons dans cet ouvrage de «syndrome du canal tarsien postérieur» et de «nerf tibial». Dans la région rétro-malléolaire, le nerf tibial donne naissance, en amont du rétinaculum des fléchisseurs du pied et des orteils, au rameau calcanéen médial, responsable de la sensibilité de la région médio-plantaire du talon. Il se divise ensuite en deux branches terminales: les nerfs plantaires médial et latéral (voir figure 1). Le nerf plantaire latéral donne aussitôt une branche motrice pour l’abducteur du cinquième orteil et sa première branche (voir chapitre 2 – La fasciite plantaire et la métatarsalgie). L’anatomie de la face médiale de la cheville et du pied est complexe, l’innervation cutanée et motrice dépend de plusieurs structures nerveuses et il faut de surcroît tenir compte des variantes anatomiques (Aszmann 1998, Bilge 2003, Sora 2008, Mercer 2011).



Les appellations des dysfonctions neurogènes sont variées et multiples, les plus souvent rencontrées sont: l’achillodynie, la talagie, la calcanéodynie, la calcanéalgie, l’épine calcanéenne, la fasciite plantaire, le syndrome du muscle abducteur de l’hallux, le syndrome du coureur à pied et la métatarsalgie. Différencier ces «entités pathologiques» n’est pas chose facile. Par soucis de clareté, nous regrouperons ces symptomatologies en deux chapitres distincts, pour en traiter l’aspect neurodynamique: «Le syndrome du canal tarsien postérieur» et «La fasciite plantaire et la métatarsalgie».


L’hypermobilité et la position de la cheville et du pied engendrent un changement du diamètre du canal tarsien postérieur et influencent l’état de compression et les possibilités de mise en tension et d’excursion locale du nerf tibial au niveau du canal tarsien postérieur (Daniels 1998, Lau 1998, Trepman 1999, Kinoshita 2001, Bracilovic 2006, Barker 2007, Graham 2011, Abouelela 2012). Une flexion dorsale de 30° de la cheville, en station debout, provoque un glissement du nerf tibial de 2 à 3 mm par rapport à ses interfaces mécaniques (Carroll 2012). Cette mobilité est vitale pour la fonction neurale, sa restriction peut être responsable de douleurs attribuées à tort à l’appareil musculosquelettique.


Certains auteurs ont examiné l’impact du mouvement d’élévation de la jambe tendue (EJT) sur les excursions du nerf tibial et de ses branches terminales et inversement l’influence de la mise en tension du nerf tibial sur la mobilité et la mécanosensibilité du nerf ischiatique (Boland 2000, Coppieters 2006, Alshami 2008b, Boyd 2009).


Le syndrome du canal tarsien postérieur peut aussi être causé par une anomalie structurelle, un muscle surnuméraire ou accessoire, un cal osseux, un ganglion, une hypertrophie du rétinaculum ou tendineuse (Bushmann 1991, Sammarco 1994, Pla 1996, Patla 2000, Garchar 2001, Kinoshita 2003, Manasseh 2009, Cione 2009, Rodriguez 2010). Il existe plusieurs zones critiques favorables à la neurocompression dans cette région (Peri 1991, Sammarco, 1993, Mabin 1997, Franson 2006, Uzenot 2007, Dellon 2008).


Le sujet présente en général une sensation de brûlure et/ou de crampe plantaire, qui le réveille la nuit et une sensibilité exacerbée au niveau de la malléole médiale (Abouelela 2012). Des paresthésies, des dysesthésies et/ou une hypoesthésie sont observées dans le territoire nerveux, surtout au niveau de la face plantaire du pied (Cimino 1990). Des tests orthopédiques classiques d’examen du syndrome du canal tarsien postérieur sont décrits dans la littérature, ils se basent sur la mise en tension, la compression et la percussion du nerf tibial (Kinoshita 2001, De Garceau 2003, Bogla 2004, Alshami 2007). Certains tests contiennent, sans l’expliquer pour autant, des composantes neurodynamiques (Alshami 2007). Abouelela (2012) propose un test simple, rapide et fiable constitué d’une triple contrainte de compression du nerf tibial et de ses branches (Triple compression stress test – TCST): la flexion plantaire maximale de la cheville associée à l’inversion du pied et à la compression directe pendant 30 secondes du nerf tibial au niveau de la malléole médiale. La pression dans le canal tarsien postérieur augmente considérablement en position de flexion plantaire maximale de la cheville associée à l’inversion du pied.


Le traitement conservateur; repos, anti-inflammatoires, infiltrations locales de corticoïdes, semelles orthopédiques, physiothérapie, étirements musculaires, donne souvent de bons résultats (Davis 1994, Porter 2002, Hudes 2011). Kavlak (2011) rapporte une amélioration significative de la sensibilité superficielle et profonde, chez 14 sujets soumis à un traitement classique, complété d’exercices de neuromobilisation. Le nerf tibial et son rameau calcanéen médial sont d’accès très facile par palpation directe et se prêtent parfaitement aux techniques de drainage extraneural et de neuromassage selon les principes du docteur Jabre (Jabre 1994). Dans une étude sur des cadavres, Brown (2011) démontre l’effet de la neuromobilisation sur la dispersion intraneurale du nerf tibial au niveau de la cheville. L’intervention chirurgicale de stabilisation articulaire s’impose parfois, en cas d’hyperpronation sévère du pied (Lau 1998, Lee 2002, Graham 2011). La libération chirurgicale du canal tarsien postérieur est indiquée si le traitement conservateur poursuivi six mois reste infructueux et/ou si des signes neurologiques moteurs s’installent (Pećina 2001). Toute dysfonction neurodynamique en amont doit être prise en compte et traitée en cas de syndrome de compression nerveuse étagée (Sammarco 1993).



Chapitre 2 – La fasciite plantaire et la métatarsalgie

La douleur au niveau du talon porte le nom de talalgie, calcanéalgie ou calcanéodynie, elle est souvent assimilée à la fasciite plantaire. La talalgie plantaire représente 15% des problèmes du pied, ses étiologies ne se réduisent cependant pas à la fasciite plantaire, elle peut également être provoquée par une fracture du calcanéus, une rupture du fascia plantaire, une bursite, une tendinite ou une atrophie du coussinet adipeux du talon. Elle peut aussi être la conséquence d’une lésion ou d’une dysfonction du nerf tibial, du rameau calcanéen médial, des nerfs plantaires médial et latéral ou de la première branche du nerf plantaire latéral (nerf inférieur du calcanéus) (Schon 1993, Johnston 1994, Oztuna 2002, Rose 2003, Diers 2008, Alshami 2008, Dellon 2008, Rosson 2009).


Bien qu’elles soient complexes, l’anatomie et la biomécanique du pied en relation avec ses fonctions principales de soutien et de locomotion furent longtemps étudiées et sont aujourd’hui bien connues (voir figure 2). Le mécanisme du treuil (windlass mechanism) est un modèle mécanique expliquant comment le fascia plantaire se tend lors de l’extension du gros orteil (Bolga 2004, Alshami 2008). La fasciite plantaire est décrite comme une inflammation du fascia et des structures périfasciales suite à un surmenage par extension de l’avant-pied. Elle se traduit par une douleur dans la région de l’aponévrose plantaire et/ou du talon, prédominant le matin au lever. Les dix premiers pas sont les plus douloureux, les symptômes s’améliorent ensuite progressivement avec l’étirement des structures plantaires.



Alshami (2008) revisite la littérature internationale concernant l’origine neurogène de la douleur subcalcanéenne. La première branche du nerf plantaire latéral et le rameau calcanéen médial sont considérés comme primordiaux dans l’explication de certaines douleurs plantaires du talon (Louisia 1999, Henricson 2003, Govsa 2006, Lui 2007, Ngo 2010, Mesmar 2010, Arakawa 2011).


Le tableau clinique de la talalgie plantaire d’origine neurogène est révélé par l’anamnèse et l’examen physique du sujet (Alshami 2008). La douleur locale brûlante, lancinante voire électrisante à distribution distale ou proximale est augmentée en position debout, par la marche et par la course à pied tandis qu’elle diminue avec le repos. Certaines descriptions de cette symptomatologie se retrouvent sous le terme de «syndrome du coureur à pied», «jogger’s foot» ou «syndrome du muscle abducteur de l’hallux» (Pećina 2001). On retrouve ici dans l’anamnèse, la notion de course de longue distance, parfois associée à une position du pied en hyperpronation (valgus du calcanéus et éversion du pied). Dans ces circonstances, le nerf tibial et ses branches, surtout le nerf plantaire médial sont simultanément mis sous tension et comprimés contre le plan osseux profond, suite à la mise en tension du muscle abducteur de l’hallux et des fascias. Ce mouvement répété systématiquement, sur une longue durée, peut engendrer une névrite. Dans ce cas d’inflammation, il est contre-indiqué d’utiliser des semelles ou des orthèses rigides, qui ne font qu’augmenter la compression et l’irritation. La douleur nocturne peut être due à la stase veineuse provoquant une congestion intraneurale et une accumulation de fluide périneurale. La douleur peut aussi apparaître lorsque le sujet se met debout après une longue période de repos et s’améliorer dès qu’il se déplace. Il est probable qu’au départ les fluides compriment les structures nerveuses et que le mouvement les draine, ce qui réduit la compression et donc la douleur. La douleur accompagnant la fasciite plantaire non neurogène a tendance à s’empirer au cours de l’ambulation. Parfois, aux douleurs s’ajoutent des paresthésies, une hypoesthésie ou un engourdissement de la face médiale et plantaire du talon (Meyer 2002, Rose 2003, Aldridge 2004, Crawford 2005, Cole 2005).


L’examen physique doit inclure la palpation par compression des structures nerveuses au niveau de la face médiale et plantaire du talon et sur le muscle abducteur de l’hallux pour tester la neuromécanosensibilité. Pour affiner son diagnostic différentiel, le praticien peut répéter cette palpation sous mise en tension préalable du système nerveux en position d’élévation de la jambe tendue (EJT) (voir examen palpatoire chapitre 1 – Le syndrome du canal tarsien postérieur et chapitre 2 – La fasciite plantaire et la métatarsalgie). Les nerfs plantaires médial et latéral poursuivent leur trajet en passant dans des tunnels distincts en profondeur du muscle abducteur de l’hallux. Le rameau du muscle abducteur du petit orteil, aussi appelé première branche du nerf plantaire latéral est un nerf mixte qui passe en général à proximité de l’origine du fascia plantaire sur le calcanéus. Il innerve le fascia plantaire ainsi que le périoste de la tubérosité postéro-médiale du calcanéus, il est souvent responsable d’une talalgie de type fasciite plantaire chronique et neurogène (Roxas 2005, Zygas 2006, McPoil 2008, Tu 2011, Yi 2011).


L’épine calcanéenne qui s’est développée en réaction à une surcharge mécanique des insertions calcanéennes proximales de l’aponévrose plantaire et/ou du muscle court fléchisseur des orteils par exemple suite à un entraînement en course à pied, peut irriter le nerf. Ainsi un cercle vicieux fait de microtraumatismes, d’inflammation, d’oedème et d’irritabilité exacerbée aux niveaux du nerf et de ses tissus tributaires, peut s’installer et aboutir à un syndrome appelé communément fasciite plantaire. L’irritation du nerf provoque une inflammation qui s’accompagne d’une prolifération tissulaire périneurale, qui à son tour le comprime et l’irrite. En l’absence d’épine, le nerf peut être irrité par les fascias musculaires profonds, cela explique l’épine calcanéenne atypique (Labib 2002, Henricson 2003).


Le muscle abducteur de l’hallux s’insère proximalement sur le processus médial de la tubérosité du calcanéus, sur le rétinaculum des fléchisseurs, sur l’aponévrose plantaire et sur le septum intermusculaire qui l’unit au muscle court fléchisseur des orteils. Il recouvre les nerfs et les vaisseaux plantaires à leur arrivée à la plante du pied, il est thérapeutiquement intéressant de libérer ce carrefour tissulaire.


La métatarsalgie est une douleur plantaire, souvent chronique, localisée au niveau du métatarse. Les métatarsalgies sont fréquentes et généralement bénignes surtout chez les sujets pratiquant intensivement un sport ou des activités impliquant la course et le saut. Dans la majorité des cas, la métatarsalgie est provoquée par des microtraumatismes (Mendicino 1997, Morscher 2000, Bencardino 2000, Praet 2003, Ochsner 2004, Lieberman 2010).


La métatarsalgie de Morton est la plus décrite et porte plusieurs noms: la maladie de Morton, le névrome ou pseudo-névrome de Morton, la névralgie du métatarse ou interdigitale, etc. Ce syndrome est dû à une compression du nerf digital plantaire commun en amont de sa division en nerfs cutanés des orteils, dans le canal métatarsien; tunnel ostéofibreux, surtout formé de structures ligamentaires intermétatarsiennes transverses superficielles et profondes et d’expansions tendineuses et fasciales (Larson 2005). Ce syndrome siège habituellement au niveau du troisième espace intermétatarsien où s’anastomosent les nerfs plantaires médial et latéral, ce facteur restreint la liberté du nerf et s’ajoute à la fréquence accrue des troubles statiques à ce niveau. Le nerf est rarement atteint au niveau du deuxième espace et très rarement dans le premier espace, il y semble mieux protégé (Terk 1993, Williams 1997, Zanetti 1997, Zygas 2006, Donovan 2010).


La pathogenèse est analogue à celle de l’épine calcanéenne, la compression prolongée irrite le paquet neurovasculaire, l’œdème intraneural s’installe, la mécanosensibilité des structures neurales augmente et leur viscoélasticité diminue.


Cliniquement, le sujet évoque des douleurs presque intolérables, sous forme de décharges électriques, en coup de poignard à couper le souffle, accompagnées de sueurs froides, localisées dans l’espace intermétatarsien et au niveau des orteils correspondants. Elles sont déclenchées par la marche et le port de chaussures étroitement serrées et disparaissant au déchaussement. Le praticien détecte une hypoesthésie au niveau des faces adjacentes des deux orteils, en «feuillets de livre» et déclenche une douleur au serrement du clavier métatarsien, à l’extension des orteils et/ou à la compression de l’espace intermétatarsien entre pouce et index.


Cloke (2006) propose un test fiable et prédictif de mise en évidence d’une neuropathie interdigitale; le «digital nerve stretch test». Le praticien amène les orteils correspondant à l’espace intermétatarsien douloureux en extension maximale dans l’objectif de reproduire la douleur du sujet. Il peut compléter son test par: la compression de l’espace intermétatarsien et le serrement du clavier métatarsien.


Plus rarement, le sujet peut ressentir une douleur et/ou des paresthésies au niveau de la face médiale de l’hallux, cela est dû à un névrome de Joplin du nerf digital propre de l’hallux, issu du nerf plantaire médial, provoqué par une irritation du nerf au niveau de la première articulation métatarso-phalangienne (Marques 1996, Still 1998).


Le traitement classique est constitué d’anti-inflammatoires, d’infiltrations locales de corticoïdes, du port d’orthèses plantaires ou de semelles de décharge et de kinésithérapie/physiothérapie. Lorsqu’il reste infructueux, la neurectomie par voie dorsale du «névrome» est proposée (Biasca 1999, Esling 2002). Il serait aujourd’hui intéressant d’effectuer une étude randomisée et contrôlée incluant un protocole de traitement neurodynamique chez des sujets souffrant d’une métatarsalgie.

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May 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 2: Introduction à Généralités

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