Chapitre 19 Rétinoblastome
Le rétinoblastome est la tumeur primitive intraoculaire maligne la plus fréquente chez l’enfant, et la deuxième tumeur primitive intraoculaire maligne après le mélanome de l’uvée, tous groupes d’âge confondus (tableau 19-1). La fréquence est estimée à 1 cas pour 14 000 à 20 000 naissances en fonction du pays. On estime les nouveaux cas à environ 250 à 300 par an aux États-Unis. Il y a autant de filles que de garçons atteints et les tumeurs sont bilatérales dans environ 30 à 40 % des cas. Environ 90 % des cas sont diagnostiqués avant l’âge de 3 ans. L’âge moyen au diagnostic dépend des antécédents familiaux et du type d’atteinte, unilatéral ou bilatéral :
• patients avec antécédents familiaux connus : 4 mois ;
• patients avec une atteinte bilatérale : 12 mois ;
Troisième tumeur intraoculaire maligne après le mélanome et les métastases
Incidence 1/14 000 à 1/20 000 naissances
90 % des cas surviennent avant l’âge de 3 ans
Sex ratio équivalent
Atteint de façon équivalente les yeux droits et gauches
Pas de prédilection raciale
60 à 70 % des cas sont unilatéraux (âge moyen au diagnostic, 24 mois)
30 à 40 % des cas sont bilatéraux (âge moyen au diagnostic, 12 mois)
Conseil génétique
Le conseil génétique en matière de rétinoblastome peut être très complexe (fig. 19-1). Un patient atteint de rétinoblastome bilatéral a 45 % de risques d’avoir un enfant atteint, alors qu’un patient traité pour un rétinoblastome unilatéral a un risque de voir sa descendance affectée dans 7 % des cas. Les parents non atteints d’un enfant ayant un rétinoblastome bilatéral ont un risque inférieur à 5 % d’avoir un deuxième enfant atteint. Si deux ou plusieurs enfants de la fratrie sont atteints, le risque qu’un nouvel enfant soit lui aussi atteint est alors de 45 %. Voir aussi le chapitre 11 de ce volume et la Section 6 du BCSC, Pediatric Ophthalmology and Strabismus (Ophtalmologie pédiatrique et strabisme).
Murphree AL. Molecular genetics of retinoblastoma. Ophthalmol Clin North Am. 1995 ; 8 : 155–166.
Évaluation diagnostique
Le diagnostic du rétinoblastome est clinique. Les ponctions à l’aiguille fine ne doivent être réalisées qu’avec extrême précaution et uniquement par un ophtalmologiste spécialisé en oncologie oculaire en raison des risques de dissémination générale de la tumeur. (En cas de forte suspicion de rétinoblastome, les ponctions ne doivent pas être réalisées en raison du haut risque de dissémination orbitaire de la maladie.*)
Examen clinique
Les signes d’appel et les symptômes du rétinoblastome dépendent de la taille et de la localisation de la tumeur. Aux États-Unis, les signes d’appel les plus fréquents sont la leucocorie (reflet pupillaire blanc), le strabisme et une inflammation oculaire (tableau 19-2 ; fig. 19-2). Les autres signes d’appel, tels qu’une hétérochromie irienne, un hyphéma spontané et une inflammation orbitaire, sont peu fréquents. Exceptionnellement, une petite tumeur peut être trouvée lors d’un fond d’œil systématique. La gêne visuelle est rare car la plupart des patients sont en âge préscolaire.
Enfants de moins de 5 ans | Enfants de plus de 5 ans |
---|---|
Leucocorie (60 % environ) Strabisme (20 %) Inflammation oculaire (5 %) Hypopion Hyphéma Hétérochromie irienne Perforation spontanée du globe Exophtalmie Cataracte Glaucome Nystagmus Larmoiement Anisocorie | Leucocorie (35 %) Baisse de l’acuité visuelle Strabisme (15 %) Corps flottants (5 %) Douleurs (5 %) |
Figure 19-2 Rétinoblastome. A. Aspect clinique montrant la leucocorie et le strabisme associés à une tumeur intraoculaire étendue. B. Fort grossissement. Noter la vaste tumeur en arrière du cristallin et le décollement de rétine exsudatif total.
(Remerciements au Dr Timothy G. Murray.)
Le diagnostic de rétinoblastome est généralement évoqué au décours d’un examen ophtalmologique en cabinet avec évaluation de l’acuité visuelle. Un examen sous anesthésie générale est nécessaire pour tous les patients présentant une suspicion de rétinoblastome afin de réaliser une évaluation complète préthérapeutique de l’étendue de la maladie (fig. 19-3). Le tonus oculaire et les diamètres cornéens doivent être mesurés. La localisation de toutes les tumeurs au niveau de chaque œil doit être documentée. Un rétinoblastome débutant est une lésion de couleur blanche ou grise, intrarétinienne, alimentée et drainée par des vaisseaux rétiniens dilatés et tortueux (fig. 19-4). Lorsque la tumeur augmente en taille, des calcifications apparaissent, donnant l’aspect blanc crayeux caractéristique. La tumeur peut être exophytique, se développant sous la rétine et entraînant un décollement de rétine exsudatif (fig. 19-5). Le décollement de rétine peut devenir étendu, masquant la tumeur (fig. 19-6). Les tumeurs endophytiques se développent de la rétine vers le vitré. Les vaisseaux sont parfois difficiles à visualiser dans ces lésions endophytiques. Ces tumeurs ont tendance à essaimer dans le vitré (fig. 19-7). Les cellules tumorales ayant essaimé de la tumeur restent viables dans le vitré et l’espace sous-rétinien, et peuvent entraîner l’apparition de multiples sites tumoraux actifs. L’envahissement tumoral peut atteindre la chambre antérieure, où les cellules tumorales peuvent former des nodules ou se déposer sous forme d’un pseudo-hypopion (fig. 19-8). Un glaucome secondaire et une rubéose irienne surviennent dans environ 50 % de ces cas. Une rare présentation clinique du rétinoblastome est le rétinoblastome infiltrant diffus, dont le diagnostic est plus tardif (> 5 ans), sa forme étant classiquement unilatérale. Le rétinoblastome infiltrant diffus est un piège diagnostique, car la rétine peut être difficile à visualiser au travers du vitré très cellulaire. Cette forme clinique est souvent trompeuse et le diagnostic d’uvéite intermédiaire est souvent posé à tort.
Figure 19-3 Rétinoblastome. Multiples tumeurs dans l’œil d’un patient porteur d’une anomalie constitutionnelle du gène RB1.
(Remerciements au Dr Matthew W. Wilson.)
Figure 19-4 Rétinoblastome, aspect clinique. Petite tumeur blanchâtre alimentée par des vaisseaux rétiniens dilatés.
(Remerciements au Dr Timothy G. Murray.)
Figure 19-5 Rétinoblastome. Noter les vaisseaux rétiniens dilatés, les calcifications (flèche) et la lame de décollement séreux (astérisque).
(Remerciements au Dr Matthew W. Wilson.)
Figure 19-6 Rétinoblastome. Décollement de rétine exsudatif total masquant la tumeur. Noter les vaisseaux rétiniens d’aspect normal par opposition à ceux constatés dans la maladie de Coats.
(Remerciements au Dr Matthew W. Wilson.)
Figure 19-7 Rétinoblastome. Volumineuse tumeur endophytique avec essaimage vitréen massif (flèches).
(Remerciements au Dr Matthew W. Wilson.)
Figure 19-8 Rétinoblastome, aspect clinique. Pseudo-hypopion liés à la présence de cellules tumorales dans la chambre antérieure (masquerade syndrome).
Aux États-Unis, une extension métastatique ou au niveau du système nerveux central est rare au moment du diagnostic initial. Les sites d’extension métastatique du rétinoblastome sont le plus souvent les os du crâne, les os distaux, le cerveau, la moelle épinière, les ganglions lymphatiques et les organes abdominaux. Les cellules du rétinoblastome peuvent s’étendre hors du globe en envahissant le nerf optique jusque dans l’espace sous-arachnoïdien. De plus, les cellules peuvent massivement envahir la choroïde avant de passer par les canaux scléraux, ou envahir la sclère et s’étendre dans l’orbite. Une extension extraoculaire peut entraîner une exophtalmie liée au développement de la tumeur (fig. 19-9). Dans la chambre antérieure, les cellules tumorales peuvent envahir le trabéculum, jusque dans les lymphatiques conjonctivaux. Le patient pourra par la suite présenter des adénopathies prétragiennes ou cervicales.
Diagnostics différentiels
De nombreuses lésions peuvent simuler le rétinoblastome (tableau 19-3). La plupart de ces pathologies peuvent être différenciées du rétinoblastome par l’anamnèse, l’examen clinique et des examens complémentaires appropriés.
* Modifié d’après Howard GM, Ellsworth RM. Differential diagnosis of retinoblastoma. Am J Ophthalmol. 1965 ; 60 : 610–618.
† D’après Shields JA, Stephens RT, Sarin LK. The differential diagnosis of retinoblastoma. In Harley RD, ed. Pediatric ophthalmology. 2nd ed. Philadelphia : Saunders ; 1983 : 114.