Chapitre 19 Oreille interne
Les processus pathologiques susceptibles d’affecter l’oreille interne sont très nombreux, ils peuvent être de nature infectieuse, tumorale, inflammatoire ou traumatique.
Le tableau clinique est dominé par la surdité de perception et les signes d’atteinte vestibulaire. Le bilan clinique et fonctionnel doit s’attacher à reconnaître le caractère labyrinthique du processus, en différenciant en particulier les surdités endocochléaires des surdités de perception rétrocochléaires qui traduisent une altération de la fonction auditive en aval du labyrinthe membraneux.
Le bilan radiologique repose sur le scanner à la recherche d’anomalies du labyrinthe osseux et surtout l’IRM qui devra mettre en évidence une prise de contraste, un processus expansif ou une modification du signal des liquides labyrinthiques.
Modes de présentation clinique
Les affections de l’oreille interne se traduisent par des symptômes labyrinthiques : surdité, acouphènes, et vertiges. Leur mode d’installation (brusque ou progressif) et leur évolution (régressive, fluctuante ou chronique) sont très variables. Ces symptômes justifient la réalisation d’un bilan fonctionnel précis (audiométrie, potentiels évoqués auditifs…) afin d’éliminer une pathologie de nature fonctionnelle (hydrops, cupulolithiase, etc.) et de dépister les affections organiques endolabyrinthiques.
La surdité domine en général le tableau ; l’atteinte de l’oreille interne est responsable de la surdité de perception (mixte s’il s’agit de la labyrinthisation d’un processus de la cavité tympanique). Les potentiels évoqués auditifs permettent de distinguer les atteintes endocochléaires des atteintes rétrocochléaires ou des atteintes du tronc cérébral (tableau19-1).
Tableau 19-1 Étiologies des surdités de perception.
Endocochléaires | Surdité brusque | Hémorragie intralabyrinthique (fig. 19-1)Autres (tableau 19-2) |
Inflammatoires subaiguës | Labyrinthite membraneuse (fig. 19-2) | |
Inflammatoires chroniques | Labyrinthite ossifiante (fig. 19-3 et 19-4) | |
Surdité fluctuante | Hydrops labyrinthique et maladie de Ménière (association à des vertiges) | |
Traumatismes | Acoustique (surdité professionnelle)Fracture du rocherFistule labyrinthique (fig. 19-5) | |
Surdité toxique | Aminosides +++ et autres | |
Malformations | Déhiscence d’un canal semicirculaireAplasie du labyrintheAplasie cochléaireDéformation en cavité communeMalformation cochléovestibulaire kystiqueMalformation du sac endolymphatique | |
Otospongiose | Cochléaire ou cochléovestibulaire (fig.19-9) | |
Tumeurs | Schwannome intralabyrinthique [5] (fig. 19-6 et 19-7)Tumeur du sac endolymphatique (fig.19-8)Tumeur de voisinage | |
Rétrocochléaires | Schwannome de l’acoustique | |
Tumeurs des angles pontocérébelleux | MéningiomeGliomeLymphomeMétastase |

Fig. 19-1 Hémorragie intralabyrinthique droite.
Surdité brusque chez un homme de 55 ans présentant une surdité unilatérale droite. IRM en T2 (a et d), T1 (b et e), et T1 gadolinium (c et f). Présence d’un hypersignal spontané en T1 (b, e, flèches blanches), en T1 non rehaussé par le produit de contraste (c, f, flèches blanches) avec une persistance du signal intralabyrinthique normal en T2 (a, b, flèches blanches).

Fig. 19-2 Labyrinthite membraneuse.
Patiente de 30 ans présentant des acouphènes avec surdité et vertiges au cours d’une méningite à méningocoque de type B. L’IRM en séquence T2 (a, d, flèches blanches) est normale ; normale en T1 (b, e, flèche et têtes de flèche blanches). En T1 après injection de produit de contraste, il existe un rehaussement franc de la cochlée (c, f, flèche et têtes de flèche blanches), en rapport avec une labyrinthite antérieure.

Fig. 19-3 Labyrinthite ossifiante cochléovestibulaire méningogène.
Patiente de 25 ans aux antécédents de méningite. Cophose de l’oreille droite avec aréflexie vestibulaire droite. TDM en reconstructions axiales (a/b, c/d) et coronales (e/f) montrant une ossification du labyrinthe membraneux antérieur droit (cochlée ; a, e ; flèche) normal à gauche (b, f, flèche) ; et une ossification du labyrinthe membraneux postérieur droit (canal semicirculaire latéral et vestibule, c, flèche blanche).

Fig. 19-4 Labyrinthite ossifiante focale tympanogène.
Patient de 21 ans aux antécédents de traitement chirurgical d’un cholestéatome mésotympanique droit. TDM (a, flèche blanche ; d, têtes de flèche noires) montrant une ossification du labyrinthe membraneux au niveau du canal semicirculaire latéral (CSL). L’IRM en T2 (b, e, flèche et têtes de flèche blanches) retrouve une amputation du signal au niveau du CSL, sans prise de contraste en T1 après injection de produit de contraste (c, f, flèche et têtes de flèche blanches).

Fig. 19-5 Fistule labyrinthique traumatique.
Patient de 24 ans présentant une surdité brusque avec vertiges au décours d’un accident de la voie publique. TDM des rochers, reconstruction sagittale oblique du rocher droit (a et d) : présence d’un pneumolabyrinthe minime au sein du canal semicirculaire postérieur (flèches noires). L’IRM en T1 sans contraste (b et e) retrouve une hémorragie labyrinthique punctiforme en hypersignal T1 du tour basal de la cochlée (flèche blanche) ; le 3D T2 reconstruit en volume (c) est normal. À noter sur la TDM cérébrale (f) un hématome cérébral frontal droit (flèches).

Fig. 19-6 Schwannome intravestibulaire.
Surdité de perception chez une patiente de 28 ans. IRM en séquence T2 3D CISS (a et d) et T1 3D EG avant (b et e) et après injection de gadolinium (c et f) : lésion intravestibulaire droite (flèche blanche) de quelques millimètres en hyposignal T2 CISS (a et d) intravestibulaire droit, prenant le contraste en T1 (c et f).

Fig. 19-7 Schwannome cochléovestibulaire.
Patiente de 23 ans cophotique de l’oreille droite présentant une aréflexie vestibulaire droite. IRM réalisée en T2 CISS (a et d), T1 TSE (b, e), T1 EG gadolinium (c et f). Présence d’une formation tissulaire (flèches blanches) de l’oreille interne droite en hyposignal T2 CISS (a), hyposignal T1 (b) rehaussée par le contraste (c). Cette formation tissulaire (d, e, f, flèches blanches) occupe la totalité du labyrinthe antérieur (cochlée) et la portion vestibulaire du labyrinthe postérieur.

Fig. 19-8 Tumeur du sac endolymphatique gauche.
Patient présentant une surdité de perception associée à des acouphènes pulsatiles. TDM en contraste spontané, reconstruction axiale (a) ; IRM en séquence pondérée T2 (b), en T1 en contraste spontané (c) et T1 après injection de gadolinium (d). Lésion (flèches blanches) érosive (a) de la partie postéro-inférieure du rocher, très finement spiculée. En IRM, cette lésion est de signal très élevé en T2 (b), hétérogène en T1 (c). Son signal est hétérogène en T1 après injection (d), très rehaussé, témoignant de son caractère très vascularisé, elle est le siège de « flow voids ».

Fig. 19-9 Otospongiose cochléaire.
Patiente de 40 ans aux antécédents familiaux d’otospongiose présentant une surdité mixte d’évolution lentement progressive. TDM du rocher droit, reconstructions axiales (a, b, c et d) : lésions hypodenses (flèches) de la fissula ante fenestram et de la capsule otique péricochléaire en rapport avec une otospongiose péricochléaire de type IVb.
Parmi les surdités de perception, les surdités brusques sont une entité particulière qui peut être le mode de révélation d’une lésion ou d’un dysfonctionnement de l’oreille interne. Les surdités brusques ne sont pas spécifiques elles peuvent être de endocochléaires ou rétrocochléaires. La surdité brusque est en effet une surdité de perception soudaine (< 30 dB) d’origine indéterminée. Le diagnostic positif est confirmé par les tests audiovestibulaires.
Les causes et les mécanismes physiopathologiques décrits sont nombreux (tableau19-2). L’hydrops labyrinthique (maladie de Ménière) est l’étiologie la plus fréquente. Il ne s’agit cependant que d’un diagnostic d’élimination, lorsque les causes, organiques ont été écartées. Le bilan en imagerie est normal. Toutefois un élargissement des espaces endolymphatiques serait visible à 3 Tesla [1].
Tableau 19-2 Étiologies des surdités brusques.
Infectieuses | Virales | HSV, rougeole, oreillons, rubéole, CMV, VZV, EBV |
Bactériennes | Mycoplasma pneumoniae [6], syphilis, maladie de Lyme | |
Parasitaires | Toxoplasmose | |
Traumatiques | Fracture du rocher, accident barotraumatique, fistule périlymphatique, iatrogène (chirurgie, ponction lombaire) | |
Vasculaires | Accident aux anticoagulants, maladie de Berger, drépanocytose, insuffisance vertébrobasilaire, shunt cardiopulmonaire, myélome, leucémie | |
Auto-immunes | Pan-artérite noueuse, syndrome de Cogan, lupus érythémateux disséminé, polyarthrite rhumatoïde, granulomatose de Wegener, polychondrite atrophiante, artérite temporale, dermatomyosite, sclérodermie | |
Hydrops labyrinthique | Maladie de Ménière | |
Métaboliques | Insuffisance rénale, diabète, hypothyroïdie | |
Ototoxiques | Aminoglycosides, diurétiques de l’anse, salicylés, AINS, vancomycine, érythromycine, azithromycine, contraceptifs oraux, quinine, cisplatine | |
Tumorales | Bénignes (schwannome cochléaire ou vestibulaire [7, 8]) ou malignes (sarcome, carcinose leptoméningée), paranéoplasique |
Parmi les multiples diagnostics différentiels, on retiendra les labyrinthites virales aiguës (un quart des patients a présenté un épisode viral dans le mois précédant la surdité brusque) [2], les atteintes ischémiques, les fistules labyrinthiques, les pathologies auto-immunes, les traumatismes, les causes métaboliques et toxiques [3]. Une tumeur de l’angle pontocérébelleux doit être recherchée systématiquement en cas de surdité brusque rétrocochléaire.
En imagerie, l’IRM est l’examen clé car elle permet d’étudier à la fois le labyrinthe membraneux, le méat acoustique interne et l’angle pontocérébelleux [4]. L’étude en IRM des surdités brusques doit être systématique, surtout en cas de présentation atypique et d’association symptomatique inhabituelle (vertiges, cervicalgies ou céphalées).
Le protocole d’IRM est à adapter en fonction du tableau clinique mais comprendra de manière systématique des séquences classiques en T1 avant et après injection de gadolinium et T2 centrées sur les rochers, des séquences pondérées T2 en haute résolution sur le labyrinthe et l’angle pontocérébelleux et une exploration systématique de la totalité de l’encéphale (cf. chapitre 16).
Imagerie des lésions de l’oreille interne
Il existe de nombreuses anomalies pouvant atteindre le labyrinthe osseux et membraneux. Il peut s’agir d’atteintes isolées ou au contraire d’une affection générale ou de voisinage atteignant le labyrinthe ou retentissant sur lui. Le contexte clinique est donc extrêmement variable et la conduite à tenir diagnostique et thérapeutique doit s’adapter en fonction de celui-ci.
Le bilan par imagerie est indispensable. Il doit être réalisé en connaissance de la symptomatologie, des données de l’examen clinique et des explorations fonctionnelles audiovestibulométriques et éventuellement des PEA.
Le scanner permet l’étude du labyrinthe osseux et de la capsule labyrinthique. Il est nécessaire en cas de suspicion de dystrophie osseuse (otospongiose cochléaire), de malformation ou de suspicion d’ossification labyrinthique. L’injection de produit de contraste n’a pas d’intérêt.
L’IRM est pratiquement toujours indispensable. Elle doit associer des séquences spin écho classiques T1 et T2. L’injection de sels de gadolinium est nécessaire à la mise en évidence d’anomalies intralabyrinthiques tissulaires ou inflammatoires. Les séquences inframillimétriques pondérées en T2 en très haute résolution sont impératives pour analyser les liquides endolabyrinthiques.
Hémolabyrinthe
L’hémorragie intralabyrinthique est responsable d’un tableau très aigu associant surdité brusque et vertiges. Il peut s’agir d’une hémorragie sans cause particulière ou, plus souvent, s’inscrivant dans le contexte d’une anomalie locale (tumeur, infection, traumatisme…) ou générale (hémopathie, troubles de la coagulation, HTA, etc.) dont elle est parfois le mode de révélation. Elle peut être favorisée par les épisodes de la vie génitale (grossesse).
L’hémorragie affecte plus fréquemment les espaces périlymphatiques que les espaces endolymphatiques.
En dehors d’anomalies associées ou causales, le scanner est normal (la résolution spatiale ne permet pas d’analyser la densité du contenu du labyrinthe). L’IRM retrouve un hypersignal spontané T1 du labyrinthe membraneux [9] (fig. 19-1). Les séquences en pondération 3D FLAIR à 3 Tesla seraient plus sensibles que les séquences T1 [10,11,12].

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