Chapitre 19 Le trouble bipolaire (trouble maniaco-dépressif), abattement et manie (Dian Kuang)
LE TROUBLE BIPOLAIRE EN MÉDECINE OCCIDENTALE
LE TROUBLE BIPOLAIRE EN MÉDECINE CHINOISE
PATHOLOGIE ET PRINCIPES DE TRAITEMENT DE DIAN KUANG
IDENTIFICATION ET TRAITEMENT DES TABLEAUX PATHOLOGIQUES
PUBLICATIONS CHINOISES CONTEMPORAINES
Le trouble bipolaire (trouble maniaco-dépressif)
• Le trouble bipolaire en médecine occidentale
• Le trouble bipolaire en médecine chinoise
• Pathologie et principes de traitement de Dian Kuang
• Identification et traitement des tableaux pathologiques
• Publications chinoises contemporaines
Le trouble bipolaire en médecine occidentale
Plus de 2 millions d’Américains adultes, soit environ 1% de la population de plus de 18 ans souffrent chaque année de troubles bipolaires1. Cette pathologie apparaît généralement à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte.
Symptômes du trouble bipolaire
Les signes et symptômes de la phase ou épisode maniaque comprennent :
• une humeur élevée et expansive (parfois avec paranoïa et irritabilité) ;
• une énergie, une activité et une nervosité accrues ;
• une humeur « élevée » particulièrement euphorique ;
• une fuite des pensées et un discours très rapide, passant du coq à l’âne ;
• de la distraction et une incapacité à se concentrer ;
• un besoin de sommeil très faible ;
• un discours rapide, nerveux et inopportun ;
• une pensée rapide qui passe brusquement d’un sujet à un autre ;
• des croyances irréalistes en ses propres capacités et pouvoirs ;
• des schémas de relations personnelles et professionnelles chaotiques ;
• un engagement impulsif dans des projets contestables ;
• une conduite automobile débridée avec prise de risques excessive ;
• la conviction inébranlable de la justesse et de l’importance de ses idées ;
• une mauvaise capacité de jugement ;
• des accès de dépenses excessives ;
• une période durable d’un comportement inhabituel ;
• des liaisons amoureuses ou sexuelles intenses et impulsives ;
• un abus d’intoxicants, surtout de cocaïne, d’alcool et de somnifères ;
• un comportement provocant, déplacé ou agressif ;
• le déni de tout ce qui peut être mal ;
• dans sa forme extrême, une agitation violente, une conduite bizarre, des idées délirantes, des hallucinations visuelles et auditives.
Symptômes de l’épisode maniaque
Humeur élevée et expansive (parfois avec paranoïa et irritabilité)
Énergie, activité et nervosité accrues
Humeur « élevée » particulièrement euphorique
Fuite des pensées et discours très rapide, passant du coq à l’âne
Distraction et incapacité à se concentrer
Besoin de sommeil très faible,
Discours rapide, nerveux et inopportun
Pensée rapide qui passe brusquement d’un sujet à un autre
Croyances irréalistes en ses propres capacités et pouvoirs
Schémas de relations personnelles et professionnelles chaotiques
Engagement impulsif dans des projets contestables
Conduite automobile débridée avec prise de risques excessive
Conviction inébranlable de la justesse et de l’importance de ses idées
Période durable d’un comportement inhabituel
Liaisons amoureuses ou sexuelles intenses et impulsives
Abus d’intoxicants, surtout de cocaïne, d’alcool et de somnifères
Comportement provocant, déplacé ou agressif
Déni de tout ce qui peut être mal
Dans sa forme extrême, agitation violente, conduite bizarre, idées délirantes, hallucinations visuelles et auditives
Les signes et symptômes de la phase dépressive ou épisode dépressif comprennent :
• de l’apathie, de la léthargie ;
• une humeur triste, anxieuse ou amorphe ;
• un ralentissement physique ;
• un sentiment de désespoir ou du pessimisme ;
• un sentiment de culpabilité, d’inutilité, ou d’impuissance ;
• une perte d’intérêt ou de plaisir dans des activités autrefois trouvées plaisantes, y compris dans les relations sexuelles ;
• une baisse de l’énergie, une sensation de grande fatigue ou de « ralentissement » ;
• des difficultés de concentration, de mémoire et de prise de décisions ;
• de l’agitation et de l’irritabilité ;
• un sommeil excessif ou de l’insomnie ;
• des modifications de l’appétit et/ou du poids ;
• des douleurs chroniques ou autres symptômes physiques persistants non provoqués par une maladie ou une blessure physique ;
• des pensées de mort ou de suicide, ou des tentatives de suicide.
Symptômes de l’épisode dépressif du trouble bipolaire
Humeur triste, anxieuse ou amorphe
Sentiment de désespoir ou du pessimisme
Sentiment de culpabilité, d’inutilité, ou d’impuissance
Perte d’intérêt ou de plaisir dans des activités autrefois trouvées plaisantes, y compris dans les relations sexuelles
Baisse de l’énergie, sensation de grande fatigue ou de « ralentissement »
Difficultés de concentration, de mémoire et de prise de décisions
Modifications de l’appétit et/ou du poids,
Douleurs chroniques ou autres symptômes physiques persistants non provoqués par une maladie ou une blessure physique,
Un état maniaque léger à modéré se nomme hypomanie. L’hypomanie peut rendre la personne qui l’expérimente heureuse et peut même être associée à un meilleur fonctionnement et une productivité accrue. Aussi, même lorsque la famille et les amis apprennent à reconnaître les changements d’humeurs comme trouble bipolaire potentiel, la personne va nier que quelque chose ne va pas. Toutefois, sans traitement approprié, l’hypomanie peut se transformer en état maniaque ou en dépression profonde.
Redfield Jamison donne les six critères suivants pour poser le diagnostic d’épisode maniaque :
A. Période nettement délimitée où l’humeur est anormalement et constamment élevée, expansive ou irritable.
B. Présenter au moins trois des symptômes suivants :
C. Perturbation (grave) de l’humeur.
D. Absence d’idées délirantes ou d’hallucinations.
E. Trouble qui ne se superpose pas à une schizophrénie, un trouble paranoïaque ou un trouble psychotique.
A + B + C constituent un syndrome maniaque, alors que A + B correspond à l’hypomanie2.
Il peut être utile de considérer les différentes humeurs du trouble bipolaire comme un spectre ou un continuum. À une extrémité, dans la phase dépressive, on trouve la dépression grave, puis une dépression modérée, puis un état légèrement dépressif appelé « dysthymie » lorsqu’il est chronique. Dans la phase maniaque, on trouve une humeur normale et équilibrée, puis l’hypomanie (état maniaque de léger à modéré), puis le trouble maniaque grave (Fig. 19.1).
Figure 19.1 Registre des perturbations mentales allant du trouble maniaque grave à la dépression grave.
Redfield Jamison donne les six critères suivants pour poser le diagnostic de cyclothymie :
A. Des épisodes hypomaniaques répétés sur une période de 2 ans et de nombreuses périodes de dépression n’atteignant pas les critères du syndrome dépressif majeur.
B. Ne pas être resté plus de 2 ans sans au moins un épisode hypomaniaque ou dépressif en l’espace de 2 mois.
C. Ne pas avoir connu d’épisode dépressif ou maniaque majeur.
D. Trouble qui ne se superpose pas à un trouble psychotique.
Diagnostic du trouble bipolaire
Un diagnostic de trouble bipolaire s’établit sur la base des symptômes, du déroulement de la maladie et, lorsque cela est possible, des antécédents familiaux. Les critères de diagnostic du trouble bipolaire sont répertoriés dans la 4e édition du Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorders (DSM-IV)4.
« Les idées rapides deviennent trop rapides et sont bien trop nombreuses, … une confusion débordante remplace la clarté d’esprit, … on n’arrive plus à suivre, la mémoire fait défaut. La bonne humeur contagieuse cesse d’amuser. Vos amis commencent à avoir peur, … maintenant, tout va de travers, … vous devenez irritable, furieux, effrayé, incontrôlable et piégé »5.
Redfield Jamison décrit une crise maniaque comme suit :
« Au début, tout semble tellement facile. Je cours dans tous les sens comme un vaisseau ivre, fourmillant de projets et d’enthousiasme, m’impliquant dans le sport, restant debout toute la nuit, nuit après nuit, sortant avec des amis, lisant tout ce qu’il est possible de trouver, remplissant des pages de poèmes et de morceaux de pièces de théâtre, construisant des plans complètement irréalistes pour le futur »6.
Voici maintenant la description d’une phase dépressive :
« J’ai maintenant l’impression d’atteindre le fond de ma vie et de mon esprit. Ma pensée, loin d’être plus claire que le cristal, est tortueuse. Je peux lire et relire le même passage pour découvrir que je n’ai aucune mémoire de ce que je viens tout juste de lire. Chaque livre ou chaque poème que je lis reviens à la même chose, quelque chose d’incompréhensible qui n’a aucun sens »7.
Évolution du trouble bipolaire
La forme classique de la maladie, qui implique des épisodes récurrents de manie et de dépression, s’appelle trouble bipolaire de type I. Certaines personnes, ne développent toutefois jamais de manie grave mais ne présentent que des épisodes plus légers d’hypomanie qui alternent avec la dépression ; cette forme de maladie est appelée trouble bipolaire de type II. Lorsqu’on constate quatre épisodes ou plus de la maladie sur une période de 12 mois, on considère que la personne souffre d’un trouble bipolaire à cycle rapide. Certaines personnes peuvent connaître plusieurs épisodes en une seule semaine, voire en un seul jour. On rencontre plutôt les cycles rapides de la maladie relativement tard dans l’évolution de la maladie et plus fréquemment chez les femmes que chez les hommes.
Traitement du trouble bipolaire
Médication
• Lithium : c’est le premier médicament pour stabiliser l’humeur qui a été approuvé aux États-Unis par le FDA (Food and Drug Administration) pour traiter le trouble maniaque, et il est souvent très efficace pour contrôler celui-ci et éviter les rechutes à la fois d’épisodes maniaques et d’épisodes dépressifs.
• Les médicaments antiépileptiques comme le valproate (Depakote) ou la carbamazépine (Tegretol) peuvent aussi avoir un effet de stabilisation de l’humeur et peuvent se révéler particulièrement efficaces pour soigner des épisodes bipolaires récalcitrants.
• On étudie actuellement les antiépileptiques de nouvelle génération, comme la lamotrigine (Lamictal), la gabapentine (Neurontine) et le topiramate (Topamax) pour évaluer leur efficacité dans la stabilisation des cycles thymiques.
Généralement, les enfants et les adolescents qui souffrent de troubles bipolaires sont traités au lithium, mais on leur prescrit aussi parfois du valproate et de la carbamazépine. On a découvert que le valproate pouvait entraîner des modifications hormonales indésirables chez de jeunes adolescentes et un syndrome d’ovaire polykystique chez des femmes ayant commencé à prendre ce médicament avant l’âge de 20 ans8. C’est pourquoi les jeunes femmes qui prennent du valproate doivent être suivies de près par leur médecin.
Thérapie psychologique et sociothérapie
Un psychologue ou un travailleur social peut mener à bien ces thérapies, et ces personnes travaillent souvent avec les psychiatres pour surveiller les progrès du patient. Le nombre, la fréquence et le type de séances doivent être déterminés en fonction de besoin de chaque patient. La sociothérapie est souvent utilisée en cas de troubles bipolaires sous la forme de thérapie comportementale et cognitive, de psycho-éducation, de thérapie familiale et de thérapie interpersonnelle des rythmes sociaux, qui est une technique nouvelle.
• La thérapie comportementale et cognitive aide les patients qui souffrent d’un trouble bipolaire à apprendre à changer les schémas de pensée et les comportements inadéquats ou négatifs associés à leur maladie.
• La psycho-éducation consiste à apprendre aux patients qui souffrent d’un trouble bipolaire à mieux connaître leur maladie et ses traitements, et à reconnaître les signes de rechute possible suffisamment tôt pour pouvoir les traiter avant qu’un nouvel épisode de la maladie ne se déclare. La psycho-éducation peut aussi être utile à l’entourage familial.
• La thérapie familiale utilise des stratégies destinées à réduire le niveau de détresse de la famille qui peut soit provoquer les symptômes de la personne malade, soit en résulter.
• La thérapie interpersonnelle des rythmes sociaux aide les patients qui souffrent d’un trouble bipolaire à améliorer leurs relations sociales et à réguler leur routine quotidienne. Une routine quotidienne et un sommeil régulier peuvent aider à réduire les épisodes maniaques.
Historique
Arétée, né en Capadoce (2e siècle) a certainement été le premier médecin à établir un lien entre la mélancolie et l’état maniaque : « La mélancolie est sans aucun doute le début et même fait partie du trouble qu’on appelle manie »9.
Alexandre de Tralles (vers 57), disait : « La manie n’est rien d’autre qu’une mélancolie sous une forme plus intense »10.
Jason Pratensis (16e siècle) dit : La plupart des médecins associent la mélancolie et la manie et en font une seule maladie »11.
Le Dr Thomas Willis (17e siècle) dit :
Dans la mélancolie, … l’esprit est sombre et terne, il projette son ombre sur les images des choses et forme une sorte de vague noire ; dans la manie, au contraire, l’esprit en perpétuelle fermentation est emporté par un mouvement irrégulier qui se répète constamment, un mouvement qui épuise et consume et, même sans fièvre, produit de la chaleur. Entre la manie et la mélancolie, le lien est évident ; pas le lien concernant les symptômes expérimentés mais le lien plus puissant et bien plus évident avec les images de l’imaginaire qui réunit le même feu ; tous deux fument et s’enflamment12.
Il y a deux formes de Folie, … celle qui se manifeste par de l’audace et de la violence, l’autre par de la tristesse et de la peur, l’une est appelée manie, l’autre mélancolie. Mais elles ne diffèrent généralement que par leur degré, car la mélancolie se change très souvent tôt ou tard en folie maniaque et lorsque la violence s’apaise, la tristesse revient généralement encore plus forte qu’avant13.
Jean-Pierre Falret et Jules Baillarger (au milieu du 19e siècle) ont officiellement émis l’hypothèse que la manie et la dépression pouvait représenter des manifestions différentes de la même maladie14.
Le trouble bipolaire en médecine chinoise
Les idéogrammes chinois de Dian Kuang sont .
• Zhen traduit l’idéal taoïste du « gentilhomme ».
• Ye représente le sommet de la tête par lequel l’âme de ce « gentilhomme » sort.
• Bing est le caractère traduisant la « maladie ». Ce caractère e la « maladie » nous montre qu’il s’agit d’un état pathologique, c’est-à-dire que l’âme s’échappe par le sommet de la tête.
Le caractère Kuang traduit la divagation d’un chien fou.
Dian traduit un état dépressif, l’indifférence, le repli sur soi, l’inquiétude, l’absence de réactions, le discours incohérent, les rires déplacés et le côté taciturne de la personne. Kuang traduit l’agitation, les cris, les invectives et les coups portés aux autres, l’irritabilité, le comportement agressif, le discours offensant, les rires déplacés, les chants déplacés, le fait de grimper sur des endroits en hauteur, le comportement violent, le fait de briser des objets, la force exceptionnelle et le refus de sommeil et de nourriture.
Évolution historique de Dian Kuang dans la médecine chinoise
La première mention du terme de Kuang (manie) se trouve dans un texte non médical. Les Rites de Zhou (1100 AEC) disent : « Certaines personnes se conduisent étrangement, de façon maniaque [Kuang], on appelle cette maladie la Manie [Kuang] »15.
On trouve mention des pathologies de Dian et de Kuang dès le Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune. Le chapitre 74 des Questions simples dit : « Le syndrome du délire irritable [Kuang] est dû au Feu »16. On lit, au chapitre 46 des Questions simples : « Le délire irritable est dû à un [excès] de Yang … et se traite grâce à la préparation Sheng Tie Luo Yin »17.
L’Axe spirituel, au chapitre 22, dit :
Lorsque c’est Dian qui apparaît en premier, il y a un manque de joie, une tête lourde et douloureuse, des yeux rouges, des yeux qui regardent vers le haut. Lorsque c’est Kuang qui apparaît en premier, il y a peu de sommeil, pas de faim, la glorification du moi comme si on était la personne la plus savante, des cris envers les autres, pas de repos, ni le jour ni la nuit18.
Le chapitre 59 du Classique des difficultés fait la différence entre Dian et Kuang :
Kuang démarre brusquement, la personne ne peut rester couchée ou manger, elle a une très haute opinion d’elle-même, elle pense qu’elle est sage et vient d’une famille noble, elle est arrogante, rit et chante de façon inappropriée, elle est agitée et ne peut s’arrêter. Dans Dian, la personne est malheureuse, elle reste couchée et regarde dans le vide, droit devant elle19.
Au chapitre 20, le Classique des difficultés dit : « Un Excès de Yin provoque Dian, un Excès de Yang provoque Kuang »20.
Les Prescriptions essentielles du Coffret d’Or (220) disent :
Des pleurs excessifs agitent l’Âme Éthérée et l’Âme Corporelle. Le Sang et le Qi sont épuisés, lorsque ceux-ci sont épuisés, le Cœur est affecté. Le Qi du Cœur devient déficient, le patient devient craintif, les yeux se ferment et la personne veut dormir, il y a des rêves en excès qui dispersent l’Esprit et agitent l’Âme Éthérée et l’Âme Corporelle. S’il y a vide de Yin, la Dépression [Dian] surgit, s’il y a vide de Yang, la manie [Kuang] surgit21.
Sun Si Miao décrit Dian Kuang dans les Préparations importantes qui valent mille pièces d’or (652) :
Dans l’Abattement et la Manie [Dian Kuang], le patient peut être silencieux et n’émettre aucun son, parler de façon incessante, chanter et crier, psalmodier ou rire, dormir assis dans des fossés, manger ses propres excréments, se mettre entièrement nu, marcher en dormant, être en colère et crier ; ce sont des symptômes de l’Abattement et la Manie [Dian Kuang]. Il faut les traiter avec l’acupuncture et les plantes22.
Un texte de la dynastie des Yuan explique l’apparition de Kuang par un excès de Feu et un manque de communication entre le Cœur et le Rein : « L’Eau du Rein contrôle la Volonté [Zhi] et elle s’oppose au Feu ; lorsque le Feu du Cœur est exubérant, l’Eau du Rein est asséchée par la perte de Volonté et l’apparition de la Manie [Kuang] »23. On y lit aussi : « Lorsqu’il y a de la Chaleur dans le Cœur, le patient rit et souffre de Dian ; lorsqu’il y a de la Chaleur dans le Foie, le patient est en colère et souffre de Kuang »24.
Les Méthodes essentielles de Dan Xi (Dan Xi Xin Fa, 1347) disent : « Dian relève du Yin et Kuang du Yang ; … dans tous les cas il y a une stagnation de Glaires dans l’espace compris entre le Cœur et la poitrine »25.
Zhu Dan Xi a été le premier médecin à faire le lien entre la pathogenèse de Dian Kuang et les Glaires. Dans un autre extrait, il établit clairement la relation entre l’apparition du trouble maniaco-dépressif et la stagnation, les Glaires et le Feu. « Le Feu des cinq esprits [c’est-à-dire l’Esprit, l’Âme Éthérée, l’Âme Corporelle, l’Intellect et la Volonté] vient de l’agitation des sept émotions et de la stagnation qui a engendré des Glaires »26.
La Manie [Kuang] est une pathologie de type Plénitude due aux Glaires et au Feu ; l’Abattement [Dian] est dû au vide du Cœur. Pour traiter la Manie, il faut rétablir le mouvement vers le bas ; pour traiter l’Abattement, il faut calmer l’Esprit et nourrir le Sang ; dans les deux cas, il faut éliminer les Glaires-Feu27.
Dans les textes anciens, la différenciation entre Dian Kuang et l’épilepsie n’est pas toujours claire. Wang Ken Dang, de la dynastie de Ming, a été le premier à distinguer clairement Dian Kuang et l’épilepsie.
Le livre complet de Jing Yue (Jing Yue Quan Shu, 1624) dit : « Dans Kuang, le patient est toujours actif et en colère ; dans Dian, le patient est calme et replié sur lui-même, comme si il était absent »28.
Pour ce qui est du traitement, Zhang Jing Yue conseille de commencer par drainer le Feu comme méthode principale puis, secondairement, de dissoudre les Glaires et de faire circuler le Qi29.
Wang Qing Ren, dans Corrections des erreurs des cercles médicaux (Yi Lin Gai Cuo) explique la pathologie de Dian Kuang par les stases de Sang : Dans Dian Kuang, le patient pleure, rit, crie, jure, chante. Cela vient d’une stagnation de Qi et de Sang dans le Cerveau et d’une stagnation dans les Organes Internes30.
Ressemblances et différences entre le trouble bipolaire et Dian Kuang
En outre, dans leur présentation du trouble bipolaire, certains ouvrages actuels assimilent tout simplement les tableaux pathologiques de la Dépression (Yu Zheng) et ceux de Kuang pour finir par les différencier au niveau du traitement31. Personnellement, je ne vois pas où cela peut mener.
Il est bon de mentionner que dans les textes chinois anciens, l’épilepsie (qui a pour nom Dian Xian, dans lequel « dian » est le même caractère que dans Dian Kuang) a été classée à tort dans les maladies mentales. Un seul médecin chinois moderne maintient néanmoins que dans le chapitre 22 de L’Axe spirituel, le mot Dian renvoie à l’épilepsie et non à Dian Kuang32.
En vérité, la description des symptômes de Dian telle qu’on la trouve dans le chapitre 22 de L’Axe spirituel (intitulé Dian Kuang) ressemble plus à ceux de l’épilepsie qu’à ceux de la maladie mentale appelée Dian.
Au début de Dian, le patient est malheureux, il se sent lourd et a mal à la tête, et il a les yeux qui regardent vers le haut. … Plus tard, le patient a la bouche qui se tord convulsivement, il crie, il est essoufflé et a des palpitations … puis son corps entier se raidit et se courbe en arrière et il a mal à la colonne vertébrale33.
Plus loin, ce chapitre semble confirmer qu’il traite des tremblements car il distingue trois formes de Dian, à savoir le Dian des os, le Dian des tendons et le Dian des vaisseaux sanguins. Le Dr Zhang dit alors que, par contre, le terme de Kuang utilisé au chapitre 22 de L’Axe spirituel inclut à la fois les pathologies de Dian et de Kuang.
Un seul médecin chinois moderne maintient que dans le chapitre 22 de L’Axe spirituel, le mot Dian renvoie à l’épilepsie et non à Dian Kuang.
Pour compliquer encore plus les choses, la catégorie médicale de Dian Kuang peut même parfois correspondre à certains cas de schizophrénie de la médecine occidentale. En fait, dans un essai clinique chinois actuel, sur 30 patients souffrant de Dian Kuang, on avait posé le diagnostic de schizophrénie pour 16 d’entre eux34. L’ouvrage moderne Médecine chinoise interne confirme cette possibilité car, dans le chapitre qu’il consacre à Dian, il mentionne le traitement de quatre cas de schizophrénie35.
Les personnes qui souffrent de schizophrénie entendent parfois des « voix » ou croient que les autres lisent dans leurs pensées, contrôlent celles-ci, ou complotent pour leur nuire. Ces expériences sont terrifiantes et peuvent provoquer de la peur, un repli sur soi ou une agitation extrême. Les personnes qui souffrent de schizophrénie ne savent pas toujours ce qu’elles disent, elles peuvent rester assises pendant des heures sans bouger ou sans parler et peuvent sembler tout à fait normales jusqu’à ce qu’elles commencent à dire ce qu’elles pensent vraiment. Comme on peut le voir, certaines de ces manifestations peuvent ressembler à celles de Dian, comme la peur, le repli sur soi, le fait de rester assis des heures sans bouger ou sans parler.
Les symptômes de la schizophrénie rentrent dans trois grandes catégories :
• Les symptômes positifs sont des pensées ou des perceptions inhabituelles qui comprennent des hallucinations, des idées délirantes et des troubles de la pensée.
• Les symptômes négatifs représentent la perte ou la baisse de la capacité à établir des projets, à parler, à exprimer des émotions ou à trouver plaisir dans la vie quotidienne. Ces symptômes sont plus difficiles à reconnaître car certains peuvent être mis au compte de la paresse ou de la dépression. Là encore, ils peuvent se rapprocher de ceux de Dian.
• Les symptômes cognitifs (ou déficits cognitifs) sont des troubles de l’attention, certaines formes de troubles de la mémoire et des fonctions d’exécution qui permettent de planifier et d’organiser.
• un émoussement affectif (expression faciale immobile, voix monocorde),
• une absence de plaisir dans la vie quotidienne,
• une capacité diminuée à entreprendre et à poursuivre une activité planifiée,
• une prise de parole peu fréquente, même lorsqu’elle est sollicitée.
Comme on peut le voir, les « symptômes négatifs » de la schizophrénie se rapprochent de ceux de Dian. La figure 19.2 résume les relations entre Dian Kuang et les troubles psychiatriques occidentaux.
Ressemblances et différences entre le trouble bipolaire et Dian Kuang
1. Dian Kuang ne correspond pas forcément avec exactitude au trouble bipolaire.
2. Dian ne correspond pas à ce que la médecine occidentale appelle la dépression.
3. Dian peut parfois correspondre à la schizophrénie.
4. Autrefois, on a souvent confondu l’épilepsie avec le Dian de Dian Kuang.
5. Dian Kuang aussi peut parfois correspondre à la schizophrénie.
Pathologie de Dian Kuang
Déséquilibre du Yin et du Yang
Dans Dian Kuang, il y a toujours un déséquilibre entre le Yin et le Yang. Le chapitre 3 des Questions simples dit : « Lorsque le Yin ne l’emporte pas sur le Yang, le pouls est Vaste et il y a Kuang »36. Le chapitre 23 des Questions simples dit : « Lorsque les facteurs pathogènes pénètrent dans le Yang, il y a Kuang, quand ils pénètrent dans le Yin, il y a un syndrome d’Obstruction Douloureuse »37.
Le chapitre 30 du Classique des difficultés dit : « Un Excès de Yang provoque Kuang, un Excès de Yin provoque Dian »38.
Dans Discussion sur l’origine des symptômes des maladies (Zhu Bing Yuan Lou Lun, 610), on lit : « Lorsque le Qi se fond dans le Yang, il y a Kuang »39.
Glaires
Au cœur de la pathologie de Dian Kuang, il y a des Glaires ; les phases dépressives et maniaques sont toutes les deux dues à une obstruction de l’Esprit par les Glaires. C’est là une différence majeure entre la phase dépressive du trouble bipolaire (ou Dian Kuang), l’Abattement, et la « Dépression » (Yu Zheng, voir le chapitre 16). Dans la Dépression (Yu Zheng), de nombreux tableaux ne présentent pas de Glaires. De plus, les phases dépressive et maniaque du trouble bipolaire, bien qu’étant extrêmement différentes l’une de l’autre dans leurs manifestations, sont en fait deux facettes d’une seule et même réalité. Je n’adhère donc pas aux vues des ouvrages chinois modernes qui, lorsqu’ils décrivent les symptômes de la Dépression (Yu Zheng), citent un grand nombre des symptômes de la phase dépressive (Dian) de Dian Kuang.
Déséquilibre du « va-et-vient » de l’Âme Éthérée (Hun)
D’après moi, dans le trouble bipolaire (et donc Dian Kuang) le principal aspect est la phase maniaque, la phase dépressive n’étant qu’une réaction à cette dernière40. Il s’ensuit que, contrairement à ce que l’on peut voir dans la Dépression (Yu Zheng), dans le trouble bipolaire (et donc Dian Kuang), la pathologie principale est un « va-et-vient » excessif de l’Âme Éthérée, même dans la phase dépressive (voir plus bas).
Comme nous l’avons vu dans les chapitres 3 et 16, c’est l’Âme Éthérée qui donne à l’Esprit de l’inspiration, de la créativité, des idées, des projets, des objectifs pour la vie et des aspirations ; cette énergie psychique est le résultat du « va-et-vient » de l’Âme Éthérée et la manifestation psychique de la libre circulation du Qi du Foie (et, en particulier, de la montée physiologique du Qi du Foie).
D’un autre côté, l’Esprit se doit de contrôler quelque peu l’Âme Éthérée et d’intégrer le matériau psychique qu’elle lui fournit. Il est de la nature de l’Âme Éthérée « d’aller et de venir », c’est-à-dire de toujours rechercher d’autres idées, d’autres sources d’inspiration, d’autres buts, etc. C’est l’Esprit qui doit intégrer le matériau que fournit l’Âme Éthérée à la psyché ; l’Âme Éthérée peut être à la source de nombreuses idées simultanées mais l’Esprit ne peut les traiter que l’une après l’autre. Ainsi, les mots de « contrôle » et « d’intégration » sont des mots clés pour décrire les fonctions de l’Esprit en lien avec l’Âme Éthérée (voir la figure 3.15).
Lorsque le « va-et-vient » de l’Âme Éthérée est excessif ou lorsque l’Esprit est faible et ne peut plus le contrôler et le restreindre, l’Âme Éthérée est trop agitée et son mouvement est excessif, ce qui amène confusion et chaos dans l’Esprit et fait que la personne se disperse, devient instable et présente un léger état maniaque. C’est ce que l’on voit chez certaines personnes qui ont des idées, des rêves et des projets à foison qui ne sont jamais suivis d’effet parce que leur Esprit chaotique ne peut contrôler l’Âme Éthérée. La figure 3.15 illustre les deux situations dans lesquelles le « va-et-vient » de l’Âme Éthérée est excessif de son propre fait (à gauche) ou parce que l’Esprit ne la contrôle pas suffisamment (à droite).
Degrés de la « manie »
Ainsi, dans la manie, on trouve toujours un mouvement excessif de l’Âme Éthérée.
• agitation mentale, nervosité,
• travailler ou rester actif la nuit,
• avoir de nombreux projets en même temps sans qu’un seul d’entre eux ne prenne forme,
• propension à prendre des risques,
Il est intéressant de constater que les personnes qui souffrent de trouble bipolaire ont souvent un tempérament artistique ou, pour dire les choses autrement, que parmi les artistes connus, il y a une proportion plus forte que la normale de personnes présentant des troubles bipolaires41. Cela s’explique par le fait que l’inspiration artistique vient de l’Âme Éthérée ; ainsi, c’est la même énergie psychique de l’Âme Éthérée qui fait qu’une personne est artiste et que, dans une situation pathologique, elle est mentalement malade.
Pendant les épisodes maniaques, le patient bipolaire fourmille d’idées, il est inspiré, ressent les choses de façon intensive, a des sensations plus aiguës et écrit souvent de la poésie42.
Étiologie de Dian Kuang
La tension émotionnelle
Le livre complet de Jing Yue (Jing Yue Quan Shu) dit : « Kuang vient du Feu qui découle de l’inquiétude, de l’excès de réflexion et de la colère »43.
Kuang vient du Feu qui découle de l’inquiétude et de la colère ; le Qi du Foie et de la Vésicule Biliaire se rebelle et monte. Le Bois et le Feu se combinent, la pathologie est une pathologie de Plénitude, les facteurs pathogènes envahissent le Cœur, ce qui fait que l’Esprit et l’Âme Éthérée s’agitent44.
Il est intéressant de voir que le Dr Zhang Fa Rong inclut le choc comme cause émotionnelle de Dian Kuang. Il dit qu’un choc important lèse le Rein45.
La constitution
Une tendance constitutionnelle aux troubles psychiques et émotionnels joue un rôle important dans l’apparition du trouble bipolaire. À la fois les enfants et les adolescents peuvent présenter des troubles bipolaires, mais cette maladie est plus susceptible de toucher les enfants dont les parents souffrent de la maladie46.
La maladie de Dian naît dans l’utérus de la mère pendant la gestation et elle vient de ce que la mère a vécu un choc important qui a fait que le Qi est monté et ne peut plus descendre à la résidence de l’Essence [Jing] ; c’est ce qui explique l’apparition de Dian chez le fœtus47.
Parce que le trouble bipolaire a tendance à se transmettre dans les familles, les chercheurs se sont intéressés aux gènes spécifiques qui pourraient se retrouver d’une génération à une autre et qui pourraient augmenter les risques de souffrir de cette maladie. Mais les gènes n’expliquent pas tout. Des études menées sur de vrais jumeaux, qui partageaient donc les mêmes gènes, ont montré qu’à la fois les gènes et d’autres facteurs jouaient un rôle dans les troubles bipolaires. Si le trouble bipolaire relevait uniquement des gènes, les vrais jumeaux nés d’une personne souffrant de la maladie auraient alors toujours présenté cette maladie, mais la recherche a montré que ce n’était pas le cas. Mais si un des jumeaux souffre d’un trouble bipolaire, l’autre jumeau a plus de chance d’avoir cette maladie qu’un autre membre de la fratrie48.
Du point de vue de la médecine chinoise, une langue qui présente une fissure de type Cœur profonde traduit une tendance aux troubles psycho-émotionnels (voir la figure 11.6).
La figure 19.3 résume l’étiologie de Dian Kuang.