CHAPITRE 18 TRAITEMENT DE LA GOUTTE
GÉNÉRALITÉS
Physiopathologie
La goutte est l’arthrite la plus fréquente chez l’homme de plus de 55 ans et sa fréquence augmente dans le monde entier, touchant 1 à 2 % des adultes des pays industrialisés. Sa prévalence augmente avec l’âge et le ratio est d’une femme touchée pour 3-4 hommes [1]. On estime le nombre de goutteux français entre 600 000 et 800 000. C’est une maladie curable, elle est la conséquence de l’hyperuricémie. Seuls 10 % des hyperuricé-miques développent une goutte. Toutefois, la durée de l’hyper-uricémie est associée à une symptomatologie plus marquée.
L’hyperuricémie peut être consécutive à un excès de production d’acide urique ou à un défaut d’élimination. Les entrées d’acide urique sont représentées par le catabolisme des purines synthétisées de novo, des nucléoprotéines cellulaires ou alimentaires. En revanche, les sorties sont représentées par l’élimination urinaire et l’uricolyse intestinale (figure 18.1).
– les variations brutales de l’uricémie, soit en plus au cours des excès alimentaires, soit en moins au cours du traitement hypo-uricémiant par exemple ;
– les facteurs locaux sous la forme de microtraumatismes ;
La solubilité de l’acide urique se situe autour de 68 mg/mL et varie selon le pH, la température, l’hydratation des tissus, la concentration en cations et la composition du liquide biologique. Un rôle des immunoglobulines IgM a également été trouvé récemment [2].
Les microcristaux entraînent une réaction inflammatoire aiguë non spécifique avec phagocytose des cristaux par les polynucléaires et libération d’enzymes lysosomiales. Le rôle des PNN est primordial mais récemment l’immunité innée a été mise en avant ainsi que le complexe inflammasome dans l’activation de l’IL-1β au cours de la réaction. Le switch monocytes-macrophages et l’apoptose permettraient la résolution spontanée de la crise [3].
Clinique
Il s’agit d’une arthrite aiguë, évoluant par accès de « crise de goutte », auto-résolutive, suivie de rechute. L’articulation la plus fréquemment concernée est l’articulation métatarso-phalangienne du gros orteil. Le début de la crise est brutal, nocturne, les signes inflammatoires sont intenses avec gonflement, rougeur des téguments, élévation de la température cutanée, douleurs vives à l’origine d’une impotence fonctionnelle. La température peut atteindre 39 ºC, une hyperleucocytose est constante. Le liquide articulaire, lorsqu’il peut être prélevé, montre de nombreuses cellules constituées en majorité de polynucléaires et la présence de cristaux d’acide urique.
Par ailleurs, il est à noter que la goutte s’accompagne d’une augmentation de la mortalité cardio-vasculaire. Le risque de décès par cause cardiovasculaire est augmenté d’environ 30 % et le risque d’infarctus du myocarde est multiplié par 2 ou 3, ce qui n’est pas le cas de l’hyperuricémie [4].
Médicaments de la goutte
Les dernières recommandations appliquées en France sont celles de l’EULAR 2006 [5, 6]. Toutefois, elles n’intègrent pas les dernières molécules disponibles. Globalement, il manque des données comparatives entre les thérapeutiques, particulièrement pour le traitement de la phase aiguë.
Classification des médicaments de la goutte
Les médicaments utilisés et actuellement commercialisés en France [7] (Thériaque 2012) sont classés dans les tableaux 18.1 et 18.2. Nous distinguerons les médicaments de l’accès goutteux et ceux de la maladie hyperuricémiante.
Mécanismes d’action, relations structure-activité
Médicaments de l’accès goutteux
La colchicine est très efficace contre l’inflammation goutteuse en empêchant indirectement la phagocytose des cristaux d’urate monosodique par les polynucléaires. Cette action est obtenue par la diminution de la mobilité des polynucléaires et par l’altération des microtubules du cytosquelette. En effet, la colchicine a une forte capacité à se lier à la tubuline [8], ce qui en fait en outre un poison du fuseau cellulaire lors de la mitose. La colchicine diminue encore l’activité métabolique des polynucléaires lors de la phagocytose, également leur pouvoir d’adhésion et la lyse de leur lysosome. Le mécanisme d’action de la colchicine est spécifique de la goutte et peut ainsi participer au diagnostic en cas de réponse positive. Cependant, elle est mal tolérée. L’association avec des dérivés opiacés dans Colchimax présente le double intérêt de diminuer les diarrhées et d’ajouter un pouvoir antalgique.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens présentent une activité anti-inflammatoire puissante dans l’accès goutteux. De plus, ils ont tendance à agir plus rapidement et possèdent des propriétés antalgiques. Néanmoins, ils présentent des effets indésirables du type saignement et insuffisance rénale fonctionnelle. La phénylbutazone historiquement utilisée n’est désormais plus commercialisée en partie à cause de sa toxicité hématologique. Parmi les AINS non spécifiques, l’indométacine et le kétoprofène possèdent une AMM, mais le naproxène, le piroxicam, l’ibuprofène et le diclofenac peuvent aussi être employés. Au niveau des coxibs (anti-COX2), l’étoricoxib 120 mg (fortes doses) possède une AMM dans la goutte malgré un risque cardiovaculaire et un refus de remboursement par l’HAS. Les AINS ont tendance à remplacer la colchicine en première intention dans certains pays [9].
Les glucocorticoïdes peuvent être envisagés en infiltration ou per os. Le niveau de preuve reste limité mais est positif malgré le risque infectieux. Leur durée d’utilisation reste à limiter car ils risquent de provoquer une « goutte cortisonée » résistante aux traitements. Leur utilisation est à réserver en cas de contre-indications aux AINS et à la colchicine [10].
Les anti-interleukines 1 représentent une voie d’investigation prometteuse. En agissant sur la cytokine majeure de l’inflammation goutteuse, elles exercent une action efficace pour les formes résistantes. L’anakinra (Kineret), inhibiteur compétitif de l’IL-1 a été efficace dans une étude pilote. Le canaki-numab (Ilaris), anticorps anti-IL1-β et le rilonacept (Arcalyst disponible qu’aux États-Unis), protéine de fusion anti IL-1, en phase II/III dans la crise de goutte, ont montré une réduction importante des douleurs [11].
Médicaments de l’hyperuricémie
Les uricosuriques agissent en augmentant l’uraturie. La clairance rénale de l’acide urique est augmentée, sans modification de la filtration glomérulaire, grâce à une diminution de la réabsorption tubulaire. Cependant, il semble que le mécanisme d’action rénale des uricosuriques soit plus complexe. La benziodarone a été initialement utilisée, retirée du commerce en raison de son hépatotoxicité, elle a été remplacée par la benzbromarone (désormais en ATU), dans laquelle les atomes d’iode ont été substitués par des atomes de brome [12]. Le probénécide est disponible en ville, mais il est moins efficace sur la cible d’uricémie. À forte dose (4 g/j), l’aspirine est uricosurique tandis qu’à dose plus faible (0,5 à 1,5 g/L), il est hyperuricémiant. Le fénofibrate et le losartan possèdent également des propriétés uricosuriques de l’ordre de 20-30 %.
L’allopurinol ou 4-hydroxypyrazolo-(3,4-d) pyrimidine, analogue chimique de l’hypoxanthine et son dérivé l’oxipurinol inhibe la xanthine-oxydase, enzyme qui assure la transformation de l’hypoxanthine en xanthine et de la xanthine en acide urique. Cette inhibition est à l’origine de concentrations sanguines élevées en hypoxanthine et xanthine qui sont toutefois éliminées par le rein, évitant ainsi la formation de dépôts tissulaires de ces deux produits. L’action hypo-uricémiante de l’allopurinol provient encore de la diminution de la purino-synthèse puisque l’oxypurinurie totale est plus basse. Cette action sur la purino-synthèse a été observée in vitro à partir de fibroblastes en culture [13].
L’urate oxydase est une enzyme qui permet de dégrader l’acide urique en allantoïne. Autrefois extraite de cultures d’Aspergillus flavus (Uricozyme NSFP), elle est désormais produite par génie génétique à partir de souches de Saccharomyces cerevisiae. La rasburicase, moins allergisante est la protéine recombinante ainsi produite : 1 mg correspond à 18,4 unités d’activité enzymatique. En voie de recherche, la pegylation de l’enzyme pourrait diminuer son immunogénicité en augmentant sa durée de vie. La pegloticase a été approuvée par la FDA, mais n’est pas encore disponible en France [14].