17: Tumeurs mélanocytaires

Chapitre 17 Tumeurs mélanocytaires




Nævus irien


Un nævus irien correspond généralement à une lésion pigmentée du stroma irien n’entraînant que peu de modifications de l’architecture de l’iris (fig. 17-1). La prévalence des nævus iriens est inconnue car ces lésions sont rarement symptomatiques et sont souvent retrouvées de façon fortuite au décours d’un examen ophtalmologique de routine. Les nævus iriens peuvent se présenter sous deux formes :




Dans quelques cas, la lésion peut entraîner un petit ectropion de l’iris et une cataracte localisée. L’incidence des nævus iriens serait plus élevée chez les patients atteints de neurofibromatose.


L’évaluation d’un nævus irien est au mieux faite par un examen à la lampe à fente couplé à l’examen de l’angle par gonioscopie. Il faut tout particulièrement être attentif aux lésions siégeant au niveau de l’angle iridocornéen pour vérifier l’absence d’une tumeur du corps ciliaire qui serait passée inaperçue. Le principal diagnostic différentiel d’une lésion nævique irienne est le mélanome de l’iris. En cas de doute avec un mélanome de l’iris, une surveillance très étroite est nécessaire. L’évaluation clinique des nævus iriens suspects doit inclure des photographies à la lampe à fente et une échographie haute fréquence. Les nævus de l’iris ne nécessitent aucun traitement, mais lorsqu’ils sont suspects (présence d’hypertonie oculaire, essaimage de pigment dans l’angle*), une surveillance étroite et des photographies sont nécessaires pour vérifier l’absence de toute croissance.


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Nævus du corps ciliaire ou de la choroïde


Les nævus du corps ciliaire sont des découvertes fortuites en histologie sur l’analyse de globes énucléés pour d’autres raisons. Les nævus de la choroïde peuvent survenir chez près de 10 % de la population. Dans la plupart des cas, il n’y a pas de signes cliniques et ils sont vus lors d’un examen de routine. Le nævus typique apparaît comme une lésion plane ou très modérément saillante, pigmentée (gris-brun) au niveau de la choroïde, avec des bords flous (fig. 17-2). Certains nævus sont achromes et peuvent être moins visibles. Le nævus choroïdien peut être associé à des altérations de l’épithélium pigmentaire rétinien (EPR) sus-jacent, des drusen, un décollement séreux rétinien, des néovaisseaux choroïdiens et du pigment orange ; il peut entraîner des anomalies du champ visuel. En angiographie à la fluorescéine, les nævus de la choroïde peuvent être hypo- ou hyperfluorescents, en fonction des caractéristiques cliniques. La mélanocytose oculaire ou oculodermique peut prédisposer à une tumeur maligne de l’uvée, avec un risque estimé à 1/400 dans la population caucasienne. Les nævus de la choroïde se différencient des mélanomes de la choroïde par l’examen clinique et des examens complémentaires. Il n’existe pas de signe clinique qui à lui seul soit pathognomomique d’une lésion mélanocytaire bénigne versus maligne. Les diagnostics différentiels les plus courants d’une lésion pigmentée du fond d’œil incluent les suivants :




En pratique, presque toutes les tumeurs mélanocytaires de plus de 3 mm d’épaisseur sont des mélanomes et presque toutes les lésions mélanocytaires de moins de 1 mm d’épaisseur sont des nævus. De nombreuses lésions mesurant entre 1 à 2 mm à l’apex peuvent être bénignes, bien que le risque d’une lésion maligne augmente avec l’épaisseur. Il est difficile de classer avec certitude les lésions dont l’épaisseur est comprise entre 1 et 2 mm. Les lésions planes avec un diamètre de moins de 10 mm sont presque toujours bénignes. Le risque de pathologie maligne augmente lorsque le diamètre est supérieur à 10 mm (une lésion pigmentée doit être considérée comme suspecte dès que son diamètre dépasse 7 mm*).


*NdT


Les facteurs de risque d’augmentation en taille d’une lésion mélanocytaire ont été bien caractérisés et incluent :



Si une croissance documentée de la lésion est observée, une dégénérescence maligne doit être évoquée.


La prise en charge des lésions næviques nécessite la réalisation de clichés photographiques pour les lésions de 1 mm ou moins d’épaisseur, et des photographies et une échographie pour les lésions de plus de 1 mm d’épaisseur, avec également des contrôles réguliers pour vérifier l’absence de croissance.



Mélanocytome de l’iris, du corps ciliaire ou de la choroïde


Les mélanocytomes sont des tumeurs rares composées de cellules caractéristiques de grande taille, polyédriques, avec de petits noyaux et un cytoplasme empli de granules de mélanine (voir chapitre 15, fig. 15-12). Dans le cas d’un mélanocytome de l’iris, des cellules peuvent se déposer dans l’angle, entraînant un glaucome. Les mélanocytomes du corps ciliaire ne se voient habituellement pas en raison de leur localisation périphérique. Dans quelques cas, l’extériorisation de la tumeur le long d’un canal scléral apparaît comme une masse sous-conjonctivale très pigmentée, fixée. Les mélanocytomes de la choroïde sont des tumeurs pigmentées saillantes pouvant évoquer un nævus ou un mélanome. Il a été rapporté des modifications malignes de mélanocytomes dans quelques cas (cet événement est toutefois exceptionnel*). Lorsque le diagnostic de mélanocytome est évoqué, des photographies et une échographie sont nécessaires. Si une croissance est documentée, la lésion doit être considérée comme maligne et traitée.


*NdT


Shields CL, Furuta M, Berman EL, et al. Choroidal nevus transformation into melanoma : analysis of 2514 consecutive cases. Arch Ophthalmol. 2009 ; 127(8) : 981–987.


Shields JA, Shields CL, Eagle RC Jr. Melanocytoma (hyperpigmented magnocellular nevus) of the uveal tract : the 34th G. Victor Simpson lecture. Retina. 2007 ; 27(6) : 730–739.



Mélanome de l’iris


Les mélanomes de l’iris représentent 3 à 10 % de tous les mélanomes de l’uvée. Les petits mélanomes de l’iris peuvent être impossibles à différencier cliniquement d’un nævus de l’iris ou d’autres lésions. Les pathologies suivantes doivent être incluses dans le diagnostic différentiel d’un mélanome de l’iris :



Les signes qui évoquent une pathologie maligne sont un ectropion de l’iris étendu, une vascularisation marquée, une cataracte sectorielle, un glaucome secondaire, un essaimage au niveau de l’angle, une extension extrasclérale, la taille de la lésion et une croissance documentée. Les mélanomes de l’iris peuvent être achromes ou très pigmentés, et les trois quarts d’entre eux atteignent la partie inférieure de l’iris (fig. 17-3). Dans de rares cas, ils prennent une forme diffuse, entraînant un syndrome avec apparition d’une hétérochromie et hyperpigmentation unilatérale de l’iris associée à un glaucome secondaire. L’évaluation clinique est la même que pour les nævus de l’iris. Le diagnostic différentiel des nodules iriens est décrit dans le tableau 17-1, la figure 17-4 illustre les différents types de nodules de l’iris. Voir aussi fig. 12-11, chapitre 12.



Tableau 17-1 Caractéristiques des diagnostics différentiels de nodules de l’iris































































Lésion Caractéristiques
Taches de Brushfield (trisomie 21) (fig. 17-4A) Lésions blanches ou jaunes, surélevées à la périphérie de l’iris ; 10 à 20 par œil. La prévalence au cours de la trisomie 21 est de 85 % ; sinon environ 25 %. En histologie, les lésions correspondent à des zones d’iris d’aspect normal entouré d’une légère hypoplasie. La couche antérieure a une densité légèrement augmentée
Invasion épithéliale, kyste séreux ou solide, membrane d’implantation Tous sont secondaires à un traumatisme ou une chirurgie. Apparaissent comme des kystes pleins ou séreux en continuité de la plaie, ou comme des kystes ou une membrane implantée sur la surface de l’iris
Corps étranger intraoculaire Habituellement, devient pigmenté secondairement et peut être associé à une uvéite chronique et des synéchies antérieures
Endophtalmie fongique Masse de l’iris blanchâtre irrégulière. Peut être associée à un hypopion ou seulement de signes inflammatoires modérés
Iridocyclite Les nodules iriens d’une uvéite granulomateuse classique siègent en surface ou dans l’épaisseur de l’iris. Les nodules de Koeppe s’observent sur le sphincter irien et les nodules de Busacca sur la surface antérieure de l’iris. En histologie, ils correspondent à des cellules mononucléées de petite et grande taille
Éphélide (fig. 17-4B) Lésions stables plus ou moins pigmentées, planes de la surface irienne composées d’une couche de mélanocytes avec une hyperpigmentation intracellulaire sans prolifération cellulaire
Nævus de l’iris (fig. 17-1) Petite lésion nodulaire au niveau de la surface de l’iris et au niveau du stroma. Pigmentation variable. Composée de cellules næviques bénignes. Incidence augmentée des nævus iriens chez les patients atteints de neurofibromatose
Syndrome endothélial iridocornéen (Cogan-Reese) Nævus irien diffus acquis avec hétérochromie, glaucome unilatéral et synéchies antérieures périphériques, et migration endothéliale et de la membrane de Descemet sur le trabéculum (voir « Syndrome ICE », chapitre 7)
Kystes de l’épithélium pigmentaire de l’iris (fig. 17-4C) Kystes englobant les deux couches de l’épithélium. Ils peuvent entraîner une élévation localisée du stroma et peuvent être pigmentés. Ils peuvent transilluminer. Ils peuvent être mieux vus après dilatation. L’échographie est utile au diagnostic
Prolifération de l’épithélium pigmentaire de l’iris Plaques d’épithélium pigmentaire congénitales ou acquises, prenant un aspect duveteux, noir
Xanthogranulome juvénile Lésions iriennes, blanc-jaunâtre, à bords flous associées à une ou des lésion(s) orangée(s) cutanées, apparaissant dans la première année de vie. Elles peuvent être associées à un glaucome ou des hyphémas spontanés. En histologie, il existe un infiltrat granulomateux diffus avec des histiocytes contenant des lipides et des cellules de Touton géantes. Les lésions peuvent se résorber spontanément. Peut aussi être vu dans le corps ciliaire, la choroïde antérieure, l’épisclère, la cornée, les paupières et l’orbite
Léiomyome Peut être bien circonscrit, voire pédiculé, mais le plus souvent diffus et plan, souvent légèrement pigmenté. La microscopie électronique peut être utile pour différencier un léiomyome d’un mélanome achrome à cellules fusiformes
Leucémie (fig. 17-4D) Lésions nodulaires ou diffuses très rares, blanc-laiteux avec hyperhémie intense. Souvent, l’iris perd son architecture et devient hétérochromique. Un pseudohypopion est fréquent
Nodules de Lisch (neurofibromatose) (fig. 17-4E) L’un des critères diagnostiques de neurofibromatose. Lésions multiples allant du bronze au brun foncé et de la taille d’une tête d’épingle. Peuvent être planes ou saillantes. Histologiquement, il s’agit d’amas de cellules næviques
Mélanocytose, oculaire ou oculodermique congénitale Généralement unilatérale, avec un aspect de nævus de l’uvée diffus entraînant une hétérochromie irienne avec des zones gris ardoisé sclérales et épisclérales. Dans la mélanocytose oculodermique, une atteinte des paupières est associée. Un potentiel malin existe
Mélanome (voir fig. 17-3) Apparaît comme une formation plane ou nodulaire, souvent à la périphérie, en particulier inférieure ou temporale inférieure. La pigmentation est variable, avec pigmentation satellite et au niveau de l’angle iridocornéen et une vascularisation. La pupille peut avoir une dilatation irrégulière et une élévation de la pression intraoculaire peut être présente
Métastase d’un carcinome Nodules gélatineux ou blanchâtres de la surface de l’iris et dans l’angle. Peuvent être associés à une uvéite antérieure, un hyphéma, une néovascularisation irienne et un glaucome
Rétinoblastome Lésions nodulaires blanches de la surface du stroma irien ou dans l’angle, ou pseudohypopion
Mélanome « tapioca » diffus Nodules blanchâtres évoquant du tapioca déposés sur tout ou partie de l’iris. Peuvent être translucides ou légèrement pigmentés. Souvent associés à un glaucome unilatéral


Les progrès dans l’échographie haute fréquence permettent une excellente caractérisation de la taille tumorale et de ses rapports avec les structures oculaires normales (fig. 17-5). L’angiographie à la fluorescéine peut montrer une vascularisation tumorale, bien que ce signe soit d’une valeur limitée pour l’établissement d’un diagnostic. Dans de rares cas, une biopsie peut être envisagée lorsqu’il se pose la question de la prise en charge de la lésion. Dans la plupart des cas, quand une croissance rapide ou un glaucome apparaissent, une prise en charge par exérèse chirurgicale (ou par radiothérapie*) à visée diagnostique et thérapeutique est indiquée. Une curiethérapie avec des disques adaptés peut être utilisée dans des cas particuliers. Une irradiation par faisceaux de protons a aussi été rapportée pour les mélanomes de l’iris. Le pronostic de la plupart des patients ayant un mélanome de l’iris est excellent, avec une mortalité inférieure (1 à 4 %) à celle de mélanome du corps ciliaire et de la choroïde, possiblement parce que le comportement biologique de la plupart de ces tumeurs semble nettement différent de celui du mélanome du corps ciliaire ou de la choroïde.


*NdT



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Jakobiec FA, Silbert G. Are most iris “melanomas” really nevi ? A clinicopathologic study of 189 lesions. Arch Ophthalmol. 1981 ; 99(12) : 2117–2132.


Lumbroso-Le Rouic L, Delacroix S, Dendale R, Lévy-Gabriel C, Feuvret L, Noel G. Proton beam therapy for iris melanomas. Eye. 2006 ; 20(11) : 1300–1305.*


*NdT



Mélanome du corps ciliaire ou de la choroïde


Les mélanomes du corps ciliaire et de la choroïde sont les tumeurs intraoculaires malignes les plus fréquentes de l’adulte. L’incidence aux États-Unis est d’environ 6 à 7 cas par million d’habitants. La tumeur, très rare chez l’enfant, atteint principalement des patients autour de la cinquantaine et au début de la soixantaine ; elle survient de façon préférentielle chez des patients peu pigmentés. Les facteurs de risque ne sont pas identifiés de façon certaine mais pourraient inclure :



Les mélanomes du corps ciliaire peuvent être asymptomatiques dans les formes débutantes. En raison de leur localisation en arrière de l’iris, les mélanomes du corps ciliaire peuvent être relativement avancés au moment où ils sont diagnostiqués. Les patients qui ont des signes fonctionnels ont le plus souvent une baisse de vision, des phosphènes ou une amputation du champ visuel. Les mélanomes du corps ciliaire ne sont habituellement pas visibles sans une dilatation complète (fig. 17-6A). Certains envahissent la base de l’iris et l’angle iridocornéen et peuvent être visibles à un examen en lampe à fente ou en gonioscopie. Dans de rares cas, la tumeur s’étend au travers de la sclère dans la région ciliaire, entraînant une masse épibulbaire foncée. L’un des premiers signes cliniques d’un mélanome du corps ciliaire peut être l’apparition d’un ou de plusieurs vaisseaux dilatés épiscléraux dans le quadrant de la tumeur (fig. 17-6B). Finalement, la tumeur peut devenir volumineuse, entraînant une cataracte sectorielle ou diffuse, une subluxation du cristallin (fig. 17-6C), un glaucome secondaire, un décollement de rétine voire une néovascularisation irienne. Dans de rares cas, le mélanome du corps ciliaire peut atteindre de façon diffuse le corps ciliaire sur 180° à 360°. Ce type de mélanome est appelé mélanome annulaire (voir chapitre 12, fig. 12-18).


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May 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 17: Tumeurs mélanocytaires

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