16. Douleur et analgésie



Introduction351


Aspects psychologiques351


Syndromes douloureux secondaires au cancer354


Syndromes douloureux secondaires aux traitements357


Traitements de la douleur358


Conclusion365



INTRODUCTION


Dans les représentations sociales, la crainte du cancer est étroitement liée à l’anticipation d’une issue fatale et de douleurs sévères nécessitant le recours à un traitement antalgique souvent peu efficace (Levin, Cleeland et coll., 1985). Bien que ces représentations puissent être parfois plus terrifiantes que la réalité, un nombre important de patients cancéreux sont confrontés à des problèmes de douleur : 30 à 40 % aux stades intermédiaires et 70 à 80 % aux stades avancés ou terminaux de l’affection (Daut et Cleeland, 1982, Foley, 1985 and Stam et coll., 1985). À ces stades, la douleur est le plus souvent de nature chronique (Chapman, 1979; Foley 1985). Plus précisément, il faudrait la décrire comme une douleur aiguë chronique, c’est-à-dire une douleur persistante et continuellement exacerbée par la progression de la maladie.

Les phénomènes douloureux seront abordés ici sous l’angle des différents syndromes rencontrés en oncologie et des moyens actuels de les contrôler. On identifie en cancérologie trois types de douleurs : douleur somatique, douleur viscérale et douleur de désafférentation (Payne 1989; Portenoy 1988). Cette distinction est importante car les mécanismes mis en présence sont spécifiques et les modalités thérapeutiques qui en découlent le sont également.

Les douleurs somatiques ou nociceptives sont le résultat de l’activation de récepteurs cutanés et des tissus mous sans atteinte des voies neurologiques. Elles revêtent un caractère soit aigu, soit chronique et sont habituellement bien localisées. Il s’agit du type de douleur le plus fréquemment rencontré en cancérologie (Fields, 1987). Les métastases osseuses en sont le prototype. Les douleurs viscérales ont un caractère différent, sont mal localisables et peuvent s’accompagner de symptômes généraux (nausées, vomissements, etc.), surtout en cas d’atteinte viscérale abdominale (Willis, 1985). On décrit également des douleurs dites «référées» au niveau de sites cutanés situés à distance de la lésion (par exemple, douleurs scapulaires lors d’une atteinte diaphragmatique). Les douleurs de désafférentation (causalgies) répondent à des mécanismes partiellement élucidés. Elles apparaissent lors de phénomènes compressifs, d’infiltration ou d’interruption de structures nerveuses, périphériques ou centrales. Leur mécanisme n’est que partiellement élucidé. La chimiothérapie et la radiothérapie peuvent également être en cause. Ces douleurs ont, en général, un carac tère aigu, s’accompagnant de sensations de décharges et peuvent aussi présenter un caractère chronique (Foley, 1985). Il faut toutefois préciser qu’en pratique cette distinction s’avère moins tranchée et que dans la plupart des cas ces types de douleurs coexistent.


ASPECTS PSYCHOLOGIQUES


La douleur cancéreuse est un symptôme complexe, nécessitant une évaluation approfondie. À côté des examens médicaux en vue de déterminer la cause physique de la douleur, les mesures verbales de la sensation douloureuse occupent une place importante pour le traitement de la douleur. Il existe actuellement différentes échelles d’évaluation de la douleur dont certaines ont été étudiées plus spécifiquement dans des populations de patients cancéreux (Daut et Cleeland, 1982, Fishman et coll., 1987, Graham et coll., 1982 and Melzack et Wall, 1965). Ces instruments prennent rarement en considération les dimen sions affectives qui participent à l’expérience de la douleur (Hilgard, 1986; Melzack et Wall, 1965). L’étude des processus affectifs et cognitifs qui modu lent l’expérience douloureuse s’impose cependant de plus en plus pour une compréhension des problèmes de douleur, cela d’autant plus que les affections cancéreuses, les traitements et leurs effets secondaires génèrent fréquemment des réactions anxieuses et dépressives et des troubles psychiatriques (Derogatis, Morrow et coll., 1983). L’apparition et la persistance des douleurs peuvent en effet déclencher ou accentuer une détresse émotionnelle, un trouble de l’adaptation, un trouble anxieux ou dépressif.

Le sens que le patient attribue aux douleurs cancéreuses peut influencer l’amplitude de ses réactions : envisager la douleur comme un signe de la progression de l’affection cancéreuse induit une perturbation de l’humeur plus importante que si la douleur est attribuée à d’autres causes (Daut et Cleeland, 1982). En retour, l’anxiété a un impact sur les mécanismes d’attention de telle sorte que le patient devient plus réceptif aux différents signaux corporels pouvant signifier une évolution de la maladie. Nociception et anxiété coexistent donc et se renforcent mutuellement.

De plus, la présence de douleurs associées à l’affection cancéreuse entraîne un désengagement social, avec comme corollaire, une dépendance de plus en plus grande vis-à-vis des établissements de soins. Différentes études ont aussi souligné l’importance des perturbations physiologiques associées à la douleur cancéreuse – troubles du sommeil, perte d’appétit, nausées – altérant la qualité de vie de nombreux patients cancéreux (Stam, Goss et coll., 1985; Tait, Pollard et coll., 1987).

Le contexte psychosocial dans lequel la douleur apparaît doit également être considéré. Le soutien émotionnel apporté régulièrement au patient favorise le contrôle de la douleur. L’efficacité des traitements antalgiques peut être plus grande quand les conditions sociales et d’environnement sont modifiées positivement. Le tableau 16-1 illustre les nombreuses variables psychologiques et sociales influençant l’expérience douloureuse.






Tableau 16-1 Variables psychologiques et sociales modulant l’expérience douloureuse.
Variables psychologiques


– Perception, attention


– Cognition, mémoire, associations


– Conditionnement, modèle


– Attribution


– Sentiment de contrôle


– Peur, anxiété, dépression


– Somatisation et hypocondrie


– Abus de drogues
Variables sociales


– Âge, sexe


– Handicap


– Assurance


– Bénéfice secondaire


– Problème familial et de couple


– Soutien social


– Facteurs culturels

Ainsi, l’évaluation psychologique du problème de la douleur cancéreuse doit inclure la façon dont le patient vit sa maladie, le sens attribué à l’expérience douloureuse, l’attitude par rapport au traitement antalgique, les interactions avec l’entourage, la qualité du soutien.

La douleur et la dépression peuvent être associées dans un même tableau clinique. La signification et les implications de cette association ne sont actuellement toujours pas bien connues (Von Korff et Simon, 1996). Au niveau neurobiologique, il est cependant probable que les mécanismes impliqués dans les troubles anxieux et dépressifs puissent également jouer un rôle dans la modulation de la douleur. La transmission de la douleur pourrait être ainsi influencée par une détresse psychologique ou un trouble anxieux et/ou dépressif. La douleur pourrait aussi induire ou amplifier une détresse psychologique, déclencher un trouble anxieux et dépressif voire influencer le cours de ces troubles. Le concept d’une amplification somato-sensorielle permet aujourd’hui de mieux comprendre les liens potentiels entre anxiété, dépression et douleur. Les signaux douloureux peuvent en effet être ainsi amplifiés et expliquer les différences interindividuelles dans l’expérience de la douleur. La plasticité du système somato-sensoriel pourrait expliquer cela.

La douleur peut entraîner une détresse, un pessimisme, voire une dépression. Ces états psychiques peuvent réduire quant à eux la capacité du malade de faire face à la douleur. Il n’est enfin pas exclu que l’action combinée de la douleur et de la dépression puisse favoriser une détérioration de l’état général d’un malade. Si les troubles anxieux et dépressifs sont fréquemment observés et rapportés dans la littérature comme étant associés à la symptomatologie douloureuse chez le patient cancéreux, des questions subsistent quant au devenir de cette détresse psychologique une fois la douleur disparue (Bond et Pearson, 1969, Chapman et coll., 1979, Shacham et coll., 1983 and Stam et coll., 1985). Selon certains auteurs, le contrôle de la douleur s’accompagne d’une diminution des manifestations anxieuses et dépressives observées (Bond et Pearson, 1969). En revanche, une étude investiguant la relation entre douleur et réactions anxieuses et dépres sives chez des patients traités par radiothérapie infirme cette observation (Stam, Goss et coll., 1985). Les résultats montrent qu’une réduction de l’intensité de la douleur n’implique pas nécessairement la diminution de la symptomatologie anxieuse et dépressive. La détérioration du style de vie du patient, due à la douleur ou au cancer lui-même, expliquerait la persistance des troubles psychologiques.

De plus, une réduction partielle d’une symptomatologie douloureuse ne peut être assimilée, du point de vue de son impact psychologique, à une disparition totale de la douleur. Par ailleurs, l’impact de la disparition d’une douleur aiguë est différent de celui d’une douleur chronique. Dans toute discussion concernant la douleur, il convient de différencier des dipôles sémantiques bien différents, celui par exemple de «mal-être/bien-être» ou de «plaisir/déplaisir». Le bien-être peut en effet parfois équivaloir à des sentiments totalement dissociés de la notion de plaisir. Ainsi, la disparition de la douleur peut être associée à l’émergence d’inquiétudes existentielles ou à d’autres souffrances psychiques, et pas nécessairement à un sentiment de bien-être. Mentionnons aussi qu’il existe un syndrome se caractérisant par une euphorie, une désinhibition, un sentiment de toute-puissance et de renaissance. Ce syndrome est secondaire à une disparition de la douleur chronique suite entre autres, à une optimisation du traitement. Le fait d’être libéré de l’expérience douloureuse est certainement le facteur déclenchant. Il ne faut certainement pas exclure que les traitements instaurés pour induire et consolider la rémission de la douleur puissent être aussi à la base de ce syndrome (morphine et dérivés).

Étudier l’impact psychologique de la douleur cancéreuse exige de prendre en considération différents paramètres : ainsi une douleur persistante depuis un certain temps (douleur chronique) induit une perturbation de l’humeur différente, voire plus importante, qu’une douleur d’apparition récente (douleur aiguë). De même, il faut distinguer les douleurs postopératoires de celles, plus anxiogènes qui sont liées, par exemple, à la progression de l’affection cancéreuse. Le tableau 16-2 reprend les principales dimensions de la douleur et leur évaluation.






Tableau 16-2 Douleurs cancéreuses : principales dimensions et évaluations.
Principales dimensions
Dimensions concernant la douleur



– Sens donné à la douleur


– Expérience passée de la douleur


– Adaptation à la douleur

Dimensions concernant les traitements de la douleur



– Connaissances concernant les traitements de la douleur


– Préoccupations liées aux traitements de la douleur


– Adaptation aux effets secondaires des antalgiques
Principales évaluations
Représentation de la localisation de la douleur



– Schémas du corps

Évaluation de l’intensité de la douleur



– Échelle catégorielle


– Échelle visuelle analogique


– Échelle numérique


– Échelle pour enfants (visages, etc.)

Mesure de la douleur et de son impact



– Brief Pain Inventory

Mesures multidimensionnelles



– Questionnaire de McGill

Les multiples étiologies de l’anxiété et de la dépression associées à la maladie cancéreuse rendent difficile l’étude des manifestations psychologiques spécifiquement réactionnelles à la douleur. Actuellement, peu de travaux visent une compréhension des imbrications entre douleur et détresse psychologique, notamment en raison des difficultés rencontrées pour mesurer ces deux dimensions.

La douleur s’accompagne souvent d’un désinvestissement du monde et des choses et parfois du sentiment d’être puni. Avec le temps, la douleur peut devenir moins aliénante. Le processus qui peut expliquer cela est le détournement de l’attention des malades – focalisée souvent exclusivement sur leur douleur – vers des secteurs anciennement ou nouvellement investis. Le sujet peut aussi s’accommoder de sa douleur. Au cours de ce processus il n’est pas rare d’observer une créativité malgré l’inconfort, une attribution de sens au vécu de la douleur ou une production mystique.


Le processus par lequel la vie peut se poursuivre malgré la douleur n’est pas facile à comprendre. Comment comprendre en effet que l’être humain peut ne pas souhaiter mourir quand il vit dans la douleur et l’inconfort durant des périodes prolongées? Le concept d’un «masochisme gardien» venant au secours de la survie et de l’autoconservation a été proposé. Ce concept est proche du concept de «tolérance psychologique» à la douleur et doit bien sûr se différencier de la perversion masochiste ou d’autres troubles psychiatriques.

Il existe aussi de nombreuses questions concernant la capacité de juger quand prévalent des douleurs «intenses». Ce contexte est à différencier des douleurs de sévérité «moyenne» évoluant pendant des mois ou des années. Ceux qui souffrent «intensément» ont fréquemment une capacité réduite à exprimer des désirs ou des jugements. Il est aussi probable que des douleurs intenses empêchent une mentalisation élaborée des préoccupations diverses qu’un sujet expérimente et favorisent le développement d’attitudes et de comportements visant quasi uniquement à réduire ou à échapper à l’inconfort du moment. L’ensemble des motivations dans ces situations est peu influencé par le désir d’une autoconservation. L’essentiel se limite surtout à s’efforcer de survivre ou alors à demander de mourir pour ne pas souffrir.

La souffrance est un terme fréquemment utilisé quand il est question de discuter de la clinique de fin de vie. En tant que concept, la souffrance est considérée comme un état de détresse sévère. On la définit également comme une expérience subjective et singulière découlant de la perception par un sujet d’une menace pour son intégrité biologique, psychologique ou sociale. Il existe peu de recherches empiriques disponibles à ce propos. Une étude de prévalence récente dans une population de patients cancéreux en soins palliatifs met en évidence que près d’un patient sur deux ne se considère pas être en souffrance (Wilson, Chochinov et coll., 2007). Cette même étude met en évidence que les corrélats de la souffrance sont essentiellement des problématiques physiques (malaises, faiblesse, douleurs) et psychologiques (dépression, détresse, préoccupations existentielles). Mentionnons à ce niveau que ces problématiques n’expliquent que partiellement la souffrance. Mentionnons aussi à ce niveau que chacune de ces problématiques accroît la probabilité d’apparition d’une autre. De plus, il faut savoir que l’évolution de ces pro blématiques – lorsque ces problématiques coexistent – n’est pas toujours totalement liée. Ainsi, l’approche de la mort induirait un accroissement de la détresse psychologique et ce indépendamment de la douleur. Il est probable aussi que dans la souffrance, le sujet s’identifie à sa douleur. Cette identification génère une détresse. Cette hypothèse pourrait expliquer que des interventions psychologiques qui inviteraient le sujet à se «distancier» par rapport à sa douleur puissent réduire le niveau de souffrance. Une «distanciation» pourrait permettre une objectivation de la douleur et permettrait ainsi au sujet de mieux la traiter ou de pouvoir vivre malgré celle-ci. Cette «distanciation» favorise une réduction de la détresse et en conséquence de la souffrance.

Les différents syndromes douloureux rencontrés en clinique oncologique peuvent être répartis en deux grandes catégories, selon qu’ils sont secondaires à l’affection néoplasique elle-même (primitif ou métastase), ou qu’ils sont secondaires aux traitements administrés.


SYNDROMES DOULOUREUX SECONDAIRES AU CANCER



Métastases osseuses


L’infiltration métastatique du squelette se rencontre fréquemment dans tous les types de tumeurs solides et peut intéresser toutes les structures osseuses (Daut et Cleeland, 1982; Mundy et Spiro, 1981). Pour des raisons pratiques, les métastases de la colonne vertébrale seront envisagées séparément. Ces lésions sont responsables de douleurs importantes, localisées, et dont le diagnostic repose sur un examen radiologique. L’examen isotopique du squelette, bien que sensible, ne permet pas de déterminer si une lésion osseuse est menaçante de fracture, mais reste d’un apport majeur dans le suivi des patients. Ces métastases peuvent être responsables de fractures spontanées, notamment au niveau des côtes et des hanches.

Le traitement de choix des métastases osseuses reste la radiothérapie qui permet un soulagement rapide des douleurs. Cependant, les sites d’infiltration sont souvent multiples et il n’est pas toujours possible d’irradier l’ensemble des structures osseuses envahies, sous peine d’une toxicité hématologique trop importante. Un traitement systémique doit alors être envisagé, en fonction du type de tumeur et des antécédents thérapeutiques du patient (Coyle et Foley, 1987). Une intervention chirurgicale (enclavage, prothèse) est parfois requise dans les cas de fracture menaçante. L’usage d’antalgiques est souvent nécessaire mais une utilisation prolongée n’est en général pas requise étant donné l’efficacité de la radiothérapie. Le paracétamol, à la dose de quatre fois 500mg par jour per os, reste la drogue de choix. Le naproxen, à la dose de 550mg, peut être une alternative. L’emploi d’autres anti-inflammatoires doit être discuté en fonction de leur toxicité potentielle.


Infiltration métastatique de la colonne vertébrale


La symptomatologie douloureuse diffère peu de celle des métastases osseuses (douleur aiguë, bien localisée) mais les risques de compression médullaire sont ici la complication qu’il faut éviter. Il existe en moyenne un délai de sept semaines entre l’apparition des douleurs et l’apparition de signes de souffrance médullaire (paresthésies, parésies, troubles de la marche, troubles sphinctériens) (Gilbert, Kim et coll., 1978). Ces complications sont d’autant plus redoutables qu’elles sont le plus souvent irréversibles, en dépit d’un traitement bien conduit. Il importe donc de poser un diagnostic précoce devant toute douleur dorsale survenant chez un patient cancéreux. Ce diagnostic entre dans le cadre de celui de l’épidurite carcinomateuse, dont la mise en évidence repose une fois de plus sur les examens radiologiques (radiographie de la colonne, CT scan, résonance magnétique nucléaire (RMN), myélographie (Grossman et Lossignol, 1989). La clinique permettra d’orienter les investigations nécessaires afin d’obtenir un diagnostic rapide et précis. La radiographie convenrecours aux antalgiques, commetionnelle de la colonne indique les zones suspectes d’infiltration métastatique que le CT scan permettra d’objectiver. L’intérêt de la RMN et sa supériorité sur les autres techniques d’imagerie doivent encore être démontrés.

La symptomatologie douloureuse proprement dite répond rapidement à la radiothérapie (Gilbert, Kim et coll., 1978) mais il est souvent nécessaire d’avoir recours aux antalgiques, comme c’est le cas pour les métastases osseuses. En général, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont suffisants pour contrôler la douleur, mais il est parfois nécessaire de recourir aux opiacés. Dans le cas d’une infiltration péridurale, l’utilisation de stéroïdes s’est avérée efficace pour un soulagement rapide de la douleur (Rodriguez et Dinapoli, 1980). Un usage prolongé n’est cependant pas conseillé étant donné les effets secondaires potentiels de ces drogues. Enfin, l’utilisation de stimuli électriques par stimulation transdermique (TNS : transdermal nerve stimulation) pourrait constituer une alternative intéressante mais qui demande encore des investigations cliniques.


Plexopathie brachiale


Le diagnostic de plexopathie repose essentiellement sur l’examen clinique : aréflexie de tout le membre, zones d’hypoesthésie pouvant correspondre à différents territoires nerveux, syndrome de Claude-Bernard-Horner (ptosis, myosis, énophtalmie). Les douleurs sont de type causalgique. Le cas le plus typique est la tumeur du sommet pulmonaire entreprenant les structures nerveuses du plexus brachial (syndrome de Pancoast-Tobias) (Kanner, Martini et coll., 1981). Une mise au point pulmonaire est donc indispensable devant une telle symptomatologie. Par ailleurs, des plexopathies après irradiation sont décrites. Celles-ci peuvent apparaître des mois après l’arrêt du traitement radiologique et leur diagnostic n’est pas toujours aisé. En général, la douleur est plus souvent décrite en cas d’infiltration tumorale alors que la faiblesse du membre s’observera surtout en cas d’atteinte postradique. On devra en outre s’attacher à exclure une infiltration tumorale péridurale ou une infiltration méningée dont les traitements sont spécifiques (radio- ou chimiothérapie). La morphine, par voie générale ou en utilisation locale (péridurale ou intrathécale), est un agent utile dans les cas de plexopathie. Les médicaments coanalgésiques (antidépresseurs, antiépileptiques, etc.) sont également indiqués.


Plexopathie lombo-sacrée


La symptomatologie de ce type d’atteinte est parfois complexe et seul un examen neurologique soigneux permet d’orienter le diagnostic. Les douleurs sont à nouveau de type causalgique. Le syndrome neurologique revêt un aspect complexe avec des atteintes partielles de troncs nerveux, responsables de déficits moteurs et sensitifs. Une atteinte des sphincters doit également être recherchée (Jackel, Young et coll., 1985). Les causes de plexopathie lombo-sacrée sont multiples et il faudra rechercher systématiquement une infiltration tumorale, des lésions postradiques, postchirurgicales ou postchimiothérapiques. Le traitement de ces douleurs dépendra de l’agent causal, tout comme dans les cas de plexopathies brachiales, mais ici encore, la morphine est l’agent de choix.


Céphalées et douleurs cervico-faciales


Les causes de céphalées sont évidemment multiples et seront liées ou non à la pathologie tumorale sousjacente. Cependant, les étiologies les plus fréquentes sont d’une part, les tumeurs de la sphère ORL (primitive, métastatique) et d’autre part, les lésions intracérébrales, surtout lorsqu’un syndrome d’hypertension intracrânienne est présent. Dans le premier cas, il faut noter que ces douleurs sont extrêmement invalidantes, qu’elles présentent un caractère continu ou pulsatile, avec des épisodes d’exacerbation. Ces douleurs apparaissent rapidement et sont souvent le premier symptôme de la maladie. Elles ont un caractère continu, exacerbé par la déglutition. Les tumeurs pharyngées provoquent une douleur qui peut irradier vers l’oreille et la région mastoïdienne. On note également des douleurs postopératoires, après évidement cervical, qui seront soit la conséquence directe de l’intervention, et qui disparaissent après quelques jours ou quelques semaines, soit liées à des douleurs de type causalgique suite à l’interruption de filets nerveux, soit le signe d’une récidive précoce. La symptomatologie typique de la névralgie du trijumeau est finalement rarement rencontrée, mais ce nerf crânien joue certainement un rôle important dans l’émergence des douleurs de la face, étant donné son rôle majeur dans l’innervation sensible de cette région. L’utilisation d’antalgiques classiques (paracétamol, six fois 500mg) ou de morphiniques légers (comme par exemple, la codéine : quatre à six fois 30mg, le tramadol : quatre à six fois 50mg etc.) s’avère efficace.

De même, les cas de migraine, classique ou commune, sont peu fréquents mais la composante vasculaire (caractère pulsatile) de la douleur est un élément dont il faudra tenir compte dans l’approche thérapeutique. Cependant, les agents antimigraineux conventionnels ont peu d’indications dans les cas de céphalées liées au cancer. Dans la pratique, il a été constaté que l’association morphine-carbomazépine est efficace.

Les céphalées associées à une hypertension intracrânienne sont décrites classiquement comme ayant une prédominance matinale avec sédation relative durant la journée, mais réapparaissant le lendemain de façon plus intense. Ces céphalées s’accompagnent de troubles neurologiques tels que confusion, hémiparésie, hémiplégie, troubles visuels, convulsions. Des signes gastro-intestinaux (nausées, vomissements, etc.) sont invariablement rapportés. Les stéroïdes (dexaméthasone, quatre fois 4mg per os) sont d’un apport majeur pour contrôler l’œdème lié aux processus expansifs intracrâniens.


Douleurs viscérales


Les douleurs viscérales seront de deux types, selon que l’on aura affaire à un viscère creux (estomac, intestin grêle, côlon) ou à un viscère plein (foie, pancréas, etc.). Les phénomènes obstructifs au niveau du tube digestif sont une cause fréquente de douleurs abdominales. Les tumeurs primitives, métastases, carcinomatoses péritonéales, et adhérences peuvent être responsables de douleurs crampoïdes, parfois paroxystiques, souvent associées à une douleur continue permanente. Le caractère crampoïde peut ultérieurement disparaître lorsque l’obstacle est total pour faire place soit à des douleurs continues, soit parfois à une disparition de ces douleurs. Les spasmolytiques sont initialement efficaces dans ce type de douleur mais sont rapidement dépassés si l’obstacle n’est pas levé. Les morphiniques, et notamment le fentanyl transdermique, sont à considérer dans chaque cas. La chirurgie (colostomie de décharge, dissection d’adhérences, etc.) reste finalement le meilleur moyen pour lever un obstacle, avec un soulagement rapide de la douleur. Il existe cependant des cas où des localisations multiples empêchent toute intervention et des traitements symptomatiques seront le plus souvent proposés : aspiration gastrique, ponction d’ascite, antiémétiques, etc.

L’infiltration métastatique du foie, avec distension de la capsule de Glisson, entraîne des douleurs abdominales situées au niveau de l’hypochondre droit, à caractère continu avec parfois irradiation vers l’épaule droite (Foley 1985). Si l’affection néoplasique ne répond pas à un traitement spécifique, ces douleurs deviennent difficiles à contrôler et les modalités thérapeutiques proposées restent limitées à des mesures symptomatiques. Les antalgiques classiques n’ont ici qu’une efficacité limitée. Les douleurs abdominales ou pelviennes chroniques liées à une infiltration tumorale peuvent être contrôlées par des injections de morphine et de marcaïne, soit en péridural, soit directement en intrathécal. Les stéroïdes ont un effet favorable rapide, mais de courte durée. L’infiltration du plexus cœliaque à l’aide d’anesthésiques locaux n’apporte cependant pas de sédation adéquate dans plus de 50 % des cas, en raison du caractère évolutif de l’affection sous-jacente. Au syndrome douloureux s’ajoutent les signes et les symptômes des atteintes de la cavité abdominale avec nausées, vomissements, malaise, qui devront également être contrôlés de façon symptomatique.


SYNDROMES DOULOUREUX SECONDAIRES AUX TRAITEMENTS


Les douleurs dites «iatrogènes» peuvent se rencontrer après chimiothérapie, radiothérapie ou chirurgie, mais il n’est pas toujours aisé de poser un tel diagnostic.


Syndromes douloureux postchirurgicaux


Ces syndromes sont à différencier des douleurs aiguës postopératoires. Ils apparaissent rapidement après l’intervention et augmentent en intensité au cours du temps. Théoriquement, toute intervention peut s’accompagner de douleurs, mais en cancérologie, il existe des interventions spécifiques pour lesquelles une douleur «résiduelle» s’observe plus fréquemment : mastectomie, dissection cervico-faciale et amputation de membre.

Les douleurs postmastectomie peuvent apparaître quelques jours à quelques mois après l’intervention et sont décrites comme une sensation de brûlure ou de dysesthésie. Elles résultent de l’interruption de fibres nerveuses sensitives avec formation de névromes d’amputation. Ces douleurs ont le plus souvent une distribution intercostale. De plus, les interventions au niveau du creux axillaire peuvent causer des douleurs articulaires au niveau scapulaire. On observe parfois des zones d’anesthésie douloureuses. Ces douleurs multifactorielles demanderont souvent des traitements combinés (physiothérapie, blocs anesthésiques, drogues diverses) (Coyle et Foley, 1987).

Les douleurs liées à la chirurgie cervico-faciale ont également un délai d’apparition variable et résultent de l’interruption de fibres sensitives ou des modifications anatomiques liées à la chirurgie elle-même. Elles entrent dans le cadre plus général des céphalées mais leur caractère particulier fait que les traitements «classiques» sont souvent peu efficaces. Un autre type de douleur peut apparaître après chirurgie cervicofaciale lorsque celle-ci concerne les nerfs et les muscles de l’épaule. Une modification de la dynamique de l’articulation peut entraîner des douleurs exacerbées par les mouvements ou la simple station debout. Les images radiologiques montrent des calcifications ou des lésions de périarthrite. Les traitements sont une fois de plus multidisciplinaires (Coyle et Foley, 1987).

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 16. Douleur et analgésie

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