Chapitre 16 Brûlures de l’enfant
La brûlure est définie comme une atteinte primitive de la peau, des muqueuses et/ou des tissus sousjacents par des agents thermiques, chimiques, électriques ou par des radiations. Les lésions ont d’abord un impact local. Cependant lorsqu’elles sont très étendues (à partir de 20-30 % chez l’adulte), il existe en plus de l’impact local, un retentissement majeur sur les grandes fonctions de l’organisme [1].
Épidémiologie
Données d’ordre général
L’équipe de Tours a réalisé, il y a 10 ans, une étude de référence sur l’épidémiologie et les circonstances de survenue des brûlures de l’enfant. Cette étude indique que les projections de liquides bouillants (eau, thé, huile, préparations culinaires…) sont de très loin la première cause de brûlure chez l’enfant, représentant plus de 70 % des accidents [2]. Les autres causes : brûlures par immersion, brûlures par contact, brûlures par flamme, brûlures électriques, sont nettement moins fréquentes. Certaines localisations de brûlures sont typiques de la petite enfance : brûlure par immersion dans un bain trop chaud intéressant le dos, le siège et les membres inférieurs en dessous d’une ligne horizontale de flottaison, brûlure bilatérale des paumes de la main par contact avec une porte de four ou un insert de chauffage domestique, ou encore brûlure électrique péribuccale.
Gravité des brûlures chez l’enfant
Les brûlures font partie des accidents de la vie courante et représentent à ce titre la première cause de mortalité chez l’enfant [3]. Les brûlures ne sont pas les accidents les plus fréquents. Cependant, comparativement aux autres causes d’accidents de la vie courante chez l’enfant, les brûlures donnent lieu à un plus grand nombre de séjours en réanimation ainsi qu’à un plus grand nombre de journées d’hospitalisation [4].
Enfance en danger
Toutes les brûlures de l’enfant ne sont pas accidentelles. La maltraitance constitue une éventualité non exceptionnelle qu’il faut savoir évoquer devant une brûlure de l’enfant. Dans une étude nord-américaine, les auteurs estiment que 5 à 10 % des enfants brûlés sont en réalité victimes de brûlures intentionnelles ou de négligences graves [5].
Particularités anatomophysiologiques de l’enfant
Le jeune nourrisson a une surface cutanée, un volume extracellulaire, un débit cardiaque et une consommation d’oxygène, indexés par rapport au poids corporel, beaucoup plus importants que l’adulte [6].
Énergie nécessaire pour constituer la lésion
L’épaisseur de la couche cornée est réduite chez le nourrisson et le jeune enfant par rapport à l’adulte. Ainsi un liquide chaud à 50 °C peut-il induire en quelques secondes une brûlure profonde sur la peau d’un nourrisson alors qu’il faudrait plusieurs dizaines de secondes pour induire des lésions similaires sur la peau d’un adulte [7].
Particularités respiratoires
Chez le jeune nourrisson, la muqueuse sousglottique est particulièrement fragile au niveau du cartilage cricoïde (rétrécissement physiologique). Les sondes à ballonnet sont aujourd’hui adoptées par la majorité des équipes pédiatriques [8]. Il convient néanmoins de choisir un tube de diamètre inférieur à celui d’une sonde classique sans ballonnet [9] et de surveiller étroitement la pression de gonflage des ballonnets.
La faible longueur de la trachée augmente le risque d’intubation sélective et d’extubation accidentelle. La chondrification incomplète du larynx augmente le risque de trachéomalacie et de sténose sous-glottique en cas de traumatismes répétés par les mouvements de sonde (intubation prolongée).
Particularités pharmacologiques : traitement de la douleur
Entre 1 et 6 ans, la clairance d’élimination des hypnotiques et des morphiniques est supérieure à celle de l’adulte, probablement en rapport avec une augmentation de la masse hépatique indexée. Il convient donc généralement d’ajuster à la hausse les doses indexées en mg/kg chez les enfants d’âge préscolaire [10].
Signes prédictifs de brûlure grave chez l’enfant
Les signes prédictifs de mortalité lors d’une brûlure sont la surface des lésions supérieure à 40 % de la surface cutanée totale, l’inhalation de fumée et l’âge, chez l’adulte [11].
Ces signes n’ont pas fait l’objet d’une validation prospective chez l’enfant.
La surface brûlée profonde est sans doute mieux corrélée avec l’importance de la nécrose tissulaire, l’exposition aux radicaux libres et la production de cytokines et de médiateurs de l’inflammation. Comme il est exposé ailleurs dans cet ouvrage, ces éléments ont un rôle déterminant sur les conséquences physiopathologiques de la brûlure en termes d’altération de la perméabilité capillaire, de coagulopathie, d’hypercatabolisme et d’immunosuppression (voir chap. 10).
L’existence de lésions orthopédiques associées (explosion, défenestration, chute liée à une électrocution) est également un facteur important de morbidité dans les brûlures par flammes.
L’ âge est inversement relié à la mortalité par brûlure chez l’enfant. Les nourrissons de moins de 2 ans ont une mortalité deux fois plus importante que les enfants plus âgés lorsque les brûlures sont étendues [12]. Cette donnée va dans le même sens qu’un grand nombre d’études sur le risque anesthésique chez l’enfant. Indépendamment de la surface, les brûlures des nouveau-nés et des nourrissons de moins d’un an posent des problèmes spécifiques de cicatrisation et doivent être adressés en centre spécialisé.
La réparation tissulaire des brûlures profondes est plus complexe. Les lésions ne peuvent se réépithélialiser qu’au prix d’un apport extérieur de tissus (autogreffe, culture de kératinocytes). Les risques de rétraction et de cicatrice hypertrophique sont beaucoup plus importants, particulièrement chez l’enfant. Ainsi sur une cohorte de 337 enfants brûlés par liquides chauds, le risque de cicatrice hypertrophique passe de 20 % à près de 60 % quand les lésions ne sont pas réépithélialisées dans un délai de 3 semaines après l’accident, et à plus de 80 % quand les lésions ne sont pas réépithélialisées dans un délai de 4 semaines, y compris chez les enfants qui ont bénéficié d’un traitement chirurgical [13].
Il n’existe pas aujourd’hui d’indice de gravité simplifié pour les brûlures de l’enfant. On peut néanmoins proposer quelques règles simples concernant l’orientation initiale des enfants brûlés (tableau 16-1).
Prise en charge ambulatoire | Hospitalisation | Hospitalisation en centre spécialisé |
---|---|---|
Brûlure < 5 % de la SCT Sans signe de gravité Contexte sociofamilial favorable | Brûlure entre 5 et 10 % de la SCT Lésions superficielles de la face, des mains, des pieds et du périnée Brûlure électrique par courant domestique | Brûlure > 10 % de la SCT (> 5 % chez le nourrisson de moins de 1 an) Inhalation de fumée Lésions profondes de la face, des mains, des pieds et du périnée Brûlure électrique haute tension Traumatismes associés Contexte de maltraitance |
Prise en charge préhospitalière
Premiers gestes
Sur les lieux de l’accident, il faut rapidement soustraire l’enfant à l’agression thermique, retirer les vêtements et rincer les lésions à l’eau froide.
Réanimation initiale
Lors de l’intervention des premiers secours, l’enfant brûlé est en principe toujours conscient, algique et sans déficit moteur, comme le patient brûlé adulte [14]. Tout autre tableau clinique doit faire évoquer l’existence de lésions associées : intoxication à l’oxyde de carbone et/ou à l’acide cyanhydrique en cas d’incendie en espace clos, lésion neurologique en cas d’incendie dans un accident de la voie publique.
La principale conséquence immédiate de la brûlure est une fuite plasmatique qui peut atteindre 200 à 300 ml par heure et par m2 de surface brûlée [15].
Il existe chez le nourrisson et le jeune enfant une augmentation considérable de l’eau extracellulaire (voir supra). Il est donc essentiel de débuter rapidement un remplissage vasculaire lorsque le patient brûlé est un nourrisson ou un jeune enfant. Il a ainsi été montré qu’un retard de plus de 2 heures dans la compensation des pertes liquidiennes est associé à une augmentation significative de la mortalité et des complications infectieuses et métaboliques chez le nourrisson brûlé [16]. En pratique, tout enfant brûlé sur plus de 10 % de la SCT doit bénéficier d’un remplissage vasculaire immédiat, sur les lieux de l’accident.
Chez le nourrisson, comme chez l’adulte, l’intubation trachéale est un geste invasif qui nécessite une sédation appropriée. L’hypnotique de choix est le propofol ou la kétamine. L’ étomidate ne doit pas être employé chez l’enfant de moins de 2 ans [17]. En situation préhospitalière, il est recommandé de procéder à une induction en séquence rapide. La succinylcholine n’est pas contre-indiquée dans les heures qui suivent la constitution d’une brûlure.
En l’absence de détresse respiratoire, le premier geste à réaliser est la mise en place d’un abord veineux. En cas d’abord veineux impossible, défini par trois échecs dans les dernières recommandations européennes, il faut recourir à un abord intraosseux [18]. L’abord tibial supérieur permet d’atteindre un débit de perfusion de 100 ml.h−1 et de rétablir rapidement une perfusion tissulaire efficace chez le nourrisson [19].
L’analgésie repose sur l’administration titrée de morphinomimétiques [17]. Chez l’enfant, la morphine est l’agoniste le plus maniable en ventilation spontanée. En pédiatrie, la dose de titration initiale est de 100 μg kg−1 avec des réinjections ultérieures de 25 μg kg−1. L’administration d’agents hypnotiques doit être extrêmement prudente dans ce contexte (hypovolémie, hypothermie).
Prise en charge de l’enfant gravement brûlé au cours des 48 premières heures
Bilan lésionnel
Au plan local, l’examen précise la topographie, la surface et la profondeur de la brûlure.
La surface cutanée brûlée doit être estimée à partir de la main du patient qui représente 1 % de la surface cutanée et à partir des tables de Lund et Browder, qui tiennent compte de la croissance différentielle de l’extrémité céphalique et des autres segments du corps (tableau 16-2).
La profondeur des lésions est appréciée sur des critères cliniques, comme chez l’adulte :