Chapitre 15 Traumatismes chez l’enfant
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’identifier les particularités anatomiques et physiologiques des enfants afin de traiter leurs lésions spécifiques ;
✓ de comprendre l’importance toute particulière de la prise en charge des voies aériennes et de la restauration de l’oxygénation chez l’enfant ;
✓ de reconnaître et d’interpréter les signes vitaux chez l’enfant ;
✓ de comprendre et de prendre en charge des traumatismes chez l’enfant ;
✓ de calculer le score traumatique pédiatrique (Pediatric Trauma Score) ;
✓ d’identifier les signes évocateurs de traumatismes non accidentels.
Les statistiques annuelles du Center de contrôle des maladies montrent que les causes de décès varient en fonction des groupes d’âge, mais que les traumatismes restent la principale cause de décès chez les enfants aux États-Unis. Plus de 8,7 millions d’enfants sont blessés chaque année, et toutes les 30 minutes environ, un enfant meurt suite à ses blessures [1,2]. Le plus tragique est que 80 % de ces décès pourraient être évités soit par des mesures de prévention, soit par des soins appropriés des lésions aiguës [3].
L’enfant en tant que patient traumatisé
Quelques données statistiques
Les chutes, les piétons renversés et les occupants de véhicules représentent les principales causes de blessures chez les enfants aux États-Unis. Les chutes à elles seules représentent plus de 2,5 millions de blessures par an [2]. Selon les statistiques, une blessure est accidentelle dans 87 % des cas, due à un accident de sport dans 4 % des cas, et à une agression dans 5 % des cas. Les atteintes multisystémiques semblent être la règle plutôt que l’exception chez les patients pédiatriques. Bien que l’on ne puisse voir que des lésions externes minimes, les lésions d’organes vitaux ne peuvent être écartées qu’après des examens complémentaires dans un centre hospitalier.
Types de lésions rencontrés
Les particularités anatomiques et physiologiques des enfants, associées aux différents mécanismes lésionnels, provoquent des types particuliers de lésions (tableau 15-1). Un mauvais réglage de la ceinture de sécurité ou une position inappropriée par rapport aux airbags peut engendrer des lésions importantes chez les patients pédiatriques (encadré 15-1). Connaître ces particularités permet à l’intervenant préhospitalier de mieux appréhender le problème. Par exemple, la plupart des traumatismes fermés chez l’enfant impliquent un traumatisme crânien avec pour effet une apnée, une hypoventilation et une hypoxie ; celles-ci sont beaucoup plus fréquentes que l’hypovolémie et l’hypotension. De ce fait, les protocoles de prise en charge des enfants traumatisés devraient inclure une attention particulière à la prise en charge des voies aériennes et de la fonction respiratoire.
Type de traumatisme | Types de lésions |
---|---|
AVP (enfant passager) | Non ceinturé : polytraumatisme, traumatismes crânien et du rachis cervical, plaies du cuir chevelu et de la face Ceinturé : traumatismes du thorax et de l’abdomen, fractures de la partie inférieure du rachis Impact latéral : traumatismes de la tête, du cou, et du thorax ; fractures des extrémités Airbags déployés : traumatismes de la tête, de la face et du thorax ; fractures des membres supérieurs |
AVP (enfant piéton) | À petite vitesse : fractures des membres inférieurs À grande vitesse : polytraumatisme, traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres inférieurs |
Chute | De petite hauteur : fractures des extrémités De moyenne hauteur : traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres inférieurs et supérieurs De grande hauteur : polytraumatisme, traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres supérieurs et inférieurs |
Accident de vélo | Sans casque : plaies du cuir chevelu et du cou, plaies du scalp et de la face, fractures des extrémités Avec casque : fractures des membres supérieurs Choc contre le guidon : lésions intra-abdominales |
Modifié d’après American College of Surgeons Committee on Trauma, Pediatric trauma, in ACS Committee on Trauma : Advanced trauma life support for doctors, student course manual, 7th ed, Chicago, ACS, 2004. AVP : accident de la voie publique.
Encadré 15-1 Lésions chez l’enfant associées au port de la ceinture de sécurité ou au déclenchement des airbags
Malgré les lois imposant le port de la ceinture de sécurité ou l’installation des petits enfants dans des systèmes adaptés à leur taille, dans près de la moitié des accidents de la voie publique (AVP), l’enfant est soit non attaché soit attaché de manière inappropriée [25]. Si l’enfant est le passager avant d’un véhicule équipé d’un airbag passager avant, il est probable qu’il présente des lésions graves, qu’il porte ou qu’il ne porte pas la ceinture [26]. Un enfant passager avant avec système airbag a deux fois plus de risques de présenter des lésions qu’un passager avant ceinturé sans airbag [27].
Les enfants portant une ceinture à deux points d’ancrage (reposant sur le pelvis ou sur l’abdomen seulement) ou une ceinture inappropriée sont susceptibles de souffrir plus fréquemment de lésions des intestins. L’incidence est difficile à déterminer. Dans une étude, 20 % des enfants blessés présentaient une lésion cutanée abdominale due à la ceinture, et 50 % de ces enfants avaient une lésion intra-abdominale significative, dont 25 % étaient des perforations digestives [31]. Une autre étude a montré que 5 % seulement des enfants présentaient une lésion cutanée due à la ceinture, et que parmi ces enfants, 13 % souffraient de lésions intra-abdominales [32]. Il est donc logique de supposer que tout enfant portant une ceinture à deux points d’ancrage et présentant une lésion cutanée abdominale due à cette ceinture risque de souffrir d’une lésion intra-abdominale, et ce jusqu’à preuve du contraire.
Dans près de 1 % de tous les AVP impliquant des enfants, l’enfant est exposé au déploiement d’un airbag. Parmi ces enfants, 14 % souffrent de lésions graves, alors que seulement 7,5 % des enfants passagers avant ceinturés non soumis au déploiement de l’airbag en souffrent. Le risque total était de 86 % versus 55 % dans l’étude contrôle [27]. Les lésions mineures dues aux airbags sont des brûlures mineures et des plaies du torse et de la face. Les lésions majeures sont des atteintes plus sérieuses du thorax, du cou, de la face et des membres supérieurs [33]. Il y a eu un cas décrit de décapitation d’un enfant par le déploiement d’un airbag [2].
Hypoxie
Les effets de l’hypoxie, même transitoire, chez un patient souffrant de lésions cérébrales peuvent être particulièrement dévastateurs et méritent par conséquent une attention particulière. Si l’hypoxie cérébrale est évitée, le patient garde toutes ses chances de récupérer. Ceux nécessitant une assistance respiratoire agressive doivent être préoxygénés avant de placer un dispositif avancé d’assistance des voies aériennes. Cette simple manœuvre peut non seulement commencer à renverser l’hypoxie existante, mais aussi fournir des réserves suffisantes pour améliorer la marge de sécurité lorsque le placement d’une assistance des voies aériennes avancée est effectué. La période d’hypoxie au cours des tentatives multiples ou prolongées pour placer une assistance ventilatoire peut être plus préjudiciable à l’enfant que de simplement ventiler celui-ci au masque et de prévoir un transport rapide [4–6]. Au vu de récentes données, les risques d’une prise en charge avancée des voies aériennes doivent être soigneusement pris en considération si l’enfant est ventilé et oxygéné correctement à l’aide de bons gestes de prise en charge de base, comme la ventilation au masque.
Hémorragies
Étant donné la plus haute incidence de lésions cérébrales par rapport au choc hémorragique lors des traumatismes fermés, on a longtemps pensé qu’une hyperhydratation pouvait avoir des effets secondaires très néfastes pour le cerveau et pouvait aggraver un œdème cérébral ou accélérer son apparition. Il n’existe actuellement aucune preuve que l’arrêt du remplissage vasculaire réduit l’œdème cérébral [7]. En fait, il y a plus de preuves dans la littérature qui soutiennent la réalisation d’un remplissage agressif afin d’éviter la survenue d’une hypotension, un facteur connu de lésions cérébrales secondaires et pouvant être évité [8,9]. La pression de perfusion cérébrale est la différence entre la pression intracrânienne (la pression à l’intérieur du crâne) et la pression artérielle moyenne (la pression transportant le sang dans le crâne). Une lésion cérébrale traumatique peut entraîner une augmentation des pressions intracrâniennes et ainsi, même si le sang est oxygéné correctement mais n’atteint pas le cerveau en raison de la pression artérielle basse, des lésions cérébrales hypoxiques peuvent encore se produire. Il y a même quelques recherches montrant qu’un seul épisode d’hypotension peut augmenter la mortalité de près de 150 % [10]. En outre, une évaluation minutieuse des signes vitaux de l’enfant et une fréquente réévaluation de toutes les interventions thérapeutiques sont les principales mesures immédiatement après la blessure.
Lésions du système nerveux central
Les modifications physiopathologiques qui surviennent au niveau du SNC après un traumatisme débutent quelques minutes après ce dernier. Une réanimation précoce et adéquate est la clé du succès si l’on veut augmenter le taux de survie de ces patients. Même si un ensemble de lésions du SNC sont instantanées et qu’une écrasante majorité sont fatales, de nombreux enfants peuvent se présenter avec une blessure neurologique apparemment dévastatrice qui peut évoluer vers un rétablissement complet et fonctionnel, mais seulement si des efforts coordonnés visent à éviter les blessures secondaires. Ce résultat est obtenu grâce à la prévention des épisodes ultérieurs d’hypoperfusion, d’hypoventilation, d’hyperventilation et d’ischémie. Une ventilation et une oxygénation adéquates (tout en évitant l’hyperventilation) sont tout aussi essentielles dans la prise en charge des traumatismes craniocérébraux (TCC) que la prévention de l’hypotension [9]. Ainsi, en cas de TCC, des précautions doivent être prises avec tous les enfants afin d’éviter les lésions cérébrales secondaires de l’hypotension, l’hypoxie et autres lésions.
Évaluation
Évaluation primaire (initiale)
La variabilité de poids et de taille des enfants (tableau 15-2), la taille et le calibre de leurs vaisseaux sanguins ainsi que le volume circulant, de même que leurs caractéristiques anatomiques uniques confèrent à la prise en charge de ces jeunes patients un caractère de défi. Une réanimation traumatologique pédiatrique efficace exige de disposer de matériels appropriés en taille pour les voies aériennes, les lames de laryngoscope, les sondes d’intubation, les sondes nasogastriques, les tensiomètres, les masques à oxygène, les ballons autoremplisseurs (BAVU) et l’équipement annexe. Une tentative pour placer un cathéter trop grand ou un matériel inapproprié dans les voies respiratoires peut faire plus de mal que de bien, non seulement en raison des dommages potentiels physiques pour le patient, mais aussi parce que cela peut retarder le transport vers l’établissement approprié [11].
Voies aériennes
Comme chez l’adulte blessé, la priorité immédiate et toute l’attention doivent se porter sur la prise en charge des voies aériennes chez l’enfant gravement blessé. Cependant, il existe quelques différences anatomiques qui en compliquent les soins. Les enfants ont une langue et un occiput relativement grands, ainsi qu’un positionnement plus antérieur des voies aériennes. En outre, plus l’enfant est petit, plus le rapport entre le crâne et le reste du corps est disproportionné. C’est pourquoi, sur le dos, l’occiput relativement grand entraîne une flexion passive du rachis cervical (figure 15-1). Ces facteurs prédisposent l’enfant à un risque plus élevé d’obstruction anatomique des voies aériennes que chez l’adulte. En l’absence de traumatisme, les voies aériennes du patient pédiatrique sont mieux protégées par une position légèrement supéroantérieure de la face, connue sous le nom de position amendée de Jackson ou sniffing position (figure 15-2). En présence d’un traumatisme, la position « neutre » protège mieux le rachis cervical tout en assurant une ouverture adéquate des voies aériennes. Donc, chez le patient traumatisé pédiatrique, le cou devrait être maintenu immobilisé afin d’éviter le risque de flexion au niveau des 5e et 6e cervicales (C5–C6) et l’extension au niveau de C1–C2, qui survient lors d’une bascule de la tête en arrière. Le fait de placer du rembourrage ou une couverture de 2 à 5 cm d’épaisseur sous le torse de l’enfant diminuera la flexion du cou et aidera au maintien de la liberté des voies aériennes. La stabilisation manuelle du rachis cervical est assurée durant le contrôle des voies aériennes et maintenue jusqu’à ce que l’enfant soit immobilisé sur un dispositif d’immobilisation rachidienne adapté.
La ventilation au BAVU avec de l’oxygène à haut débit et haute concentration représente probablement le meilleur choix lorsque l’enfant blessé nécessite une assistance de la ventilation, que ce soit pour une défaillance de la ventilation, une défaillance de l’oxygénation ou en anticipation de ces risques [4]. S’il est inconscient, une canule oropharyngée peut parfois être mise en place, mais elle entraînera probablement des vomissements chez l’enfant ayant un réflexe de déglutition. Il en est de même avec le masque laryngé et le dispositif King LT™ ; ces dispositifs supraglottiques, lorsqu’ils sont adaptés à la morphologie, peuvent être employés chez le patient traumatisé pédiatrique. Cependant, en comparaison avec celui de l’adulte, le larynx de l’enfant est plus petit et légèrement plus antérieur et céphalique (en avant et vers le haut), rendant plus difficile la visualisation des cordes vocales durant les tentatives d’intubation (figure 15-3). L’intubation trachéale, même si elle est le moyen de ventilation le plus fiable chez l’enfant ayant une obstruction des voies aériennes, est donc réservée aux situations dans lesquelles la ventilation au masque est inefficace ou entraîne des insufflations gastriques excessives, ou bien lorsque la pose d’un dispositif d’intubation à l’aveugle a échoué. L’intubation nasotrachéale ne devrait être tentée qu’en dernier ressort parce qu’elle nécessite un patient ventilant spontanément, un passage à l’aveugle de la sonde, et peut entraîner d’importantes hémorragies. De plus, chez le patient ayant une fracture de la base du crâne, la sonde peut même pénétrer la cavité crânienne par inadvertance. Un enfant présentant des lésions craniofaciales provoquant une obstruction des voies aériennes supérieures peut être un candidat potentiel à une ventilation percutanée transtrachéale à l’aide d’un cathéter de gros calibre. Il ne s’agit que d’une mesure temporaire qui permet d’augmenter l’oxygénation, mais n’améliore pas la ventilation ; l’augmentation de fait de la capnie impose dès que possible un contrôle définitif des voies aériennes. Une cricothyroïdotomie n’est habituellement pas indiquée pour les soins au patient traumatisé pédiatrique, bien qu’elle puisse être envisagée chez l’enfant plus âgé (habituellement à partir de 12 ans) [12].
Respiration
L’évaluation de l’état ventilatoire avec une reconnaissance précoce des signes de détresse devant conduire à l’assistance respiratoire sont des éléments clés dans la prise en charge du patient traumatisé pédiatrique. La fréquence ventilatoire des nourrissons et des enfants de moins de 4 ans est généralement deux à trois fois celle des adultes (tableau 15-3).
flexion/extension de la tête à chaque expiration/inspiration ;
tirage sus-sternal, sus-claviculaire, intercostal ;
utilisation des muscles accessoires de l’abdomen et du cou ;
la fréquence, l’ampliation thoracique (volume minute) et l’effort ventilatoire indiquent l’adéquation de la ventilation ;
le teint rose peut indiquer une ventilation adéquate ;
le teint sombre, gris, cyanosé ou marbré indique une oxygénation et une perfusion insuffisantes ;
les sibilants (wheezings), les râles ou les ronchis indiquent des échanges gazeux alvéolaires perturbés ;
l’anxiété, l’agitation et l’agressivité peuvent être des signes précoces d’hypoxie ;
les troubles de la conscience (de la somnolence au coma) sont probablement des signes tardifs d’hypoxie ;
la SpO2 ou l’ETCO2 qui chutent témoignent de la défaillance ventilatoire.