15: Traumatismes chez l’enfant

Chapitre 15 Traumatismes chez l’enfant





Scénario


Vous êtes appelé sur les lieux d’un accident de la circulation sur une route très fréquentée. Deux véhicules sont impliqués dans une collision frontale. L’un des occupants du véhicule est un enfant installé dans un siège pour enfant mais mal attaché. En cette belle journée d’été, il n’y a pas de facteur climatique pouvant expliquer l’accident.


À votre arrivée sur les lieux, la zone est sécurisée et balisée par les forces de l’ordre, la circulation est bloquée autour de l’accident. Alors que votre équipier prend en charge les autres blessés, vous vous approchez de l’enfant et découvrez un jeune garçon d’environ 2 ans. Il est légèrement tourné dans le siège auto, et vous apercevez du sang sur l’appui-tête. L’enfant est calme malgré de nombreuses écorchures et des saignements mineurs de la tête, du visage et du cou.


Votre évaluation primaire et secondaire montre un garçon de 2 ans qui répète faiblement « ma-man, ma-man ». Il a un pouls central et périphérique à 180 battements/minute, le pouls radial étant plus faible que le pouls carotidien ; la pression artérielle est de 50 mmHg à la palpation ; la fréquence ventilatoire est de 18 cycles/minute, légèrement irrégulière, mais sans anomalie auscultatoire. Alors que vous poursuivez votre évaluation, vous constatez qu’il a cessé de dire « ma-man » et son regard se perd dans le vide. Ses pupilles sont légèrement dilatées, sa peau est pâle, il est en sueur. Une personne qui dit être la nourrice vous apprend que sa mère est en route et vous demande de l’attendre.


Quelles sont les priorités dans la prise en charge de ce patient ? Quelles sont les lésions probables dont souffre cet enfant ? Quelle est la destination la plus appropriée pour cet enfant ?


Les statistiques annuelles du Center de contrôle des maladies montrent que les causes de décès varient en fonction des groupes d’âge, mais que les traumatismes restent la principale cause de décès chez les enfants aux États-Unis. Plus de 8,7 millions d’enfants sont blessés chaque année, et toutes les 30 minutes environ, un enfant meurt suite à ses blessures [1,2]. Le plus tragique est que 80 % de ces décès pourraient être évités soit par des mesures de prévention, soit par des soins appropriés des lésions aiguës [3].


Comprendre les particularités anatomiques et physiologiques du patient pédiatrique, intégrer l’immaturité de son anatomie et de sa physiologie, appréhender les mécanismes lésionnels en fonction de ces données : tels sont les points indispensables pour une évaluation et une prise en charge de qualité.


L’adage selon lequel « les enfants ne sont pas des adultes de petite taille » est vrai. Ils ont des besoins spécifiques, des particularités dans leur façon de réagir aux stress, des réponses physiologiques différentes, et requièrent des prises en charge spécifiques, fondées sur leur développement physique et psychosocial.


Ce chapitre décrit tout d’abord les spécificités de l’enfant traumatisé, puis les modalités de sa prise en charge. Bien qu’il existe des spécificités pédiatriques, la prise en charge générale et le maintien des fonctions vitales restent globalement les mêmes que pour tout patient.



L’enfant en tant que patient traumatisé





Types de lésions rencontrés


Les particularités anatomiques et physiologiques des enfants, associées aux différents mécanismes lésionnels, provoquent des types particuliers de lésions (tableau 15-1). Un mauvais réglage de la ceinture de sécurité ou une position inappropriée par rapport aux airbags peut engendrer des lésions importantes chez les patients pédiatriques (encadré 15-1). Connaître ces particularités permet à l’intervenant préhospitalier de mieux appréhender le problème. Par exemple, la plupart des traumatismes fermés chez l’enfant impliquent un traumatisme crânien avec pour effet une apnée, une hypoventilation et une hypoxie ; celles-ci sont beaucoup plus fréquentes que l’hypovolémie et l’hypotension. De ce fait, les protocoles de prise en charge des enfants traumatisés devraient inclure une attention particulière à la prise en charge des voies aériennes et de la fonction respiratoire.


Tableau 15-1 Principaux types de lésions traumatiques pédiatriques


















Type de traumatisme Types de lésions
AVP (enfant passager) Non ceinturé : polytraumatisme, traumatismes crânien et du rachis cervical, plaies du cuir chevelu et de la face
Ceinturé : traumatismes du thorax et de l’abdomen, fractures de la partie inférieure du rachis
Impact latéral : traumatismes de la tête, du cou, et du thorax ; fractures des extrémités
Airbags déployés : traumatismes de la tête, de la face et du thorax ; fractures des membres supérieurs
AVP (enfant piéton) À petite vitesse : fractures des membres inférieurs
À grande vitesse : polytraumatisme, traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres inférieurs
Chute De petite hauteur : fractures des extrémités
De moyenne hauteur : traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres inférieurs et supérieurs
De grande hauteur : polytraumatisme, traumatismes du cou et de la tête, fractures des membres supérieurs et inférieurs
Accident de vélo Sans casque : plaies du cuir chevelu et du cou, plaies du scalp et de la face, fractures des extrémités
Avec casque : fractures des membres supérieurs
Choc contre le guidon : lésions intra-abdominales

Modifié d’après American College of Surgeons Committee on Trauma, Pediatric trauma, in ACS Committee on Trauma : Advanced trauma life support for doctors, student course manual, 7th ed, Chicago, ACS, 2004. AVP : accident de la voie publique.



Encadré 15-1 Lésions chez l’enfant associées au port de la ceinture de sécurité ou au déclenchement des airbags


Malgré les lois imposant le port de la ceinture de sécurité ou l’installation des petits enfants dans des systèmes adaptés à leur taille, dans près de la moitié des accidents de la voie publique (AVP), l’enfant est soit non attaché soit attaché de manière inappropriée [25]. Si l’enfant est le passager avant d’un véhicule équipé d’un airbag passager avant, il est probable qu’il présente des lésions graves, qu’il porte ou qu’il ne porte pas la ceinture [26]. Un enfant passager avant avec système airbag a deux fois plus de risques de présenter des lésions qu’un passager avant ceinturé sans airbag [27].


Les enfants portant une ceinture à deux points d’ancrage (reposant sur le pelvis ou sur l’abdomen seulement) ou une ceinture inappropriée sont susceptibles de souffrir plus fréquemment de lésions des intestins. L’incidence est difficile à déterminer. Dans une étude, 20 % des enfants blessés présentaient une lésion cutanée abdominale due à la ceinture, et 50 % de ces enfants avaient une lésion intra-abdominale significative, dont 25 % étaient des perforations digestives [31]. Une autre étude a montré que 5 % seulement des enfants présentaient une lésion cutanée due à la ceinture, et que parmi ces enfants, 13 % souffraient de lésions intra-abdominales [32]. Il est donc logique de supposer que tout enfant portant une ceinture à deux points d’ancrage et présentant une lésion cutanée abdominale due à cette ceinture risque de souffrir d’une lésion intra-abdominale, et ce jusqu’à preuve du contraire.


Dans près de 1 % de tous les AVP impliquant des enfants, l’enfant est exposé au déploiement d’un airbag. Parmi ces enfants, 14 % souffrent de lésions graves, alors que seulement 7,5 % des enfants passagers avant ceinturés non soumis au déploiement de l’airbag en souffrent. Le risque total était de 86 % versus 55 % dans l’étude contrôle [27]. Les lésions mineures dues aux airbags sont des brûlures mineures et des plaies du torse et de la face. Les lésions majeures sont des atteintes plus sérieuses du thorax, du cou, de la face et des membres supérieurs [33]. Il y a eu un cas décrit de décapitation d’un enfant par le déploiement d’un airbag [2].





Convalescence et séquelles


Un autre problème spécifique aux patients pédiatriques est l’effet de blessures même mineures sur la croissance et le développement ultérieur. Contrairement à l’adulte, l’enfant ne doit pas seulement se remettre de la blessure, mais doit continuer sa croissance normale. Chez l’enfant, les traumatismes osseux peuvent avoir des conséquences plus graves que chez l’adulte, notamment si les zones de croissance sont atteintes. Les risques, à long terme, de déformations, d’inégalité de longueur de membres, de déviation sont importants si ces lésions sont mal traitées. Les enfants, même victimes de blessures mineures, peuvent garder des séquelles cérébrales, psychologiques ou organiques prolongées. Près de 60 % des enfants victimes de graves polytraumatismes ont des troubles de la personnalité ; et 50 % ont des atteintes cognitives ou des handicaps physiques. De plus, l’impact sur la cellule familiale est loin d’être négligeable, et de telles situations peuvent déboucher sur des conflits importants, des dépressions parentales et des divorces.


Une défaillance dans la prise en charge d’un enfant traumatisé peut donc avoir des conséquences sur la possibilité de survie de l’enfant, mais aussi, à long terme, sur la qualité de vie de cet enfant. Il est donc important que ces enfants puissent bénéficier d’un suivi médical à long terme. Le bon sens clinique et un niveau de suspicion élevé permettent une prise en charge adéquate. Enfin, l’évacuation vers un centre hospitalier adapté permet une évaluation approfondie à la recherche de blessures pouvant être létales.




Hypoxie


La première priorité en préhospitalier est toujours de maintenir la perméabilité des voies aériennes supérieures, que ce soit de manière basique ou par le biais de techniques avancées. La confirmation de cette perméabilité n’élimine pas la nécessité d’une assistance ventilatoire ou d’une oxygénothérapie, surtout en cas d’atteinte du SNC ou en cas de signes d’hypoventilation ou d’hypoperfusion. Un enfant peut rapidement passer du stade de légère détresse respiratoire avec tachypnée et tirage à un stade de défaillance majeure avec épuisement et apnée. Dès que la perméabilité des voies aériennes est assurée, il faut évaluer soigneusement le rythme et la profondeur des mouvements respiratoires afin d’apprécier la qualité de la ventilation. Si la ventilation est abaissée, l’apport supplémentaire d’O2 ne suffira pas à prévenir, à lui seul, l’hypoxie.


Les effets de l’hypoxie, même transitoire, chez un patient souffrant de lésions cérébrales peuvent être particulièrement dévastateurs et méritent par conséquent une attention particulière. Si l’hypoxie cérébrale est évitée, le patient garde toutes ses chances de récupérer. Ceux nécessitant une assistance respiratoire agressive doivent être préoxygénés avant de placer un dispositif avancé d’assistance des voies aériennes. Cette simple manœuvre peut non seulement commencer à renverser l’hypoxie existante, mais aussi fournir des réserves suffisantes pour améliorer la marge de sécurité lorsque le placement d’une assistance des voies aériennes avancée est effectué. La période d’hypoxie au cours des tentatives multiples ou prolongées pour placer une assistance ventilatoire peut être plus préjudiciable à l’enfant que de simplement ventiler celui-ci au masque et de prévoir un transport rapide [46]. Au vu de récentes données, les risques d’une prise en charge avancée des voies aériennes doivent être soigneusement pris en considération si l’enfant est ventilé et oxygéné correctement à l’aide de bons gestes de prise en charge de base, comme la ventilation au masque.



Hémorragies


La plupart des traumatismes en pédiatrie n’entraînent pas d’exsanguination immédiate. Malheureusement, les enfants ayant subi des blessures qui entraînent une perte de sang importante meurent souvent au moment de la blessure ou peu après leur arrivée dans une structure d’accueil. Ces décès sont souvent dus à des lésions multisystémiques et ont au moins une blessure importante associée à une hémorragie aiguë. Ce saignement peut être mineur, comme une lacération simple ou une contusion, ou peut être une hémorragie mortelle, comme une rupture de rate, un foie lacéré, ou des reins avulsés.


Comme l’adulte, l’enfant compense les hémorragies en augmentant ses résistances vasculaires systémiques (RVS), mais aux dépens de la perfusion périphérique. En fait, les enfants sont physiologiquement plus aptes à cette réponse parce que leur capacité de vasoconstriction n’est pas limitée par une maladie vasculaire périphérique préexistante. Utiliser la mesure de pression artérielle seule pour identifier les premiers signes de choc n’est pas une stratégie adéquate. La tachycardie, bien qu’elle puisse être le résultat de la peur ou de la douleur, doit être considérée comme secondaire à une hémorragie ou à une hypovolémie jusqu’à preuve du contraire. Une tachycardie diminue la pression pulsée et accroît peut-être les premiers signes subtils d’un choc imminent. En outre, les agents préhospitaliers doivent être attentifs aux signes de perfusion inefficace des organes, comme en témoignent une baisse du niveau de conscience et une diminution de la perfusion cutanée (diminution de la température, couleur blême, recoloration capillaire tardive). Contrairement à l’adulte, ces premiers signes d’hémorragie chez l’enfant peuvent être subtils et difficiles à identifier, ce qui conduit à une présentation trompeuse de choc. Si l’agent préhospitalier manque ces signes avant-coureurs, un enfant peut perdre suffisamment de volume sanguin circulant, mettant à défaut les mécanismes compensatoires. Lorsque cela se produit, le débit cardiaque chute, la perfusion des organes diminue, et l’enfant peut rapidement décompenser, menant souvent à une hypotension irréversible et à un choc fatal. Par conséquent, chaque enfant qui subit un traumatisme fermé doit être surveillé attentivement pour détecter ces signes subtils qui pourraient signaler une hémorragie en cours, bien avant qu’il y ait des signes vitaux anormaux.


Une des raisons majeures du passage brutal à un état de choc décompensé est la perte de globules rouges qui transportent l’oxygène. La restauration d’un volume circulant avec des liquides tels que les cristalloïdes permet une augmentation transitoire de la pression artérielle, mais ces liquides vont se dissiper en diffusant à travers la membrane capillaire. Il est généralement admis que, lors du remplacement du volume intravasculaire avec des solutions cristalloïdes isotoniques, un ratio de 3 : 1 de cristalloïdes à la perte de sang est nécessaire pour compenser cette perte de liquide. Comme le sang est perdu et le volume intravasculaire est remplacé par des cristalloïdes, les globules rouges restants sont dilués dans la circulation sanguine, réduisant la capacité du sang de transporter l’oxygène vers les tissus. Par conséquent, il convient de supposer tout enfant qui a besoin d’un bolus de plus de 20 ml/kg de solution cristalloïde peut voir son état se détériorer rapidement, et qu’il a besoin non seulement d’une réanimation liquidienne avec une solution cristalloïde, mais probablement aussi d’une transfusion de globules rouges afin que la capacité de transport de l’oxygène soit restaurée en parallèle au volume intravasculaire.


Cependant, une fois que l’accès veineux a été fixé, il existe une tendance à trop perfuser un enfant blessé qui n’est pas en état de choc franc. Chez l’enfant avec un saignement modéré, sans preuve d’hypoperfusion des organes, et ayant des signes vitaux normaux, la réanimation liquidienne devrait être limitée à un maximum d’un ou de deux bolus de 20 ml/kg. La quantité de l’un des bolus intravasculaire représente environ 25 % du volume sanguin de l’enfant. Par conséquent, si plus de deux bolus sont nécessaires, l’agent préhospitalier doit prendre soin de réévaluer l’enfant pour rechercher des saignements continus non détectés auparavant.


Étant donné la plus haute incidence de lésions cérébrales par rapport au choc hémorragique lors des traumatismes fermés, on a longtemps pensé qu’une hyperhydratation pouvait avoir des effets secondaires très néfastes pour le cerveau et pouvait aggraver un œdème cérébral ou accélérer son apparition. Il n’existe actuellement aucune preuve que l’arrêt du remplissage vasculaire réduit l’œdème cérébral [7]. En fait, il y a plus de preuves dans la littérature qui soutiennent la réalisation d’un remplissage agressif afin d’éviter la survenue d’une hypotension, un facteur connu de lésions cérébrales secondaires et pouvant être évité [8,9]. La pression de perfusion cérébrale est la différence entre la pression intracrânienne (la pression à l’intérieur du crâne) et la pression artérielle moyenne (la pression transportant le sang dans le crâne). Une lésion cérébrale traumatique peut entraîner une augmentation des pressions intracrâniennes et ainsi, même si le sang est oxygéné correctement mais n’atteint pas le cerveau en raison de la pression artérielle basse, des lésions cérébrales hypoxiques peuvent encore se produire. Il y a même quelques recherches montrant qu’un seul épisode d’hypotension peut augmenter la mortalité de près de 150 % [10]. En outre, une évaluation minutieuse des signes vitaux de l’enfant et une fréquente réévaluation de toutes les interventions thérapeutiques sont les principales mesures immédiatement après la blessure.


Les solutions isotoniques cristalloïdes doivent être le liquide de choix pour la réanimation de l’enfant atteint d’une lésion cérébrale, car les solutions cristalloïdes hypotoniques (par exemple le dextrose dans l’eau) sont connues pour augmenter l’œdème cérébral. En outre, bien que des solutions cristalloïdes hypertoniques (par exemple une solution saline hypertonique) puissent être utiles dans le traitement de l’œdème cérébral dans une unité de soins intensifs pédiatrique où il y a une surveillance étendue, il n’existe aucune preuve à ce jour qui montre que cette procédure est sûre ou qu’elle améliore le devenir des enfants traumatisés sur le terrain.



Lésions du système nerveux central


Les modifications physiopathologiques qui surviennent au niveau du SNC après un traumatisme débutent quelques minutes après ce dernier. Une réanimation précoce et adéquate est la clé du succès si l’on veut augmenter le taux de survie de ces patients. Même si un ensemble de lésions du SNC sont instantanées et qu’une écrasante majorité sont fatales, de nombreux enfants peuvent se présenter avec une blessure neurologique apparemment dévastatrice qui peut évoluer vers un rétablissement complet et fonctionnel, mais seulement si des efforts coordonnés visent à éviter les blessures secondaires. Ce résultat est obtenu grâce à la prévention des épisodes ultérieurs d’hypoperfusion, d’hypoventilation, d’hyperventilation et d’ischémie. Une ventilation et une oxygénation adéquates (tout en évitant l’hyperventilation) sont tout aussi essentielles dans la prise en charge des traumatismes craniocérébraux (TCC) que la prévention de l’hypotension [9]. Ainsi, en cas de TCC, des précautions doivent être prises avec tous les enfants afin d’éviter les lésions cérébrales secondaires de l’hypotension, l’hypoxie et autres lésions.


Pour des degrés de gravité des blessures semblables, les enfants ont une mortalité plus faible et un potentiel plus élevé de survie que les adultes. Cependant, d’autres blessures non cérébrales diminuent les chances de survie des enfants. Cela illustre l’effet potentiellement négatif de lésions associées et du choc d’un traumatisme du SNC sur le pronostic.


Les enfants atteints de TCC présentent souvent une altération de la conscience, et ils peuvent avoir subi une période d’inconscience non mise en évidence lors de l’évaluation initiale. Un historique de perte de conscience est l’un des principaux indicateurs de lésion potentielle du SNC et cela doit être recherché dans tous les cas. Si aucun témoin n’a vu l’accident, l’amnésie de l’événement est communément utilisée comme un indicateur d’une perte de conscience. De même, la documentation complète du statut neurologique de base est importante, y compris :



La recherche de ces éléments cliniques est essentielle dans l’évaluation initiale de l’enfant traumatisé. L’absence d’une évaluation primaire efficace rend les mesures diagnostiques et thérapeutiques ultérieures plus difficiles.


Le souci du détail dans l’anamnèse est particulièrement important chez les patients ayant une possible lésion de la colonne cervicale. Le squelette d’un enfant n’est pas complètement calcifié et dispose de plusieurs centres de croissance actifs ; la radiographie ne peut donc que difficilement permettre d’établir le mécanisme des blessures de la moelle épinière (par étirement, contusion, ou par traumatisme contondant – lésion de la moelle épinière, sans anomalie radiographique ou SCIWORA en anglais). Un déficit neurologique transitoire peut être le seul indicateur d’une lésion de la moelle épinière potentiellement importante.



Évaluation



Évaluation primaire (initiale)


La variabilité de poids et de taille des enfants (tableau 15-2), la taille et le calibre de leurs vaisseaux sanguins ainsi que le volume circulant, de même que leurs caractéristiques anatomiques uniques confèrent à la prise en charge de ces jeunes patients un caractère de défi. Une réanimation traumatologique pédiatrique efficace exige de disposer de matériels appropriés en taille pour les voies aériennes, les lames de laryngoscope, les sondes d’intubation, les sondes nasogastriques, les tensiomètres, les masques à oxygène, les ballons autoremplisseurs (BAVU) et l’équipement annexe. Une tentative pour placer un cathéter trop grand ou un matériel inapproprié dans les voies respiratoires peut faire plus de mal que de bien, non seulement en raison des dommages potentiels physiques pour le patient, mais aussi parce que cela peut retarder le transport vers l’établissement approprié [11].




Voies aériennes


Comme chez l’adulte blessé, la priorité immédiate et toute l’attention doivent se porter sur la prise en charge des voies aériennes chez l’enfant gravement blessé. Cependant, il existe quelques différences anatomiques qui en compliquent les soins. Les enfants ont une langue et un occiput relativement grands, ainsi qu’un positionnement plus antérieur des voies aériennes. En outre, plus l’enfant est petit, plus le rapport entre le crâne et le reste du corps est disproportionné. C’est pourquoi, sur le dos, l’occiput relativement grand entraîne une flexion passive du rachis cervical (figure 15-1). Ces facteurs prédisposent l’enfant à un risque plus élevé d’obstruction anatomique des voies aériennes que chez l’adulte. En l’absence de traumatisme, les voies aériennes du patient pédiatrique sont mieux protégées par une position légèrement supéroantérieure de la face, connue sous le nom de position amendée de Jackson ou sniffing position (figure 15-2). En présence d’un traumatisme, la position « neutre » protège mieux le rachis cervical tout en assurant une ouverture adéquate des voies aériennes. Donc, chez le patient traumatisé pédiatrique, le cou devrait être maintenu immobilisé afin d’éviter le risque de flexion au niveau des 5e et 6e cervicales (C5–C6) et l’extension au niveau de C1–C2, qui survient lors d’une bascule de la tête en arrière. Le fait de placer du rembourrage ou une couverture de 2 à 5 cm d’épaisseur sous le torse de l’enfant diminuera la flexion du cou et aidera au maintien de la liberté des voies aériennes. La stabilisation manuelle du rachis cervical est assurée durant le contrôle des voies aériennes et maintenue jusqu’à ce que l’enfant soit immobilisé sur un dispositif d’immobilisation rachidienne adapté.




La ventilation au BAVU avec de l’oxygène à haut débit et haute concentration représente probablement le meilleur choix lorsque l’enfant blessé nécessite une assistance de la ventilation, que ce soit pour une défaillance de la ventilation, une défaillance de l’oxygénation ou en anticipation de ces risques [4]. S’il est inconscient, une canule oropharyngée peut parfois être mise en place, mais elle entraînera probablement des vomissements chez l’enfant ayant un réflexe de déglutition. Il en est de même avec le masque laryngé et le dispositif King LT™ ; ces dispositifs supraglottiques, lorsqu’ils sont adaptés à la morphologie, peuvent être employés chez le patient traumatisé pédiatrique. Cependant, en comparaison avec celui de l’adulte, le larynx de l’enfant est plus petit et légèrement plus antérieur et céphalique (en avant et vers le haut), rendant plus difficile la visualisation des cordes vocales durant les tentatives d’intubation (figure 15-3). L’intubation trachéale, même si elle est le moyen de ventilation le plus fiable chez l’enfant ayant une obstruction des voies aériennes, est donc réservée aux situations dans lesquelles la ventilation au masque est inefficace ou entraîne des insufflations gastriques excessives, ou bien lorsque la pose d’un dispositif d’intubation à l’aveugle a échoué. L’intubation nasotrachéale ne devrait être tentée qu’en dernier ressort parce qu’elle nécessite un patient ventilant spontanément, un passage à l’aveugle de la sonde, et peut entraîner d’importantes hémorragies. De plus, chez le patient ayant une fracture de la base du crâne, la sonde peut même pénétrer la cavité crânienne par inadvertance. Un enfant présentant des lésions craniofaciales provoquant une obstruction des voies aériennes supérieures peut être un candidat potentiel à une ventilation percutanée transtrachéale à l’aide d’un cathéter de gros calibre. Il ne s’agit que d’une mesure temporaire qui permet d’augmenter l’oxygénation, mais n’améliore pas la ventilation ; l’augmentation de fait de la capnie impose dès que possible un contrôle définitif des voies aériennes. Une cricothyroïdotomie n’est habituellement pas indiquée pour les soins au patient traumatisé pédiatrique, bien qu’elle puisse être envisagée chez l’enfant plus âgé (habituellement à partir de 12 ans) [12].




Respiration


Comme chez tous les patients traumatisés, un enfant présentant un traumatisme significatif doit bénéficier d’une oxygénothérapie avec une concentration inspirée en oxygène de 85 à 100 % (FiO2 de 0,85 à 1,0). Cela nécessite de l’oxygène et un masque pédiatrique transparent de taille adaptée. Lorsqu’une hypoxie survient chez le petit enfant, l’organisme compense en augmentant la fréquence ventilatoire (tachypnée) et le travail ventilatoire, notamment par la mise en jeu des muscles respiratoires accessoires du thorax, du cou et de l’abdomen. Cette demande métabolique majeure peut induire une fatigue intense et entraîner une insuffisance respiratoire, alors qu’une importante part du débit cardiaque est dévolue au maintien de la fonction ventilatoire. Une détresse ventilatoire peut rapidement passer d’un stade compensé à une défaillance ventilatoire, un arrêt ventilatoire, et finalement un arrêt cardiaque hypoxique. La cyanose est un signe tardif et ne doit pas être attendue pour le diagnostic de détresse ventilatoire.


L’évaluation de l’état ventilatoire avec une reconnaissance précoce des signes de détresse devant conduire à l’assistance respiratoire sont des éléments clés dans la prise en charge du patient traumatisé pédiatrique. La fréquence ventilatoire des nourrissons et des enfants de moins de 4 ans est généralement deux à trois fois celle des adultes (tableau 15-3).


La tachypnée avec des signes de lutte peuvent être les premières manifestations d’une détresse respiratoire et d’un choc. Alors que la détresse s’accroît, d’autres signes et symptômes comprenant une respiration peu profonde ou des mouvements minimes de la poitrine peuvent survenir. Les bruits respiratoires peuvent être faibles ou peu fréquents, et l’échange d’air par le nez ou la bouche peut être minimal. Alors que l’effort ventilatoire devient plus important, on peut observer les éléments suivants :



L’efficacité de la ventilation chez l’enfant devrait être évaluée en utilisant les indicateurs suivants :



Une évaluation rapide de la ventilation comprend une évaluation de la fréquence ventilatoire (en particulier de la tachypnée), de l’ampliation thoracique, de l’effort ventilatoire (degré de travail, battement des ailes du nez, utilisation des muscles accessoires, tirage, balancement thoracoabdominal), l’auscultation (symétrie auscultatoire et bruits pathologiques), la couleur de peau et l’état mental.


Chez l’enfant présentant initialement une tachypnée et une augmentation des efforts ventilatoires, la normalisation de la fréquence ventilatoire et la diminution apparente de l’effort respiratoire ne doivent pas être immédiatement interprétées comme un signe d’amélioration car il peut s’agir d’un épuisement ou d’un arrêt respiratoire imminent. Comme pour tout changement de l’état clinique du patient, des réévaluations fréquentes sont nécessaires afin de déterminer s’il s’agit d’une amélioration ou d’une détérioration de l’état clinique. Une assistance ventilatoire doit être apportée aux enfants en détresse ventilatoire aiguë. Parce que le principal problème est le volume inspiré plutôt que la concentration d’oxygène, une ventilation assistée est la meilleure réponse à la détresse ventilatoire, avec un BAVU comprenant un sac à réserve d’oxygène (FiO2 de 0,85 à 1,0). Comme la taille des voies aériennes de l’enfant est très petite, celles-ci sont sujettes à l’obstruction par les sécrétions, le sang, les liquides organiques et les corps étrangers ; par conséquent, une aspiration précoce et répétée peut être nécessaire. Chez les nourrissons, les narines devraient également être aspirées.


Pour obtenir une étanchéité du masque chez les nourrissons, il faut éviter de comprimer les tissus mous sous le menton, car cela pousse la langue contre le palais mou et augmente le risque d’occlusion des voies respiratoires. Toute pression sur la trachée, non calcifiée, doit être évitée. Une ou deux mains peuvent être utilisées pour obtenir une étanchéité du masque, selon la taille et l’âge de l’enfant.


Il est essentiel de choisir un masque facial de taille adaptée, afin d’éviter les fuites, d’obtenir un volume courant adéquat et de prévenir l’hyperinsufflation et le barotraumatisme. La ventilation d’un enfant avec une pression ou un volume d’insufflation trop important peut conduire à une distension gastrique. La distension gastrique peut entraîner des régurgitations, une inhalation et gêner la ventilation en limitant la course diaphragmatique. L’hyperinflation peut également provoquer un pneumothorax sous tension induisant à la fois une détresse respiratoire grave et un collapsus cardiovasculaire. Comme le médiastin est plus mobile chez l’enfant, cela le protège contre les blessures traumatiques aortiques, mais augmente la susceptibilité aux pneumothorax sous tension. Cette mobilité du médiastin explique la survenue plus précoce chez l’enfant que chez l’adulte des troubles respiratoires et du collapsus cardiovasculaire.


Les modifications des constantes et des signes respiratoires peuvent être subtiles et la détérioration peut être très brutale. La fonction respiratoire doit être estimée lors de l’évaluation primaire et sans cesse recontrôlée pour dépister tout signe évoquant une aggravation. L’oxymétrie de pouls est un moyen supplémentaire de surveillance, et la SpO2 doit être maintenue à une valeur d’au moins 95 %.


Chaque fois qu’un enfant est ventilé manuellement, il est important de bien contrôler la fréquence des insufflations. En effet, il est relativement facile, par inadvertance, d’hyperventiler le patient, ce qui va diminuer le niveau de CO2 dans le sang et provoquer une vasoconstriction cérébrale. Cela peut conduire à un pronostic plus sombre chez les patients ayant une lésion cérébrale traumatique.



Circulation


La survie des victimes pédiatriques présentant une blessure avec hémorragie grave est faible. Heureusement, l’incidence de ce type de blessure est également faible. Les hémorragies externes devraient être rapidement identifiées et contrôlées par une pression manuelle directe lors de l’examen primaire. Les enfants répondent en général favorablement au remplissage vasculaire. Comme pour toute évaluation clinique, une mesure isolée de la fréquence cardiaque ou de la pression artérielle ne suffit pas à définir la stabilité physiologique. Ce sont les mesures répétées et l’évolution des tendances qui sont essentielles pour suivre l’évolution hémodynamique à la phase aiguë du traumatisme. Une surveillance étroite des signes vitaux est absolument essentielle pour reconnaître les signes de choc, de sorte que des interventions appropriées puissent être effectuées pour éviter une détérioration clinique. Les tableaux 15-8 et 15-9 présentent les plages normales de fréquence cardiaque et de pression artérielle, respectivement, pour les différents âges.


Si l’examen primaire retrouve une hypotension artérielle, la cause la plus probable est une hémorragie externe par une plaie importante facilement observable (grande lacération du cuir chevelu, fracture ouverte du fémur) ou une hémorragie interne par une plaie intrathoracique ou intra-abdominale. Parce que le sang ne peut pas être comprimé, une hémorragie intra-abdominale peut se traduire par une distension abdominale avec augmentation de la circonférence abdominale. Toutefois, l’augmentation du périmètre abdominal chez les enfants traumatisés peut aussi trouver sa cause dans la distension gastrique induite par les pleurs et la déglutition d’air. La décompression gastrique par une sonde nasogastrique ou orogastrique peut aider à distinguer ces causes de la distension, même s’il est préférable de supposer qu’un abdomen distendu est d’abord un signe d’hémorragie intra-abdominale.


En pédiatrie, il est important de prendre en compte la notion de choc compensé. En raison de leur réserve physiologique accrue, les enfants ayant une blessure hémorragique présentent souvent des constantes vitales normales ou légèrement altérées. La tachycardie initiale peut être consécutive à l’hypovolémie, mais aussi au stress, à la douleur et à la peur. Tous les enfants traumatisés doivent bénéficier d’une surveillance rapprochée de la fréquence ventilatoire, de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de l’état neurologique. Une mesure précise de la pression artérielle peut être difficile à obtenir en milieu préhospitalier et l’accent doit être placé sur d’autres signes d’évaluation de la perfusion tissulaire. Si elle est mesurée, il faut bien prendre en compte la pression artérielle normale pour l’âge ; ainsi, une pression artérielle qualifiée de basse chez un adulte peut être normale chez un enfant.


Un enfant présentant une hémorragie significative peut maintenir un volume circulant adéquat en augmentant ses résistances vasculaires périphériques pour maintenir la pression artérielle moyenne. Les signes cliniques témoignant de ce mécanisme de compensation comprennent une augmentation du temps de recoloration capillaire, une pâleur, des marbrures, une peau froide et un pouls périphérique filant. Chez l’enfant, une hypotension artérielle significative va se développer pour une perte d’environ 30 % du volume sanguin circulant. Si la réanimation initiale est insuffisante, le volume sanguin circulant va diminuer en deçà des capacités de compensation et la pression artérielle ne sera plus maintenue. Le concept de choc évolutif conditionne la prise en charge initiale, et notamment le transport rapide vers l’hôpital adéquat capable de prendre en charge rapidement un enfant.

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May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 15: Traumatismes chez l’enfant

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