Chapitre 15 L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme
L’influence du confucianisme sur la vision chinoise de l’Esprit et du Psychisme
L’École Légaliste était appelée École de la Loi (Fa Jia) dans la Chine ancienne. L’École Légaliste s’est épanouie lors de Royaumes Combattants et bien qu’elle n’ait pas laissé de traces profondes dans la culture chinoise, contrairement au confucianisme ou au taoïsme, c’est elle qui dominait sous la dynastie des Qin (221-206 AEC), brève dynastie qui a commencé avec le premier empereur, Qin Shi Di Huang, qui avait, avec grand enthousiasme, adopté les principes de gouvernement préconisés par l’École Légaliste. Le plus connu des représentants de l’École Légaliste était Han Fei Zi.
On peut tout aussi bien conclure que tous les changements structurels qui ont accompagné l’unification de la Chine étaient suffisamment novateurs pour fournir aux intellectuels de l’époque le concept d’un système intégré complexe dont chaque partie fonctionne tant que ses relations avec les autres parties ne sont pas perturbées. La valeur symbolique de cet environnement social et économique nouvellement structuré peut avoir été suffisamment parlante pour que des penseurs attachés à la santé et à la maladie l’appliquent à la compréhension de la structure et de la fonction de l’organisme humain ; c’est pourquoi les bases physiologiques et pathologiques de la médecine de correspondances systématiques reflètent très précisément ces innovations structurelles1.
Dans un autre passage, Unschuld dit :
La structure de l’organisme humain et les fonctions assignées à chacun de ses éléments reflètent un organisme social complexe fondé sur la circulation à grande échelle des marchandises. Ils reflètent aussi l’appareil bureaucratique d’un État dans lequel de nombreuses tâches diverses ont été déléguées à un dirigeant responsable et à ses nombreux fonctionnaires. Il ne s’agit plus du petit système féodal et de la principauté de la période des Zhou sur le déclin, mais plutôt d’une administration confucianiste et légaliste de l’empire unifié2.
Mais ce n’est pas là l’approche thérapeutique de la médecine chinoise, qui « attaque » directement et expulse les facteurs pathogènes, combat le Froid par la Chaleur et inversement, et utilise la transpiration, la purge et le vomissement comme méthodes de traitement. En fait, une bonne proportion de termes de la médecine chinoise sont des termes militaires, par exemple, le caractère wei qui désigne le Qi Protecteur, évoque l’idée d’une « patrouille de sentinelles », le caractère ying, qui désigne le Qi Nourricier, évoque l’idée des « camps de l’armée », le cycle de Domination des Cinq Éléments se nomme ke¸ ce qui veut dire « soumettre ».
Dans ce chapitre, je développerai les thèmes suivants :
• Le concept de moi dans la philosophie occidentale et dans la philosophie chinoise
• Les émotions vues par les néoconfucianistes
• L’influence du néoconfucianisme sur la médecine chinoise
Le confucianisme
Confucius
À l’origine, la philosophie de Confucius reposait de façon ferme sur l’éthique et ne se préoccupait pas de questions ontologiques. C’est une philosophie selon laquelle l’ordre social repose sur les devoirs et les responsabilités de chacun en fonction de règles hiérarchiques très rigides. Ce système est devenu le fondement de la société chinoise et a encore cours aujourd’hui. Confucius a insisté sur l’importance de l’ordre social et la dignité sur la base des responsabilités inhérentes dans les relations humaines selon une pyramide toujours grandissante : le cadet respecte l’aîné, les enfants respectent leurs parents, la femme respecte son mari, les élèves respectent leur maître, et tous les sujets respectent l’empereur. Confucius pensait que la seule façon d’obtenir l’ordre dans la société était que chacun reconnaisse et assume la place qui était la sienne. La rigidité des relations familiales et de l’ordre hiérarchique au sein de la famille est parfaitement illustrée par le fait que chaque membre de la famille a un nom spécifique (Fig. 15.1).
Les enseignements de Confucius, conservés dans le Lunyu et les Analectes, constituent la base d’une grande partie de la pensée chinoise ultérieure sur l’éducation et le comportement de la personne idéale. Les idées de Confucius ont véritablement façonné la famille, la société et l’État chinois pendant 2000 ans, et elles ont constitué la base de l’éthique et d’un gouvernement éthique jusqu’aux temps modernes (et, d’après moi, même pendant la période du communisme).
Tian (Ciel)
Confucius parlait souvent du Ciel (Tian ) et de la Volonté du Ciel. Il pensait que la vie des gens se déroulait selon des paramètres solidement établis par le « Ciel », mais estimait que chacun était responsable de ses actions et plus particulièrement de la façon dont il traitait les autres. Bien que nous ne puissions pas influencer la destinée que le « Ciel » nous a forgée, nous pouvons agir dans le monde en nous comportant de façon éthique, comme Confucius le préconisait.
Hall et Ames répertorient trois sens principaux de Tian :
1. Tian est à la fois ce que le monde est et comment il est. Tian est à la fois le créateur et le champ des créatures. Il n’y a pas de distinction entre l’ordre lui-même et ce qui ordonne.
2. Tian est zi ran (« être ainsi par soi-même »), que beaucoup traduisent par « Nature ».
3. Tian est anthropomorphique, suggérant une relation intime avec le processus d’évhémérisation qui fonde le culte des ancêtres en Chine.
C’est probablement ce fondement courant du culte des ancêtres qui rend compte de la réunion du Di de la dynastie des Shang et du Tian importée avec les tribus des Zhou. Tian ne parle pas mais communique réellement, bien que pas toujours clairement, au travers des oracles, des perturbations climatiques et des modifications des conditions naturelles dans le monde humain3.
Comme le terme « Ciel » revient très fréquemment dans la médecine chinoise, il n’est pas inutile d’essayer de décrire son sens. Ames choisit de ne pas traduire le mot chinois Tian car, selon lui, le mot « Ciel » véhiculerait immédiatement des connotations judéo-chrétiennes. Il rejette aussi la traduction de Tian par « Nature »4. Il écrit :
Le Dieu de la Bible, souvent évoqué de façon métonymique comme le « Ciel », a créé le monde mais Tian, en chinois classique, est le monde. Tian est à la fois ce que le monde est et comment il est5.
En l’absence de toute déité créatrice transcendante comme dépositaire de la vérité, de la beauté et du bien, Tian semblerait représenter une légitimité cumulative et continue focalisée sur les esprits de ceux qui sont venus auparavant. Tian est anthropomorphique, suggérant une relation intime avec le processus d’évhémérisation, d’êtres humains historiques devenus des dieux, sur lequel repose le culte des ancêtres en Chine6.
Alors que le Ciel et la Terre n’avaient pas encore de forme physique, régnait une non forme indifférenciée. C’est pourquoi on l’appelle le grand commencement. Le Tao est né de l’étendue vide et cette étendue vide a produit l’univers. L’univers a produit le Qi. Le Qi avait ses limites. Ce qui était pur et léger est monté et a donné le Ciel ; ce qui était lourd et trouble s’est agglutiné et a donné la Terre. L’union du pur et du raffiné est particulièrement facile alors que l’agglutination du lourd et du trouble est extrêmement difficile. C’est pourquoi le Ciel s’est formé en premier et la Terre s’est formée plus tard7.
L’éthique confucianiste
Ren
Le caractère chinois de ren montre une « personne » et le chiffre « deux » (Fig. 15.2). Ames dit :
L’étude de l’étymologie met en évidence l’affirmation confucianiste qu’on ne peut pas devenir une personne en étant seule ; nous sommes, de par nos débuts inachevés, des êtres irréductiblement sociaux. Fingarette a affirmé la chose de façon concise : « Pour Confucius, s’il n’y a pas au moins deux êtres humains, aucun être humain ne peut exister »8.
Voilà comment Ames décrit ren :
Ren est la totalité de la personne, ses sensibilités cognitive, esthétique, morale et religieuse acquises, telles qu’elles s’expriment dans des rôles et des relations ritualisés. C’est « le champ des mois » de chacun, la somme de relations significatives qui fonde l’être en tant que personne résolument sociale. Aussi, la traduction de « ren » par « bienveillance » revient à lui accorder un trait psychologisant dans une tradition qui ne repose pas sur la notion de psyché comme mode de définition de l’expérience humaine9.
Ames dit aussi, à propos de ren :
Comme ces interprétations [les traductions de « ren »] l’indiquent clairement, il y a une tendance chez les érudits à mettre de la psychologie dans ren sous forme d’un sentiment subjectif rendu manifeste dans les normes ou mœurs sociales objectives auxquelles nous nous soumettons ou adhérons par des conduites rituelles10.
Ren semble mettre l’accent sur l’individu, le subjectif ; en bref, il semble correspondre à une notion psychologique. Comprendre ren devient alors un problème particulièrement aigu si l’on pense, comme moi, qu’il est de l’essence même des Analectes que de ne pas reposer sur des notions psychologiques. Et en fait, un des principaux résultats de cette étude de ren sera de montrer comment Confucius pouvait traiter de façon non psychologique des problèmes fondamentaux que nous, en Occident, voyons naturellement en termes de psychologie11.
Fingarette est encore plus explicite lorsqu’il traite du sens de ren :
Je veux insister sur le fait que je ne veux pas dire que les mots de Confucius cherchent à exclure toute référence à une vie psychique intérieure, ce que cet auteur aurait pu suggérer s’il avait eu une telle représentation fondamentale à l’esprit, s’il l’avait considérée comme plausible mais qu’à la réflexion, il avait décidé de la rejeter. Ce n’est pas ce que je veux dire ici. Ma thèse est que cette notion même ne lui est jamais venue à l’esprit. La représentation d’une vie psychique intérieure et tout ce qui en découle, qui sont pour nous des idées familières, sont des concepts qui n’existent tout simplement pas dans les Analectes, pas même sous forme de possibilités que l’on aurait exclues. C’est pourquoi, lorsque je dis que dans les passages précédents qui traitent de Yu (l’opposé de Ren, qui traduit l’anxiété, l’inquiétude et le mal être), il n’y a aucune référence à des états subjectifs et intérieurs, je ne dis pas que ces extraits excluent clairement et explicitement ces notions, mais tout simplement qu’ils n’en font pas usage et qu’ils ne sont donc pas nécessaires pour comprendre ou assimiler ce texte12.
Ainsi, ren est un comportement éthique socialement construit qui vise à remplir ses devoirs selon son propre statut dans la famille et la société. Le père se conduit comme un père doit se conduire par amour. Confucius dit « Ren consiste à aimer les autres ». La pratique de ren amène à assumer ses responsabilités et ses devoirs dans la société, parmi lesquels on trouve yi (voir plus bas). La piété filiale et l’amour fraternel sont des aspects de ren et la pierre angulaire de la structure sociale. Le principe formel des devoirs est yi mais le principe formel de ces devoirs est ren, « aimer les autres » (Fig. 15.3).
Ainsi, ren concerne les liens et les relations sociales et n’a rien à voir avec le sentiment individuel de « compassion » ou « d’amour » venant d’une psyché personnelle. Dans le monde de Confucius, il n’y a pas d’essence des choses ou des personnes mais uniquement des interrelations ou des corrélations. Cette corrélation est intrinsèque et non extrinsèque (Fig. 15.4) ; une rupture de la corrélation intrinsèque va affecter les deux. La figure 15.5 essaye d’illustrer la différence entre le moi en Occident (partie supérieure de la figure) et le moi en Chine (partie inférieure de la figure).
Lorsque nous traduisons ren par « bienveillance », nous y introduisons de la psychologie et rendons altruiste un terme qui, à l’origine, avait un sens radicalement différent de service aux autres membres de la société. Mais ce « sacrifice de soi » suppose implicitement la notion d’un « moi » qui existe indépendamment des autres et que l’on peut soumettre, notion que nous pensons totalement étrangère au monde des Analectes. En fait, une telle interprétation transforme ce qui est fondamentalement une stratégie de réalisation personnelle en une abnégation de soi13.
Dans les écrits médicaux, l’expression « manque d’humanité » [bu ren] sert à désigner l’engourdissement des mains et des pieds, ce qui est une excellente description. Un homme qui a du ren considère le Ciel, la Terre et les myriades de choses comme une même substance et il n’y a rien qui ne soit pas lui-même. Reconnaissant chaque chose en lui, comment peut-il y avoir la moindre frontière en lui ? Si les choses ne font pas partie du moi, il n’y a alors naturellement pas de connexion entre eux et lui, tout comme dans l’engourdissement des quatre membres, le Qi ne circule alors pas dans ceux-ci et ils n’appartiennent plus au moi14.
Dans un modèle familial, la personne apprend à savoir comment se comporter correctement en tant qu’enfant, que parents, que benjamin ou en tant qu’aîné. Lorsqu’il sort de la famille et va dans une société plus grande, il est évident que l’enfant d’une telle famille va être respectueux et obéissant envers ses supérieurs ; il est évident que les parents d’une telle famille vont traiter leurs subordonnés avec bienveillance et compassion ; il est évident que le benjamin d’une telle famille va être dévoué à ses aînés ; il est évident que l’aîné d’une telle famille va être prévenant et affectueux envers le benjamin15.
Yi
Yi, une fois de plus, est impossible à traduire. Toute traduction comme « devoir » ou « moralité » ne rend pas le sens complexe de ce terme. Ames pense que « approprié » ou « convenable » traduit mieux le sens de yi. Il dit :
Yi, alors, est le sentiment de ce qu’il faut faire qui nous permet d’agir d’une façon juste et convenable, en fonction de la situation qui se présente. Par extension, c’est aussi le sens investi par une tradition ancienne sous la forme des rites qui le définissent16.
Li
De façon plus importante, li est relationnel dans le sens où il fournit des schémas de comportement avec les autres qui sont aussi essentiels pour définir la personne17.
Ames insiste sur la dimension sociale des « rites » dans la culture chinoise.
La position centrale de la pratique des rites dans le confucianisme devient claire lorsqu’on part du présupposé de Confucius qui veut qu’une personne soit irrémédiablement un être social, caractéristique mesurable en termes de la qualité des relations qu’elle est capable d’entretenir avec les autres. C’est la pratique des rites, dans leur sens le plus large, qui permet aux gens d’assumer leur rôle et, littéralement, de trouver la place qui leur convient par rapport aux autres. C’est une syntaxe sociale qui permet de communiquer avec les autres et qui, ce faisant, de se positionner comme matrice de la relation18.
Ainsi, li et ren sont deux aspects de la même chose. Li dirige notre attention sur le schéma social traditionnel du comportement et des relations, ren dirige notre attention sur la personne comme étant celle qui met en œuvre ce schéma comportemental et qui maintient ces relations19.
Ce serait une erreur que de croire que Confucius préconisait une adhésion aveugle et systématique à des rites et cérémonies codifiés ; bien au contraire, Confucius disait sans relâche que la signification des rites ne relevait pas du rite même mais du ressenti et de la signification dont on l’investissait.
L’éthique, la société et l’État chez Confucius
Les figures 15.6 et 15.7 illustrent ce concept.
Il explique plus loin comment on peut y arriver :
Ainsi, le corps de la personne est l’image de l’État. Le thorax et l’abdomen correspondent aux palais (organes Yin) et aux fonctions (organes Yang). Les quatre membres correspondent aux frontières et aux délimitations. Les différentes os et tendons correspondent aux distinctions des officiels héréditaires. Les pores de la chair correspondent aux quatre voies principales. L’Esprit [shen] correspond au prince. Le sang correspond aux ministres et le Qi au peuple. Ainsi, on voit que celui qui peut gouverner son corps peut gouverner un royaume. Aimant son peuple, il apportera la paix au pays ; nourrissant son Qi, il protégera son propre corps. Si le peuple est aliéné, le pays est perdu ; si le Qi est épuisé, le corps meurt23.
Au cours des trois derniers siècles avant l’ère commune, des auteurs inconnus ont commencé à élaborer un système de guérison dont les principes théoriques correspondaient fortement à l’ordre social et politique prôné pendant ce même temps par l’idéologie politique de Confucius. En conséquence, ce système de guérison dépendait constamment des intérêts et du sort du confucianisme lui-même. Avec l’avènement, par l’Empereur Wu, du confucianisme comme doctrine politique officielle, les fondements théoriques de cette idéologie de l’époque des Han sont restés fixés pour une longue période24.
De nombreux chapitres du Classique de médecine interne de l’Empereur Jaune montrent clairement cette influence confucianiste venue des derniers siècles au cours desquels le confucianisme était l’orthodoxie. Regardons les deux affirmations suivantes que cite Unschuld. La première est de l’érudit confucianiste Xun Xi : Le vrai dirigeant commence par mettre l’État en ordre alors que l’ordre est déjà établi. Il n’attend pas que des insurrections se soient déjà levées. La seconde affirmation vient du chapitre 1 du Nei Jing : Les sages ne menacent pas ceux qui sont déjà tombés malades mais plutôt ceux qui ne sont pas encore malades. Ils ne mettent pas de l’ordre dans leur État lorsque la révolte gronde mais avant qu’une insurrection ne survienne25. Ces deux citations montrent clairement la forte influence que le confucianisme a exercée sur le concept de santé en médecine chinoise et l’assimilation des Organes Internes aux ministres d’un gouvernement.
On trouve la même chose au chapitre 29 de L’Axe spirituel, qui dit :
Gouverner le peuple ou son propre corps, gouverner par-ci ou par-là, gouverner à grande ou à petite échelle, gouverner l’État ou la famille, rien de ceci n’a jamais été possible sans suivre des règles [ni, se rebeller]. Ce n’est qu’en suivant les règles [shun, se conformer] qu’on peut atteindre le succès. « Suivre les règles » [shun] ne consiste pas seulement à suivre [shun] le Qi et les méridiens Yin et Yang ou à combattre [ni] leur contresens ; cela s’applique aussi à la population entière dont il faut suivre la volonté [zhi]26.
La Voie [le Tao] qui concerne l’État, la famille et leur corps a des Li [principes] pour chacun. Il n’est pas possible de faire régner l’ordre dans son propre corps sans suivre ces Li. La raison pour laquelle il faut enquêter dans toutes ces situations est qu’il faut trouver quels sont les Li de chacune et s’y conformer27.
Le marxisme, loin d’être l’antithèse du confucianisme, s’est parfaitement greffé sur cette doctrine pour poursuivre l’assujettissement politique du peuple chinois qui avait commencé avec le néoconfucianisme. En fait, je dirais que l’idéologie marxiste et la structure administrative, politique et sociale du communisme est la continuité logique et la plus cohérente de la tradition néoconfucianiste.
Le taoïsme représente tout ce qui est spontané, créatif, personnel et non conventionnel dans la société chinoise. Le confucianisme représente tout ce qui est contrôlé, prosaïque, public et conventionnel28.
Votre vie n’est pas votre propriété ; c’est l’harmonie entre les forces que vous ont accordées pour un temps le Ciel et la Terre. Votre nature et le destin ne sont pas votre propriété ; ils sont ce que vous ont réservé le Ciel et la Terre. Ainsi, vous voyagez sans savoir où vous allez, restez sans connaître ce à quoi vous vous accrochez, êtes nourris sans savoir comment. Vous êtes le souffle du Ciel et de la Terre, souffle qui va et vient ; comment pourriez-vous jamais le posséder29 ?
Le néoconfucianisme
Dans les années qui suivirent, le gouvernement, sous la dynastie des Ming, est devenu tyrannique. Favorisés par le gouvernement, les principes confucianistes ont commencé à infiltrer la vie quotidienne des gens. La séparation des sexes a vu le jour et l’isolement des femmes est devenu réalité. La chasteté des femmes a été érigée en véritable culte, le remariage des veuves était l’objet d’opprobre (ce qui est toujours le cas actuellement) et le divorce considéré comme un déshonneur pour la femme, quel qu’en soit le motif.
Par exemple, le néoconfucianiste Wang ming Sheng (1722-1798) dit que « les textes classiques servent à comprendre le Tao30 ». Dai Zhen affirme que « les textes classiques montrent le chemin du Tao31 ». Ng dit de façon très explicite : « le Tao que Wang et Dai célèbrent et recherchent n’était pas le Tao des bouddhistes ou des taoïstes ; c’était le même Tao confucianiste que les Song et les Ming vénéraient32».
Pour chacune de ces écoles, le terme « Tao » revêt des connotations différentes. Pour les taoïstes, le « Tao » est le Tao, c’est-à-dire une force ou un principe insondable qui régit l’univers sans effort et sans difficulté. Pour les confucianistes, le Tao est synonyme de ren. Pour les néoconfucianistes, le Tao est synonyme de Li (Principes), pour les légalistes, le Tao est l’origine des lois destinées à gouverner l’État. Voilà ce que dit un passage d’un texte de Ma Wang Dui, d’inspiration légaliste : « C’est grâce au Tao que la loi prend corps »33. C’est une affirmation qui n’a absolument rien de taoïste mais qui emploie néanmoins le mot « Tao ».
L’ordonnance du Ciel s’appelle un Mandat et celui-ci ne peut être exercé que par les sages. La caractéristique naturelle des êtres humains s’appelle la nature humaine (Xing ) et celle-ci ne peut être mise en œuvre que par une éducation et une transformation morales. Les désirs humains s’appellent des émotions (qing) et ceux-ci ne peuvent être régulés que par l’institution et les lois. C’est pourquoi le souverain humain reçoit avec soin l’intention du Ciel, afin de pouvoir se conformer à son Mandat. Ici bas, il s’efforce d’éduquer et de transformer les normes de la loi et des institutions, faisant la différence entre les ordres supérieurs et inférieurs de la société pour écarter le désir. S’il réalise ces trois objectifs, il va pouvoir établir la base fondamentale34.