Chapitre 14 Pathologie infectieuse du cou

F. Benoudiba, J.-B. Charrier

Les infections cervicales sont une pathologie fréquente préférentiellement rencontrée chez l’enfant et l’adulte jeune.

Le diagnostic est souvent suspecté cliniquement mais l’imagerie est souvent nécessaire pour le confirmer et surtout pour localiser la lésion et rechercher une collection abcédée qui pourrait nécessiter un drainage chirurgical.

Une bonne connaissance anatomique des espaces profonds est nécessaire pour évaluer la localisation et l’extension complète du processus infectieux. Il permet d’identifier les espaces atteints et de localiser les gros vaisseaux par rapport à la lésion avant tout geste chirurgical.

Rappel anatomique

On distingue deux espaces médians et impairs : l’espace pharyngé muqueux et l’ espace rétrophayngé et trois espaces latéraux pairs : les espaces parapharyngé, masticateur et parotidien

Les fascias délimitent des espaces cervicaux profonds qui vont être des voies de diffusion des infections. Ils sont subdivisés en trois feuillets : le feuillet cervical superficiel, le feuillet cervical moyen ou prétrachéal et le feuillet cervical profond ou lame prévertébrale.

Les espaces profonds sont divisés en trois groupes anatomiques :

• un groupe situé au-dessus de l’os hyoïde qui correspond à la région péritonsillaire, à l’ espace parapharyngé, submandibulaire, à l’ espace masticateur et à l’ espace parotidien ;

• un groupe qui s’étend sur toute la hauteur du cou qui comprend l’ espace rétropharyngé, l’ espace prévertébral et l’ espace carotidien ;

• un groupe qui comprend l’ espace viscéral ou prétrachéal situé sous l’os hyoïde.

Infections sus-hyoïdiennes

Espace péritonsillaire

L’espace péritonsillaire est délimité latéralement par une capsule fibreuse et encore plus latéralement par les muscles constricteurs du pharynx. Il est limité en avant par les piliers tonsillaires. Entre la capsule fibreuse et les muscles constricteurs du pharynx se trouve l’espace parapharyngé qui contient la carotide et la veine jugulaire.

L’ abcès péritonsillaire est l’infection cervicale la plus fréquente. Elle atteint l’enfant et l’adulte jeune.

Les signes cliniques sont marqués par une fièvre, une dysphagie avec odynophagie et un trismus. L’examen clinique retrouve un œdème tonsillaire, une déviation de l’uvule.

L’extension des phlegmons amygdaliens en fait leur gravité avec une diffusion possible vers l’espace parapharyngé, l’espace rétropharyngé et le médiastin.

Le scanner injecté est indispensable pour la prise en charge thérapeutique.

L’ abcès se présente comme une formation kystique rehaussée en périphérie après injection avec une paroi épaisse, de contour mal limité avec modification de la graisse adjacente (fig. 14-1a-c).

Fig. 14-1 (a) TDM coupe axiale sur les tonsilles. Phlegmon amygdalien gauche suppuré. Effacement de la graisse parapharyngée. (b et c) TDM coupes axiales : phlegmon amygdalien droit avec extension parapharyngée et rétropharyngée.

L’imagerie permet également d’éliminer une lésion tumorale sous-jacente.

Espace submandibulaire

Il s’agit d’un espace situé entre la mandibule et l’os hyoïde.

Il est divisé en deux par le muscle mylohyoïdien en un compartiment sus-mylohyoïdien ou espace sublingual et un compartiment inframylohyoïdien ou submandibulaire (fig. 14-2a, b).

Fig. 14-2 (a et b) Abcès sublingual en avant du muscle mylohyoïdien (flèche). (c) Multiples lésions carieuses.

Le compartiment sublingual contient la glande sublinguale, le canal de Wharton, le muscle géniohyoïdien et les nerfs lingual et hypoglosse.

Le compartiment submandibulaire contient le ventre antérieur du digastrique, la glande submandibulaire et les ganglions du groupe II. Cet espace comprend ces deux compartiments qui communiquent librement le long de la face postérieure du muscle mylohyoïdien.

Les infections situées dans cette région vont s’étendre le long de l’ espace parapharyngé à la partie postérieure et le long de l’espace viscéral à la partie inférieure.

Les racines des 2^e et 3^e molaires sont situées en avant du tendon du muscle mylohyoïdien et toute infection peut diffuser dans le secteur inframylohyoïdien. Les infections odontogènes sont les plus fréquentes avec une prévalence de germes anaérobies (fig. 14-2c).

Les autres causes d’infection de ce secteur sont les sialadénites, les traumatismes et les infections respiratoires.

Angine de Ludwig

Elle a été décrite en 1936 par Von Ludwig.

Il s’agit d’une cellulite suraiguë, extensive dont le point de départ est intra-oral localisé au niveau de la glande submandibulaire et qui s’étend aux compartiments infra- et sus-mylohyoïdiens. Il s’agit d’une atteinte d’emblée bilatérale sans abcès ou adénopathies (fig. 14-3a-b).

Fig. 14-3 Angine de Ludwig avec cellulite extensive, gangreneuse de l’espace submandibulaire et sublingual.

La cause la plus fréquente est odontogène par infection à streptocoque ou staphylocoque, plus rarement secondaire à une épiglottite ou à un traumatisme avec pénétration d’un corps étranger. Sa gravité repose sur l’apparition d’une gangrène gazeuse ou d’un phlegmon sérosanglant avec obstruction des voies aériennes et nécessité d’une trachéotomie en urgence.

La diffusion de l’infection se fait de façon locale avec une progression rapide de la maladie et extension aux espaces cervicaux par la loge submandibulaire à l’espace préstylien puis à l’espace vasculaire, au médiastin et à la base du crâne et à l’encéphale (empyème).

La mortalité est passée à moins de 10 % grâce à la prise en charge thérapeutique.

Espace parapharyngé

L’ espace parapharyngé a une forme de pyramide inversée avec une base au contact de la base du crâne et un apex au contact de l’os hyoïde.

Il est limité en avant par le raphé ptérygomandibulaire, latéralement par la mandibule, la glande parotide et les muscles ptérygoïdiens, entre le fascia buccopharyngien.

Il est divisé en deux compartiments par le processus styloïde et les muscles stylohyoïdien, stylopharyngien et styloglosse : en compartiment préstylien qui contient l’artère maxillaire interne, le V2 et du tissu adipeux et en compartiment rétrostylien qui contient l’ artère carotide, la veine jugulaire interne, la chaîne sympathique cervicale et les nerfs crâniens (IX, X, XI et XII).

Les infections de l’espace parapharyngé peuvent avoir plusieurs points de départ : la région submandibulaire, la parotide et l’espace masticateur.

Les causes des infections parapharyngées sont représentées par les pharyngites, les tonsillites, les otomastoïdites, les parotidites et les adénopathies .

Les infections odontogènes sont également une source d’infections parapharyngées.

Les lésions infectieuses de l’espace rétrostylien sont plus fréquentes chez l’enfant. Elles sont secondaires à des adénites et sont régressives après 48 h d’antibiothérapie alors que les infections préstyliennes se voient à tout âge et sont secondaires à des infections odontogènes et oropharyngées. Elles sont responsables de plus de complications en raison de la dissémination aux autres espaces et par l’espace vasculaire.

L’atteinte de l’espace préstylien doit conduire à une prise en charge thérapeutique plus agressive car le risque de diffusion est plus élevé dans l’espace graisseux.

Cliniquement, les infections de l’espace préstylien se révèlent par une fièvre, des douleurs cervicales, un trismus, une latéralisation de la tonsille palatine.

Au contraire, les infections de l’espace rétrostylien sont peu douloureuses et peuvent donner simplement un trismus. Par contre, l’atteinte périvasculaire des gros vaisseaux peut entraîner des complications sévères avec risque de septicémie, d’ anévrisme ou de rupture carotidienne et atteinte des paires crâniennes.

Syndrome de Lemierre

Il s’agit d’une thrombose septique de la veine jugulaire dans l’espace rétropharyngée avec risque de dissémination multiviscérale par emboles septiques (pulmonaire, cérébral, osseux) associés à des risques de CIVD (fig. 14-4a-b).

Fig. 14-4 (a) Thrombose septique de la veine jugulaire gauche dont le diamètre est augmenté et les parois épaissies (tête de flèche). (b) Emboles septiques pulmonaires.

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