PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le désencombrement bronchique occupe une part importante de la kinésithérapie respiratoire. De nombreuses techniques sont utilisées, sans pour autant être scientifiquement validées avec un niveau de preuve élevé. En effet, malgré une littérature abondante, il est extrêmement difficile d’objectiver la supériorité d’une technique par rapport à une autre. En réalité, leur utilisation repose même parfois uniquement sur des convictions personnelles, mais cela ne remet pas en cause la nécessité et l’utilité du désencombrement qui font souvent l’unanimité dans les réunions de consensus.
Dans ce chapitre, nous abordons les techniques de désencombrement bronchique instrumentales et non instrumentales destinées au patient adulte non intubé. Sans être exhaustives, nos descriptions ont pour but de présenter les techniques les plus usuelles au travers de différentes écoles et courants de pensée.
Principes du désencombrement bronchique
L’encombrement bronchique, élément central d’un véritable cercle vicieux (figure 14.1), se définit comme une stase anormale de mucus dans le tractus bronchique liée à un déséquilibre de la balance sécrétion/clairance mucociliaire. Il peut progressivement diminuer la ventilation d’un territoire pulmonaire et évoluer vers une décompensation respiratoire. Le kinésithérapeute tente de rompre ce cercle vicieux au moyen de différentes techniques en s’appuyant sur l’anamnèse et le bilan physique (voir le chapitre 8). Le bilan du patient établi, les techniques de désencombrement bronchique les plus appropriées au patient sont retenues en fonction du type de pathologie rencontrée, qu’elle soit aiguë ou chronique. L’objectif est la mobilisation et l’évacuation des sécrétions bronchiques en s’appuyant sur des variations de volumes pulmonaire et de débits aériens, afin de s’opposer aux anomalies rhéologiques du mucus ou aux déficits de la musculature respiratoire.
Figure 14.1 |
• l’obtention d’un volume inspiratoire suffisamment important pour pouvoir générer un débit expiratoire efficace contribuant à la mobilisation des sécrétions. En effet, la capacité d’un patient à inspirer un volume d’air maximal va conditionner son aptitude à générer un débit expiratoire suffisant, et donc une toux efficace [1] ;
• la modulation du flux expiratoire, essentiellement dépendante des variations de pression [2]. Par les techniques de désencombrement, le kinésithérapeute cherche à générer une pression motrice (différence entre la pression alvéolaire et la pression buccale) produisant un flux expiratoire optimal afin de drainer les sécrétions localisées au niveau des voies aériennes. Cette pression motrice découle d’une augmentation de la pression intrapleurale produite par l’action des muscles expirateurs, qui se répercute sur les parois bronchiques et vise l’évacuation de l’air contenu dans les poumons. La pression intrabronchique, générée à l’intérieur des bronches par l’accumulation d’air lors de l’inspiration, diminue progressivement de la périphérie vers la sphère ORL tout au long de l’arbre bronchique pour devenir nulle au niveau de la bouche. L’équilibre entre la pression intrapleurale et la pression intrabronchique régit la compression dynamique des voies aériennes. Le point d’égale pression est le point d’équilibre où ces deux pressions s’égalisent (figure 14.2). En aval de celui-ci (c’est-à-dire en se rapprochant des voies respiratoires supérieures), la pression intrabronchique devient inférieure à la pression pleurale et une compression se produit [3]. Cette compression dynamique des voies aériennes génère localement et transitoirement une augmentation du flux aérien et favorise l’expulsion des sécrétions bronchiques vers la trachée.
Figure 14.2 |
Le kinésithérapeute va s’appliquer à utiliser ces deux principes afin de parvenir au désencombrement bronchique du patient.
Techniques non instrumentales
Pour toutes les techniques développées ci-dessous, le kinésithérapeute veille à installer confortablement le patient et à doser le nombre de séries d’exercices afin de ne pas l’épuiser. La fréquence des pauses dépend de l’état du patient (dyspnée, fatigabilité, instabilité, désaturation…). De plus, si le kinésithérapeute guide manuellement les mouvements respiratoires du patient, il sera attentif à doser la force exercée sur la cage thoracique, spécialement chez la personne âgée pour éviter les fractures en cas d’ostéoporose, ou chez le petit enfant pour ne pas atteindre le volume de fermeture.
Désencombrement des voies aériennes supérieures
Les voies aériennes supérieures comprennent les fosses nasales, le cavum, la cavité buccale et le pharynx jusqu’au carrefour aérodigestif et la glotte. Le larynx fait le lien entre les voies aériennes supérieures et les voies aériennes inférieures.
Description
Le désencombrement des voies aériennes supérieures peut se réaliser de plusieurs manières :
• activement, en se mouchant, en reniflant et/ou en se raclant la gorge. Le reniflement peut être réalisé de manière provoquée chez le petit enfant en lui maintenant la bouche fermée. Cette manœuvre le force à renifler lors de l’inspiration nasale ;
• l’aspiration nasopharyngée : les sécrétions situées entre le nez et le pharynx sont aspirées mécaniquement ;
• l’aspiration dans la bouche et l’arrière-gorge, en surveillant attentivement la survenue d’un réflexe vagal ou de vomissement. Il faut veiller à ne pas dépasser le niveau des voies aériennes supérieures ;
• l’instillation de sérum physiologique à 0,9 %. Tout en demandant au patient de respirer exclusivement par la bouche pendant toute la manœuvre, la tête du patient inclinée latéralement, de manière à superposer les deux narines, on instille du sérum physiologique dans la narine supralatérale. Le sérum s’écoule ainsi par la narine infralatérale, permettant par son passage la toilette des fosses nasales. Cette technique est répétée pour l’autre narine.
Ces modalités visent à libérer les voies aériennes supérieures afin d’améliorer la respiration nasale et d’éviter ou de diminuer le risque d’infection au niveau de la sphère ORL, comme la sinusite, même si cela n’a jamais été montré scientifiquement. Ce désencombrement devrait précéder, chaque fois qu’il est nécessaire, le désencombrement des voies aériennes inférieures.
Limites et contre-indications
Chirurgie maxillofaciale, thrombopénie, épistaxis.
Désencombrement des voies aériennes inférieures
La toux [4]
Définition
La toux est un phénomène physiologique volontaire ou réflexe qui consiste en une expiration forcée dont l’explosivité varie selon la pression intrathoracique obtenue par la fermeture glottique et la contraction des muscles expiratoires (figure 14.3) en fin d’inspiration. Elle est un des mécanismes intervenant dans la défense de l’arbre trachéobronchique, soit de manière spontanée, soit de manière provoquée ou dirigée, dans le but notamment d’expulser des sécrétions. Le débit expiratoire généré par la toux est inefficace s’il est inférieur à 270L/min et nécessite une assistance mécanique à la toux s’il est inférieur à 160L/min [5].
Figure 14.3 |
Description
La toux survient en réponse à des stimuli chimiques ou mécaniques des récepteurs situés à la surface du larynx, de la trachée, des bronches de gros calibre et au niveau de la plèvre. La densité des tussirécepteurs est faible en périphérie, ce qui explique qu’un encombrement périphérique ne provoque pas de toux. Si l’encombrement remonte dans les voies aériennes centrales par l’action ciliaire ou par la toilette bronchique, la présence de sécrétions peut déclencher la toux.
• inspiration profonde, réalisée la glotte ouverte, pour permettre de générer un flux expiratoire maximal ;
• fermeture de la glotte ;
• augmentation de la pression intrathoracique (manœuvre de Valsalva) par contraction des muscles expiratoires ;
• expiration brutale par l’ouverture soudaine de la glotte.
Chacune des étapes pouvant être altérée, il faut repérer la ou les étapes remises en cause et s’interroger sur les facteurs limitants de celle(s)-ci, afin de les pallier si possible.
Limites et contre-indications
• Pneumothorax non drainé.
• Fractures de côtes et plus particulièrement du volet costal.
• Traumatisme intracrânien.
• Résection ou suture trachéale.
La toux provoquée [4]
Définition
La toux provoquée est une toux réflexe déclenchée suite à une stimulation manuelle des centres tussigènes de la trachée qui implique cependant l’intégrité de la boucle réflexe (parfois absente, notamment chez le prématuré et dans certaines affections neurologiques). Notons qu’à partir de 3–4ans, ce réflexe de toux disparaît et que par ailleurs, il s’épuise rapidement pendant la séance.
Description
La toux provoquée est obtenue par une pression brève du pouce sur la face antérieure de la trachée, juste au-dessus de la fourchette sternale (entre les deux muscles sternocléido-mastoïdiens, sous le cartilage cricoïde). Elle est réalisée au début du temps expiratoire. La toux provoquée s’adresse presque exclusivement aux nourrissons et aux jeunes enfants.
Limites et contre-indications
Cette technique potentiellement traumatisante ne doit pas être utilisée systématiquement. Le cas échéant, elle est exécutée prudemment, en particulier à partir de 3–4ans, où les cartilages trachéaux devenus progressivement plus rigides peuvent la rendre douloureuse.
La toux dirigée
Définition
La toux dirigée est une toux modulée et guidée par le kinésithérapeute, en jouant de façon isolée ou combinée sur les volumes pulmonaires, la pression (pour un volume donné) et la répétition [4].
Description
Le guidage de la toux se fait verbalement (consignes adéquates) et/ou manuellement (pressions thoraciques manuelles d’aide à l’expiration). Il est souvent essentiel d’éduquer le patient aux différentes étapes de la toux, afin d’optimiser l’efficacité de celle-ci. Pour ce faire, il faut sensibiliser le patient à ne tousser que lorsque les sécrétions sont proximales [4]. En effet, le patient encombré a souvent tendance à tousser inefficacement, de manière répétitive et inutilement. Cette succession de toux inefficaces l’épuise et le rend incapable de déclencher une toux efficace au moment opportun.
Cette technique est utilisée soit directement en cas d’encombrement proximal (bruits à la bouche), soit après différentes techniques de modulation du flux expiratoire afin de provoquer une expectoration.
Techniques de modulation du flux expiratoire
Les techniques de modulation du flux expiratoire regroupent les techniques de désencombrement basées sur la variation du flux expiratoire [6] qui visent à décoller les sécrétions au niveau des voies aériennes proximales en agissant sur un flux rapide ou distales en générant un flux lent. Pour rappel, un flux correspond à un débit par unité de surface.
Augmentation du flux expiratoire
Définition
L’augmentation du flux expiratoire (AFE) est une augmentation active, active aidée ou passive du flux expiratoire, dans le but de mobiliser et d’évacuer les sécrétions trachéobronchiques.
Description
Avant de débuter l’AFE, le kinésithérapeute veille à ce que le patient aille au plus haut dans son volume de réserve inspiratoire, afin d’optimiser l’efficacité de la technique.
L’augmentation du flux expiratoire peut se réaliser :
• lentement : le but recherché est la mobilisation distale des sécrétions. L’expiration se prolonge jusqu’au volume résiduel par contraction des muscles expiratoires. La consigne donnée au patient est d’inspirer lentement et profondément par le nez pour ensuite expirer lentement par la bouche, la glotte ouverte, comme pour faire de la buée sur une vitre ;
Ces manœuvres peuvent se réaliser en position assise, semi-assise ou couchée. Chez un patient autonome, il s’agit d’expirations actives volontaires faisant intervenir les mouvements du thorax et de l’abdomen de manière synchrone.
Le kinésithérapeute peut aider à la réalisation de cette technique, de manière activopassive ou passive, en exerçant des pressions manuelles sur le thorax, ou simultanément sur le thorax et l’abdomen, en respectant la cinétique respiratoire.
Cette technique est utilisée lors d’encombrements, notamment en phase postopératoire ou chez les patients présentant une déficience des muscles respiratoires.
Limites et contre-indications
• Trachéomalacie, dyskinésie trachéobronchique.
• Détresse respiratoire.
• Pathologies cardiaques malformatives graves.
• Maladie des os de verre.
Expiration lente et totale à glotte ouverte en décubitus latéral
Définition
L’expiration lente et totale à glotte ouverte en décubitus latéral (ELTGOL) [7] est une technique d’expirations lentes et totales, réalisée à glotte ouverte et en décubitus latéral, initiée à la capacité résiduelle fonctionnelle (CRF) et poursuivie jusqu’au volume résiduel.
Description
Le patient est installé en décubitus latéral, le poumon à désencombrer étant placé en position infralatérale (figure 14.4). Le kinésithérapeute, placé derrière le patient, lui demande d’expirer lentement à glotte ouverte jusqu’au volume résiduel, en accompagnant la manœuvre avec ses mains. La main caudale empaume le plus largement possible l’hémi-abdomen infralatéral et exerce une pression lente dirigée vers la tête du patient, d’arrière en avant et de bas en haut. La main crâniale, positionnée sur le gril costal supralatéral, réalise un contre-appui. L’action des mains aide à obtenir une déflation pulmonaire progressive et maximale. L’intérêt de cette position est de permettre une déflation maximale du poumon infralatéral.
Figure 14.4 |
Cette technique s’adresse à des patients de préférence coopérants, présentant un encombrement bronchique distal. Le patient doit être capable de supporter la position, ce qui peut être problématique pour des patients en insuffisance respiratoire grave.
Limites et contre-indications
• Encombrements cavitaires (pour lesquels le drainage postural reste l’indication première).
• Patients décompensés cardiaques.
• Nourrissons et enfants de moins de 12ans.
• Patients très dyspnéiques.
Le drainage autogène
Définition
Cette technique de désencombrement vise à atteindre un débit expiratoire le plus élevé possible au niveau de divers étages bronchiques [8] sans nécessiter une expiration forcée. Chez le patient collaborant et entraîné, elle permet une prise en charge respiratoire autonome, complémentaire à celle assurée avec le kinésithérapeute.
Description (figure 14.5)
Le drainage autogène se réalise dans la position favorisant le mieux la ventilation, le plus souvent en position assise. Il est initié dans le volume de réserve expiratoire pour aller progressivement jusqu’au volume de réserve inspiratoire. Au cours de cette progression, on décrit trois phases régies par le recrutement de volumes pulmonaires différents : décollement des sécrétions qui se fait à bas volume, rassemblement obtenu par des cycles respiratoires à moyen volume et évacuation par une respiration à haut volume. Le kinésithérapeute aide le patient à travailler au niveau de volume pulmonaire adéquat.
Figure 14.5 |
Le patient et/ou le kinésithérapeute placent leurs mains sur le thorax, afin de bénéficier du feed-back tactile lié au déplacement des sécrétions.
Ce mode ventilatoire doit permettre, à partir d’expirations correctement dosées, d’obtenir un flux expiratoire élevé et d’éviter la fermeture prématurée des bronches liées à la pression intrabronchique, à l’augmentation de la résistance des voies aériennes et à l’instabilité bronchique.
Bien que l’application du drainage autogène soit davantage reconnue chez les patients atteints de mucoviscidose, elle est également préconisée pour toute pathologie respiratoire hypersécrétante, et plus particulièrement pour les patients hyperréactifs chez qui les techniques d’expirations forcées ne conviennent pas.
Limites et contre-indications
Le manque de coopération du sujet est une limite évidente du drainage autogène. Avec l’aide d’un kinésithérapeute, il peut être pratiqué dès 5–6ans, moyennant un apprentissage préalable.
L’active cycle of breathing technique
Définition
L’active cycle of breathing technique (ACBT) découle de la technique des expirations forcées (FET pour les pays anglo-saxons). Il inclut la répétition cyclique de trois phases : une respiration contrôlée, des expansions thoraciques maximales et des expirations forcées.
Description
Durant la phase de respiration contrôlée, le patient respire calmement à volume courant (VT), avec un relâchement maximal de la partie supérieure du thorax et des épaules. Il s’agit d’une phase de repos entre les parties plus actives du cycle. Les exercices d’expansion thoracique sont des exercices d’inspirations profondes entrecoupées de pauses postinspiratoires qui améliorent la ventilation collatérale et favorisent la réexpansion du poumon. Ensuite, des expirations forcées sont réalisées à différents volumes pulmonaires, selon la localisation des sécrétions bronchiques (bas volume pour la périphérie et haut volume pour les voies centrales) [9]. L’ACBT peut s’effectuer dans les différentes positions du drainage postural ou en position assise, et la durée des phases du cycle est adaptée selon le patient.
L’ACBT permet l’obtention d’un flux expiratoire maximal en adaptant la force et la durée de l’expiration pour minimiser le collapsus des voies aériennes. Comme le drainage autogène, l’ACBT est fréquemment utilisé chez les patients atteints de mucoviscidose, notamment pour l’autonomie de traitement qu’il permet.
Limites et contre-indications
L’ACBT est difficilement réalisable chez les patients qui ne peuvent produire un débit expiratoire important.
Le drainage postural
Définition
Le drainage postural est une technique utilisant les effets de la pesanteur dans le but de favoriser l’écoulement des sécrétions des bronches segmentaires vers les bronches de gros calibre et ensuite de celles-ci vers la trachée.
Description
Les postures adoptées sont déduites de l’orientation anatomique des territoires pulmonaires et donc des bronches à drainer [10]. La partie distale du segment à drainer doit être positionnée au-dessus de la partie proximale. Plusieurs postures sont décrites dans la littérature, correspondant aux différents lobes et segments pulmonaires. Leur degré de déclivité varie en fonction du territoire à drainer [11].
Le drainage postural n’est utile que si [12] :
• le volume des sécrétions bronchique est important ;
• la viscosité des sécrétions est basse ;
• la posture est maintenue suffisamment longtemps, sachant que chaque posture doit être conservée 10 à 15min au minimum.
Le drainage postural est rarement utilisé seul, mais plus souvent associé à différentes techniques de désencombrement manuelles ou instrumentales. Les indications principales du drainage postural sont les encombrements cavitaires, à savoir les abcès pulmonaires et les bronchectasies.
Limites et contre-indications
L’inconfort et la longueur des séances présentent une limitation importante. Le drainage postural est à proscrire dans tous les cas d’instabilité hémodynamique et de détresse respiratoire aiguë. Les postures en déclive ont été récemment proscrites dans le cas de reflux gastroœsophagiens, ces derniers étant accentués lors de telles postures.