Chapitre 13 Traumatismes musculosquelettiques
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’indiquer les trois catégories de classification des patients présentant des lésions des membres, et de relier celles-ci aux priorités thérapeutiques ;
✓ de décrire les évaluations primaire et secondaire appliquées aux lésions des extrémités ;
✓ d’indiquer l’importance d’une hémorragie dans les fractures ouvertes et fermées des os longs, du pelvis et des côtes ;
✓ d’indiquer les cinq principaux problèmes physiopathologiques associés aux traumatismes des extrémités, qui peuvent nécessiter une prise en charge adaptée dans le contexte préhospitalier ;
✓ d’expliquer la prise en charge d’un traumatisme des extrémités, qu’il soit isolé, ou qu’il représente une lésion dans un contexte de polytraumatisme ;
✓ en fonction d’une situation donnée, impliquant un traumatisme des extrémités, de sélectionner la méthode d’immobilisation appropriée ;
✓ de décrire les spécificités dans la prise en charge de la fracture du fémur ;
1. se concentrer sur l’évaluation des priorités. Ne pas être distrait par les blessures musculosquelettiques, d’apparence spectaculaire mais n’influençant pas le pronostic vital (figure 13-1) ;
2. reconnaître les blessures musculosquelettiques potentiellement mortelles ;
3. reconnaître la cinétique à l’origine des blessures musculosquelettiques et la présence éventuelle d’autres lésions vitales causées par le transfert d’énergie.
Figure 13-1 Certaines extrémités lésées, bien que spectaculaires, n’influencent pas le pronostic vital.
Anatomie et physiologie
L’adulte possède environ 206 os classés en fonction de leur forme : longs, courts, plats, soudés et sésamoïdes. Les os longs se composent du fémur, de l’humérus, du cubitus (ulna), du radius, du tibia et du péroné (fibula). Les os courts incluent les os du métacarpe, les métatarses et les phalanges. Les os plats sont généralement fins et compacts, tels le sternum, les côtes et les omoplates. Les os soudés font partie de la boîte crânienne. Les os sésamoïdes sont localisés dans les tendons. La rotule est le plus grand os sésamoïde (figure 13-2).
Le corps humain possède plus de 700 muscles individualisés et classés selon leur action. Les muscles concernés dans ce chapitre sont les muscles volontaires ou squelettiques. Le terme « muscles squelettiques » est relatif à la fonction locomotrice du squelette. Les muscles de cette catégorie mobilisent volontairement les structures du corps (figure 13-3).
Figure 13-3 Principaux muscles du corps humain.
Source : Herlihy B, Maebius NK: The human body in health and illness, ed 2, St. Louis, 2003, Saunders.
Évaluation
Les traumatismes musculosquelettiques peuvent être classés en trois grands types.
1. Détresse vitale provenant d’un traumatisme musculosquelettique, tel qu’une hémorragie externe ou une hémorragie interne associée à une fracture de bassin ou une fracture de fémur avec perte importante de sang.
2. Lésions traumatiques musculosquelettiques non vitales associées à des polytraumatismes vitaux (lésions vitales et fracture du bassin).
3. Lésion traumatique musculosquelettique isolée non vitale (fracture isolée d’un membre).
Cinématique
si une personne saute par une fenêtre les pieds en avant, les lésions primaires vont être des fractures des calcanéus, des tibias, des péronés (fibulas), des fémurs, du bassin et du rachis ainsi que des lésions aortiques par cisaillement. Les lésions secondaires seront quant à elles localisées au niveau de l’abdomen et de la tête, le corps ayant basculé en avant après avoir touché le sol ;
lors d’une collision d’un motocycliste contre un poteau téléphonique, ou si celui-ci heurte le poteau avec la tête, les lésions primaires seront des traumatismes crâniens, cervicaux et thoraciques. Les lésions secondaires peuvent être une fracture du fémur après que celui-ci a heurté le guidon.
Un autre exemple est le cas d’un passager avant d’un véhicule impliqué dans un choc latéral. Comme cela a été indiqué au chapitre 4, la première loi de Newton implique qu’un corps en mouvement ne s’arrête que si on lui applique une force opposée égale à celle qui a entraîné le mouvement. La voiture est l’objet en mouvement jusqu’à ce qu’elle soit arrêtée par l’autre véhicule. La porte du véhicule cible est projetée contre le bras ; ce dernier sera poussé vers la paroi thoracique, produisant des fractures de côtes et des contusions pulmonaires ainsi qu’une éventuelle fracture de l’humérus. Étant donné la cinématique de cet accident, les lésions musculosquelettiques primaires suspectées pourraient être des fractures de l’humérus, du bassin et du fémur. D’autres lésions à suspecter seraient des fractures costales, des lésions thoraciques, pulmonaires et cardiaques. Il convient aussi de rechercher comme lésions secondaires les lésions liées au gonflement des airbags.
Évaluations primaire et secondaire
Évaluation secondaire
Os et articulations. Cette évaluation est accomplie lors de la recherche de déformations provenant de fractures ou de luxations (tableau 13-1) et de la palpation des extrémités pour identifier des crépitations ou une douleur. Les crépitations correspondent à la sensation de « grincement » de l’os lorsque deux extrémités fracturées frottent l’une contre l’autre. Elles peuvent être déclenchées en palpant le site de la blessure ou en mobilisant les extrémités. On peut comparer le son obtenu au bruit d’un craquement, d’une rupture ou au bruit que fait un emballage lorsqu’on en crève les bulles. Si la crépitation osseuse est souvent mise en évidence pendant l’examen, il ne faut en aucun cas la rechercher ou la provoquer à nouveau, car elle peut entraîner des lésions supplémentaires. La crépitation osseuse est une sensation particulière qui ne s’oublie pas facilement.
Lésions des tissus mous. L’agent préhospitalier recherche visuellement la présence d’un gonflement, de lacérations, d’abrasions, d’hématomes et inspecte la couleur de la peau et les plaies. Toute plaie adjacente à une fracture peut indiquer la présence d’une fracture ouverte. La fermeté et la tension des tissus mous peuvent indiquer la présence d’un syndrome des loges.
Perfusion. Cette évaluation est accomplie en palpant les pouls distaux (radial ou ulnaire au membre supérieur et pédieux ou tibial postérieur au membre inférieur) et en notant le temps de recoloration capillaire au niveau des doigts ou des orteils. L’absence de pouls distaux aux extrémités peut indiquer la rupture d’une artère, la compression d’un vaisseau par un hématome, un fragment d’os ou un syndrome des loges. Un gros hématome ou un hématome en expansion peut indiquer la présence d’une lésion d’un gros vaisseau.
Fonction neurologique. L’agent préhospitalier évalue à la fois les fonctions motrices et sensorielles des extrémités. Si une fracture des os longs est suspectée, ne pas demander au patient de bouger l’extrémité, car un tel mouvement peut entraîner des douleurs importantes et éventuellement faire d’une fracture fermée une fracture ouverte. Pour la plupart des situations en milieu préhospitalier, l’évaluation grossière du fonctionnement neurologique est suffisante.
Articulation | Direction | Déformation |
---|---|---|
Épaule | Antérieure Postérieure | Équarris Bloquée en rotation interne |
Coude | Postérieure | Olécrâne faisant saillie postérieurement |
Poignet | Antérieure | En flexion, abduction, rotation externe |
Postérieure | En flexion, adduction, rotation interne | |
Genou | Antéropostérieure | Perte du contour normal, en extension |
Cheville | Latérale le plus souvent | Rotation externe, malléole interne faisant saillie |
Subtalaire | Latérale le plus souvent | Déplacement latéral du calcanéus |
(Source : American College of Surgeons Committee on Trauma: Advanced Trauma Life Support, ed 8, Chicago, 2009, ACS.)
Lésions associées
Lors de l’évaluation secondaire, des indices par rapport à la cinématique peuvent être découverts et le mode de survenue des lésions suspecté. De tels mécanismes lésionnels peuvent inciter les agents préhospitaliers à évaluer des lésions cachées associées aux fractures. Un exemple serait une blessure au thorax associée à une lésion de l’épaule. Un examen approfondi de l’ensemble du corps permettra de ne rien oublier. Le tableau 13-4 fournit quelques exemples de lésions associées.
Lésion | Lésion associée/manquée |
---|---|
Fracture claviculaire, fracture scapulaire, fracture et/ou luxation de l’épaule | Lésions thoraciques majeures, surtout contusion pulmonaire et fracture de côtes |
Fracture de la colonne thoracique déplacée | Rupture thoracoaortique |
Fracture de la colonne vertébrale | Lésion intra-abdominale |
Fracture/luxation du coude | Lésion de l’artère brachiale, lésion des nerfs médian, ulnaire, radial |
Ruptures majeures du bassin (occupant de véhicule) | Lésions abdominales, thoraciques ou crâniennes |
Ruptures majeures du bassin (piéton et deux roues) | Hémorragie vasculaire du pelvis |
Fracture du fémur | Fracture du col du fémur, luxation postérieure de la hanche |
Luxation postérieure du genou | Fracture du fémur, luxation postérieure de la hanche |
Luxation du genou ou fracture du plateau tibial déplacée | Lésions de l’artère et du nerf poplités |
Fracture du calcanéus | Lésion ou fracture de la colonne vertébrale, fracture-luxation du talon, fracture du plateau tibial |
Fracture ouverte | 70 % d’incidence de lésions associées non osseuses |
(Source : American College of Surgeons Committee on Trauma, Advanced Trauma Life Support, ed 8, Chicago, 2009, ACS.)
Atteintes musculosquelettiques spécifiques
Hémorragie
Un saignement artériel externe doit être identifié au moment de l’évaluation primaire. Généralement, ce type de saignement est facilement apprécié. Cela peut être plus difficile lorsque le sang est caché sous le patient ou bien dans des vêtements épais ou sombres. Idéalement, le contrôle de toute hémorragie manifeste s’effectue pendant la prise en charge des voies aériennes et de la fonction ventilatoire, si les moyens disponibles sont suffisants ; sinon, l’hémorragie est contrôlée dès sa découverte durant l’évaluation de la circulation ou lors du retrait des vêtements. L’estimation de la perte de sang externe reste extrêmement difficile. Les secouristes les moins expérimentés ont tendance à surestimer l’importance de l’hémorragie extériorisée, mais la sous-estimation est également possible car les signes flagrants de la perte de sang extériorisée ne sont pas toujours apparents. Une étude récente suggère que les pertes de sang estimées en préhospitalier sont inexactes et cliniquement non bénéfiques [1]. Les raisons de ces inexactitudes sont nombreuses et comprennent le fait que le patient a pu être déplacé du lieu où il a été blessé, ou que le sang perdu a pu être absorbé par les vêtements ou la terre, ou encore avoir été lavé par la pluie ou de l’eau.
Une hémorragie interne est souvent associée à un traumatisme musculosquelettique. Elle peut résulter de lésions vasculaires, de lésions des tissus musculaires, et de lésions osseuses imputables à des fractures ou à une atteinte médullaire. Un gonflement permanent d’un membre ou une peau pâle et froide et l’absence d’un pouls à l’extremité peuvent indiquer une hémorragie interne artérielle ou veineuse. Un saignement interne significatif peut être associé à des fractures (tableau 13-5). Les intervenants préhospitaliers doivent tenir compte de la possible perte de sang interne et externe pouvant être associée à un traumatisme des extrémités. Cela va aider le sauveteur à évaluer la perte de sang pouvant conduire à un état de choc, à se préparer à une possible détérioration systémique et à prendre des mesures adaptées pour en minimiser les conséquences.
Os fracturé | Perte de sang interne (ml) |
---|---|
Côte | 125 |
Radius ou ulna | 250–500 |
Humérus | 500–750 |
Tibia ou fibula | 500–1 000 |
Fémur | 1 000–2 000 |
Pelvis | 1 000–massive |
Prise en charge
La première étape de la prise en charge d’une hémorragie externe s’effectue par l’intermédiaire d’une compression directe. Comme cela a été expliqué dans le chapitre 8, l’élévation d’un membre ne va pas ralentir le saignement, et dans une atteinte musculosquelettique, elle peut aggraver les blessures présentes. Si l’hémorragie ne peut pas être contrôlée par une compression directe ou un pansement compressif, un garrot peut être mis en place comme décrit dans le chapitre 8. Un agent hémostatique peut être envisagé si un garrot est difficile à mettre en place dans une région comme l’aine ou les aisselles. De tels agents peuvent aussi être utilisés lors d’un transport de longue durée.
Instabilité des os et articulations (fractures et luxations)
Fractures
En général, les fractures se classent en deux types : les fractures fermées et les fractures ouvertes. Lors d’une fracture fermée, la peau n’est pas transpercée par l’extrémité de l’os, contrairement à la fracture ouverte, où l’intégrité de la peau a été atteinte (figure 13-4A). Les chirurgiens orthopédiques peuvent classer les fractures en fonction de leur disposition (fractures en bois vert, comminutives, etc.), mais ces types ne peuvent être différenciés sans radiographies, et le savoir n’influence pas la prise en charge sur le terrain.
Figure 13-4 A. Fracture ouverte versus fracture fermée. B. Fracture fermée du fémur. C. Fracture ouverte du tibia.
Les fractures fermées sont des fractures où l’os est cassé mais où la peau a gardé son intégrité (la peau n’est pas lésée) (figure 13-4B). Les signes d’une fracture fermée sont : perte de sensibilité, déformation, hématome, gonflement et crépitations. Cependant, chez certains patients, la perte de sensibilité peut être le seul signe clinique. Les pouls, la couleur de la peau ainsi que la fonction motrice et sensitive doivent être contrôlés au niveau distal sur tout site de suspicion de fracture. Demander au patient de bouger un membre fracturé peut résulter en une fracture ouverte. Le fait que le patient arrive à mobiliser une extrémité fracturée ne signifie pas toujours que celle-ci n’est pas atteinte ; l’adrénaline produite lors de la survenue d’un événement traumatisant peut accroître la tolérance de patients à faire certains gestes, alors que ce ne serait pas le cas normalement. Par ailleurs, certains patients ont une remarquable tolérance à la douleur.
Les fractures ouvertes se caractérisent par une perforation interne de la peau par la partie saillante d’un os, ou par des lacérations de la peau et des muscles en aval d’un site de fracture (figure 13-4C). Quand un os perfore la peau, la partie se retrouvant alors à l’extérieur peut être contaminée par des bactéries provenant de la peau ou de l’environnement. Cela peut entraîner une infection de l’os (ostéomyélite), laquelle peut interférer dans le processus de consolidation de la fracture. Bien que la plaie d’une fracture ouverte ne soit souvent pas associée à une hémorragie importante, un saignement persistant peut provenir de la cavité intraosseuse (moelle), ou bien un hématome en profondeur des tissus peut se décompresser à travers la peau lésée. Une extrémité saillante des os ne devrait généralement pas être réalignée intentionnellement ; cependant, l’os peut parfois reprendre sa position initiale lors d’un réalignement, ou du fait d’un spasme musculaire se produisant habituellement en présence de fractures. Une immobilisation inadéquate ou une manipulation agressive peut transformer une fracture fermée en une fracture ouverte. Les fractures ouvertes peuvent être facilement détectées chez un patient traumatisé. Bien qu’un os sortant d’une blessure soit assez évident, les lésions des tissus mous à proximité d’une fracture ou déformation peuvent avoir été causées par un fragment d’os qui a percé à travers la surface de la peau puis a reculé à nouveau dans les tissus.
Les fractures pelviennes sont également la cause fréquente d’une hémorragie importante (figure 13-5). De multiples petites artères et veines adjacentes au pelvis peuvent être déchirées par les arêtes saillantes des os ou par les articulations sacro-iliaques qui s’ouvrent ou se brisent. Une palpation ou une manipulation agressive du bassin peuvent augmenter de façon importante la perte de sang en cas de fracture pelvienne instable. Afin d’évaluer le pelvis, la palpation doit être réalisée avec précaution, mais à une seule reprise. Une pression manuelle modérée, de l’avant vers l’arrière et par les côtés, peut permettre l’identification de crépitations ou d’une instabilité du pelvis. La région autour du pelvis est un « espace potentiel » car extensible ; il peut accueillir une quantité importante de sang. L’espace dans la cavité pelvienne étant si important, une hémorragie peut survenir sans signes cliniques externes. Les fractures ouvertes du bassin, qui surviennent souvent quand un piéton est renversé ou lors de l’éjection d’un passager d’un véhicule, sont fréquemment mortelles. Les chutes peuvent également entraîner une fracture du bassin. Il est donc important de l’envisager lors d’un mécanisme impliquant une forte énergie cinétique ou lors de plaintes douloureuses autour du pelvis. Régulièrement, cela se traduit par une hémorragie massive externe plutôt qu’interne, et les arêtes osseuses peuvent lacérer le rectum ou le vagin, donnant lieu à une infection pelvienne importante.