Chapitre 13 Paupières
Topographie
Il existe un plan de dissection chirurgical entre le muscle orbiculaire et le tarse en incisant le long de la ligne grise du bord palpébral ; ce plan divise la paupière en deux unités fonctionnelles, la lamelle antérieure et la lamelle postérieure (fig. 13-1). Voir aussi la Section 7 du BCSC, Orbit, Eyelids, and Lacrimal System (Orbite, paupières et système lacrymal).
Figure 13-1 Coupe transversale d’une paupière normale. De haut (avant) en bas (arrière), on note l’épiderme ; le derme reposant sur l’orbiculaire ; le tarse entourant les glandes de Meibomius ; et la conjonctive palpébrale tarsale.
• des glandes ciliaires et sébacées (de Zeis) ;
• des glandes sudoripares apocrines (de Moll) ;
• des glandes sudoripares eccrines ;
L’élévation palpébrale est effectuée par le muscle releveur de la paupière supérieure, dont seule la portion aponévrotique est présente dans la paupière, et par le muscle de Müller (muscle lisse reliant le bord supérieur du tarse au releveur). La fermeture palpébrale est assurée par le muscle orbiculaire de l’œil (muscle strié squelettique). Le tarse, plaque épaisse de tissu conjonctif fibreux dense, contient les glandes sébacées de Meibomius. Les glandes lacrymales accessoires de Wolfring sont aussi situées au niveau du bord supérieur du tarse supérieur (et de façon moindre au niveau du bord inférieur du tarse inférieur). Les glandes lacrymales accessoires de Krause sont situées au niveau des culs-de-sac conjonctivaux. La conjonctive palpébrale est fermement adhérente à la face postérieure du tarse.
Les glandes palpébrales sécrètent leur production de différentes façons. Les glandes sudoripares apocrines sécrètent la sueur par décapitation de la portion apicale des cellules. Les glandes sudoripares eccrines et les glandes lacrymales sécrètent sans perdre une partie de la cellule. Les glandes sébacées sont des glandes holocrines, c’est-à-dire qu’elles se débarrassent entièrement de la cellule lorsqu’elles sécrètent. Le tableau 13-1 énumère les fonctions normales des glandes palpébrales, et quelques pathologies en relation avec elles.
Élément sécrétoire | Fonction normale | Pathologie |
---|---|---|
Cellules caliciformes conjonctivales | Sécrétion de mucine pour améliorer la lubrification cornéenne | Diminuées en nombre dans certains syndromes secs Carcinome mucoepidermoïde |
Glandes lacrymales accessoires de Krause et Wolfring | Sécrétion lacrymale de base (composante aqueuse) | Syndrome de Sjögren Réaction du greffon contre l’hôte Tumeurs rares (tumeur mixte bénigne) |
Glandes (sébacées) de Meibomius | Sécrétion de la composante lipidique des larmes, retardant son évaporation | Chalazion Carcinome sébacé |
Glandes sébacées de Zeis | Lubrification des cils | Orgelet Carcinome sébacé |
Glandes apocrines de Moll | Lubrification des cils | Kyste canalaire (kyste sudoral, hydrocystome apocrine) |
Glandes eccrines | Secrétions pour le contrôle thermique, équilibre électrolytique | Kyste canalaire (kyste sudoral, hydrocystome eccrine) Syringome Carcinome des glandes sudoripares |
Les termes suivants sont couramment utilisés en dermopathologie.
• Acanthose : augmentation de l’épaisseur (hyperplasie) de la couche de Malpighi de l’épiderme (c’est-à-dire la couche basale, la couche squameuse et la couche granuleuse).
• Hyperkératose : augmentation de l’épaisseur de la couche cornée de l’épiderme.
• Parakératose : persistance des noyaux au niveau de la couche cornée avec absence de couche granuleuse.
• Papillomatose : formations en doigt de gant se projetant en avant de l’épiderme, centrées sur un cœur fibrovasculaire.
• Dyskératose : maturation anormale avec kératinisation de cellules individuelles au sein de la couche de Malpighi.
• Acantholyse : perte de cohésion (dissolution des ponts intercellulaires) entre des cellules épithéliales adjacentes.
• Spongiose : élargissement des espaces intercellulaires entre les cellules de la couche de Malpighi dû à l’œdème.
Anomalies congénitales
Choristome phacomateux
Le choristome phacomateux (tumeur de Zimmerman) est une tumeur rare congénitale formée par la localisation aberrante d’épithélium cristallinien au niveau de la portion inféronasale de la paupière inférieure. Ces cellules peuvent présenter un agrandissement cytoplasmique, semblable aux cellules « vésicales » d’un cristallin cataracté. Du matériel PAS positif de membrane basale est produit, reproduisant une capsule cristallinienne (fig. 13-2). Le nodule formé est habituellement présent à la naissance, et augmente progressivement. Le traitement classique est l’exérèse chirurgicale complète.
Figure 13-2 Choristome phacomateux de la paupière. Le derme présente une prolifération désorganisée de cellules de l’épithélium cristallinien et quelques cellules « vésicales » (flèches). Noter la grande quantité de matériel éosinophile qui représente des protéines cristalliniennes/corticales.
(Remerciements au Dr Nasreen A. Syed.)
Inflammations
Inflammations infectieuses
• une bactérie, comme le Staphylococcus aureus dans l’orgelet ou la blépharite infectieuse ;
• un virus, comme le molluscum contagiosum dû au poxvirus ;
• un champignon, comme dans la blastomycose, la coccidiomycose, ou l’aspergillose.
Cellulite
La dissémination diffuse de cellules inflammatoires aiguës à travers les tissus est appelée cellulite. La cellulite préseptale intéresse les tissus des paupières situés en avant du septum orbitaire, membrane fibreuse reliant les bords du tarse au rebord orbitaire osseux. Cette affection est souvent secondaire à une infection bactérienne des sinus paranasaux. En histologie, les tissus mous sont infiltrés de neutrophiles, avec un œdème interstitiel, et parfois de la nécrose (fig. 13-3).
Infections virales
Le papillomavirus humain peut infecter la peau des paupières et se manifeste habituellement par une verrue vulgaire communément appelée verrue. Cliniquement, elle se présente comme une lésion surélevée papillomateuse. En histologie, on note au niveau de la lésion une hyperkératose, une acanthose et des excroissances papillomateuses. Les cellules infectées présentent un cytoplasme clair (koïlocytose). Un infiltrat inflammatoire mixte est typiquement présent au niveau du derme superficiel (fig. 13-4).
Figure 13-4 A. La verrue est une forme d’infection palpébrale au papillomavirus humain (HPV). La lésion présente des excroissances papillomateuses en forme de doigt de gant. B. Quelques koïlocytes avec contraction nucléaire et cytoplasme clair sont présents (flèche).
(Remerciements au Dr Nasreen A. Syed.)
Le molluscum contagiosum est causé par un membre de la famille des poxvirus. Le nodule épidermique a un aspect cireux, il est surélevé en dôme avec une ombilication centrale. S’il est situé au niveau du bord palpébral, il peut provoquer une conjonctivite folliculaire secondaire (fig. 13-5). En histologie, les lésions sont caractérisées par une prolifération épithéliale nodulaire et infectée produisant une zone centrale de cellules nécrotiques qui s’évacue vers la surface cutanée. Lorsque le virus répliqué remplit le cytoplasme, le noyau est repoussé à la périphérie par les inclusions virales (corps de molluscum) et disparaît finalement lorsque les cellules sont évacuées (fig. 13-6).
Figure 13-5 Molluscum contagiosum intéressant le bord palpébral (flèche). Noter la conjonctivite folliculaire associée.
Inflammations non infectieuses
Chalazion
Le chalazion est un nodule palpébral chronique souvent indolore qui apparaît lorsque les sécrétions lipidiques des glandes de Meibomius, ou plus rarement des glandes de Zeis, se déchargent dans les tissus voisins, provoquant une réaction lipogranulomateuse (fig. 13-7). Les coupes histologiques retrouvent des histiocytes et des cellules géantes multinucléées entourant des espaces optiquement clairs (« vidés des lipides »), les lipides étant dissous par les solvants utilisés lors des procédures de préparation tissulaire classiques. Des lymphocytes, des cellules plasmatiques et des neutrophiles sont aussi souvent présents.
Dégénérescences
Xanthélasma
Le xanthélasma se manifeste par une ou de multiples plaques jaunes et souples apparaissant au niveau des paupières dans la région du canthus médian. Une hyperlipoprotéinémie associée est présente chez 30 à 40 % des patients présentant un xanthélasma, en particulier les hyperlipoprotéinémies de types II et III. Ces xanthomes palpébraux sont composés de collections d’histiocytes dont le cytoplasme est chargé de lipides de façon diffuse, entourant souvent des vaisseaux sanguins au niveau du derme (fig. 13-8). L’inflammation associée est minime ou inexistante.
Figure 13-8 A. Patiente avec xanthélasma proéminent. Noter l’aspect de papules jaunes au niveau des paupières supérieures et inférieures, à proximité du canthus médian. B. Noter les cellules remplies de lipides entourant une veinule (astérisque).
(Partie A : reproduit avec l’autorisation de External Disease and Cornea : A Multimedia Collection. San Francisco : American Academy of Ophthalmology ; 1994 : slide 10.)
Amylose
Le terme amylose renvoie à un groupe hétérogène de protéines extracellulaires présentant une biréfringence avec dichroïsme sous la lumière polarisée lorsqu’elles sont colorées au rouge Congo (voir chapitre 5 et fig. 5-13). Ces caractéristiques résultent de la configuration tridimensionnelle des protéines en feuillets β-plissés. Les exemples de protéines pouvant réaliser des dépôts amyloïdes sont les suivants :
• fragments de chaînes légères d’immunoglobulines (protéine amyloïde AL) produites en quantité anormale par un clone de plasmocytes malins au cours du myélome ;
• mutations de la transthyrétine dans la polyneuropathie amyloïde familiale (PAF) de types I et II (voir chapitre 10) ;
• mutations de la gelsoline dans les PAF de type IV (syndrome Meretoja [dystrophie cornéenne grillagée]).
La présence de dépôts amyloïdes au niveau des paupières est très suspecte de pathologie systémique, primaire ou secondaire, alors que des dépôts situés ailleurs au niveau des annexes oculaires sans atteinte palpébrale correspondent plus probablement à une pathologie localisée.
Les dépôts amyloïdes cutanés se manifestent en général par des nodules souples blanc-jaune, multiples, bilatéraux et symétriques. La présence de dépôts amyloïdes au niveau de la paroi des vaisseaux sanguins cutanés augmente la fragilité vasculaire et peut être source d’hémorragies intradermiques, expliquant l’aspect de purpura visible cliniquement (fig. 13-9). Sur les coupes histologiques classiques, l’amylose apparaît comme un dépôt extracellulaire éosinophile amorphe, en général au niveau des parois vasculaires, mais aussi au niveau des tissus mous, autour des nerfs périphériques et des glandes sudorales. Les colorations utiles pour mettre en évidence les dépôts amyloïdes sont le rouge Congo, le cristal violet, et la thioflavine T. La microscopie électronique révèle que les dépôts sont composés de fibrilles extracellulaires orientées aléatoirement, mesurant 7 à 10 nm de diamètre (voir fig. 10-11).