Chapitre 12 Traumatismes abdominaux
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’observer la scène et d’en déduire un niveau de suspicion de traumatisme abdominal ;
✓ de reconnaître les signes trouvés lors de l’examen secondaire indiquant une hémorragie intra-abdominale ;
✓ de relier les signes externes de lésion abdominale aux risques potentiels d’une lésion abdominale spécifique ;
✓ d’anticiper les effets physiopathologiques des traumatismes fermés ou pénétrants de l’abdomen, en se fondant sur les données qu’il est possible de recueillir dans un contexte préhospitalier ;
✓ d’identifier les indications d’intervention et de transport rapide dans le contexte d’un traumatisme abdominal ;
✓ de comprendre les décisions de prise en charge appropriées en cas de traumatisme abdominal, comprenant les empalements, les éviscérations et les traumatismes des organes génitaux externes ;
✓ de décrire les modifications anatomiques et physiologiques associées à la grossesse, à la physiopathologie et à la prise en charge d’une patiente enceinte traumatisée ;
✓ de décrire les effets sur le fœtus d’un traumatisme abdominal chez la mère, et d’énumérer les priorités de la prise en charge.
Anatomie
L’abdomen contient les principaux organes des systèmes digestif, endocrinien et urogénital, ainsi que les principaux vaisseaux du système circulatoire. La cavité abdominale est située en dessous du diaphragme, ses limites étant la paroi abdominale antérieure, le pelvis, la colonne vertébrale et les muscles de l’abdomen ainsi que les flancs. La cavité abdominale est divisée en deux espaces. L’espace péritonéal (la « vraie » cavité abdominale) contient l’intestin grêle et le gros intestin, la rate, le foie, l’estomac, la vésicule biliaire et les organes de reproduction chez la femme (figure 12-1). L’espace rétropéritonéal (espace virtuel derrière la « vraie » cavité abdominale) contient les reins, les uretères, la vessie, les organes de la reproduction, la veine cave inférieure, l’aorte abdominale, le pancréas, et une portion du duodénum, du côlon ainsi que du rectum (figure 12-2). La vessie et les organes reproducteurs chez l’homme (pénis, testicules et prostate) sont des organes sous-péritonéaux.
Une partie importante de l’abdomen se trouve dans la partie inférieure du thorax. Cette partie supérieure de l’abdomen, appelée par les chirurgiens la partie thoracoabdominale, est protégée en avant par les côtes, et en arrière par la colonne vertébrale. Cette partie contient le foie, la vésicule biliaire, la rate, l’estomac, le lobe inférieur du poumon séparé par le diaphragme. Du fait de leur localisation, les forces causant une fracture de côte peuvent léser le poumon, le foie ou la rate. La relation de ces organes abdominaux avec la partie inférieure de la cavité thoracique change avec le cycle respiratoire. À la fin de l’expiration, le dôme détendu du diaphragme s’élève au niveau du quatrième espace intercostal (niveau du mamelon chez l’homme), offrant une plus grande protection aux organes abdominaux de la cage thoracique. Inversement, au sommet de l’inspiration, le dôme du diaphragme contracté se situe dans le sixième espace intercostal, les poumons sont gonflés, remplissent le thorax et poussent les organes hors de la cage thoracique. Ainsi, les lésions, lors de traumatismes pénétrants dans cette partie thoracoabdominale, peuvent différer en fonction du moment de la phase de respiration (figure 12-3). La partie inférieure de l’abdomen est protégée sur toutes ses faces par le pelvis. Cette zone contient le rectum et la majeure partie de l’intestin grêle (surtout quand le patient est debout), la vessie et les uretères, et chez la femme, les organes de la reproduction. Les hémorragies retropéritonéales associées à une fracture du bassin sont une complication majeure des lésions de cette partie de la cavité abdominale. L’abdomen entre les côtes et le pelvis est seulement protégé par les muscles abdominaux. En arrière, une meilleure protection est assurée par la colonne lombaire, les muscles psoas et les muscles paravertébraux (figure 12-4).
Pour faciliter l’examen clinique, on peut diviser la surface de l’abdomen en quatre quadrants. Ces quadrants sont déterminés en traçant deux lignes : une ligne verticale partant de la pointe de la xiphoïde sternale jusqu’à la symphyse pubienne, et une seconde ligne, perpendiculaire à la première, et passant par l’ombilic (figure 12.5). Il convient de connaître les repères anatomiques en raison de l’importante corrélation entre la localisation des organes et la réaction douloureuse. Le quadrant supérieur droit inclut le foie et la vésicule biliaire ; le quadrant supérieur gauche contient la rate et l’estomac ; et les quadrants inférieurs droit et gauche contiennent principalement les intestins. Une partie du tractus intestinal existe dans les quatre quadrants. La vessie est située au niveau de la ligne médiane entre les quadrants inférieurs.
Physiopathologie
Le diaphragme remonte dans sa portion antérieure jusqu’au 4e espace intercostal, latéralement jusqu’au 6e et, postérieurement, jusqu’au 8e espace intercostal en expiration maximale (voir figure 12-3). Les patients présentant des plaies pénétrantes du thorax sous cette ligne peuvent donc présenter des lésions abdominales. Les plaies pénétrantes des flancs ou des fesses peuvent également impliquer des organes intra-abdominaux. Ces lésions pénétrantes peuvent provoquer une hémorragie par atteinte des gros vaisseaux ou d’un organe plein, ou encore perforer un segment des intestins, l’organe le plus fréquemment touché lors de traumatismes pénétrants.
Les traumatismes fermés de l’abdomen constituent une menace vitale plus importante que les traumatismes pénétrants, en raison d’un diagnostic souvent plus difficile. Les traumatismes fermés des organes intra-abdominaux sont généralement secondaires à des mécanismes de compression ou de cisaillement. Lors des phénomènes de compression, les organes de l’abdomen sont écrasés entre des objets solides (par exemple le volant d’une voiture) et la colonne vertébrale. Les forces de cisaillement provoquent des ruptures d’organes pleins ou des ruptures vasculaires lorsque ces forces d’étirement s’exercent sur un pédicule vasculaire ou sur un ligament sustenteur d’organe. Le foie et la rate peuvent se déchirer et saigner facilement, avec pertes de sang importantes. L’augmentation de la pression intra-abdominale produite par une compression, par exemple lorsque le patient percute le volant, peut entraîner une rupture du diaphragme avec ascension des organes abdominaux dans le thorax (voir chapitres 4 et 11). La présence d’organes intra-abdominaux dans le thorax peut induire une détresse ventilatoire et cardiaque du fait notamment de la gêne à l’expansion du poumon et du remplissage du cœur (figure 12-6). Bien que chaque coupole du diaphragme puisse être lésée, la coupole gauche est la plus souvent atteinte.
Évaluation
Éléments de cinématique
Traumatismes pénétrants
Lorsque le péritoine est atteint, les coups de couteaux touchent plus souvent le foie (40 %), l’intestin grêle (30 %), le diaphragme (20 %) et le côlon (15 %), alors que les plaies par balles endommagent l’intestin grêle (50 %), le côlon (40 %) le foie (30 %) et les vaisseaux abdominaux (25 %) [1]. Du fait de la musculature dorsale importante, les traumatismes pénétrants du dos entraînent moins souvent de lésions intrapéritonéales que sur la partie antérieure. D’une façon générale, seuls 15 % des patients ayant des plaies par arme blanche nécessiteront une exploration chirurgicale, alors que 85 % de ceux ayant des plaies par arme à feu nécessiteront une chirurgie. Les plaies par arme blanche sont moins volontiers péritonéales que les plaies par arme à feu. Même si la plaie par arme blanche touche finalement le péritoine, les lésions des organes sont moins délabrantes que lors des plaies par balle, du fait d’une moindre énergie cinétique.
Traumatismes contondants
La compression d’un organe solide peut entraîner le fractionnement de sa structure (par exemple lacération hépatique) alors que de telles forces appliquées à une structure creuse, comme une boucle de l’intestin, peuvent engendrer un éclatement de la structure (rupture). Les forces de cisaillement peuvent entraîner des déchirures de structures sur leurs sites d’attache, comme l’endroit le plus mobile de l’intestin grêle, là où il rejoint le côlon ascendant qui est fixé au rétropéritoine. Les organes les plus fréquemment blessés suite à traumatisme contondant sont la rate (40 à 50 %), le foie (35 à 45 %) et l’intestin grêle (5 à 10 %). Une intervention chirurgicale n’est pas toujours nécessaire pour des lésions d’organes solides (encadré 12-1).
Encadré 12-1 Traitement non opératoire des lésions des organes solides
Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’avoir recours immédiat-ement à une intervention chirurgicale en cas de suspicion de lésion de la rate, du foie ou du rein. L’expérience nous a démontré qu’avec nombre de ces lésions le saignement va s’arrêter avant le développement du choc, et qu’elles vont ensuite guérir sans intervention chirurgicale. La recherche de ces 15 dernières années a montré que même des lésions importantes peuvent être laissées sous haute surveillance, à condition que le patient ne soit pas en choc hypovolémique ou avec une péritonite. Les patients sont en soins intensifs, avec surveillance étroite de leurs signes vitaux, de leur numération sanguine et avec examen de l’abdomen. La rate jouant un rôle important dans la lutte contre les infections, son ablation (splénectomie) prédispose à certaines infections bactériennes, en particulier chez les enfants. La prise en charge non chirurgicale réussie de ces lésions a d’abord été rapportée pour des blessures spléniques chez les enfants, mais cette approche est aujourd’hui adoptée avec des patients adultes ayant des lésions au foie et aux reins. Suite à un traumatisme contondant, des données récentes indiquent qu’environ 50 % des blessures spléniques et environ 67 % des blessures du foie peuvent être traitées de cette manière, avec des taux de succès de 70 à plus de 90 % [13].
Anamnèse
le type de collision et la position du patient dans le véhicule ;
l’étendue des dégâts sur le véhicule, incluant les déformations, la nécessité de désincarcération ;
la présence d’éléments de sécurité active ou passive sur le véhicule (ceintures de sécurité, airbags, siège enfant, etc.).
Parmi les éléments à rechercher lors des traumatismes pénétrants, on retrouve :