Chapitre 11 Traumatismes thoraciques
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ d’expliquer l’anatomie et la physiologie des organes intrathoraciques ;
✓ de décrire les perturbations anatomiques et physiologiques qui résultent d’un traumatisme thoracique ;
✓ d’intégrer la relation entre la cinématique des traumatismes et les conséquences physiopathologiques sur les organes thoraciques, avec comme objectif de développer un niveau de suspicion pour les traumatismes du thorax ;
✓ de différencier les patients pour lesquels une prise en charge et un transport rapide sont recommandés de ceux pour lesquels l’évaluation et la prise en charge sur les lieux sont possibles ;
✓ d’expliquer en quoi le lieu de prise en charge (urbain, péri-urbain, rural, milieu périlleux) peut influer sur l’évaluation et la prise en charge d’un traumatisme thoracique ;
✓ de décrire les signes, les symptômes, la physiopathologie et la prise en charge des lésions suivantes :
Vous êtes appelé sur les lieux d’une agression au couteau dans une résidence. Pendant le trajet, vous êtes informé qu’il s’agit d’un homme qui a reçu un seul coup de couteau au niveau de la poitrine. La police est sur place et vous précise que les lieux sont sûrs. Vous pensez être sur place en moins de 5 minutes.
En arrivant sur les lieux, vous entendez une femme hurler contre la police, se plaignant d’être menottée. Un policier vous montre un patient assis sur un sofa, menotté, le torse nu, qui s’adresse à vous en vous implorant de faire quelque chose pour lui car il a mal à la poitrine. En vous approchant, vous essayez de le calmer, vous remarquez une petite plaie sur la partie gauche de la poitrine, juste en dessous du mamelon. Votre équipier met le patient sous oxygène et évalue les signes vitaux. Vous remarquez que le patient est en sueur, tachypnéique entre les cris qu’il adresse à la police et à vous-même. Il présente une distension des veines jugulaires, alors qu’il est assis, et une petite zone de crépitants est sentie autour de la blessure. Les bruits respiratoires sont présents des deux côtés, mais semblent diminués à gauche. Les bruits du cœur sont difficilement audibles. Il n’y a pas de blessure abdominale, et le ventre est indolore. Le patient bouge les quatre membres sans difficulté évidente.
Ce patient est-il en détresse respiratoire ? Est-ce qu’il présente des lésions pouvant altérer son pronostic vital ? Comment traitez-vous ce type de pathologie sur le terrain ? Quelles sont vos différentes options pour le transport du patient ? En quoi la localisation de l’accident (par exemple en zone rurale) peut-elle influencer votre prise en charge, notamment en cas de durée de transport prolongé ? En vous fondant sur les informations dont vous disposez, quelles autres blessures pouvez-vous suspecter ?
Comme d’autres zones du corps, le thorax peut être le siège de traumatismes fermés ou pénétrants. Des mécanismes variés, incluant les accidents de la circulation, les chutes, les accidents de sport, les blessures par écrasement, les plaies par armes blanches et par armes à feu, peuvent perturber le fonctionnement normal des organes thoraciques. Le traitement de la majorité des traumatismes thoraciques est non chirurgical. Seuls 15 à 20 % des traumatismes thoraciques requièrent une thoracotomie. Le traitement des traumatismes thoraciques est donc principalement médical, comprenant l’oxygénothérapie, l’assistance respiratoire, le drainage pleural et l’analgésie [1–3].
Néanmoins, les conséquences des traumatismes thoraciques peuvent être graves : les organes thoraciques sont impliqués dans l’oxygénation, la ventilation et le transport de l’oxygène. Les traumatismes thoraciques méconnus ou non identifiés du fait d’une évaluation incomplète ou imprécise peuvent accroître la morbidité. L’hypoxie (taux inadéquats d’oxygène dans le sang), l’hypercapnie (concentration de dioxyde de carbone [CO2] sanguin excessive), l’acidose (concentration acide sanguine excessive) et le choc (insuffisance de perfusion en oxygène des organes et des tissus) peuvent résulter d’une mauvaise prise en charge d’un traumatisme thoracique et conduire à une défaillance multiviscérale (complication tardive). Au final, les traumatismes thoraciques sont responsables du quart de la mortalité de l’ensemble des traumatismes [1–3].
Anatomie
Le thorax est un cylindre creux formé par 12 paires de côtes et des structures musculaires. Dix paires s’articulent postérieurement avec le rachis dorsal et antérieurement avec le sternum, grâce à des cartilages costaux. Les deux paires inférieures sont appelées « côtes flottantes ». Cette cage constitue une protection efficace des organes contenus dans le thorax. Les côtes inférieures constituent également une protection des organes de la partie supérieure de l’abdomen, essentiellement le foie et la rate. La cage thoracique osseuse est renforcée par des muscles. Les muscles intercostaux lient les côtes les unes aux autres. De nombreux groupes musculaires participent à la mécanique ventilatoire (en immobilisant la partie supérieure du thorax), incluant notamment les muscles grand et petit pectoraux et le muscle grand dorsal. Ces muscles constituent également un « rembourrage » protecteur, comme en témoignent les forces importantes nécessaires pour induire des lésions des organes intrathoraciques.
Les principaux muscles impliqués dans la mécanique ventilatoire sont les muscles intercostaux, le diaphragme (muscle en dôme attaché à la partie interne et inférieure du thorax) et les muscles du cou (attachés sur les côtes supérieures). Un nerf, une artère et une veine cheminent en dessous de chaque côte, apportant nutrition et stimulation aux muscles intercostaux.
Les plèvres sont de fines membranes, formées de deux feuillets distincts : la plèvre pariétale qui tapisse la face interne de la cavité thoracique, et la plèvre viscérale qui recouvre la surface externe des poumons. Normalement, il n’existe aucun espace entre ces deux membranes. Une toute petite quantité de liquide existe entre la surface pleurale des poumons et la surface interne de la cavité thoracique, comme une goutte d’eau entre deux plaques de verre, qui rend la séparation des deux plaques de verre difficile. Le liquide pleural a pour effet de créer une très forte tension de surface qui « colle » les deux plèvres ensemble, afin de lutter contre la tendance naturelle du poumon à se collabrer.
Les poumons occupent les deux moitiés gauche et droite de la cavité thoracique (figure 11-1). Un espace médian appelé médiastin est localisé au centre du thorax. Le médiastin contient le cœur, les gros vaisseaux, la trachée, les bronches souches et l’œsophage.
Physiologie
Les deux systèmes de la physiologie pulmonaire qui sont le plus souvent impliqués dans un traumatisme thoracique sont la ventilation et la circulation [1–3]. Ces deux systèmes interagissent pour que l’oxygène soit distribué aux organes, aux tissus et aux cellules, mais aussi afin que le CO2 soit épuré. Pour mieux comprendre ce qui se passe lors d’un traumatisme thoracique, il est important de bien comprendre la physiologie de ces deux systèmes.
Ventilation
Le terme « respiration » est souvent utilisé de manière erronée ; nous devrions parler de « ventilation ». La ventilation est le processus mécanique par lequel l’air passe de l’extérieur du corps vers la bouche, le nez, le pharynx, la trachée, les bronches, les poumons et, au final, des petits sacs appelés alvéoles. La respiration est la ventilation associée au processus de délivrance de l’oxygène aux cellules. Le passage de l’air extérieur vers les voies aériennes est appelé inspiration. Au niveau des alvéoles, l’oxygène passe à travers la membrane alvéolocapillaire vers de petits vaisseaux sanguins (les capillaires) où il est capté par l’hémoglobine des globules rouges. Ce processus est appelé oxygénation. Simultanément, le CO2, qui est dissous dans le sang, diffuse dans les alvéoles par un processus appelé exhalation (figure 11-2). La respiration cellulaire est l’utilisation de l’oxygène par la cellule pour produire de l’énergie (voir chapitre 7).

Figure 11-2 Il existe des rapports étroits entre les capillaires et les alvéoles ; en conséquence, l’oxygène (O2) peut diffuser facilement au travers des capillaires de la paroi alvéolaire, de la paroi capillaire et des globules rouges. Le dioxyde de carbone (CO2) diffuse dans le sens opposé, du capillaire vers l’alvéole.
L’inspiration est provoquée par la contraction des muscles ventilatoires (principalement diaphragme et muscles intercostaux), qui provoque une ascension et un écartement des côtes, ainsi qu’un abaissement du diaphragme. Ces contractions musculaires provoquent une augmentation du volume de la cavité thoracique, créant ainsi une dépression intrathoracique par rapport à la pression atmosphérique. Il en résulte un flux d’air de l’extérieur vers la cavité thoracique (figures 11-3 et 11-4). L’expiration est passive, liée au relâchement des muscles intercostaux et du diaphragme qui retournent à leur position de repos. Ce relâchement induit une montée de la pression intrathoracique qui dépasse ainsi la pression atmosphérique, permettant à l’air de passer des bronches, de la trachée, des voies aériennes supérieures vers l’extérieur.


Figure 11-3 A. Durant l’inspiration, le diaphragme se contracte et s’aplatit. Les muscles accessoires de l’inspiration, tels que les muscles intercostaux externes, le muscle petit pectoral et le muscle sternocléidomastoïdien, écartent les côtes et le sternum, qui augmentent le diamètre et le volume de la cage thoracique. B. Durant l’expiration normale (au repos), l’élasticité de la cage thoracique permet au diaphragme et aux côtes de retrouver leur position de repos, ce qui diminue le volume de la cavité thoracique. Durant l’expiration à l’effort, les muscles accessoires comme les muscles intercostaux internes et les muscles abdominaux se contractent, afin de diminuer plus rapidement le volume de la cage thoracique.

Figure 11-4 Lorsque le diaphragme est détendu et la glotte ouverte, les pressions à l’intérieur et à l’extérieur sont égales. Lorsque la cage thoracique se dilate (inspiration), la pression intrathoracique diminue et l’air entre.
La ventilation est sous le contrôle du centre respiratoire du tronc cérébral. Le tronc cérébral contrôle la ventilation en « monitorant » la pression partielle en dioxyde de carbone (PaCO2) et en oxygène (PaO2), grâce à des cellules spécialisées appelées chémorécepteurs. Ces chémorécepteurs sont localisés dans le tronc cérébral, l’aorte et les artères carotidiennes. Si les chémorécepteurs détectent une augmentation de la PaCO2, ils stimulent le centre respiratoire afin d’augmenter la fréquence et l’amplitude ventilatoires, d’éliminer plus de CO2 et de revenir à une capnie normale (figure 11-5). Ce processus adaptatif est très efficace, car il peut multiplier par 10 le volume d’air mobilisé. Des mécanorécepteurs, présents dans les voies respiratoires, dans les poumons et la paroi thoracique, mesurent le degré de distension de ces structures et envoient également un feedback au tronc cérébral.

Figure 11-5 Une augmentation du taux sanguin de CO2 est détectée par les cellules sensibles à ces changements, qui stimulent le poumon pour augmenter la profondeur de l’inspiration et la fréquence de la ventilation.
Dans certaines pathologies pulmonaires, telles que l’emphysème ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), le poumon n’est plus capable d’éliminer le CO2 aussi efficacement. Il en résulte une PaCO2 plus élevée de façon chronique dans le sang. Dans ce cas, les chémorécepteurs deviennent insensibles au CO2. Dans cette situation, les chémorécepteurs aortiques et carotidiens stimulent le centre respiratoire quand la concentration en oxygène chute. À l’instar de ce qui se passe pour le CO2, les chémorécepteurs aortiques et carotidiens stimulent le centre respiratoire, induisant une stimulation des muscles ventilatoires et augmentant ainsi la fréquence et l’amplitude ventilatoires pour retourner à une PaO2 normale (figure 11-6). Ce phénomène est souvent appelé « stimulation hypoxique » car il est en relation directe avec la chute du taux d’oxygène dans le sang [4].

Figure 11-6 Des récepteurs localisés dans l’aorte et les carotides sont sensibles au taux d’O2 dans le sang (PaO2) et stimulent la ventilation afin d’augmenter la circulation de l’air dans les sacs alvéolaires.
L’encadré 11-1 donne la définition de plusieurs termes importants pour comprendre et expliquer la physiologie pulmonaire [5].
Encadré 11-1 Les volumes pulmonaires et leurs relations
Espace mort : c’est l’espace qui contient le volume d’air qui ne participe pas aux échanges gazeux (c’est-à-dire air contenu dans la trachée et les bronches).
Ventilation minute (VM) : volume d’air mobilisé (inspiratoire et expiratoire) pendant une minute.
Volume courant (VT) : volume d’air qui est inhalé et exhalé durant un cycle ventilatoire normal (0,4–0,5 litre).
Capacité pulmonaire totale (CPT) : volume d’air total contenu dans le poumon en inflation maximale. Ce volume décroît de 6 litres pour un adulte jeune à 4 litres pour une personne âgée.
Travail respiratoire : travail développé pour actionner la paroi thoracique et le diaphragme. Ce travail augmente avec la fréquence ventilatoire.
Circulation
L’autre système pouvant être touché par un traumatisme thoracique est la circulation. Le chapitre 8 détaille plus précisément ce sujet, mais certains points méritent d’être abordés dans la physiologie pulmonaire.
Le cœur, situé au centre du thorax, dans le médiastin, fonctionne comme une pompe. Pour qu’une pompe fonctionne, elle doit être amorcée par du liquide. Pour le cœur, cet amorçage est permis par le retour veineux au travers de deux grosses veines : la veine cave supérieure et la veine cave inférieure. Le cœur se contracte normalement 70 à 80 fois par minute, éjectant le sang dans l’aorte.
Toute pathologie qui altère le retour veineux vers le cœur (par exemple une hémorragie ou une augmentation de pression dans la cavité thoracique lors d’un pneumothorax sous tension) induit une baisse du débit cardiaque et donc de la pression artérielle. De la même façon, une pathologie qui blesse le cœur lui-même (par exemple une contusion myocardique) peut rendre la pompe moins efficace, conduisant aux mêmes modifications hémodynamiques. Tout comme les chémorécepteurs sont sensibles à la PaCO2, les barorécepteurs sont sensibles aux modifications de pression artérielle, et induisent des modifications de fréquence cardiaque et de force de contraction.
Physiopathologie
Les traumatismes fermés comme les traumatismes pénétrants peuvent perturber les processus physiologiques précédemment décrits.
Traumatismes pénétrants
Lors de ces traumatismes, des objets de différentes tailles transpercent la paroi thoracique, entrent dans la cavité thoracique et peuvent léser les organes intrathoraciques. Physiologiquement, il n’existe pas d’espace entre les deux plèvres (plèvre viscérale tapissant le poumon, plèvre pariétale tapissant la cage thoracique). Cependant, lorsqu’un projectile crée une communication entre la cavité thoracique et l’atmosphère, de l’air tend à pénétrer dans l’espace pleural par le pertuis à la faveur de chaque inspiration quand la pression qui règne dans le thorax est plus basse que celle qui règne à l’extérieur. En effet, la résistance au passage de l’air est souvent moindre par le pertuis traumatique que par les voies aériennes. L’air dans l’espace pleural (pneumothorax) tend à séparer les deux plèvres, aggravant ainsi le pneumothorax. Ce mécanisme tend à collaber le poumon, empêchant sa fonction d’hématose (oxygénation du sang). Le traumatisme pénétrant est responsable d’un pneumothorax ouvert seulement si l’orifice créé est suffisamment grand pour que les tissus mous adjacents ne soient pas en mesure de fermer le passage de l’air (au moins partiellement) lors des inspirations et/ou expirations. Une plaie pulmonaire favorise également le passage d’air du poumon vers la cavité pleurale, qui a pour effet d’écraser le poumon. Dans tous les cas, il peut en résulter une dyspnée. Pour faire face à cette amputation de la fonction pulmonaire, la stimulation du centre respiratoire va induire une polypnée (augmentation de la fréquence ventilatoire) et entraîner une augmentation du travail ventilatoire. Le patient peut être capable de tolérer ce surcroît de travail ventilatoire, mais si cet état n’est pas diagnostiqué et traité, il peut s’ensuivre une détresse respiratoire, avec une hypoxie et une hypercapnie.
Si l’entrée d’air se poursuit dans la cavité pleurale sans possibilité d’évacuation, la pression dans la cavité pleurale va augmenter progressivement, conduisant à un pneumothorax sous tension. Celui-ci se traduira d’abord par une détresse respiratoire. Puis s’associeront une détresse circulatoire, liée à la diminution du retour veineux au cœur (en raison de l’hyperpression intrathoracique) et au final un état de choc. Dans les cas extrêmes, en présence d’un déplacement des structures du médiastin vers le côté opposé au pneumothorax, le retour veineux est fortement diminué, ce qui provoque une chute de la pression artérielle et une distension des veines jugulaires, avec éventuellement un déplacement de la trachée.
Les tissus dilacérés par la plaie, de même que les vaisseaux sanguins intercostaux peuvent saigner. Ces plaies pénétrantes peuvent induire un saignement dans la cavité pleurale (hémothorax). Les plaies transfixiantes peuvent induire un saignement cataclysmique. En effet, chaque plèvre peut contenir 3000 ml de sang approximativement. Ce saignement intrathoracique peut ne pas être extériorisé, mais peut être suffisant pour provoquer un état de choc. La présence d’une grande quantité de sang dans l’espace pleural va également gêner la ventilation, empêchant entre autres le poumon de s’expandre normalement.
Enfin, une plaie pulmonaire peut aussi provoquer un saignement intrapulmonaire (hémorragie intra-alvéolaire). Ce sang va « noyer » les alvéoles, et peut compromettre l’hématose.
Traumatismes fermés
Les forces appliquées sur la paroi thoracique sont transmises aux organes intrathoraciques, en particulier les poumons. L’onde de choc peut lacérer les tissus pulmonaires, aboutissant à une hémorragie intra-alvéolaire. Dans ce cas, on parle de contusion pulmonaire. Les conséquences sur la ventilation et l’hématose sont comparables aux traumatismes pénétrants.
Si les forces appliquées sur le poumon conduisent à une rupture de la plèvre, un pneumothorax simple ou un pneumothorax sous tension peuvent survenir. Les traumatismes fermés peuvent également induire des fractures costales, qui, par lacération du tissu pulmonaire et des vaisseaux, peuvent provoquer un pneumothorax ou un hémothorax (tous deux provoqués par un saignement des vaisseaux intercostaux, du poumon lésé ainsi que des muscles intercostaux). Les traumatismes fermés peuvent également provoquer des ruptures ou des dissections des gros vaisseaux intrathoraciques (par étirement), particulièrement l’aorte, conduisant à des hémorragies cataclysmiques. Enfin, dans de rares cas, le choc peut rompre la continuité de la paroi thoracique, provoquant une instabilité de la paroi, ce qui altère les changements de pression intrathoracique, pouvant fortement perturber la ventilation.
Évaluation
En pratique médicale, l’évaluation comprend l’interrogatoire et l’examen clinique. Lors de la prise en charge de patients victimes d’un traumatisme, l’interrogatoire reprend les items SAMPLE pour la recherche des symptômes, des allergies, des médicaments, du passé médical et chirurgical, du dernier repas (last meal) et de l’événement [6].
L’étape suivante est la réalisation d’un examen clinique. Cet examen comprend quatre phases : l’observation, la palpation, la percussion et l’auscultation. L’évaluation doit intégrer la détermination des paramètres vitaux. La mesure de la saturation en oxygène du sang (SpO2) au moyen d’un oxymètre de pouls présente un intérêt évident [6,7].
Observation. La présence d’une pâleur, ou de sueurs, peut témoigner de l’existence d’un choc. L’existence d’une cyanose (aspect bleuté des téguments, particulièrement visible au niveau des lèvres) témoigne d’une hypoxie avancée. La fréquence et les troubles ventilatoires doivent être notés (gasp, tirage, battement des ailes du nez, etc.). La trachée est-elle déviée ou centrée ? Les veines jugulaires sont-elles distendues ? L’examen de la paroi thoracique est réalisé à la recherche de contusions, de dermabrasions, de plaies et/ou d’une asymétrie ventilatoire. Enfin, l’existence d’une respiration paradoxale (affaissement de la cage thoracique en inspiration au lieu de l’inverse) est recherchée.
Auscultation. Elle est bilatérale. Une diminution ou une abolition du murmure vésiculaire normal peut témoigner de l’existence d’un pneumothorax et/ou d’un hémothorax du côté examiné. Une contusion pulmonaire peut se traduire par l’existence de râles crépitants. Bien que difficiles à remarquer lors d’une auscultation sur le terrain, un assourdissement des bruits du cœur et un souffle cardiaque peuvent être notés.
Palpation. La palpation douce du thorax recherche la présence de sensibilité, de crépitants (emphysème sous-cutané) ou d’une instabilité osseuse de la cage thoracique.
Percussion. La percussion du thorax est un examen difficile à réaliser sur le terrain en raison du bruit ambiant. La percussion consiste à placer la main à plat sur la zone du thorax à examiner et à percuter un des doigts de cette main avec l’index et le majeur de l’autre main. Cela produit un son qui est analysé en comparaison avec le point symétrique sur l’autre hémithorax. Un son mat peut témoigner de l’existence d’une contusion ou d’un hémothorax. Un tympanisme témoigne d’un pneumothorax.
Oxymètre de pouls. Il doit être utilisé pour évaluer le niveau d’oxygène lié à l’hémoglobine afin de monitorer les changements d’état du patient et la réponse aux traitements entrepris.
Capnographie. Elle peut être réalisée sur sonde nasale, sur masque facial ou sur le circuit du respirateur. Elle permet d’évaluer le niveau de CO2 dans l’air expiré afin de monitorer les changements d’état du patient et la réponse aux traitements entrepris.
La réévaluation de l’examen clinique est fondamentale pour suivre l’évolution du patient au cours du temps. En effet, une aggravation de l’état clinique peut simplement se traduire par une augmentation de la fréquence ventilatoire.
Prise en charge des lésions spécifiques
Fractures de côtes
Même si les côtes sont des structures anatomiques assez bien protégées par des muscles périthoraciques, les fractures de côtes sont fréquentes lors des traumatismes thoraciques. Les côtes supérieures, profondes et larges, sont correctement protégées par la ceinture scapulaire (os et muscles) [1–3]. Au regard de l’energie importante qui doit être génerée pour provoquer des fractures des côtes supérieures, les patients qui présentent ce type de fractures risquent des lésions importantes telle une rupture traumatique de l’aorte. Les fractures de côtes se produisent préférentiellement entre la 4e et la 8e côtes, là où elles sont plus fines et moins protégées par la musculature. Les côtes cassées peuvent provoquer des lésions des vaisseaux et du poumon sous-jacent [1,3,8]. Les fractures costales simples, bien qu’elles ne mettent que rarement le pronostic vital en jeu chez l’adulte jeune, peuvent être mortelles chez la personne âgée. La compression pulmonaire peut rompre les alvéoles pulmonaires et provoquer un pneumothorax.
Les fractures costales basses [8–10] peuvent être associées à des traumatismes de la rate et du foie et se présenter avec des signes de choc ou d’hypovolémie [1,3,8].
Évaluation
Les patients qui présentent des fractures costales simples peuvent être symptomatiques. Ils se plaignent le plus souvent d’une douleur thoracique et de difficultés respiratoires. Il peut exister une dyspnée, la palpation peut montrer une douleur et des crépitants. L’examen en préhospitalier comprend la mesure des signes vitaux, particulièrement la fréquence ventilatoire. La mesure de la SpO2 est utile ainsi que la capnographie si disponible [1,12,13].
Prise en charge
La base de la prise en charge d’un patient présentant une fracture isolée d’une côte est le traitement de la douleur, communément réalisée en préhospitalier par l’immobilisation et la diminution des mouvements des côtes ; cela peut être réalisé en utilisant le bras du patient et une sangle. Il est important de réévaluer fréquemment l’état du patient, en gardant à l’esprit l’aggravation possible de la ventilation et la survenue d’un état de choc. La mise en place d’une voie veineuse périphérique doit être envisagée en fonction de l’état clinique du patient et de la durée de transport vers l’hôpital. L’administration d’antalgiques peut être indiquée si besoin. Le patient est encouragé à prendre des insufflations profondes et à tousser de temps en temps pour prévenir la survenue d’atélectasies (collapsus alvéolaire). Une contention serrée de la cage thoracique est contre-indiquée, car elle favorise la survenue d’atélectasies [1,3]. L’administration d’oxygène et l’assistance ventilatoire peuvent être nécessaires.
Volet costal
Le volet costal survient lorsque deux ou plusieurs côtes adjacentes sont fracturées en plusieurs endroits sur leur longueur. Cela a pour effet de créer un segment qui n’est plus solidaire du reste de la cage thoracique. La force importante nécessaire pour produire un volet costal est en général transmise au poumon sous-jacent, provoquant ainsi une contusion pulmonaire. Le patient peut donc être soumis à deux effets pouvant compromettre la ventilation et les échanges gazeux : le volet costal et la contusion pulmonaire sous-jacente (qui représente le plus important problème quand la ventilation est mise en jeu). Ce segment « libre » va bouger dans une direction opposée au reste de la cage thoracique lors de l’inspiration et de l’expiration. Normalement, au cours de l’inspiration, alors que le diaphragme descend et que les côtes s’élèvent et se séparent, la pression intrathoracique diminue. La combinaison d’une pression basse dans la cage thoracique avec une pression atmosphérique externe plus élevée fait se déplacer le volet thoracique vers l’intérieur plutôt que vers l’extérieur durant l’inspiration. Ce mouvement est appelé mouvement paradoxal. Au cours de l’expiration, quand le diaphragme se déplace vers le haut et que les côtes se rapprochent, la pression intrathoracique augmente. Le segment « flottant » (volet costal) a alors tendance à bouger vers l’extérieur (figure 11-7). Le degré de l’insuffisance respiratoire qui résulte du volet est directement proportionnel à la taille du volet. Comme vu précédemment, une contusion pulmonaire sous-jacente va perturber les échanges gazeux au niveau de la région pulmonaire contuse car les alvéoles de cette zone sont remplies de sang.

Figure 11-7 Mouvement paradoxal. Si la stabilité de la paroi thoracique a été perdue du fait de fractures de côtes en deux endroits ou plus, lorsque la pression intrathoracique diminue durant l’inspiration, la pression de l’air externe attire le « volet costal » vers l’intérieur. Lorsque la pression intrathoracique augmente durant l’expiration, le volet costal est poussé vers l’extérieur.
Évaluation
Comme pour une fracture simple, l’évaluation du patient fait apparaîtere une douleur. La douleur est typiquement plus importante et le patient présente plus volontiers une détresse ventilatoire. La fréquence ventilatoire est augmentée, et le patient ne peut prendre des inspirations profondes. Une hypoxie peut être présente, attestée par une cyanose ou une SpO2 basse. Le volet peut se voir cliniquement comme ne pas apparaître évident. Initialement, la gaine musculaire tend à stabiliser le volet. Alors que les muscles se fatiguent, le volet devient de plus en plus évident. L’existence d’une douleur et de crépitants à la palpation est fréquente. La stabilité du volet peut être appréciée par la palpation.
Prise en charge
La prise en charge du volet costal répond à plusieurs objectifs que sont le traitement de la douleur, l’assistance ventilatoire si nécessaire et la réévaluation fréquente de l’état clinique du patient. La fréquence ventilatoire est le paramètre le plus important à suivre. L’oxymétrie de pouls, si elle est disponible, est importante pour détecter une hypoxie [7]. De l’oxygène doit être administré et une voie veineuse doit être posée, sauf dans le cas d’un transport hospitalier extrêmement bref. Une assistance ventilatoire au masque, par ventilation en pression positive continue (VPPC), ou par ventilation mécanique peut être indiquée (d’autant plus que la durée du transport sera longue) [12]. Les efforts de stabilisation mécanique du volet, qui risquent de limiter encore plus la mobilité du thorax et donc la ventilation, sont contre-indiqués [1].
Contusion pulmonaire
Lorsque le tissu pulmonaire est lacéré par un traumatisme pénétrant ou contondant, du sang peut envahir les alvéoles pulmonaires. Il en résulte une perturbation des échanges gazeux, l’air ne pouvant plus entrer dans les alvéoles. Du sang et de l’œdème peuvent également inonder les espaces interstitiels interalvéolaires, diminuant d’autant les échanges gazeux. La contusion pulmonaire est presque toujours présente lors de volets costaux, et elle est une complication fréquente – et potentiellement mortelle – des traumatismes thoraciques [3,8]. Une défaillance ventilatoire grave peut survenir rapidement, dans les 24 premières heures.
Évaluation
Les données de l’examen du patient dépendent de la gravité de l’atteinte pulmonaire. L’évaluation initiale et précoce peut être normale. Il est recommandé de garder un niveau de suspicion important, particulièrement en cas de volet thoracique.
Prise en charge
La prise en charge consiste à assurer une ventilation alvéolaire adéquate. De l’oxygène doit être administré avec comme but de maintenir une saturation en oxygène dans les limites de la normale. La réévaluation clinique fréquente est de mise, particulièrement la fréquence ventilatoire, ainsi que la recherche de tout signe de détresse respiratoire. L’oxymétrie de pouls et la capnographie, si disponibles, devraient être utilisées. Le patient chez qui l’on suspecte une contusion pulmonaire doit être mis sous oxygène. Une VPPC peut être mise en route si les apports d’O2 au masque ne sont pas suffisamment efficaces [14]. L’assistance respiratoire (au BAVU ou par intubation) peut être nécessaire [13]. En l’absence d’hypotension (PAS < 90 mmHg), le remplissage vasculaire peut aggraver l’œdème interstitiel et compromettre la ventilation et l’oxygénation. Ce remplissage doit uniquement être effectué pour traiter un état de choc hypovolémique associé. La contusion pulmonaire est un autre exemple illustrant la nécessité d’évaluer le rapport risques/bénéfices du remplissage vasculaire (voir chapitre 8).
Pneumothorax
Un pneumothorax est présent dans plus de 20 % des traumatismes thoraciques [9]. Les trois types de pneumothorax suivants sont de gravité croissante : simple, ouvert et sous tension.
Le pneumothorax simple correspond à la présence d’air dans la cavité pleurale. Si la quantité d’air intrapleural augmente, le poumon homolatéral s’affaisse (figure 11-8). Le pneumothorax ouvert (plaie thoracique soufflante) correspond à un pneumothorax associé à une plaie thoracique, permettant à l’air extérieur d’entrer et de sortir lors des mouvements respiratoires. Le pneumothorax sous tension survient quand de l’air entre dans la cavité pleurale sans pouvoir s’en échapper. Il en résulte une augmentation progressive de la pression intrathoracique, qui déplace les structures du médiastin ; cela diminue le retour veineux vers le cœur et compromet la fonction circulatoire.

Figure 11-8 De l’air dans l’espace pleural comprime le poumon, diminue la quantité de poumon pouvant être ventilée et diminue ainsi l’oxygénation du sang qui quitte le poumon.
Pneumothorax simple
Évaluation
L’évaluation d’un pneumothorax simple permet de retrouver des symptômes comparables aux fractures costales. Le patient se plaint fréquemment de douleurs thoraciques et peut présenter divers symptômes et signes de détresse ventilatoire. L’absence ou la diminution des bruits respiratoires sur le côté impliqué sont des signes classiques. La recherche d’un tympanisme à la percussion est un excellent indicateur, mais il peut être difficile à apprécier sur le terrain. Chez un patient traumatisé et dans un contexte préhospitalier, l’absence ou la diminution des bruits respiratoires, associée à une détresse ventilatoire, indique un pneumothorax.

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