Chapitre 11. Évaluation fonctionnelle des patients atteints de pathologies respiratoires
Gregory Reychler and Christian Opdekamp
Les patients atteints de pathologies respiratoires présentent régulièrement une diminution de la capacité physique ainsi que de la tolérance à l’effort. Ces limitations, d’autant plus marquées que l’atteinte respiratoire est importante, ont un retentissement sur leur qualité de vie et nécessitent bien souvent une réhabilitation appropriée dont les contours sont détaillés par ailleurs dans ce livre. Pour les kinésithérapeutes, l’évaluation des différents paramètres caractérisant la capacité physique et la tolérance à l’effort fait partie intégrante de leur prise en charge. Différentes mesures existent. Chacune possède des spécificités propres et leur choix s’effectue en fonction des objectifs. Il est important de noter qu’il s’agit bien d’une évaluation fonctionnelle globale, puisque de nombreuses composantes y sont mises en jeu. Elle ne présente qu’une faible corrélation avec la fonction respiratoire et peut être avantageusement complétée par des questionnaires de qualité de vie.
Deux grandes catégories de tests existent : les tests de terrain et ceux de laboratoires. Les kinésithérapeutes sont plus directement impliqués dans les premiers, mais une connaissance de la seconde catégorie est nécessaire, vu son caractère déterminant dans l’élaboration des programmes de réadaptation pulmonaire. Ces tests de laboratoire englobent les différentes épreuves d’effort qui ont fait leurs preuves et dont l’intérêt ne fait aucun doute en matière d’évaluation de la capacité physique. Ils sont d’ailleurs le standard en la matière. La lourdeur de ces tests les rend cependant peu utilisables au quotidien comme mesure de la tolérance à l’effort, contrairement aux tests de terrain, plus aisément réalisables et moins coûteux. Généralement, les tests de terrain se rapprochent plus, de par leur intensité sous-maximale, des activités de la vie quotidienne. Ce chapitre passe en revue les principaux moyens d’évaluation de la capacité physique et de la tolérance à l’effort et tente de guider le kinésithérapeute dans leur interprétation.
L’épreuve d’effort
L’épreuve d’effort progressivement croissant ou ergospirométrie est le gold standard dans l’évaluation de la tolérance à l’effort de l’individu. Ce test a pour but de déterminer la consommation maximale en O2 (VO2 max) à l’effort, c’est-à-dire la quantité maximale d’O2 qui peut être consommée en 1min lors d’un exercice maximal. La VO2 max définit donc aussi l’intensité la plus élevée que l’on puisse atteindre en utilisant essentiellement les processus métaboliques aérobies. On dit avoir atteint la VO2 max si, pour une augmentation de la charge de travail, il n’y a plus d’augmentation de la consommation d’O2. Celle-ci atteint un plateau et l’exercice, faute d’apport supplémentaire en énergie, doit s’interrompre. Ce plateau n’est atteint que très rarement chez des sportifs de très haut niveau. À l’inverse, chez le sujet sédentaire et le patient, on parle habituellement d’« intolérance à l’effort » et la consommation en O2 est limitée par la symptomatologie (VO2 max SL) ; la VO2 au pic de l’effort (VO2 pic) est limitée par rapport au sujet sain.
L’intolérance à l’effort dans les pathologies respiratoires chroniques a des implications importantes sur la qualité de vie [1–3], la fréquence d’hospitalisation [4, 5] et la survie des patients [6, 7].
Objectifs
Cette épreuve permet d’analyser l’adaptation des trois grandes fonctions vitales de l’organisme à l’effort, à savoir l’adaptation des systèmes pulmonaire, cardiovasculaire et musculaire, et d’évaluer les limites et les mécanismes de la tolérance à l’effort.
Principaux objectifs
• Objectiver les facteurs limitants de l’exercice.
• Aider au diagnostic (dyspnée d’origine cardiaque ou pulmonaire, asthme induit par l’effort).
• Évaluer la sévérité du handicap fonctionnel (indemnité).
• Personnaliser le réentraînement à l’effort et en évaluer les effets.
• Aider au diagnostic d’urgence d’inscription sur une liste d’attente de transplantation cardiaque et pulmonaire.
• Évaluer les risques de morbidité et de mortalité postopératoires (chirurgie abdominale ou thoracique).
Contre-indications du test d’effort [8]
Les contre-indications au test d’effort peuvent être absolues ou relatives (tableau 11.1).
Absolues | Relatives |
---|---|
Infarctus du myocarde récent (< 5 j) Angine de poitrine instable Sténose aortique sévère Décompensation cardiaque non contrôlée Péricardite ou myocardite aiguë Embolie pulmonaire Œdème pulmonaire Arythmie incontrôlée Thrombose des membres inférieurs Décompensation aiguë non cardiaque pouvant être aggravée par l’exercice (infection, insuffisance rénale) | Sténose coronaire Hypertension artérielle au repos non traitée (pression systolique > 200mm Hg ; pression diastolique > 120mm Hg) Tachy- ou bradyarythmie Bloc atrioventriculaire sévère Cardiomyopathie hypertrophique Sténose valvulaire modérée Asthme mal contrôlé Anomalie électrolytique Défaillance mentale menant à un manque de collaboration |
Indications d’interruption du test d’effort [8]
Signes ou symptômes
• Pâleur et transpiration soudaine.
• Dyspnée sévère.
• Douleur thoracique soudaine.
• Cyanose, vertige.
Tracé ECG
• Sous-décalage du segment ST supérieur à 0,1mV avec ST descendant ou horizontal.
• Extrasystole ventriculaire (ESV) et tachycardie ventriculaire paroxystique.
• Fibrillation auriculaire (FA) en cours d’effort.
• Apparition d’un bloc de branche.
Tension artérielle
• Tension artérielle systolique supérieure à 300mm Hg ou diastolique supérieure à 140mm Hg.
Paramètres physiologiques témoins d’un effort « maximal »
• Plafonnement de la VO2.
• Fréquence cardiaque (FC) proche de la FC maximale théorique.
• FC max théorique = (220 – âge) ou 210 – (0,65 × âge) ± 10 %.
• Lactatémie supérieure à 9mMol/ L.
• Quotient respiratoire > 1,10.
Protocole [8–9]
L’épreuve d’effort est réalisée dans un laboratoire d’explorations fonctionnelles, dans des conditions de température et d’humidité ambiantes stables. Elle nécessite un appareillage sophistiqué et un personnel expérimenté. Le matériel de mesure permet l’appréciation des échanges gazeux cellulaires à partir des flux aériens le plus souvent mesurés au niveau de la bouche par un masque facial (respiration nasobuccale permettant la mesure de la VO2 et de la VCO2).
Cycloergomètre versus tapis roulant
L’avantage du cycloergomètre est d’offrir une plus grande facilité à l’expérimentateur pour effectuer les différentes mesures de surveillance et de prélèvements (prise de tension et de gazométrie artérielle), une plus grande stabilité pour le sujet évalué en fonction de la pathologie sousjacente (problèmes ostéoarticulaire ou orthopédique) et une plus grande sécurité en cas de malaise ou de trouble d’équilibre.
Le choix du protocole
Il se fait en fonction de l’indication de l’épreuve d’effort. Les réponses physiologiques diffèrent en fonction de l’incrémentation de la charge. Le but de l’épreuve d’effort maximale est de tester et de stresser suffisamment les systèmes pulmonaire, cardiovasculaire et musculaire de façon méthodologique et contrôlée par la sollicitation de larges groupes musculaires à l’exercice.
L’exercice doit être quantifiable en termes de travail ou de puissance développée. Et celle-ci sera significativement modifiée en fonction du protocole envisagé. C’est pourquoi la durée du test est importante. En dessous de 6min, le test est trop court, la puissance augmente trop rapidement et le nombre de mesures est insuffisant. Au-delà de 12min, le test devient trop long et se termine par la fatigue du sujet avant même d’avoir atteint la puissance maximale, soit par une sensation inconfortable liée à l’examen, soit par des douleurs musculaires exacerbées.
Le protocole le plus adéquat est le protocole à charge croissante individualisée décrit par Wasserman et Whipps [9]. L’individualisation de l’incrément de charge permet d’atteindre un effort maximal, y compris chez les patients les plus sévèrement atteints. Le test aura idéalement une durée de 8 à 12min et comportera plusieurs phases.
Phase de repos
D’une durée de 3min, elle permet d’explorer les paramètres cardiovasculaires et ventilatoires avant de débuter l’exercice.
Phase d’échauffement
Trois minutes à faible intensité (0 à 20 W) permettent un démarrage progressif de l’effort avec une fréquence de pédalage constante située entre 60 et 70 tours/min.
Phase d’incrémentation progressive
La charge de travail augmente par palier de 1min jusqu’à épuisement du sujet (incapacité à maintenir une vitesse de pédalage de 60 à 70 tours/min et ceci malgré les encouragements) ou à l’apparition d’une limitation ou anomalie cardiaque, ventilatoire ou métabolique.
Le choix de l’incrément se fera en fonction de l’état clinique, de l’estimation théorique de la VO2 max et du volume expiratoire maximum par seconde (VEMS) du patient.
Si la VO2 max théorique est de 2,5 L/min et que le rapport VEMS mesuré/VEMS théorique est de 60 %, la VO2 max estimée est de 1,5 L/min. Il faut encore retirer de cette valeur la VO2 de repos (0,3 L/min) afin d’avoir la VO2 max estimée à l’effort : 1,5 − 0,3 = 1,2 L/min.
Vu la relation entre la VO2 et la puissance (1 W équivaut à une VO2 de 0,0103 L/min), il est possible d’estimer la puissance maximale théorique à ± 120 W. En tenant compte de la période d’échauffement qui est réalisée à 20 % de ce chiffre (10 à 20 W), on peut s’attendre à réaliser des paliers de 10 W pour atteindre les 100 W en 10min.
Phase de récupération active
Deux à trois minutes à la puissance d’échauffement permettent aux composantes hémodynamiques (débit cardiaque et tension artérielle) de diminuer et de revenir progressivement aux valeurs de repos.
Paramètres étudiés
Avant l’épreuve d’effort, différents examens seront réalisés. La fonction respiratoire sera mesurée par une épreuve fonctionnelle respiratoire. Un ECG de repos (12 pistes) et une mesure de la tension artérielle seront effectués avant la période d’échauffement. On aura conseillé au patient de s’alimenter légèrement avant l’effort. De nombreux paramètres peuvent être mesurés. Certains sont indispensables :
• la VO2 (L/min ou mL/min × kg de poids corporel) ;
• la puissance développée au pic de l’effort (W) ;
• la VCO2 (L/min) ;
• la ventilation minute (VE) [L/min] ;
• l’ECG (12 pistes) ;
• la pression artérielle (mm Hg) ;
• la fréquence respiratoire (FR) [cycle/min] ;
• la saturation artérielle en O2 (SaO2) [%] ;
• des renseignements sur les causes de l’arrêt de l’effort.
D’autres paramètres peuvent ensuite être calculés :
• le quotient respiratoire (QR) [] ;
• le pouls d’O2 () ;
• les équivalents respiratoires en O2 et en dioxyde de carbone ( et ).
Interprétation de l’épreuve d’effort
On considère que la VO2 d’un sujet peu actif diminue physiologiquement de 0,4mL/min/kg/an, mais que l’activité physique pratiquée régulièrement pendant 6 mois peut améliorer la VO2 de 15 à 20 %. Avec la maladie, la condition physique du sujet diminue et l’intolérance à l’effort est considérée comme modérée si la VO2 pic se situe en dessous de 85 % de la valeur théorique et sévère lorsqu’elle est inférieure à 60 %.
Le seuil ventilatoire correspond à l’intensité pour laquelle apparaît une augmentation non linéaire entre la VO2 et la ventilation, et une lactatémie plus marquée au cours de l’exercice. En fonction des auteurs, il est défini comme le niveau d’effort où l’augmentation de la VCO2 progresse plus rapidement que celle de la VO2 [10], ou en se basant sur l’augmentation de l’équivalent respiratoire en O2 () sans augmentation concomitante de l’équivalent respiratoire en dioxyde de carbone () [11] (figure 11.1).
Figure 11.1 |
Au début de l’effort, le peu de lactate formé est immédiatement réoxydé dans les fibres musculaires de type I et le myocarde. Le quotient respiratoire est de 0,7, témoignant d’une utilisation prioritaire des lipides par rapport aux glucides. Le premier seuil ventilatoire (SV1) survient comme la conséquence du tamponnement de la production du lactate par les bicarbonates. L’augmentation de la production des lactates par rapport à la vitesse de leur élimination pendant un effort croissant s’accompagne d’une émission de protons (H+) qui vont être tamponnés par des ions bicarbonates (CO3H−) pour donner de l’acide carbonique (CO3H2), lequel se dissociera en CO2 et en H2O. Cette formation extra- ou non métabolique de CO2 stimule les centres respiratoires et induit l’augmentation de la ventilation.
Avec la poursuite de l’effort croissant, on observe une nouvelle augmentation du contenu plasmatique en lactate. Le système tampon est débordé et c’est l’augmentation des protons qui va directement stimuler les centres respiratoires, avec comme conséquence une nouvelle augmentation abrupte de la ventilation (SV2). Chez le sujet sédentaire, le seuil ventilatoire (SV1) apparaît entre 50 et 60 % de la VO2 pic. Le sportif endurant laissera apparaître ce seuil aux alentours des 70 %. Le second seuil ventilatoire (SV2) apparaîtra pour le sédentaire à 70 % de la VO2 pic et à 85–90 % chez le sportif.