problématiques
N. Delvaux, D. Razavi, A. Brédart, Y. Libert, I. Merckaert and A. Liénard
Introduction225
Compétences en communication : prédicteurs225
Effets de la communication227
Gestion des entretiens triangulaires232
Gestion des questions difficiles des patients236
Intervention de psychoéducation240
Satisfaction par rapport aux soins242
Conclusion249
INTRODUCTION
Actuellement, la relation entre la communication médecin-patient et son impact sur les patients restent encore mal élucidés. Des recherches commencent toutefois à montrer que différents aspects de la communication entre patients et soignants jouent un rôle important dans la satisfaction par rapport aux soins. Ces aspects influencent non seulement la qualité de vie mais aussi l’adhésion aux traitements, indispensable à une efficacité thérapeutique.
La communication a été bien définie dans le chapitre précédent. Le chapitre précédent a aussi décrit les principales composantes et les principaux objectifs de celle-ci.
Dans ce chapitre seront abordées plusieurs problématiques directement associées à la communication soignant-soigné en oncologie. Il s’agit de présenter les différentes problématiques relatives à cette comunication dans un contexte clinique. Une bonne compréhension de celles-ci peut en effet permettre d’optimiser la communication entre soignants et soignés. Dans un premier temps, ce chapitre discutera de la notion de prédicteurs des compétences en communication, c’est-à-dire de ce qui peut prédire un comportement facilitant ou non la communication. Les effets de la communication sur le patient au niveau de l’impact émotionnel, de l’intégration des informations ainsi que de l’adhésion au traitement seront ensuite discutés. Ce chapitre abordera aussi la gestion des questions difficiles en oncologie, les interventions de psychoéducation qui sont actuellement proposées, ainsi que la problématique des entretiens triangulaires où le patient est accompagné d’un de ses proches. La satisfaction des patients par rapport aux soins et par rapport à la communication clôturera ce chapitre.
COMPÉTENCES EN COMMUNICATION : PRÉDICTEURS
La qualité d’une communication interpersonnelle est déterminée avant tout par le type de relation existant entre les deux personnes en interaction (Abric, 1996).L’évolution de la médecine et l’évolution des attentes des patients et de leurs proches ont apporté à la communication du soignant le statut d’une véritable compétence professionnelle. Plusieurs travaux soulignent qu’il existe, parmi les médecins, des styles différents de communication (Bragard et coll., 2006, Libert et coll., 2003 and Libert et coll., 2006). Tous les médecins n’ont pas les mêmes capacités à tenir compte des difficultés et attentes en information des patients et de leurs proches. La question des prédicteurs de la communication amène donc à s’interroger d’abord sur le concept d’attitude et ses relations avec les comportements doivent être développés. Ensuite, des modèles de prédiction seront exposés. L’objectif est de mieux comprendre ce qui prédit, ce qui bloque ou facilite la communication.
Concept d’attitude
Le concept d’attitude a fait l’objet en psychologie sociale de nombreux travaux. Moscovici lui confère la caractéristique d’une variable qui oriente et qui structure les comportements (Moscovici, 1984). Des auteurs proposent aujourd’hui une définition plus large. Une attitude représente une disposition interne de l’individu vis-àvis d’un objet ou d’une classe d’objets, l’objet étant un élément différenciable du monde social (Abric, 1996). Il s’agit d’une disposition à trois composantes : affective, les sentiments favorables ou défavorables (on aime ou on n’aime pas); cognitive, les jugements, croyances, savoirs (une attitude nous permet d’apprécier les objets); et conative, c’est-à-dire les tendances d’action (une attitude nous pousse à agir). Le problème des relations entre ces composantes se pose en termes de cohérence intra-attitude d’une part et inter-attitude d’autre part. Les attitudes aident l’individu à organiser ses connaissances et ses besoins. Les attitudes ont donc des effets sur les interactions entre individus à la fois via le comportement (output ou émission d’informations) et via le traitement des données (input ou acquisition d’informations) (Newcomb, Turner et coll., 1970).
L’attitude est donc une notion particulièrement pertinente dans l’étude de la communication. Elle s’exprime de façon variée, verbale et non verbale, et prépare l’action en introduisant dans des conduites hétérogènes une unité de signification (Deschamps et Clemence, 1990). L’attitude est polarisée au sens où elle est une «prise de position» vis-à-vis de l’objet. Elle est plus stable et plus globale que l’opinion. L’opinion s’exprime verbalement alors que l’attitude permet une expression plus variée incluant le mode verbal et non verbal (parole, geste, mimique).
Plusieurs générations de travaux se sont succédées pour aboutir à une théorie intégrative des données relatives à la question des liens entre attitudes et comportements (Channouf, Py et coll., 1996). Selon Ajzen et Fishbein, l’attitude prédictive et le comportement prédit devraient être mesurés à des niveaux correspondants de spécificité (Ajzen, 1977). Ces niveaux de correspondance attitude-comportement peuvent être définis par quatre marqueurs : une action spécifique (par exemple, communiquer avec un malade cancéreux), une cible (évaluation des symptômes psychologiques du patient), une situation (entretien avec un malade hospitalisé) et le temps (participation à une évaluation des effets d’une formation psychologique, par exemple). L’absence de lien entre attitude et comportement s’expliquerait par des différences de niveaux de correspondance : une attitude générale (par exemple, les attitudes par rapport au cancer) et un comportement spécifique (évaluer les réactions psychologiques d’un malade hospitalisé). De plus, l’intention d’effectuer ou non un comportement est considérée comme le «déterminant immédiat» de la réalisation de ce comportement (Ajzen 1977). L’intention est elle-même déterminée par deux éléments importants : l’attitude vis-à-vis du comportement qui est fonction des attentes ou des croyances quant aux résultats de l’action, et la norme subjective qui reflète la perception par l’individu des pressions sociales pour le mener à réaliser ou non le comportement. On conçoit dès lors l’attitude comme tributaire de variables spécifiques qui permettent d’assurer un lien avec les comportements, notamment les comportements en communication.
Des travaux plus récents laissent entendre aussi que la relation entre attitude et comportement est fonction de l’accessibilité en mémoire de l’attitude au moment où se présentera pour le sujet l’opportunité de se conduire face à l’objet en conformité avec son attitude initiale (Channouf, Py et coll., 1996). Une telle accessibilité mentale serait fonction à la fois de l’expérience personnelle que possède le sujet de l’objet d’attitude, et des opportunités qui lui ont été données d’exprimer son opinion à ce propos.
Les comportements ne sont donc pas toujours prédits par des attitudes. En effet, si certains comportements ne paraissent pas être le fruit d’une planification contrôlée (réponses automatiques) d’autres peuvent être issus d’une «autorégulation comportementale» (self monitoring) (réponses contrôlées) (Snyder et Tanke, 1976). La littérature concernant cette variable de personnalité permet de supposer qu’elle affecte le caractère prédictif d’une attitude.
Autres prédicteurs
Dans la littérature, les modèles concernant les prédicteurs des compétences en communication sont peu nombreux. Dans leur modèle théorique, Parle et coll. soulignent quatre variables susceptibles de favoriser l’aquisition de compétences communicationnelles : des aptitudes et des connaissances, un sentiment d’efficacité dans le recours aux stratégies (self-efficacy), des anticipations positives quant aux conséquences des stratégies utilisées et la perception d’un soutien professionnel (Parle, Maguire et coll., 1997).
Tout d’abord, le soignant devrait posséder des connaissances et des aptitudes en matière de communication. Cet élément renvoie à la formation professionnelle des soignants et à la faible place accordée, dans celle-ci, à la communication avec les patients et leurs proches. La formation des soignants et en particulier des médecins ne participe donc que marginalement à leur acquisition de connaissances et d’aptitudes en matière de communication.
En second lieu, il doit anticiper des conséquences positives aux stratégies utilisées. Cependant, la littérature souligne à quel point de nombreux soignants expriment des réticences à favoriser l’expression des patients par crainte de mettre à jour des émotions ou des difficultés qu’ils pourront difficilement maîtriser et/ou par crainte de créer de nouvelles émotions ou de nouvelles difficultés chez leurs interlocuteurs. En particulier, la crainte de perdre la maîtrise de l’entretien semble les pousser à bloquer l’expression de leurs interlocuteurs. Ceci est d’autant plus préoccupant qu’une littérature abondante souligne l’impact positif d’un contrôle partagé entre le médecin et son patient sur leurs niveaux respectifs de satisfaction par rapport aux soins, sur l’adhésion aux traitements du patient voire sur son état de santé (Kiesler et Auerbach, 2003; Reynaert, 1995). Deux études récentes ont ainsi démontré que les médecins qui pensent contrôler par leurs caractéristiques ou comportements ce qui peut provenir de leur environnement (ayant un vécu subjectif de contrôle interne)développent un style de communication différent des médecins qui pensent que ce qui peut provenir de leur environnement est principalement contrôlé par des forces extérieures (ayant un vécu subjectif de contrôle externe) lors d’entretiens impliquant des patients atteints d’un cancer (Libert, Janne et coll., 2003; Libert, Merckaert et coll., 2006). En particulier, les médecins ayant un vécu subjectif de contrôle externe semblent davantage capables d’apporter de l’information de manière appropriée lors d’entretiens impliquant un patient non accompagné d’un proche (Libert, Janne et coll., 2003) et davantage capables de s’adresser au proche du patient et d’utiliser des stratégies d’évaluation, d’information voire de soutien lors d’entretiens impliquant un patient accompagné d’un proche (Libert, Merckaert et coll., 2006).
Le soignant aura recours aux stratégies de communication s’il se sent capable de les utiliser. Et cela est la troisième condition à leur utilisation. Le fait que les oncologues rapportent, comme principale source de stress professionnel, la communication avec les patients et leurs proches souligne, pour le moins, la fragilité de ce sentiment d’auto-efficacité (Graham et Ramirez, 2002, Ramirez et coll., 1995 and Stockwell et coll., 1992).
Enfin, bénéficier d’un soutien professionnel quotidien dans le recours à certaines stratégies de communication serait la quatrième et dernière condition à leur application. Si de nombreuses équipes accordent une place significative à la relation avec les patients, la réduction du personnel soignant et l’urgence dans la gestion et l’administration des soins peuvent parfois réduire le sentiment des médecins d’être soutenus lorsqu’ils prennent le temps de communiquer avec leurs patients (Penson, Dignan et coll., 2000). À notre connaissance, des méthodes permettant d’évaluer la qualité de ce soutien professionnel n’existent néanmoins pas encore.
D’autres facteurs peuvent également influencer la communication : le manque de temps, l’importance de la charge de travail, un cadre ne permettant pas l’intimité lors de la pratique médicale. Il ne faut pas en déduire pour autant que seules de bonnes conditions de travail peuvent influencer positivement la qualité et la quantité de la communication. Ces facteurs peuvent cependant expliquer pourquoi les soignants qui ont été formés à la communication peuvent perdre les compétences acquises dans un environnement professionnel qui ne favorise pas une bonne communication.
EFFETS DE LA COMMUNICATION
La notion d’effet peut être définie comme une conséquence observable de l’interaction (Beckman, Kaplan et coll., 1989). Les effets identifiés peuvent survenir immédiatement, à court, moyen ou long terme. Les effets immédiats sont directement en rapport avec le processus de l’interaction : ils peuvent être identifiés par l’évaluation de la procédure visant à favoriser la collaboration et l’accord entre les interlocuteurs, et par l’évaluation de la participation active du patient au cours de l’interaction (mesurée par la recherche d’informations ou la formulation d’un avis). Les effets à court terme peuvent être évalués immédiatement après l’interaction : l’intégration par le malade des informations transmises, sa satisfaction ou son intention d’adhérer au traitement par exemple. Les effets à moyen terme peuvent être une mesure indirecte de la capacité diagnostique ou de la prise en charge du clinicien.
Impact émotionnel
Les réactions psychologiques secondaires à la communication soignant-soigné sont variées et leur intensité, leur forme et leur durée sont fluctuantes. Des facteurs liés à la situation et à la personnalité du malade influencent ces réactions (Derdiarian, 1987). En général, l’anxiété des patients diminue après un entretien avec un médecin (Liénard, Merckaert et coll., 2006; Lobb et Meiser, 2004, Shilling et coll., 2003 and Stark et House, 2000). Et lorsque le malade est accompagné par un proche, elle diminue également pour le proche (Liénard, Merckaert et coll., 2008). Ce phénomène peut s’expliquer notamment par le fait que l’entretien médical lui-même est vécu comme une source de stress. Une fois l’entretien terminé, cette source de stress disparaît, et l’anxiété est atténuée.
La réduction de l’anxiété s’explique aussi par les traits de personnalité. Ainsi, si certains patients ont tendance à réagir face à une menace vitale par le déni, la répression des affects et la mise à distance, d’autres utilisent plutôt l’approche et l’élaboration intellectuelles afin de mieux contrôler la situation. Il existe un continuum et de nombreuses variantes entre ces processus extrêmes. L’évitement de la représentation de la «situation menaçante», ou bien sûr de la situation en tant que telle, empêche partiellement ou totalement une prise de conscience réaliste de ce qui est vécu.
Peu de recherches ont étudié l’interaction entre l’évolution de l’anxiété des patients suite à un entretien avec le médecin et les stratégies de communication utilisées par le médecin. L’étude de Liénard et coll. a démontré que les recherches d’informations et les clarifications concernant les préoccupations des patients, lors des entretiens médicaux, n’avaient pas d’impact sur l’évolution de l’anxiété des patients (Liénard, Merckaert et coll., 2006). Ces résultats sont en contradiction avec une croyance souvent rapportée par les médecins selon laquelle l’investigation des préoccupations des patients peut s’assimiler à l’ouverture d’une «boîte de Pandore» dont le risque est de libérer un flot d’émotions. De plus, cette étude a démontré un impact positif sur l’évolution de l’anxiété des patients de l’utilisation de questions d’évaluation («Y a-t-il d’autres choses?» «Quoi d’autre?») qui permettent une identification de la totalité des champs d’inquiétude du patient. Cette identification donne au patient le sentiment d’être entendu par rapport à l’ensemble de ses préoccupations. Différentes études ont montré que certaines stratégies de soutien peuvent augmenter, paradoxalement, l’anxiété du patient juste après l’entretien médical (Liénard, Merckaert et coll., 2006; Lucock, Morley et coll., 1997), surtout celles réalisées avant l’évaluation des préoccupations du patient (Stark, Kiely et coll., 2004). Finalement, en ce qui concerne l’impact des stratégies d’information, les résultats des études sont contradictoires. Certaines études n’ont montré aucun impact d’une transmission adéquate d’informations sur l’anxiété des patients (Liénard, Merckaert et coll., 2006; Lobb et Meiser, 2004). D’autres ont montré une diminution de l’anxiété du patient associée à une transmission adéquate d’informations (De Lorenzo, Ballatori et coll., 2004; Ryan, Schofield et coll., 2005). Certaines autres ont montré, quant à elles, une augmentation de l’anxiété suite à une transmission inadéquate d’informations (Gattellari et coll., 2002, Hawighorst et coll., 2004 and Leydon et coll., 2000).
Ces résultats contradictoires quant à l’impact de la transmission d’informations sur l’anxiété des patients peuvent s’expliquer par des variations entre les patients dans leur manière de gérer et de réagir par rapport à l’information. Une étude réalisée en laboratoire auprès de sujets non malades fait apparaître une augmentation de l’anxiété chez les personnalités réagissant par l’évitement lorsqu’il leur est communiqué une information pertinente relevant de la situation de l’expérience en cours et une diminution de celle-ci dans le cas d’une transmission d’informations n’ayant aucun rapport avec l’expérience (Cook, 1985). Le processus inverse est observé chez les individus hypervigilants aux stimuli anxiogènes, et utilisant comme principal mécanisme de défense l’intellectualisation et le contrôle. Les patients anxieux présentent un mécontentement fréquent face aux informations reçues jugées insuffisantes. Une insatisfaction concernant la communication avec le personnel soignant est souvent rapportée quatre à six mois après le diagnostic; dans cette étude, tous les patients avaient été informés de la nature de leur affection (Lloyd, Parker et coll., 1984). De plus, les patients anxieux recourent plus fréquemment aux médecines alternatives et complémentaires qui leur apportent probablement plus de réponses et de certitudes (Pruyn, Rijckman et coll., 1985). Certaines de ces médecines pourraient néanmoins, dans certains cas, favoriser non pas les mécanismes de contrôle mais certains types de déni, en privilégiant le soutien émotionnel au détriment d’une transmission d’informations réalistes et de l’administration d’un traitement actif. Quelles seraient alors les attitudes à préconiser chez des patients réagissant par le déni et la répression? On serait tenté, en l’absence de données à ce propos, de proposer de porter plutôt l’accent sur le soutien émotionnel garant d’une confiance, en lieu et place d’une transmission d’informations trop détaillées risquant d’être menaçante par la confrontation douloureuse qu’elle impose. Une information générale ou plus progressive pourrait mieux convenir à ce type de malades.
Le type de nouvelle annoncée par le médecin lors d’un entretien peut influencer l’anxiété. En effet, l’anxiété des patients accompagnés ou non d’un proche, ainsi que celle du proche lorsqu’il est présent, augmentent de manière significative suite à un entretien où le médecin annonce une mauvaise nouvelle versus celui où le médecin annonce une nouvelle neutre ou bonne (Liénard, Merckaert et coll., 2006; Liénard, Merckaert et coll., 2008). Le caractère négatif du contenu de la transmission peut en effet être une source d’anxiété importante dans la mesure où il renvoie à des questions de vie ou de mort. La transmission de ce type d’informations est de fait susceptible d’engendrer un degré d’anxiété important chez le patient et d’avoir une influence sur ses capacités de compréhension et de rétention de l’information. Pour compliquer le tout, on parle de plus en plus de syndrome de stress posttraumatique chez les patients atteints d’un cancer, lié entre autres à l’annonce de la maladie et de rechutes. Ce syndrome est associé à un traitement de l’information particulier qui devrait être étudié notamment dans le contexte du consentement informé (Buckley, Blanchard et coll., 2000). Cependant, Meechan et coll., ont mis en évidence qu’une bonne nouvelle, une annonce d’un diagnostic bénin, ne permet pas de diminuer l’anxiété de 33 % des patients de leur échantillon (Meechan, Collins et coll., 2005). Les auteurs émettent l’hypothèse que la manière d’annoncer la nouvelle, c’est-à-dire les stratégies de communication utilisées par le médecin, peut avoir un impact sur la manière dont le patient reçoit cette nouvelle.
L’information du malade peut-elle lui porter préjudice? La pratique oncologique fait état d’exemples de malades ayant soit refusé les traitements proposés, soit présenté des troubles psychologiques spectaculaires (anxiété, dépression, agressivité, état psychotique) après avoir été informés. Cette affirmation reste sujette à caution, certains cliniciens rapportant n’avoir jamais été confrontés à ces réactions extrêmes. Beaucoup d’auteurs ont souligné le désir des patients d’obtenir une information complète et ont démystifié certaines conséquences extrêmes telles le suicide et les dépressions qui peuvent lui être attribués (Hinton, 1973). Il convient de rappeler qu’après la transmission du diagnostic apparaît une première réaction de choc, suivie par une acceptation progressive et une tentative d’adaptation à la nouvelle réalité. Une série de symptômes tels que l’anxiété, des problèmes de concentration, une irritabilité et une insomnie sont fréquents; les suicides sont rares. Ces symptômes témoignent du traitement cognitif en cours pour intégrer l’information. Réactionnels à la crise créée, ils s’améliorent souvent progressivement et sont bien sûr dépendants de la qualité de la relation médecinmalade. L’état de choc et l’anxiété, qui sont des caractéristiques de cette phase, nécessitent fréquemment une réinformation du malade après avoir investigué ce qu’il a pu entendre et comprendre dans un premier temps.
Comment concilier sur le plan d’une compréhension théorique des expériences si contradictoires? La première explication peut être fournie par la rareté des réactions extrêmes dans les populations oncologiques habituelles. La seconde explication peut considérer l’information comme nuisible lorsqu’elle n’est pas associée à un soutien et à une psychoéducation du malade. Outre les nuances citées ci-dessus, les informations restent sans doute nécessaires afin de permettre la meilleure adaptation ultérieure possible. Il existe un consensus selon lequel l’information devrait avoir au moins une fonction essentielle : réduire le sentiment pénible d’incertitude vécu si fréquemment par les malades (Aaronson, Visser-Pol et coll., 1996; Molleman, Krabbendam et coll., 1984). Elle permet une anticipation des dangers. Elle favorise une réhabilitation dans le cas de cancers guérissables en évitant des dramatisations inutiles ou elle ouvre pour certains la porte à un travail de deuil, bien plus supportable quelque fois qu’un avenir inconnu et appréhendé. L’information peut, en effet, corriger, dédramatiser ou nuancer le caractère létal associé trop souvent au cancer par une remise en question des croyances du malade. Cette «correction», dédramatisation, est importante, car il est fréquent que des expériences passées (par exemple une affection cancéreuse ayant touché un proche) aient généré des croyances diverses qui ne concordent pas toujours avec la réalité médicale vécue par le malade. Les informations transmises ont également comme fonction d’améliorer la relation médecin-malade, avec ce qu’elle doit comporter de confiance minimale pour permettre un déroulement optimal des traitements. L’information a également comme fonction d’amener le malade à un traitement curatif ou palliatif susceptible de lui être bénéfique. L’information devrait ainsi avoir également comme fonction d’éviter aux malades et à leurs proches de développer des attitudes ou des comportements qui pourraient, dans le cours de leur affection ou par la suite, leur porter préjudice. L’information permettra donc à certains malades d’agir pour la préservation maximale de leurs intérêts (affectifs, familiaux, sociaux, professionnels, somatiques) (Molleman, Krabbendam et coll., 1984). L’information des proches se pose dans les mêmes termes que celle du malade. Le contenu de leurs questions peut cependant être très différent. Des différences au niveau des besoins en informations peuvent ainsi générer des problèmes et conflits familiaux.
Il est ainsi justifié de conclure qu’une certaine détresse est inévitable et que la transmission d’informations dans certains contextes cliniques peut être traumatisante. L’objectif du clinicien est alors de réduire le risque d’une «traumatisation» de son patient et de transmettre des informations qui permettent une adaptation et adhésion de celui-ci à son traitement. Ce sont probablement des aménagements au niveau de la transmission qui permettent de réaliser cet objectif. Une transmission d’informations avec empathie est un exemple d’aménagement. Une transmission empathique peut réduire le risque de «traumatisation». Cela nécessite un travail empathique qui doit se différencier d’une simple sympathie. Ce travail permet d’accéder à l’éprouvé du malade. Il facilite le développement de représentations de la maladie et de ses traitements. Il assiste le sujet dans les constructions de sens qui seront associées et attribuées aux causes possibles de la maladie. Ce travail permet ainsi une mise en ordre des perceptions et attributions découlant de l’expérience de la maladie et de l’anticipation de son évolution. Cette mise en ordre est facilitée par une mise en commun de représentations, de significations et de sens. Ceci limitera les surinterprétations, les dramatisations et les attributions de sens erronées. Ce travail permet en outre une évaluation de la compréhension de ce qui a été transmis et des besoins du sujet en informations complémentaires et en soutien. Si les demandes en informations des malades peuvent être satisfaites dans le cadre habituel des soins, une sensibilisation du corps médical devrait être envisagée comme solution aux problèmes existants en matière de transmission d’informations. Si ce n’est pas le cas, des programmes d’informations complémentaires devraient être développés. La complexité de la cancérologie et le nombre d’informations potentiellement utiles font penser que la réponse aux besoins des malades résiderait plutôt dans une pluralité de programmes organisés tant par les soignants eux-mêmes que par d’anciens malades. Une information à la fois générale et individualisée permettrait d’éviter la confusion consécutive à des informations provenant d’internet, des médias, de lectures diverses ou de proches et ne correspondant généralement pas à l’état des malades.
Intégration des informations
Les informations concernant les traitements sont capitales pour les malades qui ne perçoivent souvent que partiellement et de façon déformée leur nature réelle et leurs répercussions possibles. Transmettre une information ne suffit pas à son intégration (Aitken-Swan et Easson, 1959; McGuire, 1969). Plusieurs auteurs ont ainsi mis en évidence un processus comprenant les étapes suivantes : l’attention, la compréhension, l’intégration, la rétention. Les deux premières constituent la phase de réception du message : si le sujet n’y prête pas attention, il ne peut le comprendre et si, y faisant attention, il ne le comprend pas, le message ne peut avoir d’effet. L’intégration est l’infléchissement du récepteur vers la position exprimée dans le message. L’intégration elle-même comprendrait d’une part un niveau cognitif par l’évaluation de la conclusion du message et, d’autre part, un niveau plus affectif par l’évaluation des conséquences anticipées de l’accord ou du désaccord sur la conclusion. L’intégration doit se maintenir dans le temps (rétention).
Dans la pratique clinique en oncologie, les réalités sont complexes. La transmission (volontaire ou non) d’informations concernant la nature et le pronostic d’une affection cancéreuse n’est souvent que partielle et inclut des messages digitaux (verbaux) et analogiques (non verbaux). Percevoir une réalité complexe implique une perception et un traitement de l’information. Il existe des perceptions préconscientes et conscientes. Les perceptions préconscientes proviennent probablement d’une certaine attention inconsciente. La «conscientisation» des perceptions préconscientes permet en théorie un meilleur traitement de l’information. Une approche individuelle adaptée à chaque malade par chaque médecin entraîne donc une meilleure compréhension du traitement et des effets secondaires qu’une information complète et uniformisée (Simes, Tattersall et coll., 1986).
De plus, les patients ont des représentations et des connaissances qui influencent leur compréhension. Par exemple, des patients atteints d’un cancer de la prostate rapportent des difficultés à comprendre l’efficacité comparable de deux traitements, chirurgie versus traitement médical (Chadwick, Gillatt et coll., 1991). L’évaluation des capacités intellectuelles du malade est déterminante dans la transmission d’informations. Les besoins en informations des malades, dont les capacités intellectuelles sont limitées, sont souvent moins importantes si on les compare à ceux exprimés par d’autres malades. Ces différences appuient la nécessité de développer une stratégie adaptée à chaque malade, à la fois pour définir les besoins de celui-ci et pour formuler le plus simplement possible ce qu’il y a lieu de transmettre. En effet, lorsque les capacités intellectuelles du malade sont limitées, la compréhension d’une information médicale complexe tant dans sa globalité que dans certains détails, est difficile. Cette difficulté fige le plus souvent la relation médecin-malade dans un rapport d’autorité d’une part et de soumission de l’autre. Ce type de relation risque, dans un traitement de longue durée, de favoriser l’émergence d’une méfiance pouvant entraîner des problèmes d’adhésion au traitement. Cette méfiance succède très fréquemment à une idéalisation du médecin en particulier et de la médecine en général. Le niveau d’anxiété d’un patient et les mécanismes de défense qu’il met en place ont aussi un impact sur la réception de l’information. Une étude montre qu’un nombre important de patients, au moment de donner leur consentement pour participer à une étude clinique, présentent des niveaux de détresse émotionnelle élevés. Cette étude montre également que le niveau de compréhension des patients quant au traitement proposé est limité : 25 % d’entre eux sont incapables de rappeler des effets secondaires communs de la radiothérapie par exemple (Montgomery, Lydon et coll., 1999).
Adhésion au traitement
L’effet de l’interaction soignant-soigné sur l’adhésion du patient à ses soins et traitements est probable. Les études actuelles ne permettent pas de conclure clairement à une association entre satisfaction, adhésion au traitement et communication (Ong, de Haes et coll., 1995). Toutefois, il est possible que le manque d’informations puisse pousser certains patients à rechercher des traitements alternatifs. La proportion de patients atteints d’un cancer non compliants est non négligeable. Elle varie de 30 à 50 % selon les études. Les facteurs intervenant dans la non-adhésion sont multiples. La relation entre l’adhésion du malade et le comportement du clinicien n’est pas souvent mise en évidence dans les études (Roter, 1989). En terme de combinaison de probabilités, il semble que l’adhésion soit associée positivement à l’apport d’informations et à une interaction positive (empathie, réassurance, encouragement, etc.) et négativement à une interaction négative (critique, désaccord, confrontation, etc.).
Dans une étude évaluant une consultation ambulatoire, la satisfaction, l’intégration des informations et l’adhésion au traitement des malades sont moins influencées par la quantité d’instructions et de conseils donnés par le soignant, que par la qualité de ses compétences interpersonnelles (sensibilité aux émotions exprimées, échange d’informations, structuration de l’entretien, attitude physique appropriée) (Bartlett, Grayson et coll., 1984). L’analyse des données montre également que l’effet des compétences en communication sur l’adhésion des malades aux traitements est modulé par le degré de satisfaction et d’intégration des informations transmises.
GESTION DES ENTRETIENS TRIANGULAIRES
Présence d’un proche dans les entretiens
De nombreuses études empiriques ont été menées concernant la communication entre le médecin et son patient. Elles se sont presque exclusivement focalisées sur la dyade ainsi formée. Très peu mentionnent la présence d’une troisième personne ou de la famille lors des consultations et presqu’aucune n’a étudié l’influence de cette présence sur la communication. Selon Adelman et coll., 20 % des personnes de plus de 65 ans sont accompagnées quand elles rendent visite à un médecin. L’âge semble donc être un facteur de prédiction de la venue d’un proche lors des visites médicales (Adelman, Greene et coll., 1987). Pourtant, dans une étude menée auprès de patients atteints d’un cancer traités en ambulatoire, Labrecque et coll. ne retrouvent pas ce résultat (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). Dans ce service, 21 % des patients sont accompagnés indépendamment de leur âge ou de leur sexe. Ces études, malgré leurs résultats contradictoires, mettent en évidence qu’un cinquième des patients viennent accompagnés. Ces chiffres soulignent l’importance de se pencher sur les consultations composées de trois personnes. L’étude de la relation triangulaire et de l’entretien systémique, encore peu développée en médecine, requiert non seulement des bases théoriques, la validation et la confirmation des études existantes mais aussi des outils de mesure spécifiques, capables d’intégrer la grande complexité des interactions. Certaines recherches donnent déjà quelques éléments de réponse. Une des premières variables à prendre en compte est le lien de parenté qui unit le malade à la personne qui l’accompagne (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). L’accompagnant sera le plus fréquemment le conjoint du patient. Moins fréquemment et de manière équivalente, il s’agira d’un enfant, d’un parent ou d’un membre de la fratrie (Beisecker et Moore, 1994; Labrecque, Blanchard et coll., 1991). Cet accompagnant est très souvent le preneur en charge primaire du patient, c’est-à-dire celui qui l’aide quotidiennement à faire face au cancer et à ses conséquences. Actuellement, peu d’informations sont disponibles dans la littérature afin d’éclairer les raisons de cette présence et son impact sur le déroulement de l’entretien (Merckaert, Libert et coll., 2005). Des quelques recherches existantes, il ressort que la présence d’un proche en consultation est plus fréquente lorsque la situation médicale est difficile (en fonction de la gravité de la maladie, lors des premières consultations, juste après une rechute, ou lors de la phase terminale) et lorsque le patient est particulièrement vulnérable (plus âgé et/ou dans un état physique général amoindri) (Adelman, Greene et coll., 1987; Merckaert, Libert et coll., 2005). Un patient qui a un cancer du poumon est plus fréquemment accompagné que celui qui a un cancer du sein. De même, quand le but de la visite concerne le traitement en cours, le patient vient plus souvent avec un proche qu’aux visites se rapportant à un suivi de routine ou à une rémission. L’anxiété et l’incertitude liées à la maladie sont d’autant plus importantes que celle-ci est grave ou que le malade est affaibli, induisant la venue d’un proche. Le patient se tourne vers sa famille quand son état se dégrade pour trouver une aide psychologique et matérielle. Un des moyens dont dispose la famille pour le soutenir est de l’accompagner à l’hôpital, lui fournissant par la même occasion un moyen de transport et le réconfort d’une présence. Cet accompagnement peut aussi servir la famille, en diminuant sa propre anxiété et ses incertitudes grâce aux informations obtenues. En effet, quand un proche désire recevoir des informations, le médecin est l’une des personnes de référence auxquelles il peut s’adresser. Ajoutons aussi les situations où le patient est inconscient (en phase terminale ou après une opération) (Beisecker et Moore, 1994). La faiblesse du patient, son opposition au traitement ou le déni de la maladie sont d’autres cas de figure possibles dans lesquels les soignants sont amenés à rencontrer des proches.
Impact sur la communication
La présence d’une tierce personne introduit des modifications importantes dans l’interaction entre le médecin et son patient. Simmel, sociologue et philosophe allemand du début du siècle, s’est intéressé aux groupes et à la manière dont leur taille affecte leur structure et leur fonction (Simmel, 1992). Pour lui, la dynamique interactionnelle d’un groupe de deux personnes se modifie irrémédiablement quand une troisième personne y est introduite. Il distingue trois rôles pour cette dernière : le médiateur, l’exploiteur ou l’oppresseur. «Le tiers peut être un simple spectateur comme il peut rompre une intimité. Il est cause d’antagonisme et de rapprochement. En général, il est un médiateur, mais il peut également exaspérer un conflit en excitant les deux adversaires l’un contre l’autre jusqu’à ce qu’ils en viennent aux mains et s’affaiblissent mutuellement, le tiers intervenant alors lui-même afin de les assujettir tous deux.» (Freund, 1992). La question des conséquences pour les différents protagonistes d’une relation triangulaire est donc importante à aborder. Cette relation peut être avantageuse comme elle peut présenter des inconvénients. Certains estiment que les avantages d’être accompagné sont multiples (Beisecker et Moore, 1994). Cette présence engendre en effet du soutien et des encouragements pour le patient, l’aide à prendre une décision, à verbaliser ses questions et ses inquiétudes. De plus, le proche permet au médecin de récolter des informations supplémentaires et aide le malade à se rappeler les paroles du médecin et à les interpréter. D’un autre côté, les inconvénients perçus par les oncologues sont également nombreux. Le parent, au lieu de soutenir le patient, peut exprimer ses propres préoccupations et occulter celles du patient. Le proche peut aussi manipuler la situation à son avantage ou prendre un rôle d’antagoniste, interférant dans la communication entre le médecin et le malade. Il peut chercher à obtenir la certitude que les meilleurs soins sont prodigués ou que la bonne décision est prise. Ces différents objectifs peuvent amener le proche à dominer l’interaction pour aboutir à ses fins. En effet, l’entretien individuel permet au malade de révéler et d’exprimer ses craintes car il peut parler ouvertement de ses peurs sans perturber ses proches. Il peut communiquer sa perception de la situation des choses, ses sentiments, et ce à son propre rythme. Il permet au soignant d’obtenir des informations plus valides que celles fournies par un proche bien intentionné répondant pour lui. Ces avantages et ces inconvénients sont subjectifs et sont évalués uniquement du point de vue des médecins au moyen de questionnaires. Les points de vue du patient et du proche ne sont pas encore bien connus. Ils permettraient de juger l’apport bénéfique ou non de la relation triangulaire pour ces derniers.
Ces modifications de la relation ont des conséquences lors des entretiens triangulaires sur la longueur de la consultation, sur les objectifs du soignant ainsi que sur les stratégies de communication. La longueur de la consultation a été une des premières variables étudiées. En effet, la présence d’une troisième personne pourrait augmenter la durée de la consultation alors que le médecin a déjà un horaire très chargé. Certains auteurs remarquent qu’il n’y a pas de différence dans le temps consacré aux différentes consultations, duelles ou triangulaires (Beisecker, 1989). Ils en déduisent donc une diminution de l’interaction et de l’attention prodiguées au malade consécutivement à la participation du proche. D’autres concluent que la présence d’un proche augmente la durée de la visite de trois minutes en moyenne (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). Ce désaccord peut s’expliquer par des différences dans les procédures d’enregistrement des entretiens. Des études plus standardisées pourraient déterminer avec précision la durée relative des consultations duelles et tripartites. Ces études devraient également prendre en compte le silence pour déterminer si celui-ci est plus important dans la relation duelle ou non. Cela permettrait de mesurer le temps de communication effectif et de voir si le patient n’est pas lésé dans l’interaction triangulaire.
L’interaction triangulaire a également pour conséquence de plonger les soignants, et plus particulièrement les médecins, dans un dilemme. D’un côté, leur devoir est centré sur les soins et le bien-être de leur patient; ils se doivent donc d’entretenir avec lui une relation privilégiée. D’un autre côté, les contacts avec la famille permettent d’améliorer les conditions de vie du patient, d’encourager et de soutenir les efforts de la famille et de valoriser l’aide qu’elle apporte au malade. Les soignants sont alors tiraillés entre les intérêts des deux parties. Ce dilemme pose la question de la manière d’offrir les meilleurs soins au malade, avec ou sans l’aide de sa famille. En effet, l’alliance avec le proche accompagnant peut se révéler particulièrement judicieux pour le soignant dans le cadre de la prise en charge du patient. Le plus souvent, il est en effet un témoin privilégié de la vie quotidienne du patient et de ses modes d’adaptation au cancer et à ses conséquences (Kristjanson, 1993; Kurtz, Kurtz et coll., 1996, Lobchuk et Degner, 2002 and Lobchuk et coll., 1997). Évaluer sa perception des symptômes physiques du patient, de sa détresse émotionnelle et de ses difficultés peut donc être utile au soignant désireux de développer une représentation pertinente des difficultés du patient et de ses attentes en informations. Cette tâche suppose néanmoins l’articulation de stratégies d’évaluation adressées au proche, tout en respectant le secret médical et le désir éventuel de confidentialité du patient. Par ailleurs, les progrès médicaux de ces dernières décennies ont accru la prise en charge ambulatoire de nombreux patients atteints de cancer tout en réduisant la durée de leurs hospitalisations. Ces avancées, ainsi que l’accroissement de la durée de vie, ont fait croître les tâches émotionnelles et instrumentales assumées par leurs proches (Pitceathly et Maguire, 2003). Cette évolution a un impact non négligeable sur l’épuisement émotionnel des proches. En effet, diverses études ont décrit des signes de dépression et d’anxiété parmi les proches des patients atteints d’un cancer de même qu’une restriction des rôles et activités de la vie quotidienne, une tension dans les relations conjugales, voire une atteinte de la santé physique (Blanchard, Toseland et coll., 1996). Ces difficultés d’adaptation des proches concernent les soignants au premier chef dans la prise en charge des patients puisqu’elles entraînent une détresse émotionnelle accrue des patients (Cassileth, Lusk et coll., 1985; Newsom et Schulz, 1998), des difficultés dans leur réhabilitation ainsi que dans leur adhésion aux traitements (Razavi, Merckaert et coll., 2003).
La présence d’un proche lors de consultations influence bien évidemment les stratégies de communication utilisées par les soignants. Communiquer avec un patient atteint d’un cancer est une tâche extrêmement complexe. Cette complexité s’accroît encore lorsque le patient est accompagné d’un proche. Cependant cette présence semble permettre au patient de poser plus de questions et de recevoir plus d’informations notamment sur le traitement futur et sur son état de santé (Beisecker et Moore, 1994; Labrecque, Blanchard et coll., 1991). En médecine générale, la présence d’un proche amènerait les patients âgés à rapporter moins d’informations, à être moins répondants, assertifs et expressifs sans pour autant modifier la communication du médecin (Greene, Majerovitz et coll., 1994). Ceci diffère des consultations oncologiques. En effet, cette troisième personne influence les trois objectifs principaux de la communication à savoir l’évaluation, l’information et le soutien. En ce qui concerne l’évaluation, le soignant reçoit plus d’informations par l’intermédiaire du proche. Il faut savoir que l’entourage du patient perçoit très souvent les symptômes et problèmes du patient, c’est-à-dire la douleur, les peurs ou la confiance dans un traitement, de manière plus négative que le patient lui-même (Clipp et George, 1992). En d’autres mots, les comptes-rendus des proches peuvent être trompeurs car contaminés par leur propre perception de la situation. Soulignons que le compagnon participe surtout à l’anamnèse et au feedback et se fait très discret pendant l’examen clinique. Cela peut s’expliquer par la relation particulière qui s’établit entre le médecin et le patient par le biais du corps de celui-ci ou par un désir de respecter l’intimité du malade. En ce qui concerne les informations, une étude a montré que l’entretien en présence d’un proche pousse l’oncologue à fournir davantage d’informations au patient et ceci indépendamment de son état physique global (Merckaert, Libert et coll., 2005). Comme nous l’avons déjà dit, le proche a lui aussi ses propres préoccupations et ses propres objectifs par rapport à l’entretien avec le soignant. Ce dernier est alors parfois amené à répondre aux questions posées par le proche monopolisant ainsi une partie du temps de la visite. De plus, le médecin aurait tendance à utiliser plus de stratégies associées au cadre de l’entretien que sont les salutations et les formules de politesse (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). Cependant, en ce qui concerne le soutien, le soutien émotionnel exprimé par le médecin est moindre (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). La présence d’un proche peut justifier cette diminution car il apporte, explicitement ou non, son propre soutien au malade, déchargeant le médecin de cette tâche. Ces quelques observations sur les modifications intervenant en présence d’un proche dans une consultation médicale doivent être vérifiées et confirmées. L’influence d’une tierce personne sur la prise de décision ou encore le rôle des différentes alliances contractées n’ont pas encore été investigués. Une analyse thématique pourrait apporter des renseignements intéressants sur les sujets abordés, sur les personnes qui les initient et sur les changements de contenus induits par le proche. Ainsi, quand un proche est présent, certains patients pourraient ne pas aborder leur inquiétude pour leur famille, des questions relatives à leur sexualité ou d’autres domaines d’ordre intime. Il est intéressant que le soignant puisse donc avoir recours à quelques conseils utiles pour éviter de marginaliser ou d’ignorer un proche et ses préoccupations lors d’un entretien à trois, pour faire face aux questions et au malaise que cette présence génère. Le tableau 11-1 propose une marche à suivre.
Faire connaissance – Identification de chaque personne présente – Clarification du rôle de chacun par rapport au malade – Reconnaissance du rôle important joué par les proches Clarifier les attentes des proches – Clarification de la compréhension de chaque proche – Clarification des questions et préoccupations de chaque proche – Reconnaissance de l’importance de pouvoir répondre à ces questions et préoccupations Clarifier les attentes du patient – Clarification des questions et préoccupations du malade – Évaluation des priorités du patient concernant les questions qu’il souhaite clarifier lors de la consultation (par quelle question commence-t-on?) – Évaluation des questions que le patient souhaiterait clarifier en famille et de celles qu’il souhaiterait clarifier à l’occasion d’une consultation duelle Proposer un agenda – Clarification du but de la consultation (qu’est-ce que le médecin doit faire?) – Estimation du temps nécessaire pour répondre aux questions et préoccupations de chacun – Reconnaissance, si nécessaire, de la difficulté de répondre à toutes les questions |
Tout comme la communication établie avec le patient dans le cadre d’une relation duelle, les stratégies de communication mises en place avec le proche, afin de favoriser son adaptation à la maladie, viseront à évaluer, informer et soutenir. Cependant, ces stratégies doivent être adaptées à la situation triangulaire. Cette adaptation peut se faire grâce à une gestion circulaire de la communication. Par exemple, l’évaluation en circularité visera deux objectifs principaux : évaluer directement l’impact de la situation et le niveau de détresse émotionnelle conséquent de chaque protagoniste et évaluer indirectement l’impact de la situation et le niveau de détresse de chaque protagoniste selon les dires de l’autre. À chacun de ces objectifs correspondent des stratégies de communication spécifiques adressées au patient, au proche et au couple qu’ils constituent. L’impact des stratégies de communication des médecins, utilisées lors d’un entretien triangulaire (médecinpatient-proche), sur l’évolution de l’anxiété des patients et des proches qui les accompagnent n’a fait l’objet que d’une seule étude (Liénard, Merckaert et coll., 2008). Cette étude n’a mis en évidence aucun lien entre les stratégies de communication utilisées par le médecin et l’évolution de l’anxiété tant des patients que de leur proche après un entretien médecin-patient-proche. Cependant, il est intéressant de souligner que comme pour les entretiens duels, une augmentation des stratégies de recherche d’informations et de clarification, concernant les préoccupations des patients et des proches, n’amène pas à une augmentation de l’anxiété des patients ou de leur proche.
La relation triangulaire peut aussi influencer la satisfaction des patients, des proches et des soignants. La satisfaction du patient est une variable digne d’intérêt car elle est la seule à prendre actuellement son avis en considération. Une étude unique sur la satisfaction met en évidence que le malade est moins satisfait quand il est accompagné (Labrecque, Blanchard et coll., 1991). Cependant, ce résultat doit être nuancé. En effet, les patients gravement malades sont plus fréquemment accompagnés et leur état de santé peut influencer négativement leur satisfaction générale. Cette étude devrait être approfondie et prendre en considération la satisfaction que le médecin ou le proche éprouve suite à cette rencontre triangulaire. De même, il ne faut pas se pencher uniquement sur les effets à court terme mais aussi sur les bénéfices plus durables pour le patient. D’autres paramètres comme l’adhésion au traitement, le rappel et la compréhension des informations reçues, devraient également être étudiés.
Les coalitions qui peuvent se former lors d’une consultation médicale ont été étudiées uniquement dans le domaine gériatrique. Ce terme de coalition semble inadéquat et devrait être remplacé par celui d’alliance. Les oncologues marquent une nette préférence pour ce dernier qui évite toute connotation négative (Beisecker et Moore, 1994). Même si ces alliances ont été peu étudiées, l’application de concepts théoriques issus des théories systémiques amène la réflexion sur les demandes courantes en médecine de «collusion» avec les soignants de la part du patient ou du proche. L’application de cette notion de collusion à la relation soignantmalade renvoie à l’établissement de relations exclusives entre le soignant et le malade ou entre le soignant et le proche. Dans l’un ou l’autre des cas, il y a exclusion d’un membre concerné par la situation qu’il soit patient ou proche du patient. Ces situations sont fréquentes dans le cadre de maladies graves et souvent demandées avec les meilleures intentions par le patient ou le proche. Elles ont néanmoins des implications négatives sur la prise en charge médicale et sur le mode de relation du couple puisqu’elles instaurent des lois du silence. Apprendre à gérer ces demandes de collusion et à proposer des pistes alternatives privilégiant davantage la communication triangulaire permet d’accroître les capacités d’adaptation du patient, du proche et du couple qu’ils constituent. Le soignant est toujours libre d’entrer ou non dans le «jeu de la collusion» en utilisant des stratégies de communication respectant à la fois la personne qui demande la collusion et la personne qui peut être exclue de la relation suite à son établissement. Le tableau 11-2 fournit quelques recommandations pour gérer les demandes de collusion.
– Évaluer les raisons de la demande de collusion – Reconnaître l’importance de la fonction de la demande de collusion – Évaluer ce qui a été imaginé pour rendre possible cette collusion – Reconnaître le rôle important de celui qui demande la collusion dans la prise en charge – Évaluer les conséquences affectives de cette collusion – Rassurer celui qui demande la collusion concernant sa place dans la prise en charge – Rassurer celui qui demande la collusion sur votre engagement à éviter ce qu’il craint – Rassurer celui qui demande la collusion sur le fait que ce qui pourrait être dit ou fait sera discuté ensemble – Négocier avec celui qui demande la collusion pour prendre les choses jour après jour |
Une des demandes de collusion les plus fréquentes est la recherche d’informations auprès d’un médecin par le proche d’un patient. Le médecin alors sollicité par ce proche, en l’absence du patient, pour conserver une bonne relation avec le proche et surtout avec le patient qui ne doit pas avoir l’impression d’être abandonné, peut suivre certaines recommandations reprises dans le tableau 11-3.
– Demander au proche de clarifier ses questions. – Clarifier la raison du non-abord de ces questions avec le patient. – Reconnaître l’importance de la démarche. – Vérifier ce qui est déjà connu et compris. – Discuter avec le proche de l’indication de poser ses questions au malade. – Discuter avec le proche de sa capacité de poser ses questions au malade. – Envisager l’éventualité d’une consultation réunissant le malade et son proche. – Recommander au proche d’aborder ses questions à la prochaine consultation. |
Malgré sa fréquence et son importance en oncologie, la relation triangulaire a été peu étudiée. Dans ce domaine, différents thèmes sont intéressants, voire primordiaux, à aborder ou à approfondir (Adelman, Greene et coll., 1987). Parmi ceux-ci, se trouve la question de l’influence de la présence d’une tierce personne sur les concepts d’intimité et de confidentialité. Un autre domaine est celui des sujets abordés lors de la consultation triangulaire. Sont-ils influencés par le nombre de participants? Le proche aborde-t-il certains sujets particuliers? Les caractéristiques des proches ont-elles une influence? Existe-t-il des rôles plus spécifiques pour les femmes, pour les époux, pour les amis? Les effets de cette présence sur le patient, sur le médecin et sur le proche lui-même demandent également des investigations supplémentaires. La satisfaction des différents intervenants, leur qualité de vie ou l’adaptation psychologique du malade et des proches peuvent être évaluées. De nombreuses questions éthiques se posent aussi. Dans quel cas une rencontre avec la famille est-elle conseillée? Quelle place les proches doivent-ils occuper dans les soins? Ces études devraient également étendre leur champ de recherches aux interactions impliquant plusieurs membres de la famille. De futures études permettront de décider s’il y a lieu de faire évoluer la relation duelle en une rencontre plurielle et s’il faut aménager de nouvelles modalités pratiques, ce qui pourrait résulter en un plus grand bien être pour le malade, ses proches et le médecin.
GESTION DES QUESTIONS DIFFICILES DES PATIENTS
Comment répondre à des questions difficiles? Comment poser des questions sensibles? Comment communiquer dans des contextes émotionnellement très chargés? Les médecins sont confrontés très fréquemment à la transmission d’informations à contenu négatif et peuvent avoir tendance à minimiser les difficultés qu’ils y éprouvent. Cette minimisation est souvent associée à la conviction que les attitudes adoptées face au problème sont adéquates et positives. Le fait que les décisions en matière de transmission d’informations soient prises dans des situations chargées émotionnellement explique que les comportements en cette matière ont beaucoup de chances de se consolider. La réticence à informer est ainsi un comportement qui ne se prête pas facilement à une remise en question. Cette réticence permet d’éviter l’émergence d’une situation émotionnellement chargée. De nombreuses situations peuvent être qualifiées de hautement émotionnelles. Parmi celles-ci, citons d’abord l’annonce de mauvaises nouvelles. Le contexte médical et les avancées en matière de technologies diagnostiques imposent que cette annonce soit initiée par les médecins. Les anglo-saxons parlent de «breaking bad news». Il faut ensuite aussi considérer toutes les questions qualifiées de difficiles posées par les malades. Le tableau 11-4 reprend quelques unes de ces questions.
– C’est donc un cancer? – Avez-vous les résultats? – Dites-moi toute la vérité! – Pourquoi moi? – Pourquoi ne vous en êtes-vous pas rendu compte plus tôt? – Avez-vous commis une erreur? – Aurais-je dû suivre un autre traitement? – Combien de temps me reste-t-il à vivre? – Que feriez-vous à ma place? – Devrais-je essayer une thérapie expérimentale? – Devrais-je m’adresser à un autre centre pour un autre avis ou un autre traitement? – Si je commençais à souffrir énormément, m’aideriezvous à mourir? – Resterez-vous à mes côtés quoi qu’il arrive et jusqu’à ma mort? |
Enfin, mentionnons toutes les discussions tournant autour de la fin de la vie. Ces discussions tournent entre autres autour de l’arrêt des traitements, de l’acharnement thérapeutique et de l’euthanasie. Le tableau 11-5 reprend des exemples de contenus de ces discussions en rapport avec la fin de vie. Toute communication à leur propos est unanimement considérée par les médecins comme difficile. Les patients par ailleurs rapportent très fréquemment ne pas être satisfaits de ces communications où ils perçoivent l’inconfort de leurs médecins qui bloquent ou fuient à l’évocation même voilée de leurs préoccupations.
Buts des traitements – Éventuelle prolongation de la vie – Éventuelle amélioration de la qualité de vie Types de traitements – Directives anticipées – testament de vie – procuration à un proche – Décision de ne pas réanimer – Décisions concernant d’autres traitements
– assistance respiratoire
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