Chapitre 10 Opérer les muscles droits
les techniques de base
La recherche d’une chirurgie toujours plus précise a été à l’origine de progrès déterminants au cours de la décennie particulièrement féconde des années 1970 : presque simultanément Cüppers proposa en 1972 son opération du fil [1,2], Véronneau-Troutman initia en 1973 la microchirurgie des muscles oculomoteurs [3] et Jampolsky relança en 1974 l’idée des sutures ajustables [4]. De nombreux traités ou chapitres de traités ont marqué l’évolution qui a suivi au cours des trente à quarante dernières années (annexe 1).
Les principes des actions chirurgicales, décrites au chapitre 4, se fondent sur quatre principes opératoires de base [5–10] :
les techniques d’affaiblissement musculaire (cf. p. 72 et infra) ;
les techniques de freinage musculaire (cf. p. 74 et 195) ;
les techniques de renforcement musculaire (cf. p. 73 et 205) ;
l’affaiblissement par injection de toxine botulique (cf. p. 77).
L’affaiblissement et le renforcement musculaire peuvent, au besoin, être ajustables (cf. p. 212).
Techniques d’affaiblissement musculaire
Le recul musculaire (synonymes : récession, rétroposition, rétro-insertion)1 est le procédé d’affaiblissement musculaire le plus utilisé. Il est le dernier-né des principaux procédés dits conventionnels de la chirurgie des strabismes.
La première intervention d’affaiblissement musculaire a été la myotomie réalisée par Johann Friedrich Dieffenbach, en octobre 1839 à Berlin, et Florent Cunier, trois jours plus tard à Bruxelles. Cette intervention s’est répandue rapidement dès le début de 1840. Pratiquée sur le droit médial en cas d’ésotropie, elle avait toutefois deux inconvénients majeurs : la divergence consécutive avec absence totale d’adduction et la rétraction de la caroncule. Aussi a-t-elle été rapidement abandonnée au profit de la ténotomie partielle de von Graefe (1857) et de ses multiples variantes, puis de la ténotomie contrôlée de Bielschowsky (1907) et enfin du recul avec refixation sclérale introduit en 1922 par Jameson : cet auteur a été le premier à montrer que la sclère de la région de l’équateur se prête à des sutures serrées, malgré sa relative minceur, et que ces sutures sont faciles à placer ; en refixant le muscle à la sclère, le recul devenait aussi quantifiable et précis que la résection. La contribution de Jameson marque donc un tournant majeur dans l’histoire de la chirurgie du strabisme [11,12].
Recul musculaire avec réinsertion sclérale (procédé de Jameson) [13,14]
Le recul musculaire avec réinsertion sclérale est la technique d’affaiblissement musculaire de base ; il comporte deux temps : la désinsertion et la réinsertion du muscle.
Désinsertion du muscle (figures 10.1 et 10.2)
Une fois le muscle dégagé et le test d’élongation musculaire (TEM) effectué (cf. chapitre 7), le muscle est à nouveau chargé sur un crochet ; les vaisseaux musculociliaires sont cautérisés de part et d’autre de l’insertion musculaire, à l’exception de ceux proches de ses extrémités qui sont pris dans les sutures2.
On place ensuite un fil à chacun des angles du tendon à 0,5 mm de son extrémité ; le passage de l’aiguille entre le crochet et l’insertion est plus facile avec le monofilament 7/0 qu’avec le fil tressé 6/0 ; le fil est passé en allant du centre vers le bord du tendon, en prenant toute l’épaisseur du tissu tendineux, sur une largeur ne dépassant pas 2 mm afin de ne pas dissocier le muscle au moment du serrage des nœuds ; la suture doit inclure les vaisseaux ciliaires antérieurs proches du bord du tendon (cf. figure 10.1).
Le tendon est sectionné à sa base, au ras de la sclère au moyen des ciseaux mousses courbes ou droits de Wescott-Hugonnier : le muscle étant soulevé par le crochet et les fils de suture tendus, la lame inférieure des ciseaux est engagée sous le tendon ; de cette manière, la sclère est légèrement déprimée en arrière de l’insertion au moment de la section et la désinsertion peut être effectivement basale [15] ; les ciseaux sont avancés aussi loin qu’il est possible de le faire sans forcer ; la section peut se faire soit d’un seul tenant, soit de proche en proche ; dans tous les cas, elle doit être franche (cf. figure 10.2).
Dès la section achevée, il faut s’assurer, par une traction prudente sur les sutures que :
• l’amarrage de celles-ci au tendon est solide et ne risque pas de lâcher : il sera d’autant plus sûr que la désinsertion aura été plus basale et aura laissé au tendon ses fibres les plus cohérentes (cf. figure 10.2) ;
• le muscle joue librement par rapport au globe, c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’insertions ou d’attaches fibreuses inhabituelles, plus postérieures, qu’il faudrait sectionner.
Réinsertion musculaire
Le globe est ensuite saisi à l’aide d’une pince fine, de type Bonn ou Castroviejo, à l’une des extrémités de l’insertion sectionnée ; la marge antérieure de celle-ci est marquée d’un épaississement scléral, fait en grande partie de fibres parallèles à la ligne d’insertion : elle assure une bonne prise, même si le tendon a été sectionné au ras de la sclère ; le globe peut alors être basculé pour permettre la réinsertion du muscle.
Le point scléral de réinsertion est repéré au compas ou au moyen d’une spatule graduée : le point de référence de la mesure est donné par l’extrémité en pointe de l’insertion ; la pointe antérieure du compas prend appui à cet endroit (et non au pied de la pince, car la prise a pu se distendre sous l’effet de la traction et se décaler vers le limbe) ; la pointe postérieure appuie sur la sclère à la distance voulue sur le méridien de l’extrémité de l’insertion pour y imprimer une marque ; celle-ci persistera le temps de la mise en place de la suture ; à défaut, elle devra être marquée à l’encre ou au cautère [16] (figure 10.3).
• de la courte portion de tendon « perdue » lors de l’amarrage du fil de suture au tendon pour ne pas réduire l’effet du recul ; pour cela, on engage l’aiguille dans la sclère légèrement en arrière de la marque sclérale, à une distance égale à la longueur de la portion « perdue », pour la faire ressortir à la hauteur de la marque (cf. figure 10.3) ;
• du nécessaire étalement transversal du muscle ; pour cela, il faut en outre décaler le passage scléral, de 1 à 1,5 mm, au-delà du méridien de l’extrémité correspondante de l’insertion primitive.
Le passage de l’aiguille dans la sclère doit être ni trop superficiel pour éviter que le point lâche, ni trop profond pour ne pas risquer de perforer la paroi oculaire ; l’aiguille doit rester constamment visible dans tout son passage dans la sclère [17]. La sclère est plus mince sous les muscles droits que latéralement à eux ; son épaisseur n’est que de 0,5 à 0,8 mm, parfois de 0,3 mm seulement, particulièrement sous le droit latéral et chez les sujets myopes.
L’autre extrémité du tendon est refixée à la sclère de la même manière, à la distance voulue, également légèrement décalée au-delà du méridien de l’extrémité correspondante de l’insertion primitive pour assurer un bon étalement du tendon ; la suture est nouée comme précédemment (cf. figure 10.3).
Réinsérer la partie moyenne du tendon (cf. figure 10.4)
Que l’extrémité du tendon présente ou non, dans l’intervalle des nœuds d’angle, une incurvation vers l’arrière, nous avons pris l’habitude de fixer sa partie moyenne afin de consolider la réinsertion et d’assurer sa rectitude (à l’exception du droit latéral pour lequel cela n’est pas toujours nécessaire) :
• soit par un ou deux points intermédiaires en U (figure 10.4A) ;
• soit en utilisant les brins montés de leur aiguille des points d’angle : l’extrémité du tendon est surfilée depuis ses angles jusqu’en son milieu ; puis les deux fils sont passés d’arrière en avant dans la sclère (un peu à l’écart du milieu de l’insertion pour éviter de blesser l’artère ciliaire longue postérieure) et noués entre eux ; on assurera la rectitude de la réinsertion par un serrage ajusté (figure 10.4B).
C’est au moment du serrage des nœuds que se joue en définitive le dosage opératoire ; c’est pourquoi ce temps requiert toute l’attention de l’opérateur : il doit amener, par un serrage ajusté, l’extrémité tendineuse à la distance voulue de l’insertion primitive ; il peut ainsi parfaire le dosage voulu, tout en compensant une position éventuellement imparfaite des passages scléraux.
Cette tension transversale est indispensable pour trois raisons essentielles au moins :
elle assure à la nouvelle insertion une largeur normale, c’est-à-dire un étalement égal ou légèrement supérieur à celui de l’insertion primitive ; en respectant cette disposition physiologique, on permet au muscle de conserver des conditions mécaniques de travail aussi proche que possible de la normale ;
de son fait, la nouvelle insertion est rectiligne ; c’est à cette condition seulement qu’il est possible de doser avec précision le recul effectué ;
enfin, si l’un ou l’autre vaisseau de l’extrémité tendineuse continue à saigner, elle suffit à assurer parfaitement l’hémostase ; elle l’assure mieux et plus simplement que ne le ferait à cet endroit la cautérisation ; cela évite en outre d’altérer inutilement le tissu musculotendineux.
La manière de faire décrite ici nous paraît la plus simple [6–8]. Certains opérateurs préfèrent, par exemple, utiliser un seul fil doublement armé ; ce fil est passé dans l’extrémité du tendon et noué aux angles de celui-ci ; puis chacun des brins est passé dans la sclère de part et d’autre du tendon à la distance voulue de l’insertion primitive ; chacun est ensuite passé une seconde fois à travers la sclère à mi-chemin entre les passages précédents, puis en regard à travers le muscle du dessous vers le dessus pour fixer la partie moyenne de celui-ci et assurer la rectitude de la réinsertion ; les deux brins sont noués entre eux (figure 10.4C).
Les reculs musculaires peuvent se faire à partir d’incisions latéromusculaires (cf. chapitre 9) soit de la longueur des traits de refend habituels (figure 10.5A), soit de mini-incisions – incisions minimales selon Mojon [18] (figure 10.5B) ; la préservation de l’insertion conjonctivo-ténonienne limbique et la réduction de l’irritation postopératoire sont des avantages certains, mais la partie moyenne du muscle reculé est plus difficile à contrôler.
Particularités du recul des droits verticaux
Les droits verticaux peuvent être reculés de deux manières différentes, soit selon l’axe antéropostérieur, comme les droits horizontaux, soit selon l’axe de leur obliquité, en décalant la réinsertion vers le côté nasal proportionnellement au recul : dans le premier cas, l’affaiblissement ménage l’action rotatoire et adductrice, dans le second cas il est global.
Sauf raison particulière, le recul du droit supérieur ne doit pas dépasser 4 mm, 6 mm pour Kaufmann [5], si l’on veut éviter une rétraction consécutive de la paupière supérieure par le jeu de la syncinésie entre ce muscle et le muscle releveur de la paupière. Il en est de même du droit inférieur, si l’on veut éviter une rétraction consécutive de la paupière inférieure par une traction accrue sur l’expansion fibreuse qui unit ce muscle au tarse de la paupière inférieure.
Le recul du droit supérieur peut gêner l’action de l’oblique supérieur. Kaufmann a montré qu’un recul de 2 à 3 mm place en moyenne l’extrémité nasale de la réinsertion au contact du bord antérieur du tendon réfléchi de l’oblique supérieur lorsque l’œil est en position primaire. Tout glissement de ce tendon vers l’avant, en élévation et surtout en adduction, devient impossible en raison de cette butée ; du fait de l’appui que le tendon réfléchi exerce sur elle, l’action abductrice de l’oblique supérieur va augmenter, au lieu de diminuer, en adduction.
L’inversion musculaire se justifie lorsque le recul du droit supérieur doit dépasser 4 mm ; de la sorte le tendon réfléchi peut déborder vers l’avant la nouvelle insertion de ce muscle. En raison de l’obliquité de son insertion, notamment dans sa partie postérieure, l’inversion implique le plus souvent un léger avancement, du moins postérieur, du tendon réfléchi.
Recul avec anses (figure 10.6)
L’idée de retenir le muscle désinséré au moyen d’une suture remonte à la fin du XIXe siècle.
À partir de 1895, Béard, cité par Evens [11], a fixé le muscle à la capsule de Tenon et à la conjonctive en nouant les sutures en surface. Bielschowsky, en 1907 [19], a proposé de passer la suture à travers l’insertion sclérale ; le serrage de l’anse avait l’avantage de pouvoir être ajusté dans les premiers jours suivant l’intervention. Cette technique de la ténotomie contrôlée, reprise depuis lors de diverses manières, a été relancée par Gobin à partir de 1968 (figure 10.6A) [20].
La technique qui a pris le nom de recul ou récession avec anses [21,22] consiste à suspendre le muscle par des anses aux points d’amarrage scléral, ceux-ci étant eux-mêmes reculés d’une quantité donnée ou maintenus au niveau de l’insertion primitive comme l’avait fait Bielschowsky dès 1907. La réalisation est simple :
• la fixation des sutures aux angles de l’extrémité du tendon et la désinsertion s’opèrent comme dans la technique précédente ;
• les sutures sont passées à travers la sclère, soit à la hauteur de l’insertion primitive, soit plus en arrière d’elle, à la distance voulue ; pour maintenir l’étalement normal du tendon, les points de l’amarrage scléral doivent être écartés proportionnellement à la longueur des anses ; au besoin, on ajoute une ou deux anses intermédiaires ou une anse médiane utilisant les brins des points latéraux (figures 10.6B et C) pour assurer la rectitude de la réinsertion ;
• on marque ensuite au compas sur la sclère le point où l’extrémité tendineuse doit être amenée et on forme des anses de la bonne longueur par un nœud double ; celui-ci est bloqué par un deuxième nœud double inversé ou par deux nœuds simples inversés.
Le recul avec anses est en soi, dans les limites des dosages habituels, une réacquisition intéressante, à la condition d’assurer au muscle son étalement normal ; il est toutefois moins prévisible que le recul avec refixation sclérale directe. Son principal intérêt est d’éviter l’amarrage au niveau équatorial en cas de sclère fragile, chez le myope par exemple, ou en cas de reprise opératoire difficile.
Il ne faut pas confondre la technique décrite ci-dessus avec celle du recul majoré avec anses des droits médiaux, tel que Gobin la proposait : avec celle-ci, les points de l’amarrage scléral ne sont pas écartés ; de ce fait la réinsertion du muscle est curviligne, à concavité antérieure, et son étalement réduit. L’expérience clinique a montré que cette technique n’est pas appropriée au traitement des ésotropies pour des raisons physiopathologiques : d’une part la réduction à 7 ou 8 mm au lieu de 10 mm de l’étalement de l’extrémité tendineuse diminue l’action adductrice et majore l’action verticale et rotatoire du muscle dès que le regard cesse d’être strictement horizontal ; d’autre part, l’affaiblissement du tonus de vergence (somme des forces passive et active du muscle) s’avère excessif, puisqu’il conduit tôt ou tard à une exotropie consécutive souvent marquée, en dépit d’un résultat immédiat satisfaisant ; enfin l’extrémité tendineuse est toujours réinsérée directement à la sclère du fait de la pression des tissus orbitaires qui plaquent le muscle contre la paroi du globe. Le tissu fibreux qui se substitue aux anses entre l’extrémité du tendon et les points scléraux d’amarrage des anses, improprement qualifié de « pseudo-tendon », adhère, lui aussi, à la sclère. Les reculs majorés avec anses ramènent donc aux grands reculs avec refixation sclérale directe (cf. chapitre 4 p. 72).
Autres procédés d’affaiblissement musculaire
Les grands reculs
Les strabismes paralytiques, les impotences oculomotrices (strabismes myogènes et/ou mécaniques), ainsi que les nystagmus peuvent nécessiter de grands reculs, c’est-à-dire supérieurs à 6 mm. Les points d’amarrage scléral peuvent être difficiles à atteindre : on en facilite l’accès en utilisant un écarteur large de type Bonn-Giessen de 8 ou 10 mm de large ; on peut également s’aider d’un fil de traction passé dans la sclère en avant de l’insertion primitive du muscle opéré. Il faut impérativement veiller au bon étalement transversal de la réinsertion (cf. supra).
Recul musculoténonien
En cas de strabisme ancien, de récidive ou de strabisme consécutif, le plan ténonien peut avoir perdu sa souplesse normale. Il risque alors de réduire l’effet d’un recul par la traction qu’il exercera sur le muscle sous-jacent, s’il est remis en place en l’état.
C’est pourquoi le « recul en bloc » musculo-ténono-conjonctival du droit médial, associant un recul des plans ténonien et conjonctival au recul du muscle lui-même, a été proposé (cf. chapitre 9) : le lambeau conjonctivo-ténonien de l’incision limbique est suturé lors de la fermeture, non pas à sa place originelle, mais à 3 à 6 mm en arrière d’elle, au besoin au-delà de l’insertion tendineuse primitive, juste en avant de la réinsertion musculaire [23] ; la suture, au fil 9 ou 8/0, doit être soigneuse, pour éviter un prolapsus des fascias ténoniens et une cicatrice irrégulière. La zone de sclère comprise entre le limbe et le bord antérieur du lambeau, et laissée à nu (bare sclera), se réépithélialise rapidement, mais d’une manière qui n’est pas toujours très satisfaisante du point de vue esthétique.
Nous préférons, en pareil cas, cliver le plan conjonctival du plan ténonien et exciser l’excédent de tissu ténonien, de manière à pouvoir ramener la conjonctive au limbe ou proche de lui, sans entraîner avec elle le tissu ténonien sous-jacent, c’est-à-dire pratiquer un recul uniquement musculoténonien (cf. chapitre 9).
Autres techniques d’affaiblissement musculaire
Ténotomies libres et partielles
Les ténotomies libres et partielles sont aujourd’hui, à de rares exceptions près, abandonnées.
Toutes les formes de ténotomies ou de ténomyectomies partielles, dont la double myotomie marginale partielle ou ténotomie en Z qui figure encore dans plusieurs ouvrages récents de chirurgie des strabismes, sont aujourd’hui obsolètes en raison de leurs inconvénients majeurs : elles ont des effets peu prévisibles et sont trop délabrantes ; pour von Noorden, ces interventions affaiblissent trop le pouvoir contractile du muscle ; elles laissent des cicatrices très étendues, rendant une réintervention sur le muscle, en cas de surcorrection, quasi impossible [6].
Gobin [22] pratique une ténotomie médiane lorsqu’il veut faire un recul limité de seulement 1 mm d’un muscle droit : il sectionne les 4/5 centraux du tendon au ras de son insertion sclérale, en veillant à ne pas omettre les éventuelles expansions postérieures ; il laisse le tendon amarré à chacune de ses extrémités sur une largeur de 1,5 mm, en épargnant les vaisseaux ciliaires antérieurs situés en regard (figure 10.7).
Allongement musculotendineux
Les premiers procédés d’affaiblissement par allongement musculotendineux ont été proposés par Stephenson en 1902 [24].
Plusieurs auteurs ont proposé un procédé d’allongement musculaire par insertion d’un ruban de fascia lata [25], d’aponévrose temporale ou, plus simplement, du segment réséqué de l’antagoniste homolatéral [26] :
le muscle à allonger est désinséré ;
la résection de l’antagoniste homolatéral doit amener le globe oculaire en légère surcorrection ;
le segment à insérer (d’une largeur de 10 mm ou de 2 fois 5 mm juxtaposés), est suturé sous le muscle à allonger par deux points postérieurs à l’extrémité du segment transplanté et deux autres points antérieurs à l’extrémité du tendon, de manière à réaliser une zone d’empiètement de 4 mm de long ;
la longueur du fragment inséré peut ensuite être ajustée à cette position du globe et son extrémité antérieure fixée à l’insertion primitive du muscle ; l’allongement peut atteindre 15 mm.
Clivage musculaire
L’affaiblissement par clivage musculaire a été proposé par :
• Jampolsky pour le droit latéral : ce muscle est clivé en deux languettes qui sont transposées l’une vers le haut et l’autre vers le bas dans le but de supprimer l’hyper- et/ou l’hypotropie en adduction liée au syndrome de rétraction de Stilling-Duane [27] (cf. chapitre 20) ; cette technique peut également être utilisée en cas de paralysie totale de la IIIe paire crânienne ;
• Bagolini et al. [28] : ils ont appliqué cette technique du clivage au droit médial pour le traitement de l’ésotropie à angle variable à la place de la myopexie postérieure de Cüppers [28]. La technique est la suivante :
Techniques de freinage musculaire : l’opération dite du « fil de Cüppers » ou myopexie postérieure
Le but de l’opération du fil de Cüppers ou myopexie postérieure (ou ancrage) est de freiner la rotation du globe oculaire vers le champ d’action du muscle sur lequel elle est effectuée. Son effet progressif diffère fondamentalement de celui d’un recul musculaire (cf. chapitre 4). Sa principale indication est l’excès de convergence ; c’est pourquoi elle porte le plus souvent sur le ou les droits médiaux.
La technique de la Fadenoperation sur un muscle droit hypercinétique a été élaborée patiemment par Cüppers au cours des années 1960, en collaboration avec des physiciens ; il l’a présentée pour la première fois lors des Journées de Wiesbaden de 1972 [1]. Mais ce n’est qu’après sa publication au Symposium de l’International Strabismological Association (ISA) à Marseille, dans le cadre du Congrès international d’ophtalmologie de 1974, qu’elle a reçu l’attention méritée (von Noorden a découvert dans ses recherches historiques que Peters avait proposé une opération analogue en 1941, sans rencontrer aucun écho en son temps) [2]. Cette date marque incontestablement un tournant historique dans la chirurgie des strabismes, parce que le principe du procédé de Cüppers est totalement différent de celui des techniques conventionnelles utilisées depuis Dieffenbach et parce qu’il a renouvelé le débat sur cette chirurgie [29].
Le terme originel de l’auteur pour désigner son procédé opératoire est celui de Fadenoperation, terme parfois repris tel quel dans d’autres langues ; de Decker et Conrad préféreraient, en allemand, le terme de Fadenfixation, puisque celui de Fadenoperation avait été utilisé par von Graefe en 1855 et Gräfe en 1876 pour désigner des ténotomies réglables [30]. En français, c’est le terme d’ « opération du fil de Cüppers », traduction littérale du terme originel, qui est le plus utilisé. D’autres termes ont été proposés : celui de « myopexie a » (Deller) [24], d’ « ancrage postérieur » (Roth) [31] ou les termes anglais de posterior fixation suture (Von Noorden), de retropexy [6] ou encore de posterior suture (Arruga) [32]. Nous nous tenons ici au terme de « myopexie postérieure » (myopexie étant plus universellement compréhensible qu’ancrage).
Techniques de la myopexie postérieure
Les préalables techniques de la myopexie postérieure
L’instrumentation nécessaire à sa réalisation a été décrite au chapitre 8. Rappelons qu’il est nécessaire de disposer d’un :
• écarteur dégageant bien la sclère latéralement au muscle en vue des passages scléraux (cf. p. 154) :
• porte-aiguille de type Barraquer-Bérard, suffisamment fort pour pouvoir guider l’aiguille de façon sûre ;
• marqueur d’Amsler ou d’une spatule graduée (indiquant les distances en millimètres d’arc) pour repérer les points de l’amarrage scléral ;
• fil non résorbable 5/0, tressé ou monofilament, monté sur une aiguille en demi-cercle de 7 à 8 mm à pointe spatulée, pour l’amarrage scléral (cf. p. 158).
L’abord musculaire doit être poussé plus loin que pour la chirurgie conventionnelle (cf. chapitre 9) : en effet le lieu de l’amarrage scléral se trouvera inévitablement en arrière de la limite antérieure du foramen musculaire (située en moyenne à 9 mm de l’insertion sclérale du droit médial). Le muscle doit donc être dégagé plus loin en arrière sur une distance de quelques millimètres, selon la distance prévue pour la myopexie et selon qu’un recul musculaire lui est associé ou non :
• pour cela, le foramen, fortement adhérent, doit être prudemment clivé du muscle à l’aide des ciseaux courbes mousses, tenus à plat à la surface du muscle ; on sectionne de proche en proche les travées fibreuses unissant le muscle au foramen ténonien, au ras du muscle en évitant de le blesser (figure 10.9) ;
• la limite postérieure du foramen ne doit pas être clivée ; un tel geste ouvrirait l’espace rétrocapsulaire et les lobules de la graisse orbitaire feraient alors irruption au fond du champ opératoire ; s’il arrive que cette ouverture survienne involontairement, l’amarrage peut néanmoins se faire ; les lobules graisseux doivent être écartés avec douceur et maintenus au fond, en évitant à tout prix de les blesser et de les extérioriser ; à cette condition, l’ouverture de l’espace rétrocapsulaire est sans conséquence.
Technique originelle de Cüppers
La technique de l’ancrage postérieur telle qu’elle a été décrite initialement par Cüppers [2] n’est plus guère utilisée aujourd’hui. Elle mérite cependant d’être brièvement rappelée. Elle comportait :
• la désinsertion systématique du muscle droit concerné ;
• la mise en place de deux fils 5/0 non résorbables à la distance voulue de l’insertion ; les passages scléraux, dans le prolongement l’un de l’autre, devaient avoir 3 à 4 mm de long et être parallèles au limbe ;
• les fils étaient ensuite passés à travers le muscle à la même distance de l’extrémité du tendon dans le cas où le muscle ne devait pas être en même temps reculé ; s’il devait l’être, la distance du passage des fils devrait être diminuée de la longueur du recul ;
• le muscle était réinséré à son insertion primitive ou en arrière d’elle, puis les deux fils d’ancrage postérieur étaient noués, sans serrage excessif, au-dessus de lui (figure 10.10A).
On lui préfère aujourd’hui l’une des deux techniques simplifiées, décrites ci-dessous.
Ancrage marginal (figure 10.11)
L’ancrage marginal est une variante de la technique originelle, proposée dès 1975 par de Decker et Conrad [33] ; il consiste à fixer le muscle au niveau de ses tiers latéraux. Cette variante est une simplification, puisqu’elle dispense de désinsérer le muscle s’il n’est pas nécessaire d’associer un recul à la myopexie. La plupart des opérateurs l’ont adoptée (figuresc 10.10B et C).
Le point où l’amarrage scléral doit être placé est repéré sur la sclère le long de chacun des bords du muscle à l’aide du marqueur d’Amsler ou d’une spatule graduée. Ce faisant, il faut veiller à maintenir le muscle dans sa disposition anatomique normale, c’est-à-dire éviter de le décaler latéralement et de modifier son étalement normal (figure 10.11A).
Le fil 5/0 non résorbable est passé dans la sclère, successivement d’un côté, puis de l’autre, à partir de la marque en direction du muscle et perpendiculairement à lui, sur une longueur d’environ 3 à 4 mm, le bord du muscle étant soulevé à l’aide d’un petit crochet droit.
Les fils sont enfin noués ; pour cela l’opérateur a le choix entre :
• une double clé bloquée par deux nœuds simples inversés ;
• un premier nœud double, bloqué par un deuxième nœud double inversé ;
• un nœud triple ou quadruple pour couvrir toute la largeur du passage scléromusculaire, bloqué par un nœud identique inversé.
Lorsqu’un recul doit être associé à la myopexie, les fils de celle-ci sont laissés en attente dans la sclère ; ils ne sont passés dans le muscle et noués qu’une fois le recul effectué (figure 10.11B).
Ancrage par sanglage musculaire selon Quéré et al.
Ayant constaté des cas de sclérose capsulomusculaire extensive lors de réinterventions sur des muscles ayant été préalablement amarrés selon la technique précédente, Quéré et ses collaborateurs ont été amenés à proposer une variante technique de myopexie, le sanglage rétro-équatorial passant d’une part en dessous du muscle, en étant partiellement faufilée dans la sclère, et d’autre part au-dessus de lui (figure 10.10D) [34] : « Le sanglage est réalisé au moyen d’un fil non résorbable 5/0. Il comporte deux passages scléraux symétriques par rapport au corps musculaire. Chaque passage débute à 2 mm en dehors du muscle et faufile la sclère sur 4 à 5 mm entre la vortiqueuse et le trajet radiaire de l’artère ciliaire longue postérieure vue par transparence. Il est important de commencer ce passage du fil à distance du muscle afin d’éviter de le ramasser au moment du serrage, et de faire un faufilage assez long pour empêcher une action d’indentation du fil. (…) Cela effectué, on noue le fil au-dessus du corps musculaire… [par une] double clé qui coulisse à volonté ; [celle-ci] permet de doser la tension du serrage à un niveau modéré, mais suffisant. Si un recul musculaire est nécessaire [il est pratiqué après la mise en place du fil, mais avant le serrage de la sangle]. » [34]