10: Diagnostic positif et différentiel des asymétries cornéennes pathologiques

Chapitre 10 Diagnostic positif et différentiel des asymétries cornéennes pathologiques



L’objet principal de cet ouvrage est de fournir une méthode d’interprétation des cartes en topographie cornéenne, et non de rassembler en un atlas l’ensemble des aspects topographiques rencontrés en pathologie cornéenne. Les fondamentaux nécessaires à une bonne compréhension des techniques de recueil et d’interprétation ont été rapportés dans les chapitres précédents, et ils ont été illustrés par divers exemples cliniques. Certains aspects liés à l’existence d’une asymétrie cornéenne méritent une mention particulière en raison de leur importance et/ou présentation topographique parfois trompeuse : ils font l’objet de ce chapitre.



Kératocône fruste


Cette forme de kératocône infraclinique, baptisée « forme fruste » par Amsler en 1961 [1], peut être définie comme un état cliniquement silencieux, qui partage certains traits topographiques avec le kératocône avéré dont une asymétrie topographique d’expression variable, qu’elle soit présente au sein d’une carte isolée, ou corresponde à la présence d’un faible énantiomorphisme (absence de symétrie en miroir entre les deux yeux). Les traits évocateurs de kératocône sont très estompés, mais ils peuvent être précurseurs et suivis d’une accentuation révélant une évolution plus franche vers la maladie, ou demeurer stables dans le temps [2, 3]. Ils se rencontrent alors chez des adultes dans leur 3e, 4e ou 5e décennie, de manière fortuite, ou à l’occasion d’un bilan systématique : bilan avant chirurgie réfractive [4], bilan chez des parents atteints de formes avérées [5, 6].


Dans un souci de clarté et de cohérence historique, nous avons proposé récemment de restreindre le terme « kératocône fruste » aux kératocônes infracliniques qui ne sont pas détectables en topographie spéculaire de Placido seule (surface antérieure seule), mais seulement après inspection des cartes d’élévation postérieure et pachymétrique [7]. Les formes où l’on retrouve une expression de la maladie détectable au niveau de la face antérieure (formes « Placido détectables » selon les critères validés et définis par Rabinowitz, ou Klyce et Maeda) [8, 9] sont définies par ces mêmes auteurs comme des formes « suspectes ». Dans ces formes (a priori plus avancées que les formes « frustes »), on retrouve bien sûr également des modifications d’épaisseur et de topographie postérieure [10].


En plus des formes familiales, on retrouve l’association avec certaines pathologies comme l’allergie (terrain atopique) et les frottements digitaux répétés [11] à la fois pour le kératocône infraclinique et le kératocône avéré, ce qui renforce l’idée que le kératocône fruste même stable correspond à une pathologie apparentée au kératocône mais d’expression topographique mineure. Les cartes topographiques rapportées dans les Fig. 10.1 et 10.2 correspondent à des formes de kératocône de stades variables observés chez deux frères, dont l’un présente un kératocône avéré bilatéral, l’autre un kératocône avéré unilatéral si l’on s’en tient aux seuls critères topographiques spéculaires de Klyce et Maeda.




L’inspection attentive des relevés d’élévation et de pachymétrie cornéenne issus de l’œil non dépisté par l’examen spéculaire seul est instructive, car ceux-ci contiennent potentiellement les signes les plus précoces de kératocône infraclinique (forme fruste).


Si le kératocône fruste (et les formes infracliniques apparentées) peut faire l’objet d’un débat sémantique, il est une certitude : la présence d’une forme infraclinique de kératocône contre-indique formellement la réalisation d’un Lasik [1113]. Le dépistage du kératocône fruste (infraclinique) est essentiel et motive la réalisation systématique d’une topographie cornéenne en préopératoire. L’étude rétrospective de cas d’ectasie post-Lasik est d’ailleurs instructive car elle permet de retrouver dans la plupart des cas des aspects topographiques évocateurs de forme fruste ou suspecte pour le kératocône [1417]. On retrouve également ces aspects au niveau de la cornée la moins atteinte chez les patients atteints de formes très « asymétriques » de kératocône (parfois même jugées « unilatérales », topographiquement du moins). L’étude approfondie des cartes issues de ces cornées « génétiquement atteintes » mais « phénotypiquement » très discrètes est instructive [7,1824] (Fig. 10.3). Afin d’éliminer le spectre de l’ectasie post-Lasik, de nombreuses études sont consacrées à la quête d’indices topographiques et la mise au point de technique de dépistage automatisé pour ces formes suspectes [2528].


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Fig. 10.3 Exemple de cartes Orbscan (mode Quad Map) effectuées chez un patient de 20 ans atteint d’une forme très asymétrique de kératocône.


a. La déformation induite par le kératocône est très prononcée et affecte les cartes d’élévation et de courbure. Noter l’amincissement paracentral inférieur en regard de la zone d’élévation maximale postérieure, la présence d’un certain parallélisme entre les faces antérieure et postérieure. b. L’étude attentive des cartes topographiques de l’œil controlatéral est instructive ; malgré l’absence d’anomalies manifestes au niveau de la courbure axiale antérieure : kératométrie moyenne proche de 41 D, et absence de toricité majeure et d’asymétrie manifeste. L’analyse par les indices de Klyce et Maeda est négative (absence de suspicion de kératocône). La carte d’élévation antérieure révèle une géométrie antérieure proche de celle d’une sphère (noter la faible dispersion de l’élévation autour du niveau de la sphère de référence calculée). L’aspect en promontoire est centré et symétrique. La carte d’élévation postérieure révèle en revanche un décalage inférotemporal de l’îlot central d’élévation positive ; la zone d’élévation positive maximale est en regard du point le plus fin (thinnest point), lui-même excentré dans la même direction (l’angle kappa est inférieur à 5°). La différence entre l’épaisseur moyenne centrale et celle du point le plus fin est estimée à 17 µm. Cet exemple clinique suggère que les manifestations topographiques les plus précoces du kératocône infraclinique siègent au niveau de la carte d’épaisseur, et que les modifications de la distribution pachymétrique (réduction de l’épaisseur en temporal inférieur) impactent plus fortement la topographie postérieure que la topographie antérieure. Ce cas illustre le fait que l’utilisation d’indices topographiques extraits de ces données pachymétriques et postérieures accroisse la sensibilité et la spécificité du dépistage du kératocône infraclinique.


Les Fig. 10.4 à 10.6 rassemblent plusieurs exemples particulièrement représentatifs, qui contiennent la plupart des manifestations topographiques rencontrées chez les cornées « à risque ». Il y existe pour chacun un faisceau d’arguments cliniques et topographiques en faveur de la présence d’une forme suspecte de kératocône. La Fig. 10.4 rassemble les images topographiques Orbscan et Pentacam d’une patiente demandeuse d’une chirurgie réfractive et pour laquelle le diagnostic de kératocône fruste peut être légitimement évoqué.


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Fig. 10.4 Cartes topographiques Orbscan (mode Quad Map) obtenues chez une patiente de 37 ans sans antécédentes remarquables en dehors d’un terrain atopique (rhinites allergiques, asthme) et qui consultait en vue de la correction chirurgicale d’une myopie moyenne.


La topographie spéculaire est jugée normale (critères de Klyce et Maeda négatifs pour le kératocône avéré ou suspect). Les cartes Orbscan en mode Quad Map révèlent plusieurs indices évocateurs d’une forme suspecte de kératocône. En premier lieu, il existe un faible énantiomorphisme global (faible symétrie en miroir entre l’œil droit et l’œil gauche). a. Œil droit : *1 = aspect de SRAX en mode de courbure axiale. Noter l’échelle relativement large, masquant la présence possible d’anomalies de courbure en inférieur, même si la toricité de la cornée est faible, et si la carte d’élévation antérieure (en haut à gauche) révèle une faible disparité avec le niveau de la sphère de référence ; *2 = sur la carte d’élévation postérieure, accentuation de l’élévation au-dessus de la sphère de référence (l’échelle colorimétrique permet d’estimer celle-ci à au moins 35 µm) ; *3 = épaisseur centrale moyenne inférieure à 490 µm ; *4 : déplacement du point le plus fin en temporal inférieur (l’excursion inférieure est supérieure à 0,5 mm, alors que la composante horizontale du déplacement est liée en partie à la présence d’un angle kappa supérieur à 7°) ; *5 = différence d’épaisseur entre la pachymétrie centrale et celle du point le plus fin (thinnest point) égale à 15 µm. b. Œil gauche : *1 = accentuation de l’élévation au-dessus de la sphère de référence (l’échelle colorimétrique permet d’estimer celle-ci à au moins 35 µm) ; *2 = épaisseur centrale moyenne inférieure à 490 µm ; *3 = différence d’épaisseur entre la pachymétrie centrale et celle du point le plus fin (thinnest point) égale à 15 µm (dans notre expérience, une différence supérieure à 11 µm peut être considérée comme suspecte).c. Un examen Pentacam est également réalisé chez cette patiente : le relevé de l’œil droit présente un aspect global similaire à celui présenté sur les cartes Orbscan. Les différences sont liées à divers facteurs comme l’algorithme utilisé pour le fitting de la sphère de référence, et les échelles colorimétriques qui sont spécifiques à chaque instrument. Noter que comme pour les cartes Orbscan, l’échelle colorimétrique choisie pour la carte axiale est trop large et provoque un rendu uniforme (avec le Pentacam, dépourvu de disque de Placido, cette carte présente des données de courbure calculées à partir des données fournies d’élévation). d. Œil droit (suite) : la carte de profil pachymétrique (courbe jaune, en haut) suggère un amincissement central rapide. Cette tendance est confirmée par l’étude de la carte de progression de la pachymétrie (en rouge, au milieu) qui confirme la progression trop rapide des variations de l’épaisseur cornéenne entre le point le plus fin et la périphérie cornéenne. Noter la valeur anormale de l’indice ABR, calculé à partir de la décomposition du relief cornéen antérieur en aberrations optiques (polynômes de Zernike), et suggérant la présence d’un certain degré d’irrégularités. e. Œil gauche : comme pour l’œil droit, l’aspect global est similaire à celui présenté sur les cartes Orbscan. f. Œil gauche (suite) : la carte de progression de la pachymétrie révèle également de ce côté une progression trop rapide des variations de l’épaisseur cornéenne entre le point le plus fin et la périphérie.


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Jun 29, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 10: Diagnostic positif et différentiel des asymétries cornéennes pathologiques

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