Chapitre 10 Diagnostic de la maladie coronaire
perfusion myocardique
Les maladies cardiovasculaires restent la première cause de mortalité en France, un tiers d’entre eux étant liés directement à la maladie coronarienne et près de la moitié des décès liés à une coronaropathie surviennent habituellement sans signes précurseurs [1].
Au cours des deux dernières décennies, la compréhension physiopathologique, le diagnostic et la prise en charge des patients coronariens a profondément évoluée grâce au développement des techniques d’angioplastie coronarienne qui permettent de traiter les lésions coronariennes « significatives », mais aussi grâce au développement des techniques d’imagerie non-invasive permettant l’évaluation de la perfusion myocardique. D’une attitude première thérapeutique qui répondait à un pur réflexe « occulo-sténotique » en traitant les sténoses coronaires mais négligeant l’état du myocarde sous-jacent, l’attitude actuelle est désormais plus raisonnée et repose sur une stratification du risque en fonction de l’existence d’une ischémie myocardique ou non dans les populations à risque, et sur la prise en considération non seulement des lésions les plus serrées, mais aussi, voire, surtout de celles présentant une sténose « à risque » de rupture [2]. Désormais il est clairement établi que le pronostic coronarien ultérieur dépend plus étroitement de la profondeur et de l’étendue de l’ischémie que du nombre et de l’aspect des lésions démontrées par la coronarographie. On peut schématiquement individualiser plusieurs situations cliniques où l’imagerie de perfusion joue dorénavant un rôle bien individualisé : 1/ patients présentant une maladie coronarienne suspectée mais non certaine, 2/ patients présentant une maladie coronarienne déjà documentée (coronarographie) et 3/ patients au décours d’un infarctus myocardique. Dans toutes ces circonstances, l’imagerie de perfusion a un rôle fondamental en apportant des informations à la fois en terme de marqueur de l’ischémie myocardique (territoires à risque de survenue d’une nécrose) mais aussi en identifiant les dégâts myocardiques irréversibles (régions non-viables).
A l’heure actuelle, la scintigraphie myocardique de perfusion au thallium (201Tl) ou sestamibi (99mTc-MIBI) reste une méthode de référence en routine clinique pour l’exploration de la perfusion myocardique. Ses limites sont bien connues (résolution spatiale limitée, artéfacts d’atténuation, irradiation) et son rôle a été clairement établi sur de large cohortes de patients ayant défini sa valeur diagnostique et pronostique dans le spectre des situations cliniques de la maladie coronaire. Grâce à de nombreuses innovations ces dernières années, l’IRM de perfusion apparaît désormais comme une technique alternative, qui a bénéficié d’améliorations significatives qui permettent à la fois l’étude de la perfusion au cours du premier passage après injection de Gadolinium combinée à un stress pharmacologique, tout en recherchant des lésions myocardiques irréversibles.
Notions physiopathologiques requises
Relation entre la sévérité d’une sténose coronaire et la perfusion myocardique d’aval
A l’état basal, la sténose d’une artère coronaire épicardique ne réduit le débit coronaire que pour une réduction relative d’environ 80 % de son diamètre [3]. Tant que la sténose est inférieure à 75–80 %, la perfusion d’aval dans les conditions basales est maintenue. Ce phénomène traduit un phénomène d’adaptation du système artériolo-capillaire coronaire et sa capacité à maintenir un débit coronaire normal en diminuant ses résistances par vasodilatation. Pour des sténoses supérieures à 80% et malgré une vasodilatation maximum, la résistance vasculaire augmente très rapidement et peut se traduire par une ischémie qui survient pour un effort minime, voire au repos.
Notion de « réserve coronaire »
À l’effort ou lors d’une épreuve de stress pharmacologique, l’augmentation du débit coronaire résulte d’une vasodilatation du lit vasculaire coronaire intramyocardique.
Dans le cas d’une sténose coronaire, la capacité d’hyperémie ou réserve coronaire est altérée dès les sténoses de 30 à 40 %. Ainsi, accéder aux modifications de la réserve coronaire peut être un moyen d’estimer le retentissement fonctionnel d’une sténose [4]. C’est le principe de base des épreuves de stress pharmacologique pour étudier la perfusion (fig. 10.1).
Fig. 10-1 Relation entre le débit coronaire et le pourcentage de rétrécissement en diamètre d’une sténose.
La réserve coronaire peut être estimée soit au niveau des artères (réserve de débit coronaire), soit indirectement au niveau du myocarde (réserve myocardique). En pratique, l’IRM de perfusion (repos/stress) permet de mesurer la réserve myocardique. Ces deux réserves ne sont pas toujours équivalentes en raison d’un réseau collatéral constitué d’anastomoses coronariennes de suppléance et potentiellement fonctionnel. En pratique, lorsqu’une sténose ou occlusion coronaire est de survenue brutale, ce réseau collatéral n’a pas le temps de se développer, donc les deux réserves sont abaissées en parallèle. Dans le cas contraire où la sténose est de survenue progressive, le réseau collatéral de suppléance a le temps de se développer ; si la réserve de débit coronaire est bien diminuée en relation directe avec le degré sténose, la réserve myocardique, quant à elle, est moins abaissée que prévu, puisque bénéficiant de l’apport sanguin du réseau collatéral. La réserve myocardique peut donc être considérée comme un marqueur de la collatéralité artérielle [5,6].
Principes techniques de l’IRM de la perfusion myocardique
Principe
L’étude des cardiomyopathies ischémiques en IRM associée à l’utilisation d’un traceur ou agent de contraste – chélates de gadolinium (IRM de perfusion au sens large) – peut suivre deux approches complémentaires, habituellement réalisées successivement après l’injection du traceur. La première vise à déterminer « stricto sensu » la perfusion tissulaire myocardique et repose sur l’étude de la perfusion au cours du premier passage du traceur après une injection en bolus. La seconde, complémentaire de la première, est réalisée plus tardivement, après l’injection du traceur, et repose sur des séquences spécifiques visant à mettre en évidence les territoires présentant une anomalie de la cinétique d’élimination de l’agent de contraste. C’est ce que l’on dénomme habituellement sous la terminologie « imagerie du rehaussement tardif » (fig. 10.2). Cette étude complémentaire doit être réalisée systématiquement chez des patients coronariens avérés ou patients à facteurs de risque (diabétiques en particulier), mais c’est une exploration qui reste à valider au cas par cas dans une logique de détection de la maladie coronaire chez des patients a priori sans antécédents.
Le principe de base de l’imagerie de la perfusion myocardique en IRM repose sur l’injection par voie veineuse d’un bolus de chélates de gadolinium utilisé comme traceur, et sur son suivi au niveau du myocarde grâce à l’utilisation de séquences d’imagerie rapide permettant de réaliser plusieurs coupes (3 à 6 habituellement) qui sont répétées à chaque cycle cardiaque durant toute l’acquisition (séries dynamiques) [fig. 10.3].
Les chélates de gadolinium (exemple : Gd-DTPA) sont des agents de contraste paramagnétique ou « agents T1 », qui accélèrent de façon prépondérante la relaxation T1 aux doses habituelles, et se traduiront sur les séquences pondérées en T1 par une augmentation du signal dans les régions perfusées. Les chélates de gadolinium sont des agents de contraste à distribution interstitielle qui, après injection intraveineuse en bolus, vont diffuser rapidement des capillaires vers les espaces extracellulaires en raison d’un poids inférieur à 1000 daltons. Cette rapide redistribution aboutit à une fraction d’extraction du traceur de l’ordre de 50 % [7] au cours du premier passage, et c’est ce phénomène qui est étudié par l’utilisation des séquences d’imagerie rapide : c’est l’étude du premier passage ou « wash-in ». Plus le niveau de perfusion régional vers un territoire myocardique sera élevé, plus la concentration locale en gadolinium sera importante et donc plus le signal régional observé au niveau des images sera élevé.
En pratique, plusieurs approximations sont habituellement faites pour la quantification de la perfusion en IRM : l’eau est supposée librement diffusible entre les différents compartiments, on suppose que le rehaussement du signal suit une réponse monoexponentielle, et que les agents de contraste ne modifient pas les paramètres physiologiques mesurés [8].