Chapitre 10. Bilans en kinésithérapie respiratoire
Pascal Gouilly and Jeannine Jennequin
En guise d’introduction : un ABC d’air
La démarche diagnostique du kinésithérapeute repose sur l’évaluation et l’analyse des déficiences et incapacités observées et/ou mesurées afin d’établir un programme de traitement et de choisir les actes de kinésithérapie à mettre en œuvre. Les indicateurs utilisés doivent être fiables et reproductibles. Ils sont spécifiques et permettent d’analyser chaque déficience et incapacité.
La déficience (impairment) se caractérise selon la classification de Hood par toute anomalie ou modification physiologique, anatomique ou histologique. Les recommandations de la Société de pneumologie de langue française (SPLF) dans la prise en charge de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) donnent comme indicateur de déficience les épreuves fonctionnelles respiratoires, les gaz du sang et la force des muscles respiratoires périphériques. L’incapacité (disability ou limitation d’activité) correspond à toute réduction partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon, ou dans des limites considérées comme normales pour un être humain. Les indicateurs pertinents d’incapacité dans la BPCO sont l’évaluation de la dyspnée, le test de 6min de marche et les épreuves d’effort. L’analyse des activités de la vie quotidienne rentre également dans l’analyse des incapacités. La déficience ou l’incapacité sont rarement transitoires ou réversibles en pneumologie, et sont à l’inverse le plus souvent permanentes et irréversibles. Le handicap (désavantage ou restriction de participation) résulte de la déficience et de l’incapacité. Il limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels). La qualité de vie, les loisirs, le travail, la morbidité et la mortalité sont des éléments concrets que l’on mesure en pneumologie.
Nous présenterons dans ce chapitre les outils utiles pour le kinésithérapeute selon la sélection d’informations par la technique du ROM :
• le relaté (R) permet au patient de se raconter. C’est l’identification du patient à sa pathologie ;
• l’observé (O) regroupe les actes, recherchant à vérifier les symptômes décrits par le patient ;
• le mesuré (M) compose la rubrique utilisant les instruments de mesure à la disposition du kinésithérapeute pour déterminer le déficit physique du patient.
Relaté
Le dossier médical permet de connaître entre autres le diagnostic (connaissance corrélée avec l’anamnèse du patient pour l’éducation), le traitement médical (médications et mode d’administration, sans oublier l’appareillage d’oxygénothérapie ou de ventilation) et les antécédents médicochirurgicaux. Cette approche est renforcée par les questions auprès du patient et de son entourage, ainsi que par la recherche systématique de cicatrices, les radiographies pulmonaires et les éléments des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR).
L’anamnèse envisage la personne dans sa globalité. Le thérapeute doit poser les bonnes questions pour cerner les problèmes et les attentes du patient. Les items des questionnaires de qualité de vie spécifiques à la pneumologie permettent d’enrichir ces échanges. L’anamnèse permet également d’étudier la consommation du tabac (visible par les traces de nicotine sur les doigts et cotées par Sadoul en paquets/année, une année paquet équivalant à un paquet par jour pendant 1an), les antécédents familiaux, professionnels et kinésithérapiques, l’observance du traitement médical. La capacité à s’exprimer (approche subjective de la dyspnée visualisant la difficulté pathologique à ventiler) est examinée. L’anamnèse donne des renseignements sur la toux : sa fréquence, le moment de survenue et ses caractéristiques (quinteuse, irritative ou productive). Il ne faut pas oublier que la réelle efficacité de la toux est superficielle (20 % du territoire pulmonaire). Cette notion souvent ignorée est pourtant fondamentale, puisque ce n’est pas parce que le patient ne tousse pas qu’il n’est pas encombré et, de même, ce n’est pas parce qu’il tousse qu’il se désencombrera.
Observé
L’œil du patient
Observer l’environnement du patient pour évaluer la gravité en milieu hospitalier (O2, ventilation invasive/non invasive, perfusions, inhalothérapie…) est également très important.
Le type de respiration
On décrit la respiration classiquement dite physiologique abdominodiaphragmatique, la respiration costale supérieure et/ou inférieure utilisant uniquement le gril costal. Est-elle nasale ? Buccale ? En ventilation spontanée/forcée ? Le thérapeute analyse également la qualité de cette respiration. La respiration paradoxale qui inverse la respiration abdominodiaphragmatique est un signe pathologique témoignant d’une détresse respiratoire ainsi que de la mise en jeu des inspirateurs accessoires. On décrit également :
• la respiration de Cheyne-Stokes, qui se caractérise par une apnée de 20 à 30s suivie d’une reprise de respiration devenant progressivement plus rapide pour diminuer de nouveau avant une autre période d’apnée. Elle est retrouvée dans les cas d’urémie ;
• la respiration de Kussmaul, qui se caractérise par une fréquence normale ou augmentée où l’inspiration et l’expiration sont profondes, égales et régulières. Elle est retrouvée dans les cas d’acidose du coma diabétique ;
• la respiration de Biot, qui se caractérise par une respiration périodique avec pauses prolongées et irrégulières. Elle est retrouvée dans les cas d’hypertension intracrânienne.
La fréquence respiratoire
La fréquence respiratoire est mesurée (sans le signaler au patient pour lui permettre de respirer normalement) à l’aide d’un chronomètre sur une durée minimum de 30s [1]. Sa valeur moyenne est de 12 à 16 cycles/min chez l’adulte et l’adolescent. Une augmentation est appelée « tachypnée » et résulte d’une adaptation de l’appareil respiratoire à un dysfonctionnement. Une diminution est appelée « bradypnée ».
Les tirages
Les tirages témoignent de l’activité anormale des muscles inspirateurs d’effort. C’est l’activité du sterno-cléidomastoïdien ou des scalènes que l’on met en évidence. La contraction des intercostaux (signe de Hoover) ou les battements des ailes du nez chez l’enfant peuvent témoigner d’une détresse respiratoire.