Préambule
Généralités
Le système nerveux est considéré comme un organe viscoélastique, un continuum physique parfait, suspendu dans le corps humain et influencé par l’aspect dynamique de ses contenants: les interfaces mécaniques qui le protègent et le stimulent (voir Préambule, page 5).
Il existe une interaction entre la physiologie et la biomécanique du système nerveux (tableau 1), dont dépend le fonctionnement du système musculosquelettique auquel il est intégré.
A. Gradients de pression
Les gradients de pression règlent la circulation sanguine au sein de « tout canal, tunnel ou orifice » dont dépendent l’apport d’oxygène et la nutrition nécessaires aux transports axonaux des neurotransmetteurs jusqu’au niveau des tissus tributaires. Ils déterminent ainsi la bonne santé du nerf et, par conséquent, celle des tissus innervés.
B. Mécanosensibilité
Containers dynamiques du système nerveux
Une fermeture prolongée ou traumatique du foramen intervertébral peut irriter le nerf spinal et le rendre plus sensible à la compression et/ou à la mise en tension. Le spectre des dysfonctions des racines nerveuses est large, la radiculopathie aigüe avec position antalgique et signes neurologiques est facile à reconnaître. Par contre, la dysfonction mineure de la racine nerveuse cervicale ou lombale entraînant une hyperalgésie secondaire telle qu’une enthésopathie du muscle élévateur de la scapula, un «tennis elbow» thérapierésistant, un syndrome des muscles ischio-jambiers ou une tendinopathie récalcitrante du tendon calcanéen, sans aucun symptômes neurologiques est plus difficile à mettre en évidence par le praticien non expérimenté dans le concept neurodynamique (voir Annexes « Réduction de fermeture de l’interface mécanique », page 411).
A. Quelques étiologies
– la traction : service en tennis, tir en handball, smash en volleyball… ;
– la compression : appui sur le coude, flexion de la hanche au cours de la conduite automobile, position assise jambes croisées… ;
– la friction dans un passage ostéofibreux ou musculaire ;
– le surmenage du nerf périphérique : microtraumatismes par flexions, extensions répétées du poignet, hypermobilité ou instabilité articulaire, mauvais maintien, etc. ;
– l’hématome ou l’œdème autour du nerf : posttraumatique (déchirure musculaire ou entorse ligamentaire), postchirurgical, après une prise de sang… ;
– la restriction de mobilité : immobilisation articulaire en cas d’épaule gelée. Le plexus brachial, tenu dans une position raccourcie, perd sa tolérance au mouvement normal et devient plus sensible à la mise en tension ;
B. Pathogenèse
L’irritation par compression ou élongation d’un nerf périphérique provoque des réactions pathologiques en cascade, entretenues par des cercles vicieux :
1. la dysfonction peut débuter par l’augmentation de la pression autour du nerf, responsable d’un retour veineux réduit, ce qui provoque une congestion veineuse ;
2. suit une dysfonction de la circulation intraneurale, un état d’hypoxie des axones avec perturbation des transports axonaux vers les tissus tributaires ;
3. la lésion cellulaire libère la bradykinine, qui excite les nocicepteurs; les fibres C libèrent une quantité augmentée de neuropeptides (Substance P et CGRP), d’histamine et d’autres substances, ce qui provoque une dilatation des artérioles ;
4. l’augmentation de la perméabilité capillaire et l’accumulation locale de liquide tissulaire. L’œdème intraneural et sa conséquence, l’augmentation de la pression intraneurale, persistent, car la barrière de diffusion périneurale ne permet pas l’élimination de la « soupe inflammatoire » ;
5. l’inflammation et l’irritation successive des nocicepteurs augmentent la chimio- et la mécanosensibilité, par le biais de la sensibilisation des terminaisons nerveuses libres dans le tissu conjonctif du système nerveux (nervi nervorum et nerfs sinuvertébraux) ;
6. des sites d’impulsions ectopiques (AIGS – abnormal impulse generating sites) naissent. Ils peuvent s’étaler tout le long du nerf; une douleur périphérique neuropathique souvent accompagnée de paresthésies ou de dysesthésies s’installe ;
7. une réaction inflammatoire dans les tissus innervés, la peau ou l’articulation, se développe par activité efférente ;
8. à long terme, la présence de substances inflammatoires engendre la formation d’adhérences extraneurales ou de fibroses intraneurales, ce qui perturbe la biomécanique du système nerveux ;
9. suite à cette cascade de réactions, on observe une restriction de mobilité due à la défense musculaire, mais aussi à la perte de viscoélasticité du nerf devenu moins extensible et au manque de neuroglissement par rapport aux tissus adjacents ;
10. cela conduit à l’apparition d’une position d’antitension ;
11. des signes neurologiques tels que l’hypoesthésie ou la parésie sont possibles. Ils sont les résultats d’une perturbation des transports axonaux, de l’œdème et de la fibrose intraneuraux, qui engendrent une démyélinisation (neuropraxie) et une destruction axonale (axonotmésis) ;
12. les forces mécaniques accompagnant les activités sportives ou notre examen neurodynamique sensibilisent davantage les nocicepteurs déjà sensibilisés, le nerf ainsi mécanosensibilisé devient beaucoup plus réactif ;
13. à long terme et dans un contexte « propice », un abaissement du seuil de la chimiosensibilité, une implication du système nerveux sympathique et une sensibilisation neurocentrale peuvent se développer.
C. Classification des dysfonctions du syndrome neurogène douloureux
Le système nerveux peut être atteint via une dysfonction de l’interface mécanique, du système nerveux ou des tissus tributaires (tableaux 3, 4 et 5).
Dysfonctions des interfaces | Description – exemples |
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Réduction de fermeture | L’interface manque de fermeture par rapport au système nerveux : dérangement discal ou ostéophyte |
Augmentation de fermeture | L’interface se ferme trop par rapport au système nerveux : antéversion du bassin avec hyperlordose de la colonne lombale, spondylolisthésis |
Réduction d’ouverture | L’interface manque d’ouverture par rapport au système nerveux : ascension de la 1re côte avec fermeture de la pince costo-claviculaire, contracture musculaire avec présence de points trigger myofasciaux |
Augmentation d’ouverture | L’interface s’ouvre trop par rapport au système nerveux : hypermobilité de la colonne cervicale avec diminution d’activité du muscle trapèze |
Patho-anatomique | L’interface a une forme ou un diamètre anormal : ténosynovite du muscle tibial postérieur dans le canal tarsien postérieur |
Pathophysiologique | Stimulation des nocicepteurs de l’interface : protrusion discale avec inflammation autour des nocicepteurs de la dure mère |
Dysfonctions du système nerveux | Description – exemples |
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Réduction de glissement et/ou de déplacement | La structure nerveuse manque de mobilité par rapport à l’interface, le glissement et/ou le déplacement du nerf augmente la mécanosensibilité : adhérences autour du nerf ischiatique après déchirure des muscles ischio-jambiers |
Réduction de mise en tension | La structure nerveuse manque de viscoélasticité : cicatrice ou fibrose intraneurale dans le nerf fibulaire superficiel après entorses récidivantes de la cheville ; la mise en tension du nerf augmente la mécanosensibilité : état inflammatoire et/ou ischémique du nerf |
Instabilité Déplacement | Le système nerveux est hypermobile : luxation du nerf ulnaire hors du canal ulnaire au cours de la flexion du coude |
Patho-anatomique | Une pathologie du système nerveux qui perturbe sa fonction : un schwannome, une arachnoïdite ou un TSCS |
Pathophysiologique | Une inflammation neurogène par stimulation des nocicepteurs dans le périnèvre ou dans la dure mère, diminution de la vascularisation intrinsèque avec hypoxie des axones |
Dysfonctions des tissus tributaires | Description – exemples |
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Surprogrammation musculaire | Une contracture accompagnée de points trigger dans les muscles qui protègent une structure nerveuse : muscle trapèze pour le plexus brachial, muscle piriforme pour le nerf ischiatique, muscle quadriceps pour le nerf fémoral, etc. |
Déprogrammation musculaire | Une perte de force musculaire – parésie, voire paralysie : steppage par manque de force des releveurs du pied après compression du nerf fibulaire commun au niveau du col de la fibula |
« Dysbalance » musculaire | Une surprogrammation associée à une déprogrammation musculaire dans une même unité musculaire : muscles de la ceinture scapulaire en cas de syndrome de ParsonageTurner |
Augmentation de la réactivité inflammatoire | Une réactivité inflammatoire augmentée au niveau des tissus tributaires suite à une augmentation de l’activité efférente du système nerveux : talalgie et fasciite plantaire suite à un syndrome tarsien postérieur |
Diminution de la réactivité inflammatoire | Une réactivité inflammatoire diminuée au niveau des tissus tributaires, suite à une diminution de l’activité efférente du système nerveux : réaction d’hyperémie diminuée suite à la stimulation mécanique de la peau |
Vu la complexité et l’interactivité des différentes dysfonctions, nous avons opté, dans cet ouvrage, pour l’utilisation d’une classification simplifiée, fondée sur la pathoneurodynamique. Nous envisageons deux catégories de dysfonctions neurogènes : l’une à dominance pathophysiologique et l’autre à dominance pathomécanique (tableau 6). Des formes combinées de ces deux catégories sont cliniquement souvent rencontrées.
Dominance pathophysiologique | Dominance pathomécanique |
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Douleur/symptomatologie importante, constante et permanente, diminution de la vascularisation, augmentation de la mécanosensibilité, stades aigu et subaigu, irritable, avec ou sans signes neurologiques | Douleur/symptomatologie intermittente, douleur/symptomatologie variable, perte de mobilité, manque de viscoélasticité, stade chronique, non irritable, avec ou sans signes neurologiques |
Irritable | Non irritable |
D. Symptomatologie
Ce sont essentiellement les signes et les symptômes de la neuropathie périphérique, de la plexopathie, de la radiculopathie et de la dure mère.
– Signes sensitifs subjectifs :
– Signes sensitifs « objectifs » :
« Double crush syndrome » – syndrome de compression nerveuse étagée
Également appelé « syndrome de double accrochage », ce concept a été introduit par Upton et McComas en 1973. Des compressions, même mineures, du nerf le sensibilisent. Elles le rendent plus vulnérable à tout conflit ultérieur, quelle que soit sa localisation sur le trajet nerveux.
Bilan diagnostique
Chaque symptomatologie du système locomoteur peut être la conséquence d’une dysfonction ou d’une combinaison de dysfonctions. Le praticien doit, dès la première séance, intégrer dans son management l’évaluation des structures nerveuses en relation avec les structures orthopédiques. Son raisonnement clinique le guide dans la construction d’hypothèses concernant (tableaux 7 et 8) :
– les structures potentiellement responsables de la symptomatologie ;
– les mécanismes qui expliquent la symptomatologie ;
– les facteurs contribuants; ergonomie – contexte psycho-socio-économique… ;
– l’état du sujet – l’irritabilité – la stabilité de la dysfonction ;
BILAN | BUTS |
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Anamnèse | Construction des hypothèses – drapeaux jaunes et/ou rouges |
Inspection | Construction des hypothèses |
Démonstration | Analyse fonctionnelle – |
fonctionnelle | différenciation structurelle neurogène/non neurogène |
Neurodynamique | Différenciation structurelle neurogène/non neurogène – dominance et localisation de la dysfonction |
Neurologique | Dominance et localisation de la dysfonction |
Orthopédique | Signes comparables – localisation de la dysfonction |
Palpation | Confirmation des hypothèses – localisation de la dysfonction |
Hypothèses | Symptomatologie |
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Dysfonction de l’interface mécanique | Réactions neurogènes apparues suite à certaines activités professionnelles, sportives ou de loisirs, dues à l’intensité, la durée ou au nombre de répétitions – ces réactions sont parfois reproduites au cours d’un test neurodynamique en fin de course ou au cours d’un test maintenu et disparaissent rapidement – l’interface mécanique exerce des contraintes indésirables sur le système neurovasculaire |
Dysfonction du système nerveux | Symptômes neurogènes persistants apparus suite à des activités professionnelles, sportives ou de loisirs habituelles – les symptômes sont reproduits au cours des tests neurodynamiques de base et persistent un certain temps – il y a une dysfonction du système nerveux, de glissement ou de mise en tension à des degrés variables d’irritabilité |
Dysfonction combinée | Symptômes neurogènes persistants apparus suite à des activités professionnelles, sportives ou de loisirs inhabituelles – les tests neurodynamiques de base ou leurs variantes sont positifs – il y a une combinaison de dysfonctions contenant-contenu à des degrés variables d’irritabilité |
Les drapeaux rouges qui doivent alerter le praticien sont : une douleur non mécanique, une douleur nocturne, une douleur thoracique, une perte de poids inexpliquée, un traumatisme important, des restrictions de mobilité du rachis dans toutes les directions, des signes neurologiques étendus, les 5D de Coman*, les 3N*, une perturbation de la marche et de l’équilibre.
– Problème principal actuel ou motif de consultation du sujet.
– Localisation : uni- ou bilatérale, double ou multiple crush.
– Comportement des symptômes : démonstration fonctionnelle, facteurs d’augmentation ou de diminution, évolution sur 24 heures.
– Histoire actuelle et antérieure : survenue, évolution, durée, traitement, effet, séquelle(s).
– Questions spéciales : maladie, traumatisme, opération, médication, vertiges, 5D et 3N.