1. Facteurs de risques psychologiques



Introduction3


Considérations biologiques4


Considérations psychologiques10


Conclusion17



INTRODUCTION


L’influence des facteurs psychologiques sur l’incidence et la progression du cancer a été tout à la fois pressentie, étudiée, affirmée et niée au cours de l’histoire de la médecine. Citons à ce propos quelques références qui illustrent le cheminement des idées et hypothèses. Galien, né en 131 et mort en 201, fut le premier à rapporter l’hypothèse selon laquelle les femmes de type mélancolique développeraient plus fréquemment une néoplasie du sein comparativement aux femmes de type sanguin (Galeni, 1821-1833). Gendron écrivit que les femmes, présentant des dépressions sévères et une anxiété importante, sont plus susceptibles de présenter une affection cancéreuse (Gendron, 1701). Guy observa que les affections cancéreuses malignes survenaient plus fréquemment chez les femmes avec des plaintes de type hystérique et nerveux (Guy, 1759). L’importance du deuil fut évoquée par Amussat (Amussat, 1854). Paget introduisit la dépression comme un des facteurs pouvant influencer le développement du cancer (Paget, 1870). Quant aux quarante dernières années, elles ont été marquées par des recherches tentant de donner des fondements scientifiques à ces affirmations.

Ainsi la relation cancer-psychisme a fait l’objet de nombreuses recherches tant en laboratoire qu’en clinique. Les questions étudiées sont multiples. Elles peuvent se résumer à la question suivante : l’incidence et/ou la progression du cancer sont-elles influencées par des facteurs psychologiques? Et dans l’affirmative, quels sont les processus psycho-neuro-biologiques qui pourraient expliquer cette influence? Les facteurs psychologiques pourraient influencer l’incidence et/ou la progression du cancer de deux façons différentes : d’abord par les comportements qui mettent une personne en contact avec des carcinogènes (alcool, tabac, etc.), puis par une possible influence directe des facteurs psychologiques sur l’hôte (sur son système immunitaire par exemple) et/ou sur la carcinogenèse elle-même. En effet, d’une part certains comportements, habitudes, valeurs et engagements peuvent mettre un individu dans un environnement potentiellement dangereux pour sa santé via une exposition à des carcinogènes (influence indirecte). L’influence est ici indirecte. Ceci sera discuté dans le chapitre intitulé «facteurs de risques comportementaux». D’autre part, certains modes de réactions pourraient empêcher le processus de régulation et de résolution de la détresse émotionnelle générée par un danger, des conflits ou une perte et ainsi directement entraîner des modifications biologiques favorisant la carcinogenèse. L’influence est alors bien directe puisqu’un état psychologique serait à la base de l’incidence ou de la progression d’une affection cancéreuse sans induire de comportements particuliers. Si cette hypothèse se confirmait, des aires nouvelles de recherches et d’interventions verraient le jour.

Pour résumer le nombre important d’études publiées concernant cette potentielle influence directe, seront rappelées ici la notion de stress psychologique, certaines données concernant les relations psychobiologiques en général et psycho-oncologiques en particulier, et ensuite les études se rapportant aux influences respectives de la personnalité, du soutien social et des facteurs de stress psychologiques et sociaux. Ce chapitre examinera donc, sans a priori, les principales considérations biologiques et psychologiques qui interviennent actuellement dans toutes les discussions relatives à l’influence des facteurs psychologiques sur l’incidence et la progression des affections cancéreuses.


CONSIDÉRATIONS BIOLOGIQUES



Stress



Le terme «homéostasie» représente les mécanismes qui permettent une stabilité au niveau physiologique, afin d’assurer la survie de l’organisme en cas de stress aigu. Il s’agit d’un processus d’autorégulation qui inclut une coordination de nombreux systèmes pour permettre une réponse de l’organisme exposé à un facteur de stress aigu. Le terme «allostasie» représenterait les mécanismes qui permettent de maintenir une stabilité viable au niveau physiologique en cas de stress chronique (McEwen, 2000; McEwen, 2003). Il s’agit d’un processus d’adaptation pour maintenir la stabilité de l’organisme exposé à un facteur de stress chronique, nécessitant une accommodation ou adaptation prolongée dans le temps. Le terme «charge allostatique» désigne, quant à lui, les conséquences biologiques liées au fait de s’adapter ou s’accommoder à un facteur de stress chronique. Il s’agit donc des effets biologiques de l’allostasie ou en d’autres mots de la «charge» que supporte obligatoirement l’organisme pour faire face à un facteur de stress chronique. Cette «charge» peut se refléter dans l’inefficacité de certaines réponses du système hormonal qui doivent s’activer quand un sujet est exposé à un facteur de stress puis se désactiver lorsque celui-ci vient à disparaître. L’adaptation du sujet à une série consécutive de facteurs de stress chroniques peut entraîner progressivement une perte de la flexibilité nécessaire pour atteindre, en cas de nécessité, un nouvel état d’allostasie. Cela favoriserait le développement de troubles fonctionnels ou lésionnels, en d’autres mots provoquerait l’apparition d’affections médicales. L’allostasie implique en effet de nombreuses modifications au niveau du fonctionnement physiologique. Un fonctionnement dans un «état allostatique» peut avoir plusieurs implications. Le fait qu’un sujet se soit adapté ou se soit accommodé à un facteur de stress chronique peut entraîner une incapacité à s’adapter ultérieurement au niveau physiologique à la survenue d’un facteur de stress additionnel. Le fait qu’un sujet s’adapte et s’accommode à un facteurs de stress chronique peut entraîner également une difficulté d’adaptation physiologique lorsque le facteur de stress disparaît. L’individu doit alors s’adapter à un nouveau fonctionnement imposé par le nouveau contexte.

La régression psychique permet d’interrompre, de limiter ou de contenir l’impact d’un facteur de stress chronique. Ce mécanisme permet d’éviter qu’un stress chronique et ses répercussions physiologiques et psychologiques – liées à l’état allostatique et à la charge allostatique associée – se prolongent au cours du temps. L’absence de régression – le non abandon de soi en d’autres termes – prolonge d’une part l’état allostatique et d’autre part la charge allostatique : les activations ou inhibitions neurobiologiques (neurosympathique, neuroendocrinologique ou neuroimmunitaire). Il faut différencier la régression bénigne, celle qui permet l’adaptation, de la régression maligne, celle qui est associée à un trouble psychopathologique. Il faut aussi distinguer la notion de régression aiguë de la régression chronique qui considère la durée de ce processus psychique. En effet certains sujets – selon leur personnalité – régressent plus spontanément et plus longuement que d’autres. Certains contextes favorisent une régression et d’autres pas. C’est le cas par exemple de l’impact d’une hospitalisation. Elle favorise une régression chez certains malades. Ceci n’est cependant pas toujours le cas. Il est ainsi fréquent d’observer une «suradaptation» de certains autres malades qui concentrent leurs efforts d’adaptation sur «l’ici et le maintenant» des situations vécues à l’hôpital. L’univers hospitalier peut les pousser à une conformité liée notamment aux pressions d’un milieu hypersocialisé et à l’absence d’une personnalisation des relations qui y sont établies.



Stress et immunité


Les défenses liées au développement d’une affection cancéreuse se situent à plusieurs niveaux. Le premier niveau est celui de la réparation de l’ADN. Le deuxième niveau de défense est l’élimination des cellules transformées par apoptose (mort cellulaire). Le troisième niveau est celui des défenses tissulaires, chaque tissu possédant des barrières et des moyens de défense propres (toux, pH, immunité non spécifique, etc.). Il faut savoir qu’une inflammation chronique peut induire et promouvoir la carcinogenèse (Schottenfeld et Beebe-Dimmer, 2006). Il faut savoir aussi qu’une inflammation chronique – produite en partie par des cytokines – au niveau du site tumoral peut favoriser la progression de l’affection cancéreuse (Ryan, Schofield et coll., 2005). Les cytokines pro inflammatoires favorisent le recrutement de leucocytes au niveau de la tumeur. Une fois activés, ces leucocytes libèrent des facteurs angiogéniques qui stimulent l’angiogenèse et favorisent ainsi la dissémination de métastases.

Il convient, pour discuter de l’éventuelle relation entre stress et cancer, de résumer et de rappeler les résultats des études réalisées chez l’animal qui, dans leur grande majorité, montrent que le stress influence la vitesse de croissance des tumeurs implantées, provoque des apparitions de tumeurs spontanées plus précoces et fréquentes et empêche la régression des tumeurs après une première croissance de celles-ci. Cette influence est variable selon les espèces animales, les conditions d’élevage, les types d’intensité et de durée du stress expérimental, les sites des tumeurs, et l’anticipation et la contrôlabilité du stress par l’animal. La figure 1-1 résume la séquence physiologique susceptible de lier stress et néoplasie chez l’animal.








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Fig. 1-1
Séquences physiologiques liant stress et néoplasie chez l’animal.


Chez l’être humain les relations entre stress et cancer sont certainement plus complexes. Avant de discuter de l’influence possible des facteurs psychologiques sur l’incidence et la progression du cancer, il est important de rappeler qu’une tumeur cancéreuse de 1 cm3 contient environ 109 cellules, taille à partir de laquelle les affections cancéreuses deviennent cliniquement manifestes ou détectables. La vitesse de division cellulaire est très variable, la croissance tumorale étant cependant exponentielle. Par conséquent, il faut toujours de nombreux mois, voire même de nombreuses années, pour voir se manifester cliniquement chez l’homme un processus néoplasique (trente ans pour le mésothéliome).

Malgré l’accumulation dans la littérature récente de données concernant l’influence des facteurs de stress psychologiques sur la fonction immunitaire, les théories concernant le rôle d’une fonction immunitaire altérée par ces facteurs dans la carcinogenèse ou le développement du cancer n’ont pas trouvé dans les recherches empiriques réalisées à ce jour de confirmations satisfaisantes. Ainsi, il ne faut pas associer prématurément immunosuppression et initiation ou progression du cancer. Le terme immunosuppression est en effet un terme général qui recouvre des altérations très diverses de la fonction immunitaire et de son efficacité. L’influence des facteurs de stress psychologiques sur la fonction immunitaire mérite cependant d’être discutée parce qu’elle est souvent citée comme un argument en faveur de l’existence d’une relation facteurs de stress – cancer. Le tableau 1-1. illustre les différentes étiopathogénies considérées actuellement.
















Tableau 1-1 Étiopathogénie des affections cancéreuses : quelques hypothèses.
Niveau I Transformation initiale Changement neuro-endocrinien
NIVEAU II Absence d’élimination des cellules transformées Déficit de l’immunosurveillance
NIVEAU III Croissance accélérée des tumeurs Déficit de l’immunosurveillance
Changement neuro-endocrinien

Chez l’homme, le stress psychologique peut déréguler les réponses immunitaires. Ceci s’explique par l’existence d’une communication entre le système nerveux et le système immunitaire. Cette communication se réalise au travers de signaux bidirectionnels entre les systèmes nerveux, endocriniens et immunitaires. C’est en affectant ces interactions que le stress psychologique dérégule les réponses immunitaires. Tout d’abord un stress aigu – limité dans le temps – active la réponse immunitaire : l’activation du système sympathique expliquerait cela. Un stress chronique – qui se prolonge dans le temps – quant à lui réduit la réponse immunitaire : l’activation de l’axe hypothalamohypophysaire expliquerait cela. Quelles sont les hypothèses évolutionnistes concernant l’immunosuppression secondaire à un stress plus prolongé? Une première hypothèse considère le fait qu’un facteur de stress nécessite des réactions immédiates exigeant une mobilisation rapide d’énergie, ayant pu favoriser au cours de l’évolution l’apparition d’une suppression temporaire des réactions immunitaires dans le contexte d’une exposition à des facteurs de stress après une activation initiale de l’immunité. Cette proposition a été critiquée car un simple blocage des réactions immunitaires aurait pu offrir cet avantage. Or un stress prolongé affecte profondément et de manière complexe les propriétés du système immunitaire. Une deuxième hypothèse considère le fait que les animaux malades qui paraissent vulnérables sont des proies faciles pour des prédateurs et, que l’état de «maladie» (en anglais, sickness syndrome) est souvent le reflet d’une activation du système immunitaire. Cette hypothèse suggère que la suppression du fonctionnement immunitaire permettrait de moins ou de ne pas laisser paraître cela. Une troisième hypothèse envisage que la suppression du fonctionnement immunitaire pourrait empêcher le système immunitaire de devenir trop actif et protégerait ainsi l’organisme d’un développement de maladies auto-immunes.


Il faut rappeler ensuite que le système immunitaire peut émettre des signaux et influencer aussi les systèmes nerveux et endocriniens et induire ainsi par exemple un état de «maladie» (sickness syndrome) (voir plus loin). Le système immunitaire s’exprime en produisant différentes cytokines. Les cytokines peuvent êtres considérées comme les «hormones» du système immunitaire car elles peuvent circuler dans le courant sanguin. Les cytokines permettent la régulation et une certaine coordination des réponses immunitaires. Il existe différents types de cytokines. Les cytokines peuvent être stimulatrices (TH1) : IFN-γ, IL-2, TNF-ß. et inhibitrices (TH2) : IL-4, IL-10 (une cytokine antiinflammatoire), IL-13. Au niveau du système nerveux central, les cellules microgliales – qui sont des cellules immunitaires résidentes – produisent localement des cytokines. Les astrocytes, quant à eux, maintiennent l’équilibre ionique, tamponnent l’action des neurotransmetteurs et secrètent des facteurs de croissance.

Il faut savoir aussi que le système immunitaire est relié au système nerveux central via des neurones sensoriels localisés dans la chaîne ganglionnaire dorsale. Il existe donc aussi des signaux sensoriels provenant du système immunitaire. Le système immunitaire peut ainsi signaler son activité par cette voie (Nance et Sanders, 2007). Il signale son état d’activation au système nerveux central par des cytokines circulantes (VollmerConna, Fazou et coll., 2004). Ces cytokines – principalement les cytokines pro inflammatoires IL-1 et IL-6 – participent à l’induction de modifications comportementales. Elles induisent un état de «maladie». Rappelons que le fonctionnement immunitaire est influencé par la libération de cytokines. Ces cytokines influencent notamment la réponse inflammatoire. Les changements hormonaux induits par certains facteurs de stress peuvent moduler la synthèse et la libération de cytokines par les leucocytes. Le stress, la détresse, l’anxiété, et la dépression peuvent ainsi accroître la production de cytokines pro inflammatoires : IL-1ß, IL-6, TNF-α. Mentionnons, pour refléter la complexité des choses, que le fonctionnement du système immunitaire dans des conditions normales ou extrêmes (immunosuppression sévère) est relativement bien connu. Le degré de suppression du système immunitaire nécessaire pour accroître un risque d’infections est cependant moins bien connu.


Stress, immunité et cancer


La biologie de la tumeur influence-t-elle la progression du cancer? La résistance de l’hôte influence-t-elle la progression du cancer? La théorie de l’immunosurveillance formule l’hypothèse que le système immunitaire est en théorie capable de protéger un sujet du développement et de la progression d’une affection cancéreuse. Cependant, les données récentes à ce propos montrent que l’immunosurveillance n’est que modérément efficace pour ralentir la progression d’une affection cancéreuse.

Pour discuter de cela, il convient de rappeler qu’il existe différents types d’immunités. L’une est spécifique et permet une cytotoxicité médiée par des cellules T dénommées «CD8» (qui reconnaissent l’antigène tumoral CMH classe I) et «CD4» (qui activent les «CD8» en libérant des cytokines). L’autre est également spécifique et permet une cytotoxicité médiée par des anticorps et par le complément. Une autre est non spécifique et permet une cytototoxicité médiée par des cellules dénommées NK (Natural Killer). Rappelons également quelques notions relatives aux antigènes tumoraux. Les cellules cancéreuses humaines expriment souvent différentes proportions d’autoantigènes : ces antigènes caractérisent les tissus dont ils sont originaires. Elles expriment rarement des alloantigènes spécifiques et stimulent peu la réponse immunitaire. Lorsqu’elles expriment des alloantigènes, les cellules cancéreuses deviennent bien sûr immunogéniques : une tumeur peut donc stimuler la réponse immunitaire. Cependant, il existe encore des raisons qui permettent à ces cellules «d’échapper» à la surveillance immunitaire : le fait que la plupart des antigènes exprimés par les cellules cancéreuses sont des «autoantigènes» et que de nombreux facteurs immunosuppresseurs sont secrétés par la tumeur. La présence de ces «autoantigènes» empêche le développement d’une réponse immunitaire robuste : les cellules T dites régulatrices qui ont comme fonctions notamment de limiter l’autoimmunité et l’inflammation participent à ces mécanismes.


Enfin, il convient de savoir que la tumeur elle-même constitue une barrière physique empêchant l’immunosurveillance. Les cellules cytotoxiques T peuvent en effet uniquement reconnaître des alloantigènes présentés en association avec des molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (CMH). Or les molécules du CMH, qui rendent possible la surveillance immunitaire par les cellules T, disparaissent souvent à l’occasion des mutations. Les cellules cancéreuses ne sont ainsi plus reconnues. La constitution d’une barrière physique par la tumeur empêchant l’immunosurveillance est favorisée par d’autres facteurs encore : citons à titre d’exemple l’«Intercellular Adhesion Molecule» qui bloque l’attachement des cellules cytotoxiques T et la production de l’antigène p43 par les cellules cancéreuses du sein qui interfère avec la fonction cytotoxique des cellules T. Il faut mentionner aussi à ce niveau que la division rapide des cellules cancéreuses peut les rendre «invisibles». Il apparaît donc que la capacité du système immunitaire d’éliminer une cellule cancéreuse se réduit souvent avec la croissance tumorale. La plupart des tumeurs cancéreuses sont infiltrées par des globules blancs dans une proportion qui est loin d’être négligeable. Mais le fait que les cellules cancéreuses les plus antigéniques – et dont le développement pourrait théoriquement être contrôlé par la réponse immunitaire – sont quelquefois celles qui se divisent le plus vite, ne permet aucune extrapolation simpliste. Une tumeur infiltrée par des cellules immunitaires serait cependant associée à un meilleur pronostic.

Il faut, avant d’aller plus loin dans la discussion, rappeler aussi que l’interprétation des paramètres évalués (test de stimulation aux mitogènes et NK par exemple) et qui indiqueraient un statut immunitaire altéré, reste souvent difficile. Ainsi, un test de stimulation lymphocytaire par un mitogène (PHA) lorsqu’il est altéré peut ne pas signifier seulement une réduction de la blastogenèse : les mitogènes stimulent en effet une variété d’immunocytes aux fonctions très différentes (suppresseur, aideur, lymphocyte T). Par ailleurs, une prolifération réduite de lymphocytes pourrait représenter une modification de la distribution ou de la fonction lymphocytaire, ou pourrait indiquer dans certains cas une influence des macrophages ou de facteurs humoraux. Il existe également une difficulté dans l’interprétation des taux d’incorporation de la thymidine tritiée utilisés dans les tests de stimulation aux mitogènes qui ne signifie pas toujours un taux de division cellulaire accru. De plus, les tests de stimulation aux mitogènes donnent des résultats très variables chez les sujets normaux. Une stimulation importante des lymphocytes par les mitogènes peut également être quelquefois observée chez des patients brûlés ne rejetant pas des allogreffes ou ne se défendant pas contre des agents infectieux. Enfin, les taux de NK – fréquemment utilisés dans ces recherches – peuvent être très variables d’un individu à l’autre et d’un moment à l’autre. En cas de stress aigus, la norépinephrine augmente le taux des NK, et dans les stress chroniques, un taux bas de NK peut refléter une déplétion en neurotransmetteurs. Il existe en outre beaucoup d’autres facteurs (tabac, alcool, nutrition, hormones) qui peuvent influencer ce taux. L’interprétation des résultats publiés est rendue difficile car les taux périphériques représentent une partie seulement de l’activité immunitaire (environ 5 %). De plus, une fonction immunitaire stimulée ne signifie pas nécessairement une immunocompétence. Ainsi, les différences observées dans certaines études en comparant deux conditions particulières pourraient être significatives statistiquement mais ne pas avoir de signification biologique.


À côté du rôle que pourraient avoir les facteurs de stress psychologiques via le système immunitaire sur la croissance tumorale, il convient de mentionner, pour être complet, le rôle médiateur possible du système endocrinien. L’axe psycho-neuro-endocrinien peut influencer les cancers hormonodépendants et modifier certaines caractéristiques d’autres organes et systèmes. D’une part, il est établi que des apports d’hormones influencent la croissance des cancers hormonodépendants et des cancers hormono-indépendants. En ce qui concerne les cancers hormonodépendants (cancers de l’endomètre, de la prostate, du sein et les leucémies et lymphomes), il n’est pas rare d’observer des régressions tumorales après administration d’hormones (progestatifs, glucocorticoïdes, anti-œstrogènes, antiandrogènes, analogues de la LHRH le plus souvent et, d’œstrogènes ou d’androgènes à forte dose plus rarement). Cela s’explique par la présence de récepteurs hormonaux au niveau néoplasique et par l’action des hormones sur les facteurs de croissance. D’autre part, des changements hormonaux peuvent être consécutifs à des facteurs de stress psychologiques. Une régression tumorale ou néoplasique, via une variation de la production endogène d’hormones, secondaire à des facteurs psychologiques est cependant une autre question. Ainsi, il a été rapporté certaines observations de rémission spontanée chez des patients présentant une leucémie en association avec un changement émotionnel. Cela pourrait s’expliquer de la façon suivante : les concentrations de glucocorticoïdes qui suffisent à saturer certains récepteurs de cellules leucémiques sont seulement légèrement supérieures aux concentrations plasmatiques habituelles. Il est dès lors imaginable que des facteurs de stress psychologiques, un stress émotionnel par exemple, puissent entraîner des rémissions. Il existe aussi des observations cliniques de régression spontanée de cancer ayant impliqué une activité immunitaire. Il est utile de rappeler enfin que la frontière séparant les cancers hormonodépendants de ceux qui ne le sont pas devient de plus en plus étroite. Les études in vitro et in vivo chez l’animal montrent que des lignées cellulaires habituellement considérées comme non hormonodépendantes le deviennent dans certaines conditions et pour certaines associations hormonales particulières.


Enfin, les différences interindividuelles possibles dans les réactivités endocrinologiques et immunitaires secondaires à un facteur de stress sont une autre variable à considérer. La discussion considérant l’influence possible de facteurs de stress psychologiques sur la progression des affections cancéreuses doit également tenir compte du type d’affection cancéreuse considérée. L’agressivité des affections cancéreuses varie en effet d’un type à l’autre (cancers du pancréas et du foie versus cancers du sein et de la prostate).


CONSIDÉRATIONS PSYCHOLOGIQUES



Théories



Dans cette perspective, certains fonctionnements psychologiques pourraient donc vulnérabiliser le sujet à des troubles somatiques fonctionnels ou lésionnels qui découlent de certaines particularités du développement psychologique durant l’enfance. Une séquence d’événements pourrait conduire à certains types de fonctionnements psychologiques. La séquence temporelle suivante en est un exemple : une rupture répétée ou prolongée du lien avec la mère pourrait dans un premier temps constituer un facteur de stress pour le nourrisson et engendrer chez celui-ci un état de dépression. Cet état de dépression pourrait, s’il venait à se prolonger dans le temps, limiter le développement de certaines fonctions psychiques et bloquer (ou freiner) les élaborations des affects et des représentations. Au-delà de la phase de détresse associée à l’exposition à un facteur de stress, suite par exemple à la rupture épisodique ou définitive du lien maternel sans suppléance relationnelle quantitative et qualitative, cet état dépressif pourrait favoriser le développement d’une anxiété diffuse et de structures névrotiques peu mentalisées et associées à une insuffisance fonctionnelle du préconscient. Ce concept de structure névrotique peu mentalisée a été construit et proposé par opposition aux névroses mentalisées – phobiques, obsessionnelles ou hystériques.

Les sujets présentant une structure névrotique peu mentalisée ou une incapacité fonctionnelle du préconscient auraient des difficultés à «contenir» des émotions intenses et/ou des contraintes environnementales importantes. Ces personnes développeraient une hypersensibilité aux contraintes associées à un facteur de stress et une hyperréactivité émotionnelle dans ces contextes. Cette hypersensibilité et cette hyperréactivité dans le contexte d’une exposition à un facteur de stress expliqueraient le développement de troubles psychologiques ou somatiques.

La problématique de ruptures répétées ou prolongées du lien survenant dans le contexte de pertes ou de séparations n’est pas la seule à avoir été évoquée pour expliquer une hypersensibilité au stress (Levine, Eckhardt et coll., 2005). D’autres problématiques peuvent être mentionnées : des négligences, des privations relationnelles, des maltraitances physiques ou des abus sexuels peuvent conduire également à une sensibilité exacerbée au stress.

Faire l’hypothèse que des facteurs psychologiques détermineraient le devenir psychologique paraît évident, mais supposer qu’ils influenceraient le devenir physique reste encore controversé car cela impliquerait une compréhension précise des mécanismes physiologiques, psychologiques et sociaux à la base du développement d’une affection physique donnée. Or, comme il en a été discuté plus haut, cela n’est certainement pas encore le cas en ce qui concerne les affections cancéreuses. Cette difficulté a eu des répercussions sur les hypothèses formulées à ce sujet. Les hypothèses sont variées et s’étayent sur des théories qui le sont également. Résumer les travaux publiés à ce propos est une tâche très difficile.

Les théories psychologiques à la base d’une approche psychosomatique du cancer sont nombreuses. Deux d’entre elles méritent d’être exposées. Pour la première, un trauma ou une perte précoce – durant la petite enfance ou l’enfance – entraînerait, et ce sans manifestation clinique, une culpabilité, une condamnation de soi et une croyance que les relations sociales sont dangereuses (Bahnson et Bahnson, 1966; LeShan, 1966). Cela aurait comme conséquence l’établissement de relations superficielles et une certaine solitude. À la fin de l’adolescence, une relation ou un rôle (d’enfant, d’ami, d’élève par exemple) pourraient être particulièrement investis. À son tour, ce surinvestissement amènerait une diminution importante – mais non une disparition – des sentiments de culpabilité et de dépréciation de soi en raison du caractère surinvesti de la relation ou du rôle en question. LeShan rapporte avoir fréquemment retrouvé, de 6 mois à 8 ans avant le diagnostic d’une affection cancéreuse, qu’à l’occasion d’un stress psychologique important, le sujet – bien que superficiellement adapté – aurait tenté par des efforts répétés de trouver des investissements substitutifs sans succès réel, entraînant en conséquence un désespoir. Selon cette théorie l’apparition d’un stress psychologique survenant chez des sujets sensibilisés favoriserait le développement des affections cancéreuses.

La seconde théorie tente d’expliquer l’expression somatique des problématiques psychologiques. Les pulsions, besoins, conflits qui peuvent se décharger ou s’exprimer psychologiquement pourraient dans cette perspective l’être aussi à un niveau somatique (Bahnson et Bahnson, 1966). Ce serait l’intensité du conflit et sa signification ancrée dans le développement de l’individu qui entraîneraient une décharge somatique. Le concept introduit ici est celui de la régression psychologique et somatique. Il s’appuie sur l’hypothèse qu’une décharge pulsionnelle à un niveau développemental élevé est difficile car les conflits sont représentés à ce niveau. La régression somatique ou psychologique est présentée comme le moyen d’évacuer des conflits en préservant les valeurs et les besoins, représentés à un niveau développemental élevé.

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1. Facteurs de risques psychologiques

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