Évaluation du bien-être fœtal
INTRODUCTION
L’enregistrement continu du rythme cardiaque fœtal (RCF) s’est généralisé au cours des années soixante-dix et est resté la technique de référence pour l’évaluation du bien-être fœtal jusqu’à récemment. La rapidité des avancées technologiques et de leur utilisation dans la pratique, sans preuve préalable des bénéfices ou des risques sur les femmes, est bien reconnue (Arulkumaran et Chua 1996; Blincoe 2005; Walsh 2008). Il devient de plus en plus difficile de revenir sur l’utilisation d’une technologie une fois qu’elle est entrée dans les pratiques acceptées, et McAra-Couper et al. (2010) argumentent que l’acceptation de nouvelles technologies peut entraîner une perte de compétences des praticiens et une augmentation des interventions.
Le but de l’enregistrement du RCF pendant le travail est d’enregistrer le rythme cardiaque fœtal et les contractions utérines, afin d’identifier les modifications qui pourraient témoigner d’une altération du bien-être fœtal. Cette information donne aux praticiens la possibilité de faire des explorations complémentaires ou d’anticiper la naissance en vue de réduire le risque de dommages neurologiques à long terme chez les nouveau-nés et les enfants.
L’un des premiers et des plus grands essais randomisés comparant le RCF en continu à l’auscultation intermittente pour surveiller le travail a été réalisé par Mac Donald et al. en 1985. Ils concluaient que l’auscultation intermittente était aussi fiable que le RCF en continu pour détecter hypoxie fœtale chez les femmes à bas risque. Les études suivantes ont constaté des taux d’
extractions instrumentales et de césariennes plus élevés lorsque le RCF continu était utilisé et un taux plus élevé de convulsions néonatales lorsque l’auscultation intermittente était utilisée, sans conséquence sur le devenir neurologique à long terme (Thacker et al. 1995; Supplee et Vezeau 1996; Mongelli et al., 1997; National Institute for Health et Clinical Excellence – NICE – 2004; Alfirevic et al., 2006).
L’audit national sentinelle sur les césariennes a identifié comme première cause de césarienne la suspicion de « souffrance fœtale » (RCOG 2001a). Il est démontré que la césarienne a des effets délétères sur la morbidité et la mortalité maternelles, et, alors que les taux de mortalité maternelle tendent à diminuer, il existe un lien indirect entre les taux de mortalité et ceux de césarienne (NICE 2004; Hall 2001; Confidential Enquiry into Maternal and Child Health, 2007). Toute prise en charge inutile pouvant augmenter le risque de césarienne, telle que le RCF continu chez une femme à faible risque, devrait donc être évitée.
N.D.T. Le rapport Intérêt et indications des modes de surveillance du rythme cardiaque fœtal au cours du travail et de l’accouchement normal de l’ANAES en 2002 concluait : « Sur la base des données publiées à ce jour, aucune différence n’est montrée en conditions expérimentales entre les deux techniques en termes de mortalité ou de séquelles neurologiques. En l’absence de recommandations ciblées sur les conditions de pratique de l’auscultation intermittente, le choix des centres d’obstétrique en France se porte aujourd’hui quasi exclusivement sur l’enregistrement cardiotocographique, du fait des avantages qu’il procure en termes d’utilisation des ressources et de traçabilité des événements. » En 2007, les Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF indiquaient : « La surveillance du travail discontinue ne peut se concevoir que pour une patiente à bas risque. Elle nécessite la présence d’une sage-femme par parturiente. L’enregistrement fœtal continu par comparaison à l’auscultation intermittente divise par deux le taux de convulsions néonatales sans influence sur le pronostic à long terme. En revanche, l’utilisation de l’enregistrement fœtal continu est associée à une augmentation des taux de césariennes et d’extractions instrumentales. Compte tenu des pratiques obstétricales actuelles (absence de formation à l’auscultation intermittente) et du personnel disponible en salles de naissance, il est recommandé d’utiliser la surveillance continue en phase active du travail. »
Une revue récente de 12 essais randomisés n’apporte pas la preuve d’une réduction de la mortalité périnatale chez les patientes à bas ou haut risque lorsque le RCF en continu est utilisé (Alfirevic 2006). Cependant, le National Colloborating Centre for Women’s and Children’s Health (NCCWCH) (2007) et la NHS Litigation Authority (NHS Litigation Authority 2009) recommandent l’utilisation du RCF en continu lorsque des facteurs de risque ont été identifiés pendant le travail. La manière de classer le niveau de risque des femmes enceintes reste matière à débat (Devane et al., 2010), de même que la fiabilité du RCF en continu pour toutes les femmes en travail (Walsh et al., 2008).
En pratique actuellement, les recommandations britanniques préconisent que le RCF en continu, par capteur externe ou par électrode de scalp, soit réservé aux patientes à haut risque et que l’auscultation intermittente soit préférée chez les patientes à bas risque (NCCWCH, 2007). Munro et al. (2002) montrent que le taux de surveillance par RCF en continu a diminué depuis la publication de l’audit national sentinelle sur les césariennes (Royal College of Obstetricians et Gynaecologists, 2001a). Plus récemment, Churchill et Francome (2009) ont rapporté une baisse persistante de l’utilisation du RCF continu de routine, qui est aujourd’hui moins courant qu’il ne l’était selon le NICE en 2004.
Les femmes devraient avoir le choix des soins qui leur sont prodigués (Department of Health 2007) et avoir accès aux données de la littérature sur la surveillance du travail (NCCWCH, 2007). Il est reconnu que préconiser un choix est un défi pour les professionnels (Royal College of Obstetricians et Gynaecologists, 2007) lorsque l’on met en balance la sécurité et le choix des femmes. Donc, tous les professionnels impliqués dans les soins des femmes en travail doivent être au courant des dernières recommandations afin d’informer au mieux les femmes sur les bénéfices et les risques des différentes méthodes avant d’obtenir leur consentement éclairé. The Health Care Commission (2007) rapporte qu’un tiers des femmes n’ont pas eu le sentiment d’être impliquées dans les choix concernant leurs soins durant le travail. Les sages-femmes en particulier devraient s’assurer que leurs connaissances sont à jour, non seulement parce qu’elles sont les principaux professionnels auprès des femmes en travail, mais aussi parce qu’il est de leur responsabilité professionnelle de le faire (Nursing and Midwifery Council 2004, 2008).
Des progrès ont été faits afin de limiter les interventions sur les femmes à bas risque et de promouvoir un retour à la normalité (Allan and Talbot 2008), y compris dans les méthodes de surveillance du rythme cardiaque fœtal. Les sages-femmes sont encouragées par les recommandations nationales (NCCWCH, 2007) à utiliser leurs compétences traditionnelles pour être auprès des femmes pendant le travail et l’accouchement. Malgré tout, il persiste une obligation de moyens en ce qui concerne les femmes qui évoluent vers le haut risque ou les situations complexes au cours du travail. Au vu de la littérature, il est toujours recommandé de surveiller le bien-être fœtal par RCF continu en cas de facteurs de risque (NICE 2004). L’issue optimale pour la mère et son enfant repose fortement sur l’interprétation des données obtenues, sous la forme d’un tracé de RCF.
Bien que l’objectif principal de ce livre soit d’inciter à une analyse standardisée du RCF, une partie sera consacrée à l’auscultation intermittente.
AUSCULTATION INTERMITTENTE
N.D.T. Cette forme de surveillance fœtale est pratiquement inexistante en France, d’une part à cause des difficultés de mise en pratique par manque d’adéquation entre les effectifs de sages-femmes et le nombre de femmes en travail dans la plupart des maternités, et d’autre part du fait de l’absence de traçabilité, en particulier en cas de suites médico-légales. Enfin, les recommandations actuelles ne sont pas en faveur de ce mode de surveillance en France.
Pour les femmes à bas risque, l’auscultation intermittente devrait être proposée par les professionnels, comme le recommande le NICE (National Institute for Clinical Excellence 2004). Cette auscultation peut être réalisée à l’aide d’un stéthoscope de Pinard ou d’un doppler. Ce dernier peut être mieux perçu par la femme, car il ne lui impose pas de changer de position pour l’auscultation, tout en restant fiable (Mainstone 2004; Mahomed et al. 1994; Garcia et al. 1985).
N.D.T. Il permet également à la femme d’entendre elle aussi les battements cardiaques de son enfant.
Harrisson (2004) discutait de l’instrument à utiliser pour l’auscultation intermittente (AI) et concluait que le doppler avait des avantages sur le stéthoscope de Pinard. Cependant, dans la correspondance ultérieure, d’autres auteurs apportaient une opinion contraire (Soltani et Shallow 2004). Blake (2008) maintient que le doppler est l’instrument le plus souple et le plus polyvalent pour l’auscultation intermittente. Il existe peu de littérature récente comparant l’efficacité et l’accessibilité du stéthoscope de Pinard à celles du doppler. Il reste donc souhaitable de savoir utiliser les deux, au cas où l’un d’entre eux ne serait pas disponible et afin de permettre aux femmes de choisir.
La capacité à identifier la variabilité du RCF est également débattue (Harrisson 2004), alors que certaines sages-femmes considèrent être capables d’identifier la variabilité et les modifications du rythme de base, ainsi que les variations périodiques à l’aide d’un stéthoscope de Pinard (Association of Radical Midwives 2000).
Évaluation des risques
Il faut tout d’abord évaluer si la femme est à bas risque, en recherchant les facteurs de risque. Le risque doit être évalué dès le début du travail. Certaines femmes sont à haut risque durant la période anténatale et sont à bas risque durant le travail et peuvent donc bénéficier de l’auscultation intermittente (par exemple, une patiente qui a présenté une menace d’accouchement prématuré et qui accouche finalement à terme).
Lors de l’évaluation de la femme en début de travail, il est nécessaire de reprendre l’évolution de la grossesse dans le dossier obstétrical, en plus des observations faites directement par la sage-femme. Il faut en particulier recueillir :
• les antécédents médicaux, chirurgicaux et obstétricaux ;
• les complications survenues pendant la grossesse ;
• l’estimation du poids fœtal ;
• la tension artérielle, le pouls, la température ;
• l’auscultation du cœur fœtal ;
• la couleur du liquide amniotique ;
• le choix de la femme sur le mode de surveillance du cœur fœtal.
Si, à l’issue de cette évaluation initiale, la femme ne présente aucun facteur préexistant ni lié à la grossesse actuelle pouvant altérer l’évolution du travail ou l’apport d’oxygène au fœtus et si la femme le souhaite, l’auscultation intermittente devrait être la méthode de surveillance proposée et utilisée.
Évaluation continue
Des facteurs de risque peuvent survenir à n’importe quel moment du travail et il faut donc rester vigilant afin de changer le mode de surveillance si un facteur de risque est identifié. Les sages-femmes et les obstétriciens doivent rester attentifs à cela durant le travail.
Le NCCWCH (2007) recommande de débuter le RCF en continu dans les situations suivantes :
• en présence de liquide amniotique méconial ;
• si le rythme cardiaque fœtal est inférieur à 110 bpm, ou supérieur à 160 bpm, ou s’il présente des décélérations, ou si l’on suspecte une baisse de variabilité ;
• en cas de fièvre maternelle ;
• en cas de métrorragies pendant le travail ;
• lorsqu’une perfusion d’ocytocine est nécessaire (déclenchement ou stagnation).
Dans certaines circonstances, des modifications du rythme cardiaque peuvent être perçues à l’auscultation. Le RCF en continu doit donc être initié dans ces situations mais il peut s’avérer normal. Ceci peut rassurer la sage-femme et la femme elle-même et conduire à la reprise de l’auscultation intermittente. Il faut prendre garde à ce que l’enregistrement intermittent du RCF pendant le travail ne soit pas utilisé en routine comme un moyen de rassurance pour les sages-femmes n’ayant pas suffisamment confiance dans leur pratique de l’auscultation intermittente (Altaf et al. 2006; Hindley et al. 2007) mais en cas de nécessité clairement identifiée. Lorsque les enregistrements intermittents du RCF se répètent, l’évaluation du risque doit être reprise et l’enregistrement continu du RCF doit être envisagé.
Méthode de l’auscultation intermittente
Le rythme cardiaque fœtal doit être ausculté dès l’entrée en travail et régulièrement au cours du travail (NCCWCH 2007). Le pouls maternel doit être pris et noté avant de commencer l’auscultation intermittente. S’il existe le moindre doute, les pouls fœtaux et maternels doivent être pris de façon simultanée.
Il y a peu de données pour savoir à quel intervalle l’auscultation intermittente doit être pratiquée durant le travail, mais, selon les recommandations courantes, l’auscultation intermittente doit être effectuée après une contraction, pendant une durée minimum de 60 s et au moins :
• toutes les 15 min pendant la première phase du travail ;
• toutes les 5 min pendant la seconde phase du travail (NCCWCH 2007).
La NHS Litigation Authority (2009) a besoin des services des maternités pour montrer que les pratiques sont conformes aux recommandations pour ce qui est de l’équipement utilisé, du moment et de la durée de l’auscultation et de l’endroit où sont reportées les données.
Documentation
Le rythme cardiaque fœtal doit être noté à chaque fois qu’il a été enregistré. Lorsque le pouls maternel a été enregistré, il doit également être consigné. Une documentation précise du rythme cardiaque fœtal est essentielle, de préférence sous la forme d’un tableau (voir le guide des bonnes pratiques), car ainsi il est facile d’identifier des changements de ligne de base : même s’il est toujours dans « la normale », il peut s’altérer de façon significative et nécessiter une intervention supplémentaire.
Bien qu’il reste encore des aspects de l’auscultation intermittente nécessitant des travaux de recherche, comme la fréquence de l’AI ou l’instrument de choix, cette méthode est recommandée et sûre dans la surveillance du bien-être fœtal durant le travail pour les femmes à bas risque. Il est établi que les pratiques sont en train d’évoluer à rebours du RCF continu pour toutes les femmes (Munro et al. 2002; Churchill and Francome 2009) et, alors qu’il est heureux que nous ne soyons plus totalement dépendants des machines, il faut garder en mémoire que la technologie a toujours sa place dans les soins. Le plus important est d’avoir suffisamment de connaissance et d’expérience pour savoir l’utiliser à propos et pour faire confiance à l’IA lorsqu’elle est indiquée.
ENREGISTREMENT CONTINU DU RCF
Le RCF en continu peut se faire à l’aide d’un capteur externe placé sur le ventre de la mère ou d’une électrode de scalp placée sur la tête fœtale. L’enregistrement des contractions peut se faire par un capteur externe sur le ventre de la mère ou par un capteur interne placé dans la cavité utérine (à membranes rompues). Les différents capteurs sont rattachés à un moniteur qui imprime les différentes données.
Altaf et al. (2006) rapportent les bénéfices et les risques que les sages-femmes attribuent au RCF en continu d’après la littérature (Hindley et al. 2007). Un des bénéfices du RCF en continu est le fait qu’il existe un document imprimé qui aide à l’identification de la survenue d’anomalies et qui permet une étude rétrospective du RCF. Il peut également être utilisé pour un audit clinique ou pour des cas cliniques d’enseignement. En cas d’issue défavorable, le RCF « imprimé » peut servir lors de discussions avec les parents ou être utilisé comme preuve médico-légale. C’est pour ces raisons que le RCF doit être conservé au minimum 25 ans. Idéalement, l’original du RCF doit être conservé dans le dossier médical. S’il est nécessaire de l’en sortir pour n’importe quelle raison, l’endroit où le RCF se trouve doit être clairement indiqué dans le dossier.
Il y a des désavantages au RCF en continu : l’attention de la sage-femme peut être plus portée sur l’enregistrement que sur la femme, le taux de naissances « normales » serait plus bas lors de l’utilisation du RCF en continu et le taux d’autres interventions telles que l’analgésie péridurale ou l’utilisation d’ocytocine est augmenté. La mobilité des femmes est réduite, bien qu’il existe maintenant des RCF portatifs qui permettent un bon enregistrement du RCF. De plus, l’interprétation du RCF est subjective et a un taux élevé de faux positifs (Walsh 2008). Nelson et al. (1996) reportent un taux de faux positif de 99,8 % pour la valeur prédictive des décélérations sur le taux d’infirmité cérébrale.
Une petite enquête sur les morts fœtales intrapartum mettait en évidence des soins intrapartum suboptimaux dans 75,6 % des cas, la critique la plus fréquente étant l’absence d’identification des anomalies du RCF (enquête sur les morts fœtales et les morts infantiles, 1997). Une étude précédente sur les litiges en obstétrique soulignait le manque d’identification des anomalies du RCF (Ennis et Vincent 1990). Ce problème est toujours d’actualité car, en 2010, Nicholson et Saunders reportent qu’un tiers des plaintes pour négligence sont la conséquence d’une mauvaise interprétation du RCF. Il y a de nombreuses études qui montrent qu’il existe des différences d’interprétation du RCF intra- et interopérateurs (Ayres-de-Campos et al. 1999; Blix et al. 2003; Devane et Lalor 2005).
La technique n’est pas sans difficultés. Elle repose sur l’utilisation d’un doppler pour la détection du cœur fœtal, via un transducteur abdominal qui a lui-même ses limites. The Medicines and Healthcare Products Regulatory Agency (2010) recommande que les praticiens ne comptent pas uniquement sur le RCF pour évaluer le bien-être fœtal et restent conscients de ses limites et artefacts. Certains facteurs influencent la puissance du signal détecté :