17. Trouble panique, agoraphobie et phobies spécifiques
J. Van Rillaer
Définitions
Peur
La peur est une réaction affective provoquée par la perception d’un danger, réel ou imaginé. Elle s’accompagne d’une activation des systèmes nerveux, cardiovasculaires et respiratoires, préparant à une action immédiate. Elle suscite une polarisation de l’attention et une impulsion à fuir ou à se battre. Ce mécanisme, que nous avons en commun avec d’autres espèces animales, favorise la survie.
Des analyses statistiques sur les craintes les plus fréquentes dans le monde occidental permettent de ramener une grande partie d’entre elles à trois peurs fondamentales : la peur de la douleur (des blessures et des maladies) ; la peur d’être jugé négativement ; la peur de l’anxiété et de ses conséquences (perdre le contrôle de soi, perdre la face).
Angoisse et anxiété
Les mots « angoisse » et « anxiété » ont la même racine : le verbe latin angere, qui signifie « oppresser », « étrangler ». Ils désignent une réaction affective provoquée par l’anticipation d’événements pénibles, qui touchent la personne. Cette réaction est, comme la peur, une réaction défensive, mais elle est plus complexe. Nous l’éprouvons lorsque des événements négatifs nous concernant sont susceptibles de se produire, que nous avons le sentiment de ne pas pouvoir les contrôler, mais que nous allons cependant nous y préparer. L’anxiété est orientée vers l’avenir. Elle s’accompagne de l’activation de circuits cérébraux favorisant la vigilance et la focalisation de l’attention sur toute source de danger. Elle incite moins à fuir qu’à anticiper et à rester sur le qui-vive. Elle peut être déclenchée par des stimuli dont nous ne prenons pas activement conscience, par exemple des indices associés à un traumatisme passé ou à des sensations corporelles.
Paniques
Une « attaque de panique » est une peur intense, d’une durée bien délimitée, qui survient brutalement, qui s’accompagne de fortes sensations physiques (palpitations, sensation d’étouffement, transpiration, tremblements, nausée), ainsi que d’un sentiment de danger imminent (perdre le contrôle de soi, devenir fou, mourir). Chacun peut en faire l’expérience s’il se trouve menacé de façon brusque et violente.
On parle de « trouble panique » lorsque des attaques de panique, non justifiées par les circonstances, se répètent, s’accompagnent de la crainte persistante du retour de crises ou provoquent un changement important de conduite. Au moins 2 % de la population générale souffrent de ce trouble.
Phobies
Une phobie est une peur excessive de certaines situations, accompagnée de leur évitement systématique ou d’une intense détresse en cas de confrontation forcée. Plus de 10 % de la population présentent au moins une ou plusieurs phobies gênantes. Dans le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4e éd.), on distingue l’agoraphobie, la phobie sociale et la phobie spécifique.
– L’agoraphobie est une peur irraisonnée de situations qu’on pense ne pas pouvoir quitter facilement ou dans lesquelles on croit ne pas pouvoir être rapidement secouru en cas de malaise. Ce concept regroupe la phobie de se trouver hors de chez soi, dans une foule, une file d’attente, un transport en commun, un tunnel, etc. La majorité des agoraphobies semblent déterminées par la peur qu’une attaque de panique survienne dans les situations redoutées. Certaines formes sont très invalidantes. Elles peuvent générer un état dépressif et une consommation excessive d’alcool ou d’anxiolytiques.
– La phobie sociale est une peur irraisonnée, intense et persistante de situations sociales. La personne redoute d’être évaluée ou critiquée, ce qui perturbe de façon importante ses relations avec autrui (rougissement, transpiration, etc.) et lui fait éviter des activités sociales (réceptions, exposés en public, etc.).
– Les autres phobies sont classées comme « phobies spécifiques ». Des stimuli particulièrement phobogènes sont, par ordre de fréquence décroissant, le vide perçu d’une hauteur (acrophobie), les serpents, les espaces clos (claustrophobie), les araignées, les blessures et le sang, les avions, les dentistes.
Le fait de souffrir d’une phobie ne peut être interprété a priori comme le symptôme d’une « névrose » ou d’une « personnalité pathologique ». Des accès de panique et des phobies peuvent apparaître chez des adultes dont le passé et la vie actuelle ne présentent guère de troubles particuliers.
Psychologie de la peur et des phobies
Dans la perspective de la psychologie scientifique, un trouble psychologique n’est pas interprété comme le « symptôme » d’une entité mentale inobservable (une névrose, un complexe, etc.), mais comme un mode de comportement déterminé par plusieurs facteurs environnementaux, physiologiques et psychologiques (en particulier la manière d’interpréter certains événements internes et externes).
Nous utilisons ici le mot « comportement » au sens large du terme, donc pas comme synonyme d’« action ». Selon cette acception, il désigne toute activité signifiante, directement ou indirectement observable, et présente toujours trois éléments : une dimension cognitive, une dimension affective et une composante motrice. Tout comportement prend place dans un environnement. Il est provoqué ou influencé par un ou des stimuli externes. Il est effectué en vue d’effets vécus comme appétitifs. Tout comportement agit sur l’état de l’organisme et, réciproquement, est influencé par celui-ci (notamment le degré de fatigue et d’activation du système nerveux autonome). Pour observer et analyser un comportement, il est donc nécessaire de tenir compte de six variables : ses trois dimensions (cognitions, affects, actions), le ou les stimuli antécédents, la ou les conséquences anticipées, les relations avec l’organisme. Ces variables sont en interaction1. Elles forment l’« équation comportementale », que l’on peut schématiser comme suit :
1.Pour plus d’informations sur la notion de comportement et la façon de mener des analyses comportementales, on peut consulter par exemple J. Van Rillaer (2003 ; en particulier les chapitres 5 et 6).
Les troubles anxieux sont toujours plurifactoriels. Selon le type de perturbation, certains facteurs ont plus de poids que d’autres. Ainsi, la variable « organisme » est centrale dans des attaques de panique induites par des troubles vestibulaires. Le contexte environnemental joue un rôle prépondérant dans la phobie des araignées inoffensives : cette peur est plus fréquente en Occident que dans d’autres régions.
Deux processus fondamentaux
Certaines situations – par exemple la menace d’une douleur corporelle – déclenchent automatiquement la peur ou l’angoisse. Lorsqu’un stimulus se trouve associé à une situation angoissante ou douloureuse, il peut devenir un signal de danger et dès lors provoquer lui-même une réaction de peur. Ce processus est appelé conditionnement classique ou pavlovien. On peut le définir comme le fait qu’un stimulus (S) reçoit une nouvelle signification car il est associé à un autre. À la suite de ce changement sémantique, le premier stimulus devient un « stimulus conditionné » (SC) et la réaction qu’il provoque une « réaction conditionnée » (RC). Si un état pénible survient dans un restaurant, ce lieu peut devenir un SC pour une RC d’anxiété.
Un deuxième processus observable dans bon nombre de troubles est un apprentissage opérant (appelé parfois « skinnerien » parce qu’il a été particulièrement bien étudié par Skinner). Tout comportement suivi de conséquences vécues comme appétitives tend à être répété dans certaines situations. L’effet anticipé peut être l’apparition de satisfaction, la diminution de souffrance ou l’évitement d’un événement pénible.
Il importe de distinguer deux phases dans les effets de l’échappement et l’évitement phobiques. Dans un premier temps, apparaît une conséquence appétitive : la diminution rapide de la peur, la restauration du sentiment de sécurité. Dans un second temps, des conséquences aversives se produisent : l’absence de vérification concrète de la réalité du danger, la croyance d’avoir échappé à la souffrance ou à la mort grâce à un comportement de fuite ou de sécurisation, le sentiment d’être incapable d’affronter les situations anxiogènes, le renforcement de la phobie.
Programmation génétique
Des psychologues (en particulier Seligman, 1971) ont défendu l’hypothèse d’une « préparation biologique des apprentissages » pour expliquer que les phobies des serpents ou des précipices sont plus fréquentes que la phobie des voitures, lesquelles sont cependant plus souvent associées à des accidents. Les situations depuis toujours dangereuses pour la survie de l’espèce provoqueraient plus facilement des phobies par un mécanisme mis lentement en place au cours de l’évolution de l’espèce. Cette hypothèse ne fait pas l’unanimité (pour une revue, voir Davey, 1997). Il est cependant évident que des processus cognitivo-affectifs, préprogrammés, favorisent les réactions de peur et donc des troubles anxieux.
Certaines réactions de peur sont innées. Par exemple, les enfants âgés de 8 à 24 mois manifestent de l’anxiété lorsqu’ils sont brusquement séparés de la personne qui prend habituellement soin d’eux. Par ailleurs, les mécanismes d’apprentissage pavlovien et opérant permettent le développement facile et rapide de réactions de peur et de protection vis-à-vis de tout stimulus perçu comme dangereux.
Un autre processus génétiquement programmé est la généralisation du stimulus, c’est-à-dire la diffusion de la signification d’un stimulus à des stimuli plus ou moins similaires auxquels il n’a pas été directement associé. La personne qui s’est fait agresser dans le garage de son immeuble peut ensuite ressentir de l’anxiété chaque fois qu’elle retourne dans ce garage, mais également dès qu’elle entre dans un parking public. La généralisation de la réaction survient d’autant plus facilement que le degré d’analogie entre la situation initiale et la situation nouvelle est fort.
Informations anxiogènes
Chacun sait que des informations visuelles ou verbales peuvent provoquer des réactions de peur. Il s’agit d’un mécanisme qui permet d’éviter des dangers réels, mais qui génère parfois de réels troubles anxieux.
Une source importante de troubles anxieux est l’observation directe de réactions d’autres personnes. Des recherches ont montré une corrélation élevée entre les peurs manifestées par l’enfant et par ses parents, surtout sa mère. Dans un premier temps, une information peut simplement rendre plus attentif à des risques potentiels. Ensuite, l’accroissement de la vigilance fait percevoir des détails qui, autrement, resteraient inaperçus. L’observation et le traitement des informations ultérieures se trouvent alors biaisés et conduisent à une amplification de la perception du danger. La peur a de grands yeux, dit un proverbe russe.
Activation orthosympathique
La stimulation du système orthosympathique mobilise les ressources énergétiques de l’organisme et provoque une intensification des réactions affectives. Si l’humeur est gaie, cette stimulation physiologique peut favoriser la joie et le rire. Si la tonalité affective est l’inquiétude, elle peut susciter l’angoisse ou la panique.
L’activation orthosympathique est déclenchée par la consommation de certaines doses de substances stimulantes (caféine, nicotine, vitamines, etc.), par l’activité physique intense et par les réactions affectives.
Une excitation importante du système végétatif ne diminue que lentement. Si une nouvelle stimulation se produit pendant la période de décroissance, elle s’additionne à l’excitation résiduelle, quelles que soient les tonalités affectives en jeu (processus du « transfert d’excitation »).
Interprétation de sensations corporelles
Des réactions de peur et de panique trouvent leur origine dans des sensations corporelles interprétées de façon dramatisante, quand bien même la personne ne risque aucun dommage réel.
Ces sensations sont souvent celles d’une activation orthosympathique provoquée par une réaction d’alerte, d’anxiété, d’irritation, de colère ou d’excitation sexuelle. Elles ne sont pas nécessairement provoquées par une situation vécue comme stressante. Il peut s’agir d’effets d’une respiration trop rapide et/ou trop profonde par rapport aux dépenses énergétiques (hyperventilation), de palpitations cardiaques dues à de la caféine ou à un effort physique, d’une brusque modification de la tension artérielle, de sensations d’étrangeté générées par une insuffisance de sommeil.