10. Pancréas et rate
Le type d’anastomose pancréaticojéjunale après duodénopancréatectomie céphalique diminue-t-il le taux de fistule pancréatique ? Résultats d’un essai randomisé bicentrique
Berger AC, Howard TJ, Kennedy EP et al.
Does type of pancreaticojejunostomy after pancreatico-duodenectomy decrease rate of pancreatic fistula ? A randomized, prospective, dual-institution trial. J Am Coll Surg 2009 ; 208 : 738-47.
Les auteurs concluent que l’anastomose pancréaticojéjunale avec invagination du moignon pancréatique diminue largement le taux de FP comparativement à l’anastomose réalisée sur le canal de Wirsung.
Alors que la mortalité après DPC est inférieure à 5 % dans les centres experts, la morbidité postopératoire reste toujours élevée, estimée en moyenne à 40 % [1], avec comme cause principale la FP (10 à 28,5 %) [2]. Prévenir cette complication reste donc un enjeu médical majeur.
Un seul essai randomisé à ce jour a comparé l’AC à l’anastomose sur la tranche pancréatique mais sans invagination de celle-ci [3], sans différence significative entre les deux groupes sur le taux de FP (13 % versus 15 %). L’invagination de la tranche pancréatique lors de l’anastomose pancréaticojéjunale semble donc, selon les résultats du présent essai, apporter un bénéfice majeur sur la diminution du taux de FP.
Même si une strate a été réalisée sur la texture du parenchyme pancréatique, il est regrettable que les patients avec parenchyme ferme aient été inclus dans cet essai, puisque la FP n’est pas le problème principal dans ce cas. Les résultats confirment d’ailleurs ce fait avec un taux de FP de 11 % dans le groupe AC versus 6 % dans le groupe AI en cas de parenchyme ferme, sans différence significative entre les groupes. Il n’y avait pas d’influence du diamètre du Wirsung sur le taux de FP dans ce travail.
Notons également que le chirurgien était une variable influençant en analyse multivariée la survenue d’une FP mettant en question la reproductibilité de la technique. Enfin, l’indice de masse corporelle (IMC) aurait probablement dû être pris en compte comme strate de randomisation, influençant significativement le taux de FP du fait d’une composante graisseuse plus importante du parenchyme pancréatique en cas d’IMC élevé.
Mots clés : Pancréas ; Duodénopancréatectomie céphalique ; Anastomose pancréaticojéjunale ; Invagination ; Essai randomisé
Références
[1] Ann Surg 1997 ; 226 : 248–257.
[2] Dig Surg 2004 ; 21 : 54–59.
[3] Surgery 2003 ; 134 : 766–771.
Quelle technique de fermeture de la tranche pancréatique après pancréatectomie distale ? Résultats d’un essai randomisé
Oláh A, Issekutz A, Belágyi T, Hajdú N, Romics L Jr.
Randomized clinical trial of techniques for closure of the pancreatic remnant following distal pancreatectomy. Br J Surg 2009 ; 96 : 602-7.
La fistule pancréatique et les collections liquidiennes intra-abdominales sont les principales complications après pancréatectomie distale. Plusieurs techniques ont été décrites dans le but d’obtenir une fermeture parfaite du moignon pancréatique. Cet essai randomisé a inclus 70 patients ayant bénéficié d’une pancréatectomie distale entre janvier 2002 et décembre 2006, comparant la fermeture par agrafage (n=35) à la fermeture par agrafage couplée à un patch séromusculaire de jéjunum (n=35). L’agrafage était réalisé par une pince à agrafage linéaire type TA® 55. La première anse jéjunale était patchée sur le moignon pancréatique, sans ouverture de la lumière digestive, en deux plans de points séparés de Monocryl® 4/0. Un drainage était placé au contact avec administration de Sandostatine® 100 μg, 3 fois par jour pendant cinq jours. Un scanner postopératoire était réalisé sur point d’appel clinique. L’objectif principal était le taux de fistule pancréatique (définition internationale de l’ISGPF) et/ou collections liquidiennes intra-abdominales. Les objectifs secondaires étaient les taux de gastroparésie et de réintervention et la durée médiane d’hospitalisation. Le taux de complications reliées à la section pancréatique était plus élevé dans le groupe agrafage seul (11 versus 4, p=0,041). Cependant, les taux de complications postopératoires significatives (fistule de grade B ou C et/ou collection liquidienne nécessitant un traitement) étaient comparables entre les deux groupes (5 versus 2, p=0,428), de même que le taux de réinterventions et la durée médiane de séjour.
Les auteurs concluent que couvrir la ligne d’agrafes pancréatiques par un patch séromusculaire de jéjunum est une méthode simple permettant de diminuer les complications postopératoires, telles que les fistules pancréatiques, mais plutôt lorsque celles-ci sont mineures.
L’incidence de la fistule pancréatique après pancréatectomie distale est élevée, de 10 à 30 % dans la littérature [1,2].
De nombreuses techniques ont été testées afin d’assurer l’étanchéité du moignon pancréatique (suture manuelle du moignon, agrafage, ligature du canal de Wirsung, agrafes résorbables, anastomose pancréaticojéjunale, invagination pancréatique avec différentes variations, section ultrasonique, patch séromusculaire digestif, colle biologique, application de mèche active… ou combinaison de ces techniques), sans diminution significative du taux de fistule postopératoire [3,4]. Les résultats présentés ici mettent en avant certes un avantage sur le taux de complications globales abdominales du patch séromusculaire, mais sans pour autant diminuer le taux de fistules graves (grades B et C) qui sont celles qui posent le plus de problèmes à gérer en postopératoire.
À noter que dans cet essai avec l’effectif retenu, une différence de 20 % sur l’objectif principal était attendue entre les deux bras, ce qui est très élevé. Une différence de 10 %, plus pertinente cliniquement, aurait nécessité l’inclusion d’environ 267 patients.
Un essai randomisé français multicentrique est actuellement en cours en France sous l’égide de FRENCH, cherchant à évaluer l’intérêt de l’application préventive du Tachosil® dans cette situation.
Références
[1] Ann Surg 1999 ; 229 : 693–8.
[2] Ann Surg 2007 ; 245 : 573–82.
[3] Ann Surg 2002 ; 68 : 264–7.
[4] Br J Surg 2005 ; 92 : 539–46.
Fistule pancréatique sévère après duodénopancréatectomie céphalique : anastomose pancréaticogastrique comme procédé de sauvetage
Bachellier P, Oussoultzoglou E, Rosso E, Scurtu R, Lucescu I, Oshita A, Jaeck D.
Pancreatogastrostomy as a salvage procedure to treat severe postoperative pancreatic fistula after pancreato-duodenectomy. Arch Surg 2008 ; 143 : 966-70.
Une fistule pancréatique (FP) survient chez 3 à 36 % des patients après duodénopancréatectomie céphalique (DPC) avec une mortalité moyenne de 5 % ; le principal facteur favorisant la fistule étant la texture du tissu pancréatique. De nombreuses mesures préventives ont été proposées, dont aucune n’a fait sa preuve en dehors de l’intubation du canal de Wirsung aux résultats encourageants [1]. Le type d’anastomose, pancréaticogastrique (APG) ou pancréaticojéjunale (APJ), n’influence pas le taux de fistule [2]. Le traitement curatif de ces fistules est le plus souvent conservateur, néanmoins une réintervention peut être rendue nécessaire par une péritonite, une hémorragie ou un abcès inaccessible à un drainage percutané, obligeant à de multiples drainages, voire une totalisation de la pancréatectomie, notamment dans les fistules sévères de grade C [3]. Les auteurs proposent de traiter les fistules pancréatiques sévères (grade C) par une APG comme alternative à une pancréatectomie totale.
L’étude porte sur 12 cas de fistules grade C parmi 403 DPC, dont 85 APJ et 318 APG. Parmi ces 12 patients, huit ont eu une pancréatectomie totale (PT) et quatre, une APG. Les patients avec une péritonite généralisée et une pancréatite aiguë du pancréas restant ont eu une PT avec drainages multiples, avec 50 % de décès (quatre sur huit) et un diabète pour les quatre survivants. Dans le groupe APG, le pancréas restant était partiellement conservable et une APG réalisable sur le moignon pancréatique après résection de la tranche nécrosée. Aucun décès n’était relevé dans ce groupe avec un seul cas de diabète. La morbidité globale pour les deux groupes était importante (83 %, dix sur 12 patients) avec notamment fistule biliaire, occlusion, éventration et complications générales. Cinq patients du groupe PT avaient été réopérés (péritonite biliaire n=4, éventration n=1, occlusion n=1) et un patient sur quatre dans le groupe APG (péritonite biliaire). La durée d’hospitalisation était semblable dans les deux groupes.
Les auteurs concluent que, pour des patients sélectionnés, une APG peut être une alternative efficace à la PT dans le traitement des fistules pancréatiques sévères après DPC.
L’alternative proposée à la pancréatectomie totale, à savoir l’anastomose pancréaticogastrique, paraît très intéressante, même si les cas sélectionnés sont peu nombreux (quatre patients) et bien que les deux groupes comparés ici ne sont probablement pas comparables, notamment en raison du caractère conservable dans un groupe et non conservable dans l’autre du moignon pancréatique. On ne peut donc rien conclure ici, d’autant que le nombre de patients est très faible.
Une étude prospective, en intention de traiter et à plus grande échelle, a priori multicentrique du fait du faible nombre de patients inclus ici, malgré une large expérience, est nécessaire.
Cela ne règle pas le traitement des fistules sévères de grade C après anastomose pancréaticogastrique initiale, intervention réalisée majoritairement par les auteurs (79 % des cas).
Références
[1] Ann Surg 2007 ; 246 : 425–33.
[2] J Chir 2008 ; 145 : 103–14.
[3] Ann Surg 2007 ; 246 : 966–74.
Caractéristiques des fistules pancréatiques tardives
Pratt WB, Callery MP, Vollmer CM Jr.
The latent presentation of pancreatic fistulas. Br J Surg 2009 ; 96 : 641-9.
Après une résection pancréatique, une fistule pancréatique (FP) peut se révéler tardivement malgré un dosage normal dans les drainages des premiers jours postopératoires. Leur révélation se fait alors que les drains ont souvent déjà été retirés. Sur une série de 405 patients, 107 FP sont apparues (26,4 %) dans les suites immédiates. Des FP tardives sont survenues chez 20 patients (4,9 % de toutes les résections, 18,7 % des FP, 36 % des FP avec signes cliniques). Ces FP survenaient particulièrement après pancréatectomie centrale (22 %), après DPC (5,1 %) ou pancréatectomie gauche (3,2 %). Les suites immédiates de ces 20 patients avaient été simples avec un drainage qui donnait en moyenne 65 cm3 au sixième jour avec dosage d’amylase normal. La FP s’exprimait en général au dixième jour avec douleurs abdominales (18 sur 20), fièvre, écoulement abondant par le drain (en moyenne 200 cm3, pour ceux qui l’avaient encore) ou signes d’infections de paroi. Un drainage était alors réalisé par une voie percutanée ou chirurgicale après un scanner montrant une collection péripancréatique (17 sur 20). Par rapport aux FP postopératoires immédiates, ces FP tardives étaient responsables d’un taux d’infection deux fois supérieur et beaucoup plus sévère (40 % de grade C), avec réinterventions plus agressives, réanimation plus lourde, des hospitalisations plus longues et un coût plus élevé. Les facteurs prédictifs de FP tardive étaient l’âge avancé du patient et un faible diamètre du Wirsung. Trois types de FP tardives étaient isolés : type I (six sur 20) avec un drainage transcutané possible et pour la majorité des suites favorables ; type II (huit sur 20) nécessitant à chaque fois une réintervention avec reprise de la pancréaticojéjunostomie ; type III (six sur 20) en général chez des sujets d’un âge avancé avec un petit diamètre du Wirsung, chez des patients en situation critique, nécessitant un long séjour en réanimation et plusieurs réinterventions.
La conclusion des auteurs est que de nombreux patients avec une FP n’ont pas initialement un écoulement riche en amylase par les drains. Ces FP tardives sont très graves. Le contexte clinique est important et doit être pris en compte précocement avec les paramètres biologiques.
Le taux de FP tardive est élevé et représente un tiers des FP à expression clinique. Elles se révèlent souvent uniquement par un syndrome fébrile ou des douleurs. Particulièrement pour les sujets à risque, âgés ou ceux ayant un petit diamètre du canal de Wirsung, une surveillance clinique rapprochée et scannographique à la moindre suspicion, voire en systématique, doit être proposée.
Une prolongation du drainage postopératoire est à discuter, certains auteurs ayant suggéré que celui-ci pouvait être à l’origine d’abcès et de fistules [1]. Le drain peut par ailleurs s’exclure rapidement n’assurant plus son rôle de drainage.
Aucune mesure préventive n’a fait formellement la preuve de son efficacité sur la prévention des fistules, même si une anastomose pancréaticogastrique [2] ou une anastomose pancréaticojéjunale avec invagination [3] pourraient permettre un taux plus faible de FP.
Mots clés : Pancréas ; Pancréatectomie ; Fistule tardive
Références
[1] Ann Surg 2001 ; 234 : 487–93.
[2] Br J Surg 2006 ; 93 : 929–36.
[3] J Am Coll Surg 229 ; 208 : 738–49.
Complications ischémiques après duodénopancréatectomie céphalique
Gaujoux S, Sauvanet A, Vullierme MP, Cortes A, Dokmak S, Sibert A, Vilgrain V, Belghiti J.
Ischemic complications after pancreaticoduodenectomy : incidence, prevention, and management. Ann Surg 2009 ; 249 : 111-7.
• pour le TC s’il existait une opacification rétrograde de l’AGD et des AP ;
• pour l’AMS si elle était opacifiée par voie rétrograde par les AP.
La suspicion d’un ligament arqué ne justifiait pas une artériographie, mais un simple test de clampage de l’AGD en peropératoire avec un écho-Doppler de l’artère hépatique immédiat en cas de positivité du test. L’existence d’une sténose entraînait la pose d’un stent trois à 24 semaines avant la DPC ou sa reconstruction en cours de DPC. La section d’un ligament arqué était faite en peropératoire et son efficacité testée par le clampage de l’AGD et un test Doppler. Il y a eu 62 sténoses artérielles détectées (11 %), dont sept par sténose athéromateuse et 55 par ligament arqué, dont seules 27 (5 % de cette population) étaient significatives. Quatre sténoses athéromateuses (2 TC+2 AMS) ont justifié la pose d’un stent préopératoire (n=3) ou d’un bypass (n=1) tout comme 23 sténoses par ligament arqué dont la section a été un succès pour 20 sur 23 patients (87 %). La mortalité et la morbidité étaient de 2,6 % (n=14) – majoritairement par complication ischémique – et 41 % (n=224), respectivement. Une complication ischémique a été observée chez six patients, principalement dépistée à j1, dont l’origine était une blessure peropératoire de l’artère hépatique (n=4), une sténose de l’AMS non reconnue (n=1), une dysplasie fibromusculaire du TC (n=1) ; cinq sur six de ces patients sont décédés (36 % de la mortalité globale) malgré des tentatives de revascularisation. La sensibilité du scanner multibarrettes était de 96 % avec une exactitude de 92 %.
La conclusion des auteurs est que les complications ischémiques sont une cause sous-estimée de décès après DPC, liées à une sténose du TC ou de l’AMS ou à une blessure peropératoire de l’artère hépatique. Ces complications peuvent être réduites par la pose d’un stent préopératoire, la section d’un ligament arqué ou une dissection très méticuleuse de l’artère hépatique.
Il s’agit de la première étude comportant un grand nombre de patients, sur un sujet rarement évoqué, pourtant à l’origine d’un tiers de la mortalité globale, avec une méthodologie particulièrement claire.
Cependant, il faut noter que la majorité des complications ischémiques postopératoires (4/6) étaient liées à un traumatisme peropératoire de l’artère hépatique, qui est un problème un peu différent.
La question posée est donc : faut-il faire un dépistage systématique d’une sténose vasculaire avant DPC ou faut-il le réserver aux sujets « âgés » ? Plusieurs centres spécialisés se contentent d’un test de clampage de l’AGD [1], ce qui n’apparaît pas suffisant pour les auteurs de ce travail, un tiers des décès ayant une cause ischémique.
Le scanner multibarrettes est une méthode peu invasive, avec une exactitude de 92 %, permettant de dépister aisément un ligament arqué, représentant 85 % des sténoses et de traitement peropératoire bien codifié [2].
Références
[1] Am J Surg 1998 ; 176 : 352–6.
[2] J Chir 2008 ; 145 : 466–9.
Importance de la marge de résection après exérèse pancréatique pour cancer
Chang DK, Johns AL, Merrett ND et al.
Margin clearance and outcome in resected pancreatic cancer. J Clin Oncol 2009 ; 27 : 2855-62.
Plus de 80 % des patients ayant eu une résection pancréatique potentiellement curative développent des métastases hépatiques, sans récidive locale identifiable, ce qui suggère que la maladie micrométastatique est présente au moment de la résection [1]. L’étude d’une marge de résection permet une bonne évaluation du pronostic. La corrélation entre l’envahissement des marges de résection et la survie à long terme était étudiée chez 365 patients après pancréatectomie pour adénocarcinome (TIPMP et kystes mucineux exclus) à visée curative (sans maladie résiduelle macroscopique). Le suivi médian était de 15,6 (0–168,6) mois. À la fin de l’étude, 14,8 % étaient en vie. La mortalité à 30 jours était de 4,1 % avec 77,3 % (n=288) des patients décédés du cancer pancréatique, soit une survie actuarielle de 23,8 % et de 11,3 % à trois et cinq ans respectivement, en éliminant les autres causes de décès. La taille tumorale moyenne était de 20 mm et des adénopathies métastatiques étaient présentes chez 60 % des patients, une invasion périneurale chez 70 % et vasculaire chez 45 %. Une chimiothérapie adjuvante a été administrée chez 26 % des patients. En analyse multivariée, seuls la localisation tumorale (tête vs queue), la taille tumorale, l’envahissement de la marge, la présence de ganglions métastatiques, l’invasion vasculaire et un traitement par chimiothérapie adjuvante étaient des facteurs indépendants de la survie. Il y avait 132 patients avec une marge de résection positive R1 (à 0 mm). Concernant les autres patients, en étudiant les tranches de section tous les 0,5 mm, la survie devenait équivalente à partir d’un envahissement supérieur ou égal à 2 mm de la marge par rapport à des marges plus largement saines. Pour ceux avec une marge envahie inférieure ou égale à 1,5 mm, la survie était équivalente à ceux porteurs d’une marge de section immédiatement envahie.