3. Méthodes urodynamiques
Introduction
La vessie étant souvent une « grande simulatrice », l’évaluation des symptômes de la dysfonction du bas appareil urinaire est difficile, non seulement du fait de biais de subjectivité du patient et du clinicien, mais aussi parce que les symptômes se recoupent en grande partie pour des pathologies différentes. Les techniques urodynamiques sont une évaluation objective bien utile pour mettre au clair ces symptômes. Le terme « urodynamique » recouvre une variété de techniques complémentaires plus ou moins complexes (tableau 3.1).
Complexité de la technique | Technique |
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Simple – relevé | Relevé des mictions/horaires Relevé des fréquences/volumes Calendrier mictionnel |
Simple – examen | Pad test Débitmétrie±résidu échographique Échocystodynamogramme Urodynamogramme intraveineux |
Études pression/volume (chapitre 4) | Cystomanométrie Mesure de la pression de fuite Vidéo-urodynamique Urodynamique ambulatoire |
Examens complexes | Mesure de la pression urétrale Examen neurophysiologique Urodynamique du haut appareil (Whitaker) |
Dans ce chapitre seront présentées les indications et la méthode de ces différentes techniques en regard de présentations cliniques fréquentes. L’essentiel des investigations urodynamiques invasives sont les études pression/volume qui seront revues en détail au prochain chapitre (chapitre 4). Une revue plus détaillée des troubles urinaires du bas appareil les plus fréquents et leur corrélation urodynamique sera fournie dans les autres chapitres.
Indications des évaluations urodynamiques
Seule une bonne compréhension des différentes techniques et de leur méthode, des limites et des indications spécifiques peut permettre au clinicien de choisir le test le plus approprié. Dans beaucoup de cas, un certain nombre d’investigations sont nécessaires pour répondre à toutes les questions cliniques, tandis que des investigations plus poussées peuvent être requises si l’examen de première intention n’est pas contributif ou amène à une nouvelle question.
Avant d’en venir à la moindre investigation urodynamique, ces questions doivent être posées :
▪ Y a-t-il une indication claire de pratiquer le test choisi ?
• Cela aidera-t-il au diagnostic ?
• Cela aidera-t-il à une décision de prise en charge ?
▪ Est-ce le test le plus approprié ?
• Un test plus simple ne répondrait-il pas à la question ?
• Un test plus complexe ne pourrait-il pas répondre à l’ensemble des questions soulevées par la clinique ?
▪ Existe-t-il localement les moyens et l’expertise pour la réalisation du test choisi ?
▪ Est-ce la bonne personne, qui comprend l’état du patient, qui est en train de réaliser le test ?
Standardisation et contrôle de qualité
L’urodynamique devrait toujours être pratiquée de manière standardisée, non seulement pour maintenir la qualité des données, mais aussi pour permettre la comparaison des résultats si le patient a plusieurs investigations. En outre, une technique standardisée et un enregistrement des données selon la terminologie admise permet un échange précis et une comparaison de l’information, que ce soit à des fins cliniques ou expérimentales. La terminologie officielle proposée par l’International Continence Society (ICS) est utilisée tout au long de cet ouvrage. Les investigations doivent cependant toujours être faites sur mesure pour chaque patient, de sorte que les questions cliniques sont posées simplement et sans perdre de temps à colliger des données dénuées de toute pertinence.
Maintenir la qualité des études suppose aussi que les équipements soient à jour et régulièrement étalonnés, avec une connaissance suffisante des incidents qui peuvent survenir en cours d’examen.
Dans tous les cas, une mesure précise et une documentation complète doivent aller de pair avec une analyse précise et un relevé critique des résultats. Cependant, il faut garder à l’esprit que, même si ces tests objectifs peuvent être grandement standardisés, il reste un élément subjectif dans l’interprétation des résultats. L’urodynamique n’est pas une science exacte !
Objectifs du bilan urodynamique
L’objectif principal de toute évaluation urodynamique est de reproduire les symptômes en effectuant une mesure physiologique, de façon à déterminer la physiopathologie qui sous-tend les symptômes.
La nature précise du désordre et sa sévérité peuvent tout à la fois être mises en évidence, permettant ainsi au clinicien de comprendre les implications cliniques et de programmer une prise en charge ultérieure adaptée.
L’urodynamique en pratique
Objectifs du bilan urodynamique
• Reproduire les symptômes pénibles
• Répondre à des questions cliniques spécifiques
• Établir précisément un diagnostic
• Déterminer la sévérité de l’état
• Programmer d’autres examens ou traitements
Dans la plupart des cas, les indications pour pratiquer un bilan urodynamique sont claires et sa réalisation correcte est indispensable à la pratique actuelle de l’urologie, de la gynécologie ou de toute spécialité en charge de la dysfonction du bas appareil urinaire.
Remarques cliniques
Toujours rechercher une infection urinaire avant un bilan urodynamique
• Les infections urinaires sont une cause fréquente de troubles urinaires du bas appareil (TUBA).
• Une infection urinaire peut aggraver des TUBA.
• La présence d’une infection urinaire peut fausser les résultats d’un bilan urodynamique :
– en augmentant la sensibilité vésicale (± douleur ou gêne) ;
– en provoquant une hyperactivité détrusorienne ;
– en diminuant la compliance vésicale.
• Une antibioprophylaxie peut être utile chez des patients avec infections récidivantes, en permettant de pratiquer l’examen avec des urines stériles.
Calendriers mictionnels
Les calendriers mictionnels sont les plus simples de toutes les évaluations urodynamiques, bien que leur valeur soit parfois sous-estimée. Ils fournissent un précieux enregistrement de la fonction vésicale.
Indications et objectifs
Les calendriers mictionnels sont simples, non invasifs, et constituent une part essentielle de toute évaluation initiale de patients avec TUBA, particulièrement en cas de symptômes de remplissage, tels que la pollakiurie ou l’incontinence.
Ils précisent la façon de vider la vessie, la sévérité des symptômes et apportent de l’objectivité à l’interrogatoire. Ils précisent aussi l’impact sur la vie du patient et permettent de souligner les « stratagèmes » adoptés par le patient pour faire face à ses symptômes. Les calendriers sont également utiles à l’identification d’une physiopathologie d’origine rénale telle qu’une production d’urine dérégulée sur le nycthémère.
Différents calendriers sont définis par l’ICS1.
▪ Niveau 1 – Relevé des horaires de miction : seules les heures de vidange sans donnée volumétrique sont reportées.
▪ Niveau 2 – Relevé fréquence/volume : enregistre l’heure et le volume de chaque miction.
▪ Niveau 3 – Catalogue mictionnel : enregistre l’heure et le volume de chaque miction, et comporte aussi d’autres données comme les épisodes de fuites, l’usage de protections, les apports liquidiens et les épisodes d’urgenturie (tableau 3.2).
Semaine débutant le : / / | ||||||||||||||
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Lundi | Mardi | Mercredi | Jeudi | Vendredi | Samedi | Dimanche | ||||||||
Ent | Sort | Ent | Sort | Ent | Sort | Ent | Sort | Ent | Sort | Ent | Sort | Ent | Sort | |
6 h | 300 | 350 | 200 | 190 | ||||||||||
7 h | 200 | 250 | 350 | 100 | 170 | |||||||||
8 h | 50 | 150 | 250 | 190 | ||||||||||
9 h | 250 | 150 | 100 | 150 | ||||||||||
10 h | 150 | 200 | 100 | |||||||||||
11 h | 175 | 100 | 175 | 200 | 180 | |||||||||
12 h | 250 | 100 | 150 | 130 | ||||||||||
13 h | 200 | 200 | ||||||||||||
14 h | 190 | F | 130 | 150 | 175 | 270 | ||||||||
15 h | F | 100 | F | 270 | ||||||||||
16 h | F | |||||||||||||
17 h | 300 | 200 | 150 | 200 | 150 | F | F | |||||||
18 h | 190 | 200 | ||||||||||||
19 h | 75 | F | 150 | 100 | 180 | |||||||||
20 h | 100 | 200 | 175 | |||||||||||
21 h | 150 | 100 | 120 | |||||||||||
22 h | 150 | 175 | 190 | 175 | ||||||||||
23 h | 100 | 100 | ||||||||||||
00 h | 50 | F | 100 | 100 | ||||||||||
1 h | 100 | |||||||||||||
2 h | F | F | F | 120 | ||||||||||
3 h | 120 | |||||||||||||
4 h | ||||||||||||||
5 h | 150 | |||||||||||||
Réveil | 6 h | 7 h 45 | 7 h 30 | 7 h | 6 h 30 | 7 h 45 | 7 h 40 | |||||||
Coucher | 00 h 30 | 23 h 30 | 00 h 51 | Minuit | Minuit | 00 h 30 | 23 h 30 | |||||||
Nbre de protections | 3 | 1 | 2 | 4 | 3 | 5 | 2 |
Méthode et standardisation
Il est demandé aux patients de relever le plus précisément possible l’heure des événements tels que la vidange ou les épisodes de fuites sur le calendrier, et de mesurer le volume au moyen d’un verre gradué. Il leur est en outre demandé de préciser les heures de réveil et de sommeil. Il faut dire aux patients de poursuivre leurs activités normalement pendant le recueil, de façon à obtenir une représentation précise de leur fonctionnement habituel du bas appareil urinaire. L’ICS recommande que les catalogues soient réalisés sur au moins 24 heures, mais en pratique une période de 3 à 7 jours est choisie. Les patients se font facilement à leur réalisation pour de courtes périodes.
Constatations fréquentes
▪ Normalité de la fréquence et des volumes.
▪ Hausse de la fréquence et volumes normaux – impliquant donc une hausse de la diurèse des 24 heures et évoquant une hausse des apports. Peut être en rapport avec un diabète sucré mais est isolément plus fréquent, particulièrement du fait des régimes riches en eau.
▪ Volumes réduits avec des variations minimes des volumes vidangés évoquant une pathologie de la paroi vésicale comme une cystalgie/cystite interstitielle/syndrome douloureux de la vessie ou un carcinome in situ. (N.B. : un volume anatomique mesuré sous anesthésie générale confirmera la réduction de capacité vésicale due à des causes anatomiques comme une fibrose ou une vessie rétractée. Une réduction de la capacité anatomique implique souvent une faible probabilité d’amélioration par les traitements conservateurs.)
▪ Volumes réduits et variables évoquant une hyperactivité détrusorienne sous-jacente puisque la vessie se contracte à des degrés de distension différents avant la capacité maximale, en informant à tort le patient d’une réplétion ; cela a pour résultat une augmentation de la fréquence des mictions de volumes bas mais variables.
▪ Hausse de la production nocturne (polyurie nocturne) évoquant une insuffisance cardiaque, et dépendant des mouvements de fluides en position allongée, ou d’une anomalie hormonale de l’équilibre des fluides ou idiopathique. Il ne s’agit pas d’une pathologie urologique.
Les calendriers mictionnels ne doivent pas être surinterprétés, mais utilisés en association avec les autres évaluations urologiques ou urodynamiques (tableau 3.3).
Fréquence diurne | Nombre de vidanges aux heures d’éveil |
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Nycturie | Nombre de vidanges aux heures de sommeil et suivies et précédées de sommeil |
Fréquence sur 24heures | Nombre total de vidanges par 24heures |
Production sur 24heures | Volume total des urines par 24heures |
Polyurie | Vidange de plus de 2,8litres par 24heures |
Volume uriné la nuit | Volume total uriné aux heures de sommeil, à l’exception de la dernière vidange avant le coucher mais comprenant la vidange du réveil |
Polyurie nocturne | Quand une proportion croissante des urines de 24heures est produite la nuit, habituellement plus de 33 % (mais âge-dépendant) |
Volume uriné maximal (en remplacement de « volume fonctionnel ») | Le plus grand volume vidé en une seule miction. Particulièrement important pour décider jusqu’où remplir la vessie au cours du bilan et éviter de trop remplir |
Usage de protections | Nombre de protections utilisées sur une période donnée |
Fréquence des épisodes de fuites | Nombre des épisodes de fuites sur une période donnée |
Fréquence des épisodes d’urgenturie | Nombre des épisodes d’urgenturie sur une période donnée |
Apports liquidiens | Volume des apports liquidiens sur une période donnée |
Rééducation vésicale
Outre leur valeur diagnostique, les calendriers mictionnels ont une valeur thérapeutique et peuvent fournir d’importantes informations, utiles au traitement de la dysfonction vésicale. Ils sont particulièrement utiles pour fournir des informations de contrôle (biofeedback) durant la rééducation vésicale par exercices, notamment pour les patients avec petits volumes et incontinence par urgenturie. Ils offrent aussi un contrôle important au praticien et au patient, permettant ainsi d’évaluer le bénéfice d’un traitement.
Remarques cliniques
Exemple de programme de rééducation vésicale
Pour contrôler votre problème de vessie, il vous faut rééduquer votre vessie et apprendre à résister aux faux besoins précoces. La rééducation de votre vessie vous aidera à contrôler les fuites et vous pouvez pour cela essayer de vous retenir aussi longtemps que possible avant de laisser passer l’urine.
• Il est primordial de ne pas restreindre votre consommation en liquides.
• Lorsque vous ressentez le besoin de vider la vessie, réprimez cette sensation urgente jusqu’à ce qu’elle disparaisse ou diminue.
• Au début, cela vous semblera difficile mais deviendra de plus en plus facile si vous persévérez.
• Vous asseoir sur un siège dur peut vous aider à vous retenir plus longtemps. Pour vous aider à penser à autre chose, vous pouvez respirer profondément, compter à rebours à partir de 100, etc.
• Contracter le périnée (manœuvre de Kegel) peut aussi vous aider à réprimer le besoin.
• S’il vous a été prescrit des médicaments pour vous aider à uriner moins fréquemment, prenez-les aussi régulièrement qu’il est prescrit.
• Vous pouvez vous fixer comme objectif de réduire votre nombre de mictions à 5 ou 6 par 24heures.
Rappelez-vous :
Vous essayez de rééduquer votre vessie de sorte qu’elle contienne plus d’urine. Bien que cela puisse paraître difficile au début, cela deviendra plus facile avec l’entraînement.
Exemples de modes de rééducation :
Les patients ont pour consigne :
• de se retenir pour un temps fixé, comme une heure ;
• d’utiliser le programme de rééducation vésicale pour supprimer les besoins pressants ;
• et d’augmenter progressivement l’intervalle entre deux mictions (par exemple de 15minutes par semaine) jusqu’à l’obtention d’un schéma mictionnel acceptable.
Pad test (test de pesées des protections)
Le pad test est une méthode simple, non invasive et objective de diagnostic et de quantification d’une incontinence urinaire. Il est de réalisation et d’interprétation simples et fournit une information de grande valeur.
Indications et objectifs
Le principal objectif est de déterminer la quantité d’urines émises par fuites durant une période donnée, par exemple une heure, permettant ainsi de quantifier la sévérité d’une incontinence pour le clinicien et le patient, puisque fréquemment le degré d’incontinence ne ressort pas facilement de l’interrogatoire. En outre, le test est particulièrement utile pour confirmer l’existence d’une incontinence quand d’autres tests comme les études pression/volume ont échoué à le faire.
Méthode et standardisation
Pour obtenir un résultat représentatif, notamment dans un contexte d’incontinence variable ou intermittente, la période de test doit être aussi longue que possible dans les circonstances de la vie de tous les jours, mais doit également être réalisable. Le test de pesée doit être réalisé selon un protocole standardisé et l’ICS a fourni des lignes directrices concernant le pad test sur une heure.
L’urodynamique en pratique
Pad test sur une heure
L’International Continence Society a proposé les recommandations suivantes.
• Le test doit être réalisé sur une heure de temps pendant laquelle sont réalisées une série d’activités banales.
• Le test peut être poursuivi pour une heure supplémentaire si les résultats de la première heure sont considérés comme non représentatifs par le patient ou l’examinateur ; une alternative consiste à répéter le test après remplissage de la vessie par un volume donné.
• Le volume total d’urine perdue durant le test est quantifié par la pesée de la garniture absorbante, de la couche ou de l’étui pénien utilisé (s’assurer que le dispositif a une capacité suffisante).
• La garniture ou la couche doit être portée dans des sous-vêtements imperméables ou doit avoir une doublure imperméable.
• Le dispositif de recueil est pesé au gramme près juste avant le test.
Réalisation typique du test
• Le test est débuté sans miction préalable du patient.
• Les dispositifs de recueil préalablement pesés sont mis et la première période de test débute.
• Le patient boit un demi-litre de liquide sans sel en une courte période (15 minutes au maximum), puis s’assoit ou se repose.
• Le patient marche pendant une demi-heure, avec la montée et la descente d’un escalier.
• Pour la période restante, le patient réalise les activités suivantes : se lever 10 fois depuis la position assise, tousser énergiquement 10 fois, faire du sur-place au pas de course pendant 1 minute, se pencher 5 fois pour ramasser des objets au sol, se laver les mains sous l’eau qui coule 1 minute.
• En fin de période, le dispositif de recueil est retiré puis pesé. La différence de poids est notée. Une différence de moins de 1 g est dans la marge d’erreur et le patient doit être considéré comme sec.
• Si le test est considéré comme représentatif : le sujet urine et le volume est mesuré. Sinon, le sujet recommence le test avant d’uriner.
• Si le dispositif de recueil est saturé ou plein avant la fin, il est retiré, pesé et remplacé par un neuf.
• Le programme doit être adapté aux capacités physiques du patient.
En pratique
▪ Le poids total de l’urine perdue durant le test est supposé égal au gain de poids mesuré du dispositif de recueil. Un gain inférieur à 1 g en une heure n’est pas considéré comme un signe d’incontinence, puisque cette différence peut être attribuée aux erreurs de mesures, à la transpiration ou à des pertes vaginales.
▪ Le test doit être pratiqué en dehors des règles.
▪ Un résultat négatif doit être interprété avec précaution ; il est peut-être nécessaire de répéter le test ou de le mener sur une période plus longue.
▪ Tout écart du schéma de réalisation du test doit être noté pour que le même schéma puisse être appliqué ultérieurement.
▪ En principe, les patients ne doivent pas uriner durant le test. S’ils ressentent une urgenturie, ils doivent être incités à différer la miction et à réaliser autant d’activités que possible parmi celles prévues pour les dernières 15 à 30 minutes, de manière à détecter des fuites.
▪ Avant d’uriner, le dispositif de recueil est retiré pour être pesé. Les patients peuvent sinon influencer le test en urinant dans le dispositif de recueil.