13. Malades Psychosomatiques
A. Bécache
ÉVOLUTION DES IDÉES
Dès l’Antiquité, on a su que les sentiments et les émotions avaient un retentissement sur le corps, mais il a fallu attendre les progrès de la médecine moderne pour établir l’existence des mécanismes par lesquels l’émotion était à l’origine d’une maladie, avec ses caractères et son évolution propres.
Le terme psycho-somatique fut utilisé pour la première fois par Heinroth en 1818. Au siècle suivant, les découvertes de S. Freud permirent une meilleure compréhension de ces phénomènes, étudiés à Vienne par F. Deutsch, qui réintroduisit ce mot en 1922, par Groddeck, puis par de nombreux psychanalystes américains, tels que H. F. Dunbar; F. Alexander, de Chicago; Weiss et English, de Philadelphie. L’extension que connaît maintenant le mouvement psychosomatique a été le résultat des travaux de neuro-physiologistes comme Jackson, Cannon, Hess; de l’école réflexologique russe, orientée à la suite de Pavlov et Bykov vers la pathologie cortico-viscérale; des auteurs de langue allemande, Von Uexküll, Mitscherlich, M. Boss; des auteurs français, Fain, Marty, de M’Uzan, David; et en Grande-Bretagne, de M. Balint.
Actuellement, l’attitude psychosomatique correspond à une conception de la médecine. Plutôt que de considérer une médecine des organes, elle met l’accent sur une médecine générale de l’organisme, dans une approche globale, holistique, de l’individu malade. Cette conception, héritière de l’école hippocratique de Cos, postule l’unité psychosomatique de l’homme qui peut être le siège de phénomènes morbides; ceux-ci peuvent être étudiés de façon complémentaire sous l’angle psychologique ou sous l’angle physiologique. Dans cet esprit, on pourrait dire que tout malade est psychosomatique.
Mais il existe un courant de recherches pour lequel la médecine psychosomatique «est une branche de la médecine qui concerne l’étude des phénomènes de l’esprit et leur signification dans l’apparition et le développement des maladies affectant le corps» (Von Uexküll). Dans l’étiologie de maladies à manifestations somatiques, telles que l’hypertension artérielle, l’asthme, l’ulcère gastrique, les observations cliniques ont attribué un rôle important aux facteurs psychologiques et à la personnalité des malades. Chez ce type de malades psychosomatiques souffrant d’affections que l’on appelle aussi névroses d’organe, l’examen clinique met en évidence l’existence de conflits intrapsychiques.
ESSAI DE DÉFINITION
Arrivé à ce point de notre étude, on ne peut manquer d’être frappé par la difficulté que l’on éprouve à cerner le champ psychosomatique, ainsi que par la contradiction existant entre les deux acceptions du terme psychosomatique, selon qu’on l’élargit à la médecine tout entière ou qu’on le restreint à certains troubles. Admettre l’existence d’un groupe de maladies psychosomatiques ne reviendrait-il pas à réintroduire le dualisme corps-esprit en rejetant la conception unitaire pour le reste de la médecine? Il y a là un paradoxe, auquel il est difficile d’apporter une réponse satisfaisante.
De même, il est délicat de situer la frontière entre les maladies psychosomatiques et les autres maladies, car l’importance des facteurs psychologiques varie par degrés insensibles d’un extrême à l’autre.
C’est ainsi que l’on peut parcourir la gamme des maladies, depuis celles où les facteurs biologiques, toxi-infectieux, traumatiques ou génétiques jouent un rôle étiologique prépondérant, jusqu’aux affections où les facteurs psychosociaux sont manifestement déterminants, sous la forme d’émotions, de conflits actuels ou anciens. Mais qu’il s’agisse d’organogenèse ou de psychogenèse prévalente, qu’il s’agisse d’expressions pathologiques somatiques ou mentales, il faudrait cependant ne pas perdre de vue l’unité psychosomatique de l’homme malade.
Quoi de plus mécanique qu’un traumatisme? Et pourtant combien d’accidents sont-ils des actes manqués, entrant dans le cadre de la psychopathologie de la vie quotidienne! Ce sont souvent les mêmes sujets qui sont victimes de traumatismes, leur propension aux accidents relevant d’un facteur émotionnel qui perturbe leur équilibre affectif.
Un autre exemple illustrant ces interactions est fourni par la tendance à souffrir de refroidissements. Les déséquilibres émotifs affectent le tonus vasculaire, notamment au niveau des voies respiratoires supérieures qui hébergent des bactéries ou des virus saphrophytes. L’état mental intervient donc de façon indirecte, mais réelle, dans la résistance aux maladies infectieuses, en influant sur le terrain où les germes pathogènes exercent leur action.
On peut retenir cette citation de Weiss et English: «La médecine psychosomatique n’accorde pas moins d’importance que la médecine générale aux facteurs organiques, mais elle en accorde plus aux facteurs psychiques, remettant ainsi en valeur un principe ancien, selon lequel l’esprit et le corps ne sont pas des éléments opposés, mais interdépendants». Les malades psychosomatiques ne peuvent donc pas être définis comme des malades qui présenteraient des caractéristiques mentales particulières, ni comme des sujets qui souffriraient d’une pathologie à symptomatologie double, mentale et somatique, voire fonctionnelle sans substratum organique.
ÉTIOPATHOGÉNIE
On peut avoir à observer des malades qui présentent des troubles fonctionnels sans atteinte organique ou mentale décelable; ou bien des malades porteurs de lésions s’accompagnant de symptômes découlant de facteurs psychologiques; ou bien encore des malades qui ont des symptômes neuro-végétatifs, comme un asthme, une hypertension artérielle…
Si l’on veut comprendre les symptômes dans leur étiologie, c’est-à-dire leur cause, et leur pathogénie, c’est-à-dire leur mode de formation, il faut renoncer au schéma classique qui faisait découler les troubles fonctionnels d’une lésion tissulaire, mais envisager la lésion comme une conséquence des troubles fonctionnels. On pense que la modification répétée ou continue d’une fonction entraîne à la longue des altérations tissulaires qui peuvent devenir irréversibles; ainsi, par exemple, une contraction répétée ou constante des artérioles rénales finit par provoquer leur sclérose. À l’origine de ce mécanisme, on reconnaît que le système nerveux est doté d’un pouvoir de modulation sur les fonctions immunitaires de l’organisme, et l’on accorde une très grande importance à la notion de stress, c’est-à-dire la contrainte ou l’agression provenant du milieu extérieur qui déclenche chez le sujet une réaction de tension. Une émotion-choc est souvent invoquée à l’origine de certaines maladies (diabète, maladie de Basedow…). Mais il ne faut pas oublier qu’une situation donnée à une signification particulière pour un individu en fonction de son histoire et de son développement psychologiques. Des études cliniques, effectuées sur des malades dont on a pu établir tous les antécédents biographiques, ont montré l’existence d’un rapport chronologique entre l’évolution de leur maladie et les événements retentissant sur leur vie affective. La situation qui précipite le sujet dans la maladie revêt pour ce malade une signification affective particulière, parce qu’elle est liée à son passé ou à une problématique conflictuelle non résolue. C’est en raison de ces liens qu’elle a pour lui un effet de stress.