2. Les «outils de l’EPP»
les recommandations
La question de l’outil de comparaison, de sa forme et de son contenu est sans doute celle qui a donné lieu au plus grand nombre de réactions au sein de la profession.
Pour aborder ce champ, il est nécessaire de faire d’abord une lecture «technique et méthodologique» des méthodes et des outils proposés avant d’aborder les raisons de la «levée de boucliers» des professionnels face à l’élaboration de «normes de bonnes pratiques».
En conclusion, j’exposerai les solutions apportées par l’organisme agréé (OA) Prat Psy pour répondre aux exigences méthodologiques soulevées par cette problématique tout en prenant en compte les réserves formulées par les praticiens.
Il est intéressant de suivre l’évolution des recommandations et autres références médicales proposées et de leur méthode d’élaboration.
Cette évolution et le développement d’outils de comparaison diversifiés s’expliquent par une double exigence: celle de la validité scientifique (comment rester au plus près des données scientifiques?) et celle de l’applicabilité de l’outil (comment rendre ces recommandations applicables en pratique et faire en sorte que les professionnels puissent se les approprier?).
Contrainte par ces deux exigences, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) puis la Haute Autorité en santé (HAS) ont procédé par «essais et erreurs», proposant de nouvelles méthodes visant à lever les impasses constatées lors de la mise en œuvre des méthodes précédentes.
Il s’ensuit une profusion, parfois difficilement compréhensible, de méthodes nouvelles conduisant, pour chacune d’elles, à de nouvelles appellations pour leurs produits: recommandations, référentiels, critères d’évaluation et d’amélioration des pratiques (CEAP).
Nous présenterons rapidement les différents outils de comparaison («normes de qualité»?) produits par la HAS et la manière dont la HAS justifie la nécessité de chacun d’eux. Dans un second temps, nous ferons quelques commentaires à propos de cette question essentielle de la «pratique optimale» permettant de comparer, dans une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP), la pratique à cette norme.
PRÉSENTATION DE LA DÉMARCHE ADOPTÉE PAR LA HAS DANS LA PRODUCTION DE RÉFÉRENCES MÉDICALES LES RECOMMANDATIONS: UNE BASE VALIDE ET CRÉDIBLE DE DONNÉES SUR UNE THÉMATIQUE DE SANTÉ
La définition d’une recommandation proposée par l’ANAES en 1999 est la suivante: «Les recommandations professionnelles sont définies comme “des propositions développées avec une méthode explicite pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données”. Leur objectif principal est de fournir aux professionnels de santé une synthèse du niveau de preuve scientifique des données actuelles de la science et de l’opinion d’experts sur un thème de pratique clinique, et d’être ainsi une aide à la décision en définissant ce qui est approprié, ce qui ne l’est pas ou ne l’est plus, et ce qui reste incertain ou controversé.»
La méthode d’élaboration de ces recommandations impose «une démarche rigoureuse et explicite […] pour préparer des “recommandations médicales et professionnelles” valides et crédibles».
À partir de ces recommandations, dont la méthode d’élaboration repose sur les données de la littérature de haut niveau de preuve et le consensus d’experts, pourront être extraits un certains nombre de guides pour «améliorer la qualité des pratiques professionnelles, établir le référentiel d’un audit clinique et être à l’origine d’outils de régulation dans un cadre conventionnel».
Les trois niveaux de l’évaluation de la qualité des soins adoptés par la HAS et l’ANAES avant elle font de la démarche qualité un schéma à deux étapes.
Des recommandations «de portée générale» élaborées sur la base d’une revue de la littérature de haut niveau de preuve et du consensus de professionnels sont censées répondre aux différentes questions que pose la démarche qualité grâce à un travail d’extraction-adaptation des propositions contenues dans la recommandation, à la question posée.
Les trois questions auxquelles la démarche qualité doit répondre sont: «Avonsnous les moyens de bien faire?», qui vise à définir les ressources matérielles et les compétences nécessaires au bon fonctionnement des structures de soin, «Faisonsnous comme il faut faire?», qui vise à définir les organisations et les pratiques professionnelles optimales, et «Avons-nous de bons résultats?», qui vise à fixer des objectifs de qualité évalués par le suivi d’indicateurs de satisfaction et d’états de santé.
Ainsi, l’élaboration de ces recommandations poursuit différents objectifs: améliorer la qualité des pratiques professionnelles, mais également être à l’origine d’outils de régulation dans un cadre conventionnel. Le postulat ici affirmé est qu’un même outil peut répondre à des objectifs aussi différents (bien que convergents) que l’amélioration, la sécurité et l’efficience des pratiques soignantes, l’amélioration, la sécurité et l’efficience des organisations soignantes, et d’être à l’origine d’outils de régulation dans un cadre conventionnel. Cet outil serait la recommandation, et sa déclinaison, pour l’EPP, le référentiel. Ce postulat n’est pas sans poser problème. Nous y reviendrons largement dans ce chapitre.
Ce postulat implique que la synthèse des connaissances acquises peut être en partie indépendante de l’usage qui en sera fait. Ainsi, des recommandations sur la dépression doivent aussi bien servir à fixer les propositions d’un référentiel dans le cadre d’un programme d’EPP portant sur la dépression qu’à conduire une campagne d’information ou des actions de formation médicale continue (FMC), ou encore à élaborer des outils de régulation dans un cadre conventionnel.
Les recommandations offrent une synthèse des connaissances acquises sur une thématique donnée qui permet de fixer «ce qui est approprié, ce qui ne l’est pas ou ne l’est plus et ce qui reste incertain ou controversé».
Le niveau de preuve des propositions avancées est donc essentiel, afin que ces recommandations soient suffisamment valides pour s’imposer à tous. Leur validité réside dans le pourcentage de propositions ayant un niveau de preuve élevé.
Il faut ici rappeler ce que recouvre cette notion de niveau de preuve.
Le choix des recommandations repose sur une lecture critique pour affecter à chaque article un niveau de preuve scientifique. «Selon le niveau de preuve des études sur lesquelles elles sont fondées, les recommandations ont un grade variable, coté de A à C selon l’échelle proposée par l’ANAES» (tableau 2.1).
Niveau de preuve scientifique | Grade des recommandations |
---|---|
Niveau 1: Essais comparatifs randomisés de forte puissance Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés Analyse de décision basée sur des études bien menées | A Preuve scientifique établie |
Niveau 2: Essais comparatifs randomisés de faible puissance Études comparatives non randomisées bien menées Études de cohorte | B Présomption scientifique |
Niveau 3: Études cas-témoins | C |
Niveau 4: Études comparatives comportant des biais importants Études rétrospectives Séries de cas | Faible niveau de preuve |
L’application de cette exigence de prise en compte des seules données relevant d’un niveau de preuve suffisant ne permet cependant pas de répondre aux questions posées par quelque thématique de santé que ce soit.
Le recours au consensus de professionnels (d’experts) s’impose pour apporter des réponses là où les données scientifiques manquent, et cela, malgré le faible niveau de validité de ce consensus.
Différentes méthodes ont été proposées par l’ANAES puis la HAS pour construire des recommandations.
Un texte récent de la HAS (Guide méthodologique «Consensus formalisé», HAS, service des recommandations professionnelles, janvier 2006) résume clairement les différentes méthodes d’élaboration de recommandations professionnelles:
— la méthode CdC (conférence de consensus) est la plus anciennement décrite et utilisée. Les recommandations sont rédigées par un jury de non-experts du thème traité («candides») dans le cadre d’un huis clos de 48 heures au terme d’une séance publique. Au cours de cette séance publique, quatre à six questions préalablement définies et suscitant une controverse sont débattues par des experts du thème. Leurs interventions sont systématiquement discutées par le jury et le public présent. Le jury reçoit au préalable le texte écrit des interventions des experts et une analyse critique des données disponibles, réalisée par un groupe bibliographique indépendant des experts. Le jury dispose des informations concernant le niveau de preuve des données disponibles et doit donc grader, autant que possible, les recommandations;
— la méthode RPC (recommandations de pratiques cliniques) consiste à faire rédiger des recommandations par un groupe de travail au terme d’une analyse critique des données disponibles (le thème étant généralement vaste, la controverse ne nécessite pas de débat public et les données sont généralement multiples et dispersées). Les recommandations sont finalisées après soumission à un groupe de lecture et analyse des commentaires reçus. Les groupes de travail et de lecture sont composés d’experts et de non-experts du thème traité. Les recommandations sont systématiquement gradées;
— la méthode CF (recommandations par consensus formalisé) consiste à rédiger des recommandations à partir de l’avis et de l’expérience pratique d’un groupe de professionnels sur la conduite à tenir dans un ensemble de situations cliniques élémentaires et concrètes. Les conclusions de l’analyse de littérature sont généralement insuffisantes en elles-mêmes et à l’origine d’une controverse ou d’une hétérogénéité des pratiques. Les propositions de recommandations sont préalablement rédigées par un groupe de pilotage. L’avis du groupe de professionnels est formalisé en utilisant une échelle visuelle numérique discontinue, graduée de 1 à 9, et le degré d’accord ou de désaccord entre les professionnels est mesuré. Les règles de conservation des recommandations à retenir sont fixées a priori. Il est essentiel que les professionnels sélectionnés connaissent bien le thème traité; il peut s’agir d’experts du sujet ou de professionnels ayant une pratique régulière dans ce domaine.
L’intention de ces recommandations semble être de constituer un «corpus de connaissances» non pas valides, puisque intégrant le consensus professionnel, mais crédibles, sur un sujet plus ou moins controversé, couvrant un champ de questionnement plus ou moins élargi et plus ou moins documenté.
C’est sur ces trois arguments que se justifie la distinction des trois méthodes proposées pour construire des recommandations.
Les conférences de consensus sont adaptées au traitement d’un thème d’ampleur limitée, déclinable en quatre à six questions précises au maximum, rédigeable par des non-experts en un délai limité (48 heures), pour lequel les données sont rares voire absentes ou discordantes, et dont la littérature est donc analysable en un délai limité, pour lequel des études complémentaires ne sont pas réalisables pour des raisons techniques, éthiques ou de délai de réponse insuffisant, où les controverses sont majeures et nécessitent un débat public permettant l’expression des avis pour et contre mais qui impose une prise de position finale (par un jury de non-experts du thème).
Les recommandations de pratique clinique sont adaptées au traitement d’un thème vaste pouvant être décliné en de nombreuses questions et sous-questions, où les données disponibles sont multiples, dispersées et difficilement accessibles ou synthétisables, porteur de controverses pour lesquelles un débat public apparaît non justifié a priori.
Les recommandations par consensus formalisé portent sur un thème d’ampleur indifférente, facilement déclinable en situations cliniques élémentaires concrètes, où les données sont rares voire absentes, insuffisantes ou discordantes, reflétant mal l’éventail des situations rencontrées en pratique, nécessitant donc de modéliser l’avis de professionnels spécialistes du sujet, où les controverses imposent de formaliser l’obtention des accords professionnels et où un débat public n’est pas justifié a priori.
Afin d’exemplifier la démarche d’élaboration d’une recommandation et d’en montrer les limites, je résumerai brièvement le contenu d’une recommandation pour la pratique clinique établie sur le thème de la «Prise en charge d’un épisode dépressif isolé de l’adulte en ambulatoire», publiée en mai 2002.
La requête bibliographique s’appuie sur les seules références issues de recherches susceptibles d’apporter le niveau de preuve requis. La lecture de la littérature est donc orientée vers l’analyse méthodologique des données et l’attribution d’un niveau de preuve à chacune d’elles.
Les banques de données interrogées ont donc été, pour l’élaboration de cette recommandation: Medline, HealthStar, Embase, Pascal et Cochrane Library. La bibliographie a été complétée par une recherche manuelle des experts du groupe.
Ce texte offre une revue de la littérature intéressante bien que réduite aux références bibliographiques apportant des données de haut niveau de preuve. Le champ bibliographique couvert est d’ailleurs réduit. Cent deux références bibliographiques sont citées, ce qui est faible par rapport à l’étendue du thème. À titre d’exemple, 401 références bibliographiques sont analysées dans l’ouvrage de C. Passerieux consacré au seul thème de la guérison des états dépressifs.
Six questions ont été posées au groupe chargé d’y apporter des réponses:
— quels sont les critères diagnostiques d’un épisode dépressif?
— quels sont les éléments en faveur du caractère isolé de cet épisode?
— quels sont les épisodes dépressifs qui peuvent être pris en charge en ambulatoire?
— quels sont les traitements possibles en première intention (hors traitement des formes résistantes): médicaments, psychothérapie, association médicaments-psychothérapie, procédures diverses (arrêt de travail, mesures sociales et d’assistance)?
— quelles sont les définitions de la réponse et de la non-réponse au traitement?
— comment favoriser l’observance afin de prévenir les récidives?
Les réponses apportées, rassemblées sous l’intitulé «Recommandations», ont été les suivantes.
L’EXEMPLE DE LA DÉPRESSION
Les critères CIM 10 sont utilisés pour poser le diagnostic.
L’évaluation de la sévérité des signes est tenue pour un critère décisionnel important. Elle est évaluée sur le mode: «léger», «sévère sans caractéristiques psychotiques», «sévère avec caractéristiques psychotiques» et «modéré».
Concernant la prise en charge ambulatoire d’un épisode dépressif isolé
Concernant les principes généraux de la prise en charge, les objectifs à atteindre et la démarche à suivre sont formalisés.
Quatre grands objectifs composent ces recommandations: affirmer le diagnostic, rechercher des troubles psychiatriques et somatiques associés – qui influencent le traitement –, évaluer les incapacités fonctionnelles – qui influencent les décisions d’arrêt de travail ou de mesures sociales d’accompagnement – et informer le patient. Seul l’un d’eux est de grade A: informer le patient. Les autres sont de grade «accord professionnel».
Dans les recommandations de grade A concernant l’information au patient, seule l’information sur la nature des troubles dépressifs et les effets bénéfiques et indésirables du traitement sont de grade A. Les autres contenus d’information sont d’un niveau «accord professionnel» («définir avec lui un projet thérapeutique qui doit obtenir son adhésion afin d’éviter les abandons de traitement et être réévalué régulièrement» ou «informer le patient, après amélioration symptomatique, et s’il en est d’accord son entourage, des signes précoces de rechute»).
Concernant les stratégies thérapeutiques
Les stratégies thérapeutiques en ambulatoire sont décrites en traitement de «première intention» et traitement de «seconde intention».
Les stratégies thérapeutiques de première intention
Il est signalé que les antidépresseurs et les psychothérapies sont efficaces (grade A pour les antidépresseurs, grade B pour les thérapies cognitivocomportementales [TCC], grade C pour les autres psychothérapies, accord professionnel pour la psychanalyse).
Par ailleurs, il est signalé que «l’association antidépresseurs-psychothérapie n’a pas fait la preuve d’une plus grande efficacité que la psychothérapie seule dans ces formes légères à modérées (grade C)».
La sévérité des troubles permet de distinguer:
— l’épisode dépressif léger où, selon la préférence du patient, une psychothérapie ou des antidépresseurs pourront être proposés (accord professionnel);
— l’épisode dépressif modéré, où les antidépresseurs sont proposés en première intention (accord professionnel) et où l’association psychothérapie-antidépresseurs peut être proposée en cas de difficultés psychosociales ayant un retentissement marqué sur la vie du patient (accord professionnel);
— l’épisode dépressif sévère, où les antidépresseurs sont indispensables (grade A). L’association antidépresseurs-psychothérapie peut être proposée (grade C). Les antidépresseurs peuvent être associés aux neuroleptiques dans les formes psychotiques (accord professionnel).
Concernant les modalités de prise en charge, «la fréquence optimale des consultations n’a pas fait l’objet d’études spécifiques […], chaque patient représente un “cas” trop particulier pour permettre d’énoncer une recommandation générale».
Des principes sont rappelés: informer le patient d’un recours médical 24 heures sur 24, d’un accompagnement: «pendant les premières semaines, un rythme de consultation au moins hebdomadaire est souvent nécessaire».
L’information au patient fait l’objet de recommandations, toutes de grade C ou d’accord professionnel, mais de grande précision:
— «manière et moment de prendre ses médicaments;
— «délai avant l’apparition des effets positifs du traitement;
— «nécessité de la poursuite du traitement même après amélioration;
— «possibilités de contacts en cas de questions ou de problèmes;
— «nécessité d’un avis médical avant l’arrêt du traitement.»
Les stratégies thérapeutiques de seconde intention
En cas de réponse partielle ou de non-réponse au traitement initial, il est recommandé:
— «de rechercher un manque d’observance et d’en rechercher la cause (troubles psychologiques, environnement défavorable – qui peuvent nécessiter une prise en charge non médicamenteuse –, mauvaise tolérance au traitement) [accord professionnel];
— «de réévaluer le diagnostic et de rechercher une cause organique ou psychologique (environnement défavorable, troubles de la personnalité, prise d’alcool) ou iatrogène de non-réponse;
— «d’ajuster les doses.»
L’ajustement posologique ne se fait qu’en fonction d’un critère de sévérité des symptômes.
Un arbre décisionnel est proposé, dont les critères d’appréciation sont:
— l’intensité des symptômes;
— le risque suicidaire (la réponse médicamenteuse est-elle la meilleure en présence d’un risque suicidaire?);
— le statut fonctionnel;
— l’observance;
— les effets secondaires;
— les comorbidités (notamment l’alcool);
— les comorbidités organiques;
— le virage maniaque.
L’appréciation de la gravité de ces critères guide les propositions thérapeutiques.
Concernant l’amélioration de la prise en charge des patients déprimés
Il est intéressant de rapporter ici l’intégralité du paragraphe consacré aux recommandations en vue d’une amélioration de la prise en charge des patients déprimés.
«Amélioration de la perception de la maladie par le patient lui-même: pour renforcer l’effet de l’information nécessaire du patient et, avec son accord, de son entourage, et bien que cela dépasse le cadre de ces recommandations, le groupe de travail a recommandé une meilleure information du grand public sur le trouble dépressif et son traitement.
«Amélioration du repérage de la dépression en médecine générale. En attendant une validation par des études sur de larges populations, le groupe de travail a signalé l’intérêt d’utiliser en pratique courante les deux questions suivantes pour le repérage des sujets à risque (accord professionnel): «Au cours du dernier mois, avez-vous perdu tout intérêt et plaisir pour la plupart des choses qui vous plaisent habituellement?»; «Avez-vous perdu votre entrain, ou vous sentez-vous inexplicablement fatigué? (ou vous sentez-vous déprimé?)».
«Amélioration de la coordination entre médecine générale et médecine psychiatrique.»
Plusieurs remarques peuvent être faites à partir de la lecture de ce texte.
Le choix de la thématique
Elle porte sur des états dépressifs, ne posant aucun problème diagnostique (plus de 90% des médecins généralistes reconnaissent ces situations cliniques) ni évolutif (premier épisode dépressif), et ne présentant aucune comorbidité pouvant rendre difficile le traitement.
Il est dommage de ne pas avoir une estimation de ces situations cliniques et de la pertinence à élaborer une recommandation pour ces situations qui, a priori, ne posent que peu de problèmes de diagnostic, de pronostic immédiat, ou de traitement.
La seule explication réside dans le fait que la plupart des articles de haut niveau de preuve portent sur ces situations.
Les choix thérapeutiques
En dehors de la prescription d’antidépresseurs à un état dépressif majeur et de l’information à donner au patient, aucune des autres recommandations ne possède un haut niveau de preuve. Dans l’information au patient, il est étonnant de voir l’absence de recommandations pour la prise en charge thérapeutique et l’absence de formalisation précise sur le «bon usage des médicaments».
Il est simplement recommandé:
— «d’augmenter progressivement les doses des antidépresseurs dont l’effet est probablement dose-dépendant jusqu’à la dose recommandée, par exemple 150mg par jour pour la plupart des imipraminiques, pour permettre une adaptation aux effets secondaires (grade C); les doses thérapeutiques sont généralement moins élevées chez le sujet âgé;
— «d’évaluer la réponse au traitement, l’observance, les effets secondaires (grade C);
— «de limiter la quantité de médicaments prescrits à la quantité nécessaire pour le traitement entre deux consultations afin de limiter les conséquences somatiques en cas d’absorption massive (accord professionnel).»
L’ensemble de ces données montrent les lacunes en matière d’informations concernant le «bon usage des médicaments».
En résumé:
— la validité scientifique de cette recommandation est faible. En effet, les seules propositions de grade A sont de prescrire des antidépresseurs à un patient présentant une dépression majeure, de poursuivre le traitement, après obtention de la rémission clinique, 6 mois à 1 an et d’informer le patient, cette dernière proposition faisant l’objet d’une obligation légale et donc s’imposant au-delà de toute référence à un niveau de preuve. Les autres recommandations sont, pour la plupart, de grade C, ou ne font l’objet que d’un accord professionnel;
— l’adaptation de ces recommandations à la conduite de l’EPP est rendue difficile par sa faible validité. Il serait légitime de proposer un simple cycle de formation portant sur les recommandations de grade A des propositions d’amélioration contenues dans cette recommandation. C’est d’ailleurs ce que l’Union régionale des caisses d’assurance maladie (URCAM) a proposé, comme nous allons maintenant le décrire.
LA DÉCLINAISON DES RECOMMANDATIONS DANS DES OBJECTIFS DE QUALITÉ DIVERSIFIÉS
LE CYCLE DE FMC PROPOSÉ PAR L’URCAM À PARTIR DE LA RPC SUR LA DÉPRESSION
L’URCAM, s’appuyant sur les propositions contenues dans la RPC sur la dépression, a développé un programme d’action de formation en direction des médecins généralistes.
Ce programme visait à diffuser, au travers d’un support de formation, les propositions soulignées dans les RPC que certaines données montraient par ailleurs insuffisamment maîtrisées par les médecins généralistes.
À l’origine de ce programme, deux propositions avaient été choisies au titre de contenu pédagogique:
— mieux reconnaître la dépression: le message de formation reprenait deux propositions contenues dans la RCP: d’une part, le dépistage d’une dépression peut être amélioré par l’utilisation de deux questions simples à adresser au patient, et d’autre part, la confirmation du diagnostic passe par l’utilisation d’une classification validée (type CIM 10 ou tout autre outil de diagnostic validé);
— mieux traiter: le contenu de formation était de poursuivre le traitement durant 6 à 12 mois (pour un premier épisode), des données recueillies auprès de médecins généralistes ayant effectivement montré la fréquence des prescriptions courtes.
Les critiques apportées à ce programme de formation ont été les suivantes:
— la reconnaissance de la dépression n’était peut-être pas la meilleure porte d’entrée pour améliorer la prise en charge des déprimés par les médecins généralistes. En effet, le diagnostic est correctement posé par 97,3% des médecins généralistes lorsque la dépression est majeure. Ce point est intéressant, car il pose la question des objectifs opérationnels d’une démarche qualité et déplace la pensée commune du praticien sur la visée de cette démarche. Pour un praticien, poser comme objectif d’amélioration une meilleure reconnaissance de la dépression majeure n’apparaît pas comme un objectif pertinent, dans la mesure où la pratique de 98% des médecins généralistes est adaptée à l’objectif. D’un point de vue «national», le fait que 2% des médecins généralistes ne répondent pas à cet objectif «minimal» de prise en charge des déprimés impose de s’y attacher;
— le recours à une classification validée n’était peut-être pas la meilleure réponse aux difficultés diagnostiques rencontrées par les médecins généralistes. En effet, la majorité des difficultés diagnostiques sont liées à l’absence de dépression caractérisée chez les patients consultant un médecin généraliste ou à l’existence d’une comorbidité somatique rendant le tableau moins évident. Dans ces cas, l’usage d’une classification ne permet pas de lever les difficultés;
— il était légitime de penser que le contenu de formation envisagé ne répondait pas aux attentes des médecins généralistes dans la mesure où elle n’offrait pas de guides aux difficultés réelles rencontrées par ces professionnels. L’hypothèse que le diagnostic de dépression pouvait être insuffisamment porté du fait d’une compétence insuffisante dans la prise en charge d’un patient déprimé repose sur le postulat que l’on ne reconnaît que le trouble que l’on sait gérer. Si cette hypothèse était juste, axer la formation sur le dépistage plutôt que sur le suivi risquait de passer à côté des besoins réels de formation des médecins généralistes. Si cette hypothèse était juste, il était préférable d’améliorer la compétence des médecins généralistes à répondre à la dépression qu’à la reconnaître. Et le contenu de formation dans cette perspective ne pouvait se résumer à la recommandation de poursuivre le traitement de 6 à 12 mois.
Ainsi, même dans un objectif aussi simple que celui d’utiliser les recommandations comme contenus de FMC, le travail d’extraction à réaliser à partir des recommandations pour les adapter aux besoins réels de formation des professionnels n’est pas évident. En somme, ces recommandations ne pourront être intégrées dans l’exercice professionnel que si elles viennent répondre à des questions que se posent, préalablement à la formation, les médecins confrontés, dans leur pratique, aux patients déprimés.
Les remarques faites ont conduit les organisateurs de ce programme à réaliser une enquête auprès de 101 médecins généralistes, visant à évaluer leurs besoins et leurs attentes en matière de formation à la prise en charge de la dépression.
Cette enquête a permis de confirmer que la demande portait davantage sur le suivi que sur la détection du trouble.
Parmi les difficultés exprimées:
— 28,7% portaient sur les difficultés de reconnaissance liées à la pathologie;
— 23,8% portaient sur les difficultés dans la mise en œuvre du traitement;
— 47,5% portaient sur le suivi.
Si 7% des médecins généralistes disaient avoir des difficultés en lien avec la seule pathologie, 82,2% déclaraient avoir au moins une difficulté liée à la relation médecin – malade et 8% estimaient n’avoir de difficultés qu’à ce niveau relationnel.
Les difficultés en lien avec la seule pathologie étaient les suivantes:
— 41,6% de difficultés liées à la présence de symptômes atypiques;
— 29,7% à des pathologies intriquées;
— 24,8% à l’évaluation du risque suicidaire;
— 22,8% à l’évaluation de la sévérité;
— 19,8% à la prescription d’arrêt de travail;
— 21,8% à l’évaluation du risque de rechute;
— 21,8% à l’arrêt du traitement;
— 17,8% au choix de la thérapeutique;
— 7,9% à la coprescription;
— 6,9% au jugement de l’efficacité ou de l’échec du traitement.
Les difficultés liées à la relation médecin/patient concernaient:
— les difficultés vis-à-vis de l’information à transmettre au patient:
• patient avec une personnalité difficile (22,8%);
• difficulté d’annonce du diagnostic (27,7%);
• aborder avec les patients les risques d’échec et de rechute (15,8%);
• fixer la fréquence des consultations (6,9%).
— les difficultés versant patient:
• déni de la maladie (50,5%);
• rejet du traitement (49,5%);
• prise en compte des facteurs environnementaux (26,7%);
• observance du patient au traitement (40,6%).
Les difficultés relevées, en lien avec l’organisation de l’offre de soin, étaient:
— l’insuffisance dans l’offre de soin locale en psychiatrie et dans le partenariat établi (60,4%);
— le manque de temps (44,6%);
— un référentiel éloigné de la pratique (19,8%).
Si l’ensemble des difficultés est pris en compte conjointement, elles se classent des plus importantes aux moins importantes de la façon suivante:
— offre de soin locale (60,4%);
— déni de la maladie (50,5%);
— rejet du traitement (49,5%);
— manque de temps (44,6%);
— symptômes atypiques, observance au traitement, pathologies intriquées, difficultés d’annonce du diagnostic, prise en compte des facteurs environnementaux, évaluation du risque suicidaire, évaluation de la sévérité, patient avec une personnalité difficile, arrêt de traitement, arrêt de travail, référentiel éloigné de la pratique, choix de la thérapeutique, aborder avec les patients les risques d’échec ou de rechute, coprescription, jugement de l’efficacité, fréquence des consultations.
Concernant l’utilité d’outils de repérage (test de repérage ANAES, MINI, HAD, arbre décisionnel de l’ANAES, échelle de dépression de Hamilton), 70% des médecins utilisaient ces outils pour établir le diagnostic. Les outils les plus utilisés étaient ceux de l’ANAES.
Ainsi, 6 des 12 difficultés les plus fréquentes concernent la relation médecin – malade. Celle-ci ne fait l’objet d’aucune recommandation dans les RPC. Le groupe de travail sur l’autoévaluation (voir plus bas) l’a noté comme difficulté, mais n’a pas mis en place de critères susceptibles de répondre à cette difficulté.
Une parenthèse doit ici être ouverte sur l’absence éventuelle de recouvrement entre ce que le praticien croit devoir améliorer et ce qu’il doit réellement améliorer.
Il est légitime d’imaginer que le praticien peut méconnaître qu’il n’adopte pas la pratique optimale. Dans cette perspective, la phase d’autoévaluation qui est l’étape initiale de tout programme d’EPP est essentielle. Elle vise à apporter au praticien les moyens de constater par lui-même que sa pratique, qu’il jugeait forcément optimale, ne l’est pas, ne l’est plus ou reste l’objet de controverse.
Cet exemple montre que même lorsque l’objectif poursuivi se résume à la simple diffusion, par le support habituel de FMC, des recommandations les moins controversées, l’action peut manquer son but du fait de la non-adéquation des contenus de formation à l’attente des professionnels, c’est-à-dire la non-adaptation des messages transmis aux questions générées par la pratique elle-même.
LES RÉFÉRENCES MÉDICALES CONSTRUITES À PARTIR DES RECOMMANDATIONS ET ADAPTÉES À LA CONDUITE DE L’EPP
La même difficulté est rencontrée dans l’extraction, à partir des recommandations, de propositions d’amélioration pour conduire l’EPP.
Selon le schéma classique à deux étapes, la HAS distingue les recommandations offrant des propositions «générales» sur tel ou tel aspect de la santé et les «outils de comparaison» utiles à la conduire de l’EPP: référentiel et CEAP.
L’élaboration de référentiels d’EPP
«Un référentiel d’autoévaluation des pratiques a pour objectif d’aider les professionnels de santé à s’engager dans une démarche de qualité. Il associe quelques objectifs de qualité à une grille de recueil de données. L’analyse des résultats permet au professionnel de mettre en œuvre des actions d’amélioration de sa pratique.»
Plus récemment, en mai 2007, la HAS a publié une méthode d’élaboration de CEAP, venant s’ajouter à la méthode proposée pour la construction de référentiels.
Une évaluation prenant en compte tout ou partie de ces critères de qualité constitue un lien souple et adaptable entre une démarche concrète d’amélioration de la qualité et un socle de recommandations fondées sur un haut niveau de preuve ou de consensus et décrivant une pratique optimale.
«Les critères de qualité mettent en quelque sorte les recommandations “en action”. L’actualisation des recommandations en fonction des nouvelles données de la science doit induire un réexamen régulier de la pertinence de ces critères. Inversement, les démarches dans lesquelles s’intègrent les critères de qualité doivent nourrir la réflexion et engager à une révision des recommandations.»
Le promoteur peut être une société savante, un OA, la HAS ou une équipe médicosoignante.
Les étapes sont les suivantes:
— identification du thème de la démarche d’amélioration de la qualité (suite à un questionnement sur la prise en charge, de nouvelles recommandations, un dysfonctionnement, etc.). Cette étape est réalisée par le promoteur;
— un groupe de professionnels désignés par le promoteur va assurer la phase d’élaboration des critères: Définition des objectifs de qualité/Revue de la littérature et sélection des références (recommandations, références organisationnelles et réglementaires, critères et indicateurs déjà publiés). Si besoin, demande d’élaboration de recommandations (cf. promoteur)/Sélection des critères de qualité (version provisoire). Les critères retenus doivent être acceptés par l’ensemble du groupe et avoir les caractéristiques suivantes: points-clés de la pratique (evidence-based medicine [EBM], aide à la décision, potentiel d’amélioration, etc.)/caractère mesurable/acceptabilité et faisabilité (intégration facile à la pratique, motivante et consommant peu de ressources)/formulation claire et sans ambiguïté;
— des professionnels de terrain vont participer à la démarche d’amélioration de la qualité (phase d’essai). Ils donnent un avis formalisé sur les critères de qualité proposés, à partir d’un questionnaire permettant d’apprécier leur pertinence (cf. caractéristiques ci-dessus). Ils proposent éventuellement d’autres critères de qualité;
— diffusion par le promoteur de la version stabilisée des critères de qualité, utilisable pour les démarches d’amélioration de la qualité, mais révisable si besoin.

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