La conduite de l’EPP

3. La conduite de l’EPP

les outils


Dès 1999, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) fixe les objectifs de l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP): «Rédiger des recommandations professionnelles selon des critères méthodologiques optimaux ne suffit pas pour qu’elles créent un processus d’amélioration continue des pratiques. Il faut non seulement les porter à la connaissance des professionnels grâce à une diffusion large, mais surtout induire leur utilisation effective par des méthodes de mise en œuvre performantes.»

Et, plus loin: «Face aux incertitudes méthodologiques qui persistent, l’ANAES souhaite également stimuler la recherche concernant les méthodes et les outils de mise en œuvre optimale des recommandations professionnelles.»

La Haute Autorité en santé (HAS), ainsi que l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) et l’ANAES avant elle, ont défini des méthodes pour contrôler la mise en œuvre effective d’une démarche d’amélioration des pratiques.

L’ANAES propose une revue de la littérature de grande qualité sur les différentes méthodes de diffusion des savoirs et leur influence sur le changement des pratiques.

Le choix de l’EPP, pour porter une telle démarche formative, procède en partie de la constatation largement documentée de l’absence ou du faible impact de la diffusion simple des savoirs sur les pratiques de soin.

Il s’agit donc d’élaborer de nouvelles méthodes, inscrites dans l’exercice réel, pour assurer la diffusion des savoirs utiles à l’amélioration des pratiques de soin. Dans cet objectif de qualité, elles visent essentiellement à évaluer des pratiques en lien avec un objet non fixé, le patient. Nous nous référerons, dans la suite de l’exposé, à ce type spécifique d’EPP.

Les méthodologies fixant le niveau d’exigence souhaité et garantissant la validité de la démarche ont été formalisées par la HAS.

Le constat qui s’impose est celui d’une grande exigence méthodologique dans la conduite de l’EPP.

Cette exigence est sans doute l’élément le plus novateur et le plus fondateur de la démarche qualité. Sans cette exigence, comme je l’ai déjà souligné, la démarche qualité pourrait bien ne pas avoir d’avenir.

Le souci d’explicitation et de formalisation de chacune des étapes de la démarche, comme la rigueur méthodologique qui inscrit la démarche qualité dans une logique évaluative, constitue le cadre formel nécessaire à toute démarche de qualité.

Au-delà, les questions qui se posent concernent davantage la déclinaison de ces exigences dans la conception même des «outils» élaborés pour y répondre.

Le rôle de la HAS et des médecins qu’elle forme à la conduite de l’EPP est d’assurer la mise en œuvre et le respect, à toutes les étapes de réalisation, de la méthodologie qu’elle a fixée pour remplir les exigences de la démarche. La mission des médecins habilités (MH) et des médecins experts extérieurs (MEE) n’est en aucun cas d’évaluer l’intelligence clinique du processus d’amélioration engagé par les praticiens, mais de veiller au respect des méthodes utilisées. Dans ce sens, on peut comprendre que les praticiens, confrontés au contrôle de qualité que la HAS réalisera de leur EPP, tiennent pour prioritaire non pas la pertinence soignante du processus d’amélioration, mais la seule application d’une méthode validée par la HAS.

Les glissements liés à cette attitude sont évidents. Le premier de ces glissements réside dans l’impossible appropriation de cette démarche pour des professionnels du soin. En quoi l’appropriation de ces méthodes pourrait-elle intéresser un praticien? De quelle manière le praticien pourrait-il être convaincu que la mise en œuvre d’une méthode suffit à produire une amélioration de la qualité de leurs pratiques?

Si beaucoup de praticiens ont fait savoir l’intérêt des actions d’EPP menées, c’est qu’ils y ont perçu une vertu formative et y ont vu un moyen, d’usage obligé, de réfléchir à leurs pratiques. Au-delà, l’application de méthodes validées ou la formalisation de la démarche reste aussi étrangère à leurs habitudes que le relevé de leurs activités, aujourd’hui dévolu à un département spécifique, le département d’information médicale (DIM).

C’est souligner que pour maintenir l’intérêt des professionnels pour l’EPP il importe, au-delà de la simple application d’une méthode, de garder de cette obligation l’état d’esprit de questionnement sur les pratiques qui en fait toute l’intelligence et sans doute l’efficacité.

En somme, par son objectif même, l’EPP constitue avant tout un type nouveau de formation offert aux professionnels visant à répondre aux limites bien connues des méthodes classiques de FMC.

On pourrait parler de démarche formative encadrée.

Cet encadrement s’opère de deux manières: par le contrôle de qualité des contenus médicaux transmis (les références médicales) et par le contrôle d’une mise en œuvre effective et efficace de ces contenus médicaux par une application des méthodes de la HAS d’appropriation de ces contenus (les méthodes de conduite de l’EPP). Le contrôle de qualité du processus même de l’EPP est assuré par le contrôle du respect de la méthodologie élaborée par la HAS que des médecins, formés par la HAS, assurent en accompagnant la démarche. Cette méthodologie impose d’être conforme aux normes méthodologiques fixées et de s’astreindre à une formalisation qui permette le contrôle de cette mise en conformité de la démarche avec les cadres méthodologiques proposés.

L’EPP doit préserver son statut de démarche formative, fondée sur le questionnement à partir de l’exercice lui-même, que la loi lui confère en l’inscrivant au titre d’action de FMC. Vouloir en faire une démarche normative d’application d’un format de pratiques contreviendrait gravement à l’esprit même de la loi.

Prat Psy s’inscrit résolument dans une logique formative de conduite de l’EPP. S’adossant à l’esprit de la loi, Prat Psy se donne pour objectif d’amener les professionnels à se questionner sur leurs pratiques d’une manière exigeante, c’est-à-dire en les confrontant aux données acquises pouvant servir l’accroissement de leur compétence.

L’enjeu pour les praticiens est de se déplacer d’une position de valorisation de leurs pratiques (leur théorie du soin) à une position de questionnement, posture obligée d’acquisition de connaissances nouvelles. La confrontation de leur exercice avec les données acquises doit permettre de les déplacer de leurs habitudes soignantes en leur montrant d’autres façons de soigner, et ainsi d’une part d’induire une posture de questionnement et d’autre part de répondre, pour autant qu’il est possible de le faire, aux questions que ce déplacement engendrera. La vertu d’une référence médicale est de convaincre le praticien, par la valeur des arguments et des données transmises, de l’intérêt de questionner sa pratique et de fournir des références médicales susceptibles d’apporter des réponses aux questions qu’il sera amené à se poser pour l’améliorer.

Adopter une position normative dans le cadre de l’EPP, c’est s’opposer à la mise en question de la pratique que la démarche qualité promeut.

En somme, les professionnels ne donneront à la démarche qualité toute son intelligence, et donc son efficacité et, pour partie, son efficience que si la démarche est plus ambitieuse mais sans doute moins normée et moins formelle que ce que nous en montre la HAS, c’est-à-dire si elle ouvre sur une épistémologie du soin.

Cela impose une rigueur méthodologique comparable à celle qu’impose la HAS pour la conduite de l’EPP, voire supérieure en ce qu’elle vise à ouvrir, elle aussi, un nouveau champ d’études, celui d’une épistémologie du soin, que la démarche qualité rend nécessaire.

Seuls des organismes professionnels peuvent élaborer des outils ayant la pertinence ad hoc.

La HAS, par l’intermédiaire des organismes professionnels qu’elle agrée, doit veiller à ce que la méthodologie de l’EPP suive bien les exigences qu’elle impose à la démarche, mais également que ce contrôle méthodologique ne nuise pas à sa qualité clinique et aux objectifs de compétence praticienne qu’elle se fixe.

Les méthodes proposées pour conduire l’EPP doivent permettre l’expression des controverses que le terrain viendra dévoiler, au-delà des discours et des opinions émises sur les pratiques.

Elles devront également être l’occasion d’exposer aux praticiens l’état des connaissances de manière à la fois honnête, donc crédible pour les professionnels, et exhaustive, c’est-à-dire en prenant en compte toute la littérature.

Une démarche normative systématique viendrait fermer toute forme de questionnement sur les pratiques là où son objectif prioritaire devrait être de problématiser ce champ afin d’engager une réelle démarche de qualité.

À vouloir fixer des normes là où les connaissances manquent et où les arguments professionnels pour le développement d’une démarche de qualité «orientée par le soin et le devenir du patient» sont insuffisamment pris en compte, on court le risque de se tromper d’objet et de s’inscrire dans le cercle vicieux d’un développement centré par l’application de la «bonne» méthode d’amélioration plutôt que par la pertinence clinique du questionnement, qui, seule, pourtant, est à même d’induire une amélioration des pratiques.

Ainsi, tout dispositif qui prétendrait pouvoir assurer la conduite de l’EPP doit posséder à la fois les connaissances suffisantes en matière de méthodologie de l’EPP et les compétences nécessaires pour apprécier la pertinence de contenu du programme d’EPP.


LES MÉTHODES PROPOSÉES POUR CONDUIRE L’EPP


La grande nouveauté portée par la HAS réside dans l’exigence qu’elle impose aux modalités de questionnement de la pratique.

Le seul invariant que les praticiens doivent garder à l’esprit lorsqu’ils s’engagent dans un programme d’EPP est bien cette exigence de la démarche dans laquelle ils s’inscrivent.

L’essentiel de cette exigence se décline dans le chemin que doit suivre la conduite de l’EPP, systématique et formalisé, et dans la nécessité, pour le praticien, de rendre compte du travail réalisé à chacune de ses étapes. Cette exigence de formalisation de la démarche suivie est difficile pour des soignants peu enclins à expliciter leur démarche de soin et à justifier de leurs décisions.

Afin d’aider les professionnels dans cette formalisation, la HAS met à leur disposition des méthodes d’analyse de leurs pratiques qui, malheureusement, loin de leur faciliter la tâche, ont tendance à alimenter leur conviction d’un exercice obligé, bien distinct de leurs pratiques réelles.

Le risque de la diffusion de ces méthodes est celui de leur interprétation intuitive. Comme l’a souligné l’ANAES, en son temps, «afin d’aider les professionnels de santé, l’ANAES propose un guide méthodologique décrivant les principes et les conditions d’application de cette méthode, son utilisation intuitive et non structurée est encore trop fréquente».

Ce constat exprime le fait que la HAS, en offrant des guides méthodologiques pour la conduite de l’EPP, a introduit un «nouveau langage», de nature «qualiticienne», qui ne correspond ni au «glossaire» médical habituel ni à la démarche de questionnement clinique dont procède l’exercice médical.

Sans doute pour en faciliter l’appropriation par le corps médical, la précision des «prescriptions méthodologiques» est souvent impressionnante. Cette précision est une des caractéristiques des textes de la HAS. Elle est l’objet d’un formalisme extrême dont l’applicabilité, en situation réelle, mérite d’être nuancée.

Mais seuls des professionnels rompus à l’usage des outils de l’EPP peuvent évaluer la marge de manœuvre acceptable par rapport aux textes dans la conduite réelle de l’EPP, et utiliser ces publications de la HAS comme des guides et non comme des normes intangibles et inadaptables aux objectifs poursuivis et au contexte de déroulement de l’EPP.

Le risque est de faire de l’EPP un «exercice qualiticien» et non un «exercice médical». N’évaluer la qualité de la démarche que par la manière dont ces prescriptions ont été respectées renforce largement ce risque. Or, la méthode ne doit être qu’un moyen de servir la qualité et ne peut se confondre avec la qualité elle-même.

Le langage utilisé dans la description des méthodes validées pour l’EPP n’a pas été bien compris par les praticiens. Il est souvent vécu comme d’un formalisme excessif, fixant un cadre trop rigide pour une évaluation qui se voudrait inscrite dans les pratiques elles-mêmes. S’y coller à l’excès, en oubliant la pertinence clinique que doit conserver la conduite de l’EPP, ou s’en affranchir, par une mise en œuvre «intuitive» des méthodes, sont les deux risques que court le praticien qui s’engage dans l’EPP. Afin d’éviter ces risques, la HAS a mis à leur disposition des dispositifs d’accompagnement de l’EPP.

Il est dès lors légitime de s’interroger sur l’intérêt de l’adressage de ces méthodes aux praticiens, comme si un usage direct leur était possible alors que dans le même temps, un dispositif se met en place pour les accompagner dans leurs programmes d’EPP dont la mission devrait être d’assurer la mise en œuvre intelligente médicalement parlant et adaptée à la thématique de l’EPP des guides que sont les méthodes proposées par la HAS.

Les organismes agréés (OA) ont à s’engager dans la démarche qualité de manière à veiller à la pertinence clinique des méthodes utilisées, des normes de qualité élaborées, de la pertinence clinique des indicateurs choisis.

Décrire le processus de soin, le comparer à des critères préétablis, formaliser l’amélioration apportée, en suivre la mise en œuvre par des indicateurs ad hoc est une démarche difficile.

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May 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La conduite de l’EPP

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