34. L’EMDR (eyes movement desensitization and reprocessing)
E. Bardot
Historique
En 1979, Francine Shapiro obtient un doctorat de littérature anglaise à l’Université de New York. Elle apprend à cette époque qu’elle a un cancer, ce qui, dit-elle, a profondément changé sa vie. Après la chirurgie et les rayons, les médecins lui auraient dit : « Apparemment, vous ne l’avez plus, mais ça revient chez certains patients. On ne sait pas chez qui, ni comment. Bonne chance », paroles qui l’ont choquée. Elle s’est mise alors à lire des livres sur la maladie, le rôle du stress dans le déclenchement et l’aggravation de la maladie. Elle va s’intéresser pendant une vingtaine d’années à la psychologie, aux liens corps – esprit, afin de chercher à prévenir une éventuelle rechute. Elle aurait alors exploré plusieurs formes de psychothérapie.
Elle a été sensible à deux formes :
– la thérapie brève systémique de l’école de Palo Alto : elle est chercheuse associée au Mental Research Institute avec Dick Fisch et Paul Watzlawick ;
– les thérapies comportementales et cognitives avec Joseph Wolpe, Andrew Slater et Aaron T. Beck.
Elle passe un doctorat de psychologie clinique. En 1987, elle découvre l’EMD (eyes movement desensitization) au cours d’une promenade dans un parc. Des pensées négatives obsédantes l’envahissaient. C’est alors qu’elle aurait eu la surprise de constater que ces pensées avaient disparu après des mouvements de va-et-vient de ses yeux.
Elle s’est mise à expérimenter sa « découverte » avec des ami(e) s puis avec des personnes souffrant d’état de stress post-traumatique, notamment des vétérans de la guerre du Vietnam, en y adjoignant une procédure pour dissiper durablement l’anxiété. Ainsi, est née l’EMD comme technique de désensibilisation de l’anxiété. En 1990, l’EMD devient l’EMDR (eyes movement desensitization and reprocessing) comme modèle de traitement adaptatif de l’information en référence aux concepts de traitement de l’information et des réseaux associatifs originellement présentés par Lang et Bower. Le modèle est prioritairement orienté vers le traitement du psychotraumatisme (Shapiro, 1995 and Shapiro and Silk Forrest, 1997).
Elle obtient en 1994, le Distinguished Scientific Achievement in Psychology Award de l’Association californienne de psychologie et, en juin 2002, le prix Sigmund Freud, décerné à la fois par l’Association mondiale de psychothérapie et par la ville de Vienne. Francine Shapiro est la présidente de l’Association internationale d’EMDR fondée en Californie. L’EMDR, dont elle a déposé la marque, connaît un développement important dans le monde.
La stratégie de Francine Shapiro porte sur trois axes :
– l’affirmation d’un modèle syncrétique, incluant les ingrédients venant d’autres thérapies :
• les thérapies cognitivo-comportementales dans l’utilisation d’échelles et la verbalisation des croyances négatives et positives sous-jacentes.
• la Gestalt dans l’insistance sur le ressenti émotionnel et corporel dans l’ici et maintenant de la séance ;
• l’hypnose éricksonienne dans l’utilisation de techniques d’imagerie guidée, l’utilisation des ressources, de la suggestion ;
• la psychanalyse dans l’association libre.
– la recherche d’une justification et d’une caution scientifique à l’efficacité de sa méthode par la multiplication d’études cliniques ;
– l’organisation et l’encadrement de la formation des thérapeutes.
Le traitement en huit phases
L’EMDR semble une technique simple et rapide à enseigner qui a des effets bien concrets et, en retour, ne peut que questionner le thérapeute. Son apparente simplicité cache en fait une complexité relationnelle. Celle-ci s’exprime dans l’exigence de recruter des thérapeutes expérimentés.
L’EMDR se décrit en huit phases.
Anamnèse
L’anamnèse permet :
– de définir sur quel(s) souvenir(s) traumatique on va travailler ;
– d’évaluer les bénéfices attendus du traitement.
Préparation du patient
Le thérapeute présente la technique, vérifie et facilite les capacités de contrôle de soi du patient en utilisant :
– la place sûre : le thérapeute demande au patient de retrouver le souvenir d’une situation où il s’est senti en sécurité. On ancre avec des mouvements oculaires les sensations liées à ce souvenir sur un geste ou un mot ;
– le travail sur les ressources : le thérapeute demande au patient le souvenir d’une situation où il a été capable de faire preuve de courage avec succès. Là encore, on ancre l’expérience présente liée à ce souvenir ;
– le signal d’arrêt : il va permettre au patient de sortir de l’expérience si celle-ci le met en difficulté.
Évaluation
C’est la mise en route du protocole dans l’ici et maintenant de la séance à partir du souvenir traumatique. Prenons un exemple simple : une patiente vient consulter pour des cauchemars récurrents, une asthénie et une peur de la conduite. Elle a été victime d’un accident de voiture 4 mois auparavant. On ne note pas de problèmes particuliers auparavant. On va définir les points suivants.
– Une cible : le thérapeute (T) demande au patient de choisir une image qui représente la partie la plus bouleversante du souvenir et de se concentrer dessus. La patiente se concentre sur l’image d’elle la poitrine coincée contre le volant.
– Une croyance négative à partir de cette cible : « Quelle idée négative sur vous-même vous évoque cette image, là, maintenant ? » Cette croyance doit être une croyance irrationnelle sur soi ou sur la situation. Il existe trois grandes catégories de croyance négatives :
• celles concernant la responsabilité, la faute : « Je suis un mauvais, un nul, un méchant, un minable, etc. » ;
• celles concernant le manque de sécurité : « Je continue à être en danger » (alors qu’il n’y a plus de danger) ;
• celles concernant la perte de contrôle ou le choix : « J’aurais dû mieux contrôler, j’aurais dû faire autrement ; alors je me traite de pauvre type, bon à rien, incapable, etc. ».
La patiente (P) dit : « Je suis morte » (là, maintenant, devant nous, même si son corps semble figé, elle est bien vivante) : nous sommes sur le thème de la sécurité.
– Une cognition positive, alternative à la croyance négative. On va évaluer à l’aide d’une échelle de 1 à 7 (validity of cognition [VoC]) : « Qu’est-ce que vous préféreriez vous dire de plus positif ? » (lorsque le patient se focalise sur l’image). Cette cognition, qui n’est pas encore une croyance, doit être réaliste, se décliner comme un « je peux » ou « je suis capable de ».
P. dit : « Je suis vivante. ».
T. : « À combien entre 1 et 7 êtes-vous ; 1 vous n’y croyez pas du tout et 7 tout à fait ? »
P. : « 2. »
Il s’agit ensuite d’exprimer la réaction émotionnelle qui accompagne la focalisation sur la cible et l’évocation de la croyance négative en évaluant :
– son intensité sur une échelle de 10 à 0 (subjective unit of distress [SUD]), où 10 est la perturbation la pire qu’il ait connu et le 0 correspond à tout à fait calme ;
– sa localisation corporelle : « Dans quelle partie du corps ressentez vous cette émotion ? »
T. : « Comment ça réagit en vous ? »
P. : « J’ai une boule là. » Elle montre son sternum avec sa main.
T. : « À combien évaluez-vous l’intensité de cette réaction entre 0 et 10, où 10 est le pire que vous connaissez et 0 est tout à fait calme ? »
P. : « 7 sur 10. »
Désensibilisation
Cette phase associe focalisation sur la cible, croyance négative et localisation corporelle avec les mouvements oculaires ou autres jusqu’à cessation de la perturbation émotionnelle, lorsque le SUD est à 0.