Le courant narratif

33. Le courant narratif

T. Servillat and A. Vallée




Approche narrative de White et Epston


L’approche narrative de Michael White (principal auteur) et de David Epston (1990) est une des plus récentes contributions au riche champ des thérapies brèves d’inspiration systémique. Née d’une pratique de la thérapie familiale en pédopsychiatrie, l’approche narrative propose une nouvelle métaphore (ou, plus précisément, analogie) : la vie humaine est conçue comme un texte dont il importe que nous soyons autant que possible les propres auteurs (analogie textuelle). Une des pratiques les plus originales issues de ce travail est l’externalisation, que nous décrirons plus loin.

Le cas princeps de l’approche narrative est celui d’un jeune garçon qui présentait un problème d’encoprésie. Incapable de retenir ses selles, il était moqué par les enfants de sa classe et, à la maison, la vie était infernale, l’enfant jouant même avec ses matières fécales. Le père avait honte et s’isolait de ses propres collègues de travail. La mère se sentait incompétente et déprimée. Les difficultés du couple augmentaient de jour en jour et le fonctionnement familial se déstructurait rapidement. Michael White eut l’idée de proposer à l’enfant de nommer son problème, en présence de sa famille, et lui offrit de l’aide pour cela. Le jeune garçon décida d’appeler sa difficulté « sneaky poo », soit en français « caca sournois » (même s’il manque dans cette traduction la dimension du jeu de mot, puisque « snake » veut dire « serpent », évoquant la forme que prenait la matière fécale lorsque l’enfant jouait avec).

Le fait de proposer à la personne de renommer elle-même son problème permet de travailler le processus d’externalisation. En effet, Michael White propose dans un premier temps à la famille de décrire avec le plus de détails possible (jusqu’à « saturation ») les effets qu’a le problème sur chaque personne du groupe, mais aussi sur les relations entre toutes les personnes du groupe (« mise en carte des effets du problème »). Une fois ce premier temps réalisé, le thérapeute propose la démarche inverse, soit une description par chacun des membres du groupe familial de l’influence de chaque personne, mais aussi des relations entre les personnes concernant le problème lui-même (mise en carte de l’influence des personnes et des relations sur le problème). Il peut favoriser ce travail en facilitant la description de moments lors desquels l’influence du problème a été contenue, voire diminuée (moments qualifiés d’« événements uniques », qui ne sont pas sans évoquer la notion d’exception utilisée dans les thérapies solutionnistes). La rhétorique utilisée est volontiers celle habituellement utilisée lors des conflits militaires et politiques : résistance au problème, révolte, reconquête de la liberté, expulsion du problème ou établissement de relations pacifiques mais plus acceptables avec le problème.

Cette pratique vise, en se référant explicitement à la psychologie cognitive de Brunner (qui ne se réfère pas du tout à l’analogie informatique habituellement utilisée par le cognitivisme, mais à la notion de descriptions et de récits), à permettre une révision de la façon dont les personnes se racontent face à leur problème afin d’obtenir des descriptions plus riches de possibilités (processus de « reauthoring ») qui pourront ensuite être étendues afin d’obtenir de nouvelles histoires.

Au-delà de ce procédé d’externalisation, l’approche narrative de White et d’Epston a le mérite de réintroduire dans le domaine systémique une réflexion sur le pouvoir que Gregory Bateson avait contribué à évacuer. Non dénuée de connotation politique, cette approche est d’introduction très récente dans notre pays et y reste encore très confidentielle. Bien qu’à notre avis non idéologique, elle insiste sur le rôle aliénant de discours dominants tels les discours des mass media (ainsi sont nées des pratiques groupales pour le traitement des problèmes d’anorexie mentale encourageant la pratique de résistance créative à l’hypercontrôle du corps et des émotions).

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Le courant narratif

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