La personnalité obsessionnelle

4. La personnalité obsessionnelle



Définitions, épidémiologie


La personnalité obsessionnelle est sans doute la plus connue et la plus facile à définir de toutes les personnalités. Elle est aussi l’une des plus fréquentes. Sa définition, claire, fondée sur le perfectionnisme, la méticulosité et le souci de la propreté n’implique pas les mêmes jugements péjoratifs que la personnalité histrionique à laquelle on l’oppose parfois. Les deux structures partagent pourtant un certain nombre de faiblesses : l’égoïsme, l’immaturité, le caractère superficiel des affects et le conformisme. Les obsessionnels, cependant, défendent mieux leur réputation. Stables et têtus, ils s’installent à des postes clés et leur personnalité se confond de plus en plus avec des professions et des emplois qui, dans une société figée, se rapprochent du pouvoir. Il existe ainsi toute une culture de la personnalité obsessionnelle, courtelinesque et tatillonne, qui associe la tracasserie du détail, l’opposition bornée, la froideur exacte. Nous le voyons, l’obsessionnalité a la morale avec elle, elle se situe du côté du manche, elle n’est pas prise en défaut. Et pourtant que les obsessionnels, par leurs hésitations, leur réserve, leur manque d’élan peuvent être lâches, cruels et pervers ! Quand les empires décadents s’écroulent – la Turquie ou l’Autriche du xixe siècle par exemple –, c’est moins dans l’orgie et les débauches que derrière une rangée de lorgnons et de cols durs. Mais cessons de dénoncer l’obsessionnalité dans ses œuvres pour mieux la comprendre dans son origine et sa nature.

FreudFreud” “A, dès 1908, mit l’accent sur la fixation au stade anal de l’obsessionnel. Désignant cette étape, il soulignait la crainte de la souillure mais en même temps l’obéissance à la loi, une des premières lois sociales, imposée par les parents. L’obsessionnel veut être propre, il veut aussi être conforme, plus conforme que les autres. Par la suite, d’autres psychanalystes insistèrent sur la nécessité, là encore apprise, de contrôler les pulsions, les débordements et d’une façon plus générale l’ordre des choses dans l’environnement immédiat. Pour Wilhelm ReichReich” “A, cette attitude était imposée par des parents rigides et punitifs ; pour Harry Stack SullivanSullivan” “A, l’obsessionnel avait grandi dans un foyer où la haine et l’agressivité se cachaient sous une surface polie, et il devait adopter quoi qu’il arrive une attitude calme et maîtrisée. Dans la même perspective, A. Angyall (1965) voyait l’obsessionnel comme réagissant par le repli à des parents inconsistants et contradictoires.


Pour D. Shapiro (1965) et l’école cognitiviste, il existe chez l’obsessionnel un surinvestissement des cognitions avec débauche de détails qui ne sont plus sélectionnés et s’accumulent de façon anarchique. On peut parler d’inattention active, de focalisation instable. Le même auteur souligne le souci permanent d’autonomie dans la légalité avec une prédominance forte des shouldismes. L’obsession de la vérité, sans cesse recherchée et sans cesse remise en question, est une troisième caractéristique qui s’insère dans le cadre général du contrôle. Au demeurant, ces différentes stratégies – comportementale, intellectuelle, affective – sont en partie inefficaces, le sujet étant piégé sans cesse par ses doutes et ses débordements. Tout cela se cristallise autour des croyances fondamentales, rassemblées par BeckBeck”et Freeman (1990), qui concernent l’observation des lois et la culpabilité : « Il y a de bonnes et de mauvaises conduites », « Je dois éviter les fautes pour être parfait », « Je dois me contrôler parfaitement ainsi que mon environnement », etc.

Gabbard (1994) insiste sur l’obéissance pathologique aux parents, les sujets ayant l’impression chronique, internalisée, qu’ils n’en font jamais assez. Benjamin (1993) met l’accent sur le désir de se contrôler et de contrôler les autres. La discipline et l’adhésion à la loi constituent ensuite les meilleurs moyens d’assurer ce contrôle, cela sans équivoque ni discussion.

Depuis FreudFreud” “A et l’agressivité anale, la personnalité obsessionnelle a été tirée vers le conformisme social, lequel, signe des temps, se confond avec le surinvestissement intellectuel et le souci de la vérité. La loi, donc, est l’horizon permanent de l’obsessionnel, limitant tous les domaines, y compris les émotions, les pulsions, les loisirs qui se voient soumis à des rythmes chronométrés, à des symétries rigides. L’affirmation et la réussite procèdent de la loi et elles s’y heurtent, sans qu’une résonance profonde apporte ici sa part de fantaisie, d’audace ou de charisme.

Les classifications modernes, DSM-IV-TR et ICD-10, mettent en avant le perfectionnisme, l’obsession de la morale, des lois et des détails. Viennent ensuite le surinvestissement dans le travail, les difficultés à déléguer des tâches et l’avarice. Le conformisme, la rigidité et l’entêtement sont signalés par l’ICD-10. La symptomatologie affective – avec froideur et débordements paradoxaux –, tout comme les traits cognitifs – isolation, annulation, intellectualisation –, ne sont pas signalés.

La personnalité obsessionnelle est assez fréquente. ReichReich” “A et coll. (1989) et Zimmerman et Coryell (1990), utilisant le PDQ, rapportent des prévalences dans la population générale respectivement de 6,4 et 4,0 % aux États-Unis. Les études faites avec des entretiens structurés rapportent des chiffres plus bas : 2,2 % pour Maier et coll. en Allemagne avec le SCID (1992) ; 1,7 % pour Zimmerman et Coryell aux États-Unis avec le SIDP (1990). L’étude de Nestadt (1991) faite à Baltimore rapporte une prévalence de 1,7 %, avec un taux plus élevé chez les hommes blancs mariés et employés ayant étudié à l’université (auteurs cités par G. de Girolamo et J.H. Reich, 1993).

Enfin, dans une étude recherchant également les troubles liés à la dépendance alcoolique, Grant et coll. (2004) retrouvent une prévalence de 7,8 % pour le trouble de la personnalité obsessionnelle-compulsive dans la population générale, en utilisant une interview basée sur le DSM-IV.


Comportement et stratégie interpersonnelle


La personnalité obsessionnelle s’organise autour du perfectionnisme. Les obsessionnels veulent être parfaits dans tous les domaines : dans l’ordre matériel et professionnel, dans l’ordre moral où la moindre faute les obsède de façon scrupuleuse, dans l’ordre social où ils sont respectueux des convenances et des lois. Ces attitudes ont des inconvénients. L’obsessionnel s’attache aux détails et n’arrive pas à dégager des vues d’ensemble ; il perd du temps et ne peut pas terminer les tâches qu’il s’est fixées, lesquelles sont souvent trop compliquées, démesurées, mal adaptées. Hésitant entre plusieurs perspectives qui comportent chacune leur avantage, l’obsessionnel hésite, ne se décide pas, laisse passer d’excellentes occasions. De la même façon, il redoute le changement et les innovations et s’attarde à des techniques désuètes. Enfin, bien qu’il soit respectueux des lois morales et fort scrupuleux, il fait passer ses idées et ses projets avant ceux des autres. Il est avec eux à la fois exigeant, dominateur et brutal. Il a peu tendance à leur faire confiance et compte avant tout sur lui-même.

Soucieux d’autonomie et de responsabilité, l’obsessionnel s’affirme dans le cadre du conformisme, ce qui limite sa créativité. Le travail est en général la seule issue dans laquelle son énergie peut se canaliser. Il s’y montre à la fois conventionnel, têtu, vérificateur et répétitif. L’imitation parfaite d’un modèle, le respect des lois et des doctrines le rendent plus apte à une carrière administrative que commerciale ou scientifique, car il redoute l’imprévu et l’improvisation.

Cette vaste politique de rigidité a beaucoup d’inconvénients. L’obsessionnel fait souffrir sa famille. Égoïste, débordé par ses tâches professionnelles, il est difficilement accessible, peu à l’écoute de ses proches, incertain et fuyant quand on lui demande de prendre une décision. Ses hésitations, ses plans compliqués, son avarice entravent les loisirs et les festivités familiales. Sa myopie perfectionniste n’empêche pas les erreurs. Il peut se tromper lourdement, quant à la gestion d’une entreprise, quant aux choix existentiels et aux conseils prodigués envers ses enfants. Souvent culpabilisé, l’obsessionnel ne l’est pas toujours à bon escient ; il sait aussi ignorer ses fautes ou se compartimenter une double vie, qui paraît innocente du moment qu’elle est organisée. C’est plutôt le surmenage ou l’échec flagrant qui entraîneront chez lui la décompensation dépressive.

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Jun 29, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on La personnalité obsessionnelle

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