La personnalité borderline

8. La personnalité borderline


ce:anchor id=”p81″/>Le concept de trouble de la personnalité borderline découle de la notion déjà ancienne « d’état frontière entre folie et normalité » (Hugues, 1884) qui connut de multiples avatars et servit à désigner par défaut des patients inclassables ou particulièrement difficiles à traiter. Les travaux de KernbergKernberg A (1975) contribuèrent à donner une plus grande cohérence à cette notion qui resta néanmoins assez confuse selon qu’on se référa à la structure de personnalité ou à la symptomatologie observée. Elle demeure un cadre nosologique controversé en raison du polymorphisme symptomatique, de la coexistence avec des troubles de l’humeur cycliques, de l’intensité des manifestations anxieuses, de la survenue de manifestations psychotiques transitoires qui conduisent certains auteurs à douter de son appartenance aux troubles de la personnalité.

Certains considèrent qu’elle constitue une forme clinique particulière (subaffective disorders) de troubles de l’axe I (AkiskalAkiskal A et coll., 1985), une combinaison d’un trouble de l’humeur et de la personnalité (Frances et Widiger, 1987), un niveau pathologique distinct de l’axe I et de l’axe II (KernbergKernberg, 1984 ; MillonMillon, 1981), voire un fourre-tout symptomatique de patients inclassables.

Dans la classification DSM-IV, les critères diagnostiques sont au nombre de neuf contre huit dans la DSM-III-R : l’ajout principal concerne les expériences psychotiques réactionnelles brèves incluant des idées paranoïdes, de dépersonnalisation, de déréalisation et des Illusions hypnagogiquesillusions hypnagogiques.

Les huit autres critères sont brièvement résumés ci-dessous :




• instabilité et excès dans les relations interpersonnelles ;


• impulsivité dans au moins deux types de comportements (sexualité, dépenses, usage de toxiques, auto-agression) ;


• instabilité affective ;


• colères intenses ;


• menaces et comportements suicidaires ;


• perturbations de l’identité ;


• sentiments permanents de vide ou d’ennui ;


• efforts désespérés pour éviter séparations et ruptures.

La classification DSM-III (1980) apporta une définition descriptive qui a permis de multiples études épidémiologiques et étiologiques. Plus de la moitié des publications consacrées aux troubles de la personnalité concernent les personnalités borderline. Un nombre élevé de patients hospitalisés en milieu psychiatrique présente des troubles borderline (près de 50 % pour Widiger et Weissmann, 1991). Leur vive souffrance psychique et leur jeunesse suscitent des réactions de compassion intense et, de ce fait, des problèmes techniques fort complexes. Les comportements suicidaires sont particulièrement fréquents et graves. Ils dominent le pronostic.

La production littéraire et cinématographique contemporaine privilégie les héros et héroïnes présentant des personnalités borderline et crée de nouveaux archétypes d’éternels adolescents révoltés, en proie à d’incessantes vicissitudes existentielles. En ce début de millénaire, les errances des personnalités borderline ont pris la relève des tourments romantiques du xixe siècle et symbolisent la situation de crise permanente des sociétés contemporaines. Pour toutes ces raisons, les personnalités borderline occupent incontestablement une position vedette parmi les personnalités pathologiques.


Apparence comportementale


Les traits saillants de la personnalité borderline sont l’intensité et l’instabilité des réactions émotionnelles, l’impulsivité des comportements agressifs ou toxicomaniaques, l’imprécision du sentiment d’identité de soi contemporain d’une sensation quasi permanente de vide intérieur, d’ennui ou de rage froide flottante. L’image de soi, l’humeur et les relations interpersonnelles sont gravement et continûment perturbées. Il en résulte une grande diversité de symptômes psychiatriques que dominent les défaillances du contrôle émotionnel : le risque de suicide ou de comportement parasuicidaire domine cette pathologie et en fait toute la gravité.

L’image de soi est imprécise, diffuse : les personnalités borderline ignorent qui elles sont, ce qu’elles veulent et ceux qu’elles aiment. Elles fluctuent violemment et, dans l’instant, d’une appréciation contrastée d’elles-mêmes et d’autrui à son contraire, sans conserver la mémoire de la précédente. Indécises sur leur propre identité, elles peuvent l’être également sur le choix du sexe d’un partenaire. Elles ignorent quel sens donner à leur vie, quelle activité entreprendre, quelles valeurs respecter, quel loisir choisir.

Elles présentent parfois des phénomènes interprétatifs ou hallucinatoires transitoires, des comportements saugrenus dont elles sont capables de critiquer rétrospectivement le caractère aberrant.

Elles choisissent volontiers des professions indépendantes car elles ne supportent ni la contrainte ni l’autorité : elles sont attirées par des professions artistiques ou complexes : musique, littérature, religion, droit, santé (StoneStone A, 1993), mais aussi déqualifiées par rapport à leur formation.

Après une adolescence et un début d’existence convulsifs, elles connaissent parfois un apaisement, voire une amélioration définitive au cours de la troisième décennie, mais retrouvent souvent leurs tourments aux alentours de la crise du milieu de la vie, à l’occasion de ruptures affectives ou professionnelles.


Conduite interpersonnelle


Les relations interpersonnelles sont toujours précaires, instables, potentiellement conflictuelles. Les périodes d’intense admiration d’un personnage élu ou aimé alternent avec des phases de susceptibilité maladive, des accès de colère. Elles paraissent en proie à un état passionnel permanent. Incapables d’établir des relations émotionnelles stables et nuancées avec leurs proches importants, elles réagissent avec dépit aux plus infimes frustrations. Elles s’abandonnent impulsivement à des représailles hétéro- ou autodestructives.

La métaphore des hérissons en hiver, de SchopenhauerSchopenhauer A, décrit parfaitement leurs relations avec le genre humain : transis dès qu’ils s’éloignent, tout rapprochement leur inflige une blessure, tant leurs piquants sont acérés. Leurs partenaires présentent des perturbations psychologiques complémentaires. Les patients borderline expriment une demande affective et une peur du rejet intenses. L’extrême souffrance psychique des patients borderline est à l’origine d’une intense demande d’aide psychothérapique, particulièrement stimulante pour les thérapeutes. La relation thérapeutique est un véritable « suspense », riche en péripéties, menacée en permanence par le risque d’interruption brusque. Les principales difficultés résident pour le patient dans l’acceptation du changement externe ou interne et, pour le thérapeute, dans la bonne distance à trouver : il doit recourir en permanence pour lui-même à des techniques cognitives en vue de renforcer son contrôle émotionnel.


Gestion des affects


L’humeur des personnalités borderline ne cesse de fluctuer entre tristesse, ennui, vacuité, colère, révolte, exaltation et abattement. L’humeur de base est dysphorique avec une irritabilité qui est la seule constante de leur caractère. L’irascibilité masque à peine un besoin de tendresse, une demande d’affection et d’attention, perceptible dans toutes leurs communications non verbales. L’expression simultanée d’affects contradictoires contribue au charme qui se dégage de leur personnalité. Ils vivent dans l’instant présent, à la façon des petits enfants qui, sous l’emprise de la douleur ou de la désillusion, pensent ne jamais pouvoir sortir de la souffrance, avec un sentiment de déréliction poignant. L’amélioration du contrôle émotionnel est donc un objectif primordial de leur psychothérapie. L’incapacité des patients limites à éprouver des sentiments autrement que dans l’instant présent serait liée à un trouble de la mémoire qui a reçu la qualification « d’amputation du cadre temporel » (Lumsden, 1993). La théorie de la Concordance émotionnelleconcordance émotionnelle (on apprend mieux et on se remémore plus facilement les événements conformes à l’état émotionnel présent) expliquerait, selon cet auteur, les réactions émotionnelles extrêmes de ces patients. Les patients borderline accordent d’autant plus d’attention aux réactions négatives de leur entourage (désapprobation, rejet, froideur, colère) qu’ils éprouvent simultanément les mêmes émotions. Ils sont particulièrement sensibles à toutes les attitudes mettant en cause leur faible estime de soi. Par ailleurs, leur tendance à l’idéalisation serait liée à un besoin d’augmenter leur estime de soi. Le moindre indice de dévalorisation est perçu avec une intensité extrême et annule la mémoire de l’expérience immédiatement antérieure de revalorisation de soi.

Les comportements suicidaires ou auto-agressifs, dont la fréquence élevée fait toute la gravité, correspondraient à des tentatives de réduction des tensions émotionnelles. Elles peuvent prendre aussi l’allure de Conduites addictivesconduites addictives avec consommations massives (« défonces ») d’alcool, de stupéfiants ou de nourriture sur un mode boulimique.


Style cognitif


KernbergKernberg A (1970) décrit de façon saisissante l’univers mental des patients borderline : « Leur monde intérieur est peuplé de représentations caricaturales des aspects bons et horribles des êtres qui ont compté pour eux… De la même manière, leur perception d’eux-mêmes est un mélange chaotique d’images honteuses, menaçantes ou exaltées. »

Le style cognitif des patients borderline se caractérise en effet par un traitement dichotomique des informations, c’est-à-dire un classement des perceptions en termes mutuellement exclusifs. C’est une pensée contrastée, en noir et blanc, subjectiviste, saturé d’émotions intenses et contradictoires : leur abondance masque une certaine pauvreté lexicale et syntaxique.

Le style de Penséedichotomiquepensée dichotomique est la résultante des distorsions cognitives telles que l’abstraction sélective, l’inférence arbitraire, la maximisation, la minimisation de soi et la surgénéralisation. On retrouve chez les personnalités borderline une espèce de pot-pourri de toutes les pensées dysfonctionnelles ou automatiques, également présentes chez les personnalités histrioniques, dépendantes, paranoïdes, passives-agressives, mais la caractéristique principale est l’assimilation prédominante à des schémas de rejet. Tous les schémas dysfonctionnels précoces (YoungYoung A et Klosko, 1995) s’y rapportent :




« Personne ne m’aime. »


« Je serai toujours seul. »


« Je ne compte pour personne. »


« Personne ne pourra jamais m’accepter. »

Toutes les inférences courtes (Heuristiquesheuristiques) apportent de l’eau à ce moulin :


Les croyances secondaires se rattachent à ce postulat de base :




« Je ne peux m’en sortir tout seul, mais qui peut m’aider ? »


« Il ne faut pas dépendre des autres, sinon on risque de se faire rejeter. »


« Je dois contrôler à tout prix mes émotions, sinon c’est la catastrophe. »


« De toute façon, je n’arriverai jamais à me contrôler. »

La précarité est la toile de fond des personnalités borderline : elles se perçoivent comme des êtres faibles, injustement menacés, sans recours. Leur destinée leur paraît irrémédiablement funeste, quoi qu’elles fassent. C’est pourquoi leur sentiment tragique de l’existence, leur jeunesse, leur charme habituel en font des patients si émouvants.

La perception des autres obéit au même manichéisme : ils sont soit « tout bon », soit « tout mauvais ». Ils sont intensément aimés et admirés tant qu’ils sont présents, patients, tolérants, bref dignes de confiance. Mais dès la première défaillance, marque d’agacement ou de distraction, ils perdent instantanément tout crédit, telles des idoles renversées de leur piédestal et piétinées avec rage, pour n’avoir su exaucer les vœux de leurs adorateurs.

L’étude des capacités neuropsychologiques des personnalités borderline est une voie de recherche récente qui suscite un nombre croissant d’études. Judd et Ruff (1993) en ont fait la revue et effectué une étude comparée portant sur 25 patients qui met en évidence des différences hautement significatives avec les contrôles (rappel de la figure de Rey, épreuve du code à la WAIS-R, épreuve de fluence figurative de Ruff). Ces anomalies, comparables à celles observées dans certains syndromes frontaux, seraient, pour ces auteurs, à l’origine de défaillances dans les processus d’abstraction, notamment dans les relations interpersonnelles complexes. Le recours à la pensée dichotomique résulterait d’une procédure simplifiée de traitement de l’information. C’est pourquoi l’apprentissage des opérations formelles, le développement des capacités d’abstraction et des compétences linguistiques constituent un objectif important du traitement.

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Jun 29, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on La personnalité borderline

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