8. Foie
8.1. Métastases hépatiques
Comparaison des résultats carcinologiques à long terme des résections hépatiques R0 et R1 pour métastases hépatiques d’origine colorectale
De Haas RJ, Wicherts DA, Flores E, Azoulay D, Castaing D, Adam R.
R1 resection by necessity for colorectal liver metastases : is it still a contra-indication to surgery ? Ann Surg 2008 ; 248 : 626-37.
En postopératoire, 78 % des malades du groupe R0 et 88 % des malades R1 ont reçu une chimiothérapie. Avec un suivi moyen de 40 mois, 153 malades du groupe R0 (65 %) et 149 du groupe R1 (74 %) ont présenté une récidive (p = 0,06). La survie globale à cinq ans était de 61 % dans le groupe R0 et de 57 % dans le groupe R1 (ns) et la survie sans récidive était de 23 % dans le groupe R0 et de 14 % dans le groupe R1 (ns). Le taux de récidive sur tranche n’était pas significativement différent pour les résections R0 et R1.
Les auteurs concluent qu’avec la chimiothérapie actuelle et les possibilités de rehépatectomie, la résection R1 pour MHCR n’est plus contre-indiquée dans la mesure où elle donne des résultats carcinologiques proches de ceux observés après résections R0.
Une première étude avait montré que la marge de résection de 1 cm classiquement recommandée pouvait être diminuée à 1 mm sans risque carcinologique [1]. La présente étude va encore plus loin en montrant qu’en peropératoire lorsque la résection paraît limite en termes de marge, elle peut être réalisée quand même sans trop péjorer le résultat carcinologique.
Cette étude confirme ainsi un travail précédent, ayant inclus moins de malades et qui montrait déjà qu’une marge envahie n’était pas un facteur influençant la survie sans récidive [2].
Il aurait été intéressant que les auteurs évaluent chez les malades avec résection R1 les résultats carcinologiques en fonction du degré d’envahissement de la marge de résection. Est-ce qu’une marge massivement envahie à la même valeur pronostique qu’une marge où l’examen anatomopathologique ne montre que quelques cellules cancéreuses vivaces ?
En cas de résection R1, le taux de récidive sur tranche était de 15 %. Les auteurs proposent la coagulation à la bipolaire ou à l’argon de la tranche pour diminuer ce risque. Une autre proposition serait de détruire la lésion par radiofréquence avant résection puis de réaliser la résection passant alors en tissu détruit [3].
Références
[1] Ann Surg 2005 ; 241 : 715–22.
[2] Br J Surg 2007 ; 94 : 1133–8.
[3] Eur J Surg Oncol 2006 ; 32 : 213–7.
Avec l’utilisation de nouveaux médicaments de chimiothérapie, est-il licite de réaliser des hépatectomies pour métastases hépatiques d’origine colorectale (MHCR) en cas de métastases ganglionnaires du pédicule hépatique ?
Oussoultzoglou E, Romain B, Panaro F et al.
Long-term survival after liver resection for colorectal liver metastases in patients with hepatic pedicle lymph nodes involvement in the era of new chemotherapy regimens. Ann Surg 2009 ; 249 : 879-86.
L’existence de métastases ganglionnaires (MG) du pédicule hépatique est un facteur pronostique majeur après hépatectomie pour MHCR [1] et a longtemps été considérée comme une contre-indication à la réalisation d’une hépatectomie majeure [2]. Les auteurs ont réalisé une nouvelle étude pour réévaluer la valeur pronostique des MG en cas d’hépatectomie pour MHCR avec l’utilisation de nouveau médicament de chimiothérapie comme l’oxaliplatine et l’irinotécan. De 2000 à 2006, les auteurs ont décidé de réaliser systématiquement un curage ganglionnaire au cours d’une hépatectomie pour MHCR en présence de l’un des quatre facteurs de risque suivants : plus de trois MHCR, une localisation des MHCR dans le segment IV ou V, un ACE préopératoire supérieur à 20 IU/L et la découverte peropératoire d’un ganglion suspect. Ainsi, des MG ont été diagnostiquées chez 45 malades au cours de cette période. Vingt-quatre malades avaient eu une chimiothérapie préopératoire. L’hépatectomie était majeure dans 23 cas (51 %) et mineure dans 22 cas (49 %). La résection était R0 dans 41 cas (91 %). La mortalité opératoire était de 2 % et la morbidité de 24 %. Les MG étaient proximales (ligament hépatoduodénal) dans 17 cas et distales (fausse artère hépatique et tronc cœliaque) dans 28 cas. Une chimiothérapie adjuvante a été administrée chez 36 malades (80 %). Avec un suivi moyen de 26 mois, la survie actuarielle était de 30 % à trois ans et de 17 % à cinq ans et la survie médiane de 20 mois. La survie sans récidive médiane était de 7,6 mois. La survie globale à cinq ans était de 26 % en cas de MG proximales et de 17 % en cas de MG distales (ns). La survie sans récidive à trois ans était de 12 % en cas de MG proximales et de 5,4 % en cas de MG distales (ns). En analyse multivariée, les facteurs pronostiques indépendants étaient l’administration d’une chimiothérapie adjuvante, un taux d’ACE inférieur à 200 UI/L, une résection R0 et un ratio ganglions envahis sur ganglions examinés inférieur à 1.
Les auteurs concluent qu’avec l’utilisation de nouveaux médicaments de chimiothérapie, la présence de MG même distales du pédicule hépatique ne doit plus être considérée comme une contre-indication à la résection hépatique des MHCR.
En 2002, la même équipe avait rapporté qu’en cas de MG distales du pédicule hépatique, le taux de survie à un an après hépatectomie pour MHCR était nul et que pour cette raison la résection à cinq ans était de 17 % en cas de MG distales, les auteurs estimant que cette fulgurante amélioration pronostique était seulement due à l’utilisation de nouveaux médicaments de chimiothérapie. Ce résultat remarquable mérite vraiment d’être confirmé, ce d’autant qu’il est en contradiction avec les résultats d’une étude récente qui rapportait que, même avec l’utilisation de l’oxaliplatine et de l’irinotécan, il n’y avait pas de survivant à cinq ans après hépatectomie en cas de MG distales [1].
Il est dommage que les auteurs n’aient pas inclus les malades qui avaient eu un curage ganglionnaire négatif au cours de la même période et qui auraient pu servir de groupe témoin pour évaluer la réelle valeur pronostique des MG pédiculaires.
La présence de MG dans le pédicule hépatique devait être contre-indiquée en cas de MG distales [2]. Dans cette nouvelle étude, le taux de survie hépatique reste un facteur pronostique majeur [1], ce que confirme indirectement cette étude dans la mesure où la survie médiane de 20 mois observée chez les malades avec MG n’est pas très différente de celle rapportée chez les malades ayant des MHCR non résécables traitées uniquement par chimiothérapie [3,4].
Mots clés : Foie ; Cancer colorectal ; Métastase hépatique ; Métastase ganglionnaire ; Hépatectomie ; Survie
Références
[1] J Clin Oncol 2008 ; 26 : 3672–80.
[2] Ann Surg Oncol 2002 ; 9 : 430–8.
[3] J Clin Oncol 23 : 3706–12.
[4] J Clin Oncol 25 : 1670–6.
Caractéristiques des récidives après hépatectomie pour métastase de cancer colorectal
Assumpcao L, Choti MA, Gleisner AL, Schulick RD, Swartz M, Herman J, Gearhart SL, Pawlik TM.
Patterns of recurrence following liver resection for colorectal metastases : effect of primary rectal tumor site. Arch Surg 2008 ; 143 : 743-9.
Les patients porteurs de métastases hépatiques d’un cancer colorectal (MHCCR) ont désormais une survie améliorée par la chirurgie, au mieux optimisée par une chimiothérapie périopératoire [1,2]. Néanmoins 50 à 60 % vont développer une récidive, notamment pelvienne pour les tumeurs du rectum (3 à 30 % des patients) [3]. Ce travail cherche à préciser l’incidence, les caractéristiques des récidives et leur impact sur la survie après résection de MHCCR.
Une série de 582 patients consécutifs porteurs de MHCCR ayant eu une hépatectomie à visée curative a été étudiée de façon rétrospective. Parmi ces patients, 75,8 % (n = 441) avaient eu une tumeur colique et 24,2 % (n = 141) une tumeur rectale. Les tumeurs rectales étaient T3–T4 dans 85,8 % des cas et N1 dans 68,1 % des cas. Plus de la moitié des patients ont bénéficié d’une radiochimiothérapie néoadjuvante (59,6 %), suivie soit d’une résection antérieure du rectum (63,1 %), soit d’une amputation (36,9 %). Parmi les tumeurs rectales associées à MHCCR, 115 ont eu une hépatectomie avec une radiofréquence associée (RFA) dans 17,8 % des cas ; un seul patient n’a eu qu’une RFA. Aucune résection n’était R2 avec 6,4 % de résections R1. Une chimiothérapie néoadjuvante à l’hépatectomie était réalisée chez 31,9 % des patients, avec une chimiothérapie adjuvante dans 57,4 % des cas et un protocole complet périopératoire dans 7,6 % des cas. Après un suivi médian de 30,7 mois, 80 (56,7 %) des 141 patients opérés d’une tumeur rectale avec MH ont développé une récidive, pelvienne dans 16,3 % (n = 23 sur 141), hépatique dans 36,1 % des cas et mixte dans 56,5 % des cas. Les facteurs associés au risque de récidive pelvienne étaient un ACE supérieur à 200 ng/mL (p = 0,18) et une amputation du rectum (p = 0,11). Les patients ayant eu une radiochimiothérapie néoadjuvante avaient une meilleure survie sans récidive (p = 0,07). Les facteurs associés au risque de récidive hépatique étaient une hépatectomie trop réduite, des marges positives, une RFA associée. En analyse multivariée, seul un traitement par RFA était significativement associé à un risque de récidive. Les taux de survie à trois et cinq ans étaient de 62,4 % et 36,4 % respectivement. Le nombre de site de récidive avait une incidence sur la survie.
La conclusion des auteurs est que les récidives après résection hépatique pour MHCCR sont fréquentes, notamment pelviennes, mais aussi hépatiques. Le traitement chirurgical des récidives améliore la survie.
Ce travail ne permet pas de dégager un argumentaire ou un algorithme précisant l’indication d’une (radio)chimiothérapie (néo)adjuvante dans le cancer rectal métastatique, aucune recommandation consensuelle n’étant encore émise [2,4].
Le taux de récidive est ici très élevé mais semblable aux chiffres de la littérature.
Plusieurs études ont montré l’intérêt d’une radiochimiothérapie préopératoire dans les cancers des stades II et III du rectum avec une réduction de la récidive locale de 13 à 6 % (p = 0,06) cependant sans incidence sur la survie globale [5]. L’essai Quasar n’a pas montré d’avantage significatif pour une chimiothérapie adjuvante [6].
Dans le cadre de la prise en charge des lésions hépatiques résécables, l’essai EORTC publié récemment (FOLFOX avant et après chirurgie) apporte des résultats encourageants [4].
Références
[1] Lancet 2008 ; 371 : 1007–16.
[2] Gastroenterol Clin Biol 2007 ; 31 : 75–80.
[3] Arch Surg 1998 ; 133 : 894–9.
[4] Lancet 2008 ; 371 : 1007–16.
[5] N Engl J Med 2004 ; 351 : 1731–40.
[6] Lancet 2007 ; 370 : 2020–9.
Est-il possible de guérir définitivement des malades avec des métastases hépatiques d’origine colorectale initialement non résécables ?
Adam R, Wicherts DA, De Haas RJ et al.
Patients with initially unresectable colorectal liver metastases : is there a possibility of cure ? J Clin Oncol 2009 ; 27 : 1829-35.
Les auteurs concluent qu’une prise en charge pluridisciplinaire permet d’obtenir une guérison chez 16 % des malades ayant pourtant initialement une maladie colorectale métastatique étendue.
Cette étude est un bon reflet des progrès réalisés dans la prise en charge des MH d’origine colorectale. En effet, on parle aujourd’hui de guérison pour des malades traités autrefois de façon palliative.
Cette étude confirme l’importance pronostique de la réponse histologique qui va devenir dans un futur proche un objectif majeur de la prise en charge des MH qu’elles soient résécables ou non résécables [2,3].
Il est probable que ce taux de 16 % augmente dans un avenir proche avec l’utilisation de thérapies ciblées qui permettent d’augmenter la réponse tumorale et la résécabilité des MH initialement non résécables [4].
Le principal biais de cette étude est le manque de définition précise de la non-résécabilité des MH au diagnostic. En effet, un certain nombre de malades sont devenus résécables après quatre cycles d’une seule ligne de chimiothérapie, par exemple ; on peut penser que leurs MH étaient peut-être résécables ou très proche de la résécabilité au moment du diagnostic.
Mots clés : Côlon ; Rectum ; Cancer ; Métastase hépatique ; Chimiothérapie ; Chirurgie ; Guérison
Références
[1] Ann Surg 2004 ; 240 : 644–57.
[2] J Clin Oncol 2008 ; 26 : 5344–51.
[3] J Clin Oncol 2008 ; 26 : 1635–41.
[4] J Clin Oncol 2007 ; 25 : 4593–602.
Métastases hépatiques d’origine colorectale synchrones : résection simultanée ou différée ?
De Haas RJ, Adam R, Wicherts DA et al.
Comparison of simultaneous or delayed liver surgery for limited synchronous colorectal metastases. Br J Surg 2010 ; 97 : 1279-89.
La prise en charge des métastases hépatiques d’origine colorectale (MHCR) synchrones est encore sujette à controverse en particulier en ce qui concerne l’intérêt d’une chirurgie simultanée des MHCR et du primitif par rapport à une chirurgie différée des MHCR. De nombreuses études rétrospectives ont comparé ces deux attitudes mais étaient d’interprétation difficile dans la mesure où les malades ayant eu une résection différée avaient le plus souvent des MHCR plus évoluées nécessitant des hépatectomies plus élargies [1-3]. Les auteurs ont donc réalisé une nouvelle étude rétrospective monocentrique comparant ces deux attitudes chez 228 malades ayant eu uniquement une résection hépatique mineure de moins de trois segments pour MHCR synchrones : 173 avaient eu une résection différée des MHCR (groupe différé) et 55 une résection simultanée (groupe simultané). Les malades du groupe différé avaient significativement plus de MHCR, avaient reçu plus de chimiothérapie préopératoire, et avaient plus de lésions du parenchyme non tumoral. La mortalité opératoire était nulle dans le groupe simultané et de 0,6 % dans le groupe différé (ns). La morbidité opératoire était significativement plus élevée dans le groupe différé que dans le groupe simultané (25 vs 11 % ; p = 0,01). Avec un suivi moyen de plus de 40 mois, la survie globale à trois ans était de 70 % dans le groupe différé et de 74 % dans le groupe simultané (ns). La survie sans récidive à trois ans était significativement plus élevée dans le groupe différé que dans le groupe simultané (26 vs 8 %, p = 0,005). Une analyse multivariée mettait en évidence trois facteurs de risque indépendants de récidive : un nombre de MHCR > 3, une non-résécabilité initiale des MHCR et une résection simultanée.
Les auteurs concluent que si la résection simultanée des MHCR synchrones permet d’améliorer les résultats opératoires, elle a un effet néfaste sur les résultats oncologiques à long terme.
Cette étude confirme une précédente étude non publiée qui avait déjà montré que les résultats oncologiques à long terme étaient altérés en cas de résection simultanée [4].
Néanmoins, cette conclusion est à interpréter avec prudence car elle peut s’expliquer par des biais méthodologiques inhérents au caractère rétrospectif de cette étude. Malgré les efforts des auteurs, les malades des deux groupes n’étaient pas comparables et, en particulier, les malades du groupe différé avaient reçu plus de chimiothérapie préopératoire qui a pu influencer la survie sans récidive même si cette chimiothérapie n’était pas un facteur indépendant en analyse multivariée [5]. Par ailleurs, l’étude n’a pas évalué ces deux attitudes thérapeutiques en intention de traitement et de ce fait, le groupe différé n’était constitué que de malades hypersélectionnés de bon pronostic. En effet dans ce groupe, n’étaient pas inclus tous les malades pour qui une résection différée initialement prévue n’avait finalement pas pu être réalisée du fait, par exemple, d’une complication de la chirurgie du primitif ou d’une progression des MHCR après la chirurgie du primitif.
Il reste donc toujours une place pour un essai contrôlé comparant ces deux attitudes, même si l’essai français Metasynch a dû être fermé par manque d’inclusion. En attendant cet essai, les recommandations SFCD-ACHBT à paraître prochainement devraient aider à une prise en charge optimale de ces patients avec MHCR synchrones.