5. Entretien Avec le Patient en Psychologie Pathologique
J. Bergeret and P. Dubor
Les «observations» classiques peuvent se situer à divers niveaux depuis l’observation de type «botanique» par exemple qui considère son objet du dehors jusqu’à l’observation de type psychanalytique (où se trouve intégrée la dimension historique de l’objet vu, grâce au transfert, par l’intérieur, en sujet) en passant par l’observation phénoménologique du patient considéré «en situation».
L’entretien psychologique demeure commun au psychiatre et au psychologue clinicien, soit avant un examen médical pour préparer celui-ci, soit après un examen médical pour le compléter, soit sans examen strictement médical dans certains cadres institutionnels non médicaux (problèmes scolaires, orientation, etc.) où des difficultés pathologiques peuvent cependant être détectées, ce qui nous ramène au premier cas.
L’entretien psychologique, nous ne le répéterons jamais assez, ne doit surtout pas être considéré dans sa conduite, dans sa forme comme dans son but comme un examen médical; mais il ne peut constituer non plus pour le médecin une façon très tentante de s’esquiver et d’aliéner une partie de ses responsabilités; il lui est possible de les partager afin de les assumer sur la base d’un éventail plus large, non de s’en dessaisir.
Dans le cadre de l’entretien psychologique nous ne sommes intéressés ni par le symptôme en soi ni par les expressions somatiques seulement. Le patient ne se limite pas à un rôle d’objet passif, comme dans un banal interrogatoire ou un examen technique; il se place d’emblée en sujet actif organisateur réel de son propre mode de communication avec le psychologue, ce dernier étant vécu comme «receveur» et comme «témoin» C’est une position nettement intersubjective.
Le psychologue doit se garder d’interpréter d’emblée (surtout en termes «d’Œdipe» alors que le plus souvent il s’agit de «pseudo-Œdipe» défensif) les propos du patient avant de connaître l’ensemble du discours. Il convient de ne rien imaginer à sa place ou à l’avance.
PREMIÈRE PARTIE DE L’ENTRETIEN
Le patient doit disposer de la liberté d’organiser spontanément son mode d’expression relationnelle (fusionnelle, anaclitique, triangulaire), son type d’angoisse (de morcellement, de perte d’objetou de castration) qu’il ne faut pas confondre, et doit pouvoir mettre en avant ses principales défenses habituelles pouvant aller du refoulement (principal mode du névrosé) au dédoublement du Moi (chez le psychotique) en passant par le dédoublement des imagos ou le déni (de quoi?) ou la projection (dans les états intermédiaires) et aussi des mécanismes satellites du refoulement comme le déplacement, la dénégation, etc.
Du symptôme, il vaut mieux ne pas parler soi-même tout en autorisant, bien sûr, le patient à nous en entretenir quand il veut et comme il veut. La «chasse aux renseignements» est un style à redouter.
Par contre on ne saurait oublier l’importance pour le psychologue de bien remarquer le mode d’expression verbale, le niveau d’évolution affective, le degré d’adaptation aux réalités, la densité du discours, la souplesse ou la rigidité de l’attitude, le climat plus ou moins érotisé du dialogue, la mimique.
La façon dont ces remarques sont recueillies et vécues par le psychologue luimême nécessite de sa part un réexamen personnel et intérieur dans un deuxième temps comportant un recul nécessaire à l’écoute de ses propres sentiments en face de l’autre, c’est-à-dire son propre contre-tranfert.
On notera, dans les mêmes conditions, le débit verbal du patient, le ton, les prises de distances dans le discours (silences, repos, rejets, coups d’arrêt des échanges), le besoin d’isoler l’interlocuteur, de le maîtriser, de le neutraliser (certains parlent sans cesse pour fuir le dialogue), la façon de négocier l’angoisse ou l’agressivité, les possibilités d’identifications, les inhibitions (intellectuelles ou affectives), les facultés défensives ou adaptatives dans une situation nouvelle et imprévue, les facilités d’évocation et d’élaboration des souvenirs, le mode de fonctionnement mental (fantasmes, rêves, comportements, réticences et projections), les conflits et les défenses mises en œuvre à leur encontre.
On recherchera comment s’établit le mode de cloisonnement entre conscient, inconscient et représentations fantasmatiques; on resituera le symptôme au niveau mental, ou bien au niveau du comportement, ou encore au niveau du somatique.
On distinguera «l’agir» de décharge (destiné à éviter le temps du désir et ses représentations) de «l’agir» en tant que prélude à l’élaboration verbale.
DEUXIÈME PARTIE DE L’ENTRETIEN
Nous tenons à bien préciser que «l’entretien», objet de cet article, concerne en réalité l’ensemble de l’investigation psychologique par un dialogue direct au sens très large du terme, et non pas obligatoirement une seule séance de face à face (si possible sans intermédiaire ni personne, ni table, ni encore moins de «bureau»). Il est parfois souhaitable et même indispensable (surtout en ce qui concerne cette deuxième partie) de multiplier les séances de dialogue, sans que cela prenne non plus une allure de psychothérapie (en centrant à cette fin les zones d’intérêt sur des points précis et non sur un hasardeux «racontez-moi votre vie»).