Crise et psychothérapie

3. Crise et psychothérapie

W. Martineau




Introduction


S’il est difficile de parler de psychothérapie de la crise, on peut cependant avancer que ce moment peut être propice à la mobilisation d’une personne ou d’un système vers la recherche d’un nouvel équilibre. Pour cela, le thérapeute doit avoir quelques objectifs précis dans la relation qu’il va tâcher d’atteindre de manière à amener la personne en crise à accepter un échange constructif.

Mais d’abord, qu’entend-on par crise ? Ce mot est employé dans tellement de contextes qu’il finit par en perdre sa valeur. Selon James et Gilliland (2004), c’est « la perception et la réponse de l’individu à cette situation vécue comme une difficulté intolérable qui déborde les ressources et les mécanismes dont la personne dispose pour faire face ».

Il y a le plus souvent émergence d’une symptomatologie pouvant être spectaculaire qui est la plupart du temps plus une réponse à la crise qu’elle n’en est le fond. Le symptôme est agi comme une protection ou un évitement de l’effondrement émotionnel qui précède son apparition. Il peut même permettre une récupération et une apparente restauration de l’équilibre antérieur. Cependant, rien n’est résolu tant que persistent des modifications de la perception de la réalité, des cognitions négatives avec ruminations pessimistes et rétrécissement du champ des intérêts.

Autrement dit, il peut y avoir une résolution adaptée de la crise quand le retour à un état d’équilibre permet la résolution de la difficulté par une solution adéquate, et que, à partir de cette expérience, se met en place un apprentissage permettant d’anticiper et de répondre à des difficultés de même ordre.

À l’inverse, la résolution est inadaptée quand elle a permis un apaisement passager mais au prix de l’évitement du problème ou de sa dissolution par un moyen violent ou dangereux à terme pour la personne ou son environnement. C’est en effet cette apparente solution qui fait le lit futur de lourdes difficultés, comme les conduites d’évitement dans les phobies ou la répétition de passages à l’acte dans certaines sociopathies, ou bien encore les troubles addictifs. L’obstacle à l’origine de la crise reste alors présent, et il y a accroissement des facteurs de vulnérabilité et maintien d’une instabilité propice à la répétition des phénomènes de crise. Cette situation demande un soutien immédiat, c’est-à-dire une rencontre. Ce peut être par une écoute téléphonique comme par un accueil dans un centre de crise ou un hôpital.

Il y a bien sûr eu différentes approches thérapeutiques de la crise et celles-ci dépendent de l’ambition que l’on a quant à ce moment thérapeutique.

Pour beaucoup, il s’agit de repérer, d’évaluer les symptômes, les problèmes, le contexte d’émergence, le fonctionnement social et psychologique habituel, puis d’orienter vers une personne ou un lieu ressource, ou bien d’activer l’environnement social, médical ou familial.

D’autres auteurs (Caplan, 1964; Aguilera, 1995) ont pu modéliser la crise et l’intervention de crise sur un petit nombre de séances. Toutefois, au-delà du repérage symptomatique, on peut dire que, selon la sensibilité de chaque thérapeute, les grandes lignes de l’intervention thérapeutique s’effectueront autour des grands thèmes suivants :




– amorcer des liens avec l’histoire, le passé (sentiment d’abandon, d’infériorité, etc.) et la réactualisation des conflits intrapsychiques sous-jacents ;


– résoudre les difficultés présentes ;


– développer les capacités d’anticipation ;


– rechercher les ressources (personnelles, liées à l’histoire ou à l’environnement) ;


– recadrer les croyances désadaptées ;


– préparer de nouveaux apprentissages en proposant des « tâches thérapeutiques » ;


– mobiliser la famille voire l’environnement social ; etc.

Au-delà de ces grandes lignes, chacun va choisir des voies fonction de ses propres présupposés thérapeutiques. Il me paraît utile de développer ici ce qui me semble au cœur de la crise : le sujet pris dans son environnement et, dans ce moment précis, les objectifs et les moyens prioritaires.


La personne en crise


Il convient de se faire une idée assez précise de la position de la personne pour que l’échange verbal et le positionnement du thérapeute soient les plus ajustés possibles à la situation. Quelles sont les attentes de la personne ? Quels sont ses défenses, ses repères, ses croyances ? Comment se perçoitelle vis-à-vis de l’entourage et plus généralement des autres ?

Toute crise est interrelationnelle. Aussi, la perception du message que le sujet souhaite transmettre parfois inconsciemment est une étape majeure dans le renforcement du lien qui est en train de se tisser dans cette relation. Quel est le contenu de ce message (ressentiment, quête affective, désespoir, attente d’un secours ou d’un changement, etc.) ? À qui le message est-il destiné ? Quel est le rôle du thérapeute (écho, récepteur, amplificateur, messager, etc.) ? Enfin, à quoi le message, s’il est entendu, sera-t-il utile dans le devenir du sujet en crise ?

Toutes ces questions, l’écoutant, l’accueillant ou le thérapeute doit pouvoir se les poser au moins de manière implicite, sans quoi la rencontre risque de ne porter aucun fruit et d’accroître même le sentiment de solitude vécu par la personne à ce moment de son existence. C’est pourquoi il est important de cibler quelques objectifs pour cette intervention limitée dans le temps.


Objectifs de l’intervention



Alliance thérapeutique


C’est de l’alliance thérapeutique que dépend la suite de l’intervention, et la capacité d’empathie du thérapeute est un atout indispensable pour sa réalisation.


Comprendre le message


Très vite, le message de la crise doit être entendu, car c’est par la perception que la personne peut avoir de la compréhension du thérapeute que va se forger l’alliance thérapeutique. La crise et son cortège symptomatique véhiculent un message qui, s’il ne peut être mis en mots dans l’instant, ne demande qu’à être reçu. Le symptôme est avant tout un outil relationnel à défaut d’un autre (par exemple, le langage) qui n’est pas à disposition dans ce moment aigu.


Modifier le vécu corporel et émotionnel


C’est sans doute le bouleversement interne et insupportable vécu par la personne qui peut expliquer l’explosion symptomatique comme une solution, certes inadaptée, à cette souffrance. On ne peut concevoir d’intervention positive sans un apaisement assez rapide de cette douleur.


Désamorcer les mécanismes désorganisateurs actuels


Il ne saurait y avoir de crise sans un contexte interactionnel la favorisant. Ces mécanismes relationnels peuvent être encore présents dans l’environnement, et la sortie de l’état de crise ne peut se réaliser si l’on n’en a pas mesuré l’ampleur et commencé à les apaiser. Ils sont sans doute encore plus expressifs dans le cas d’une rencontre familiale ou de couple. Les neutraliser est une tâche réalisable mais rarement à court terme ; aussi se contentera-t-on d’en diminuer la puissance pour que la sortie de crise soit possible. Les mécanismes en cause sont le plus souvent l’escalade symétrique, les rivalités, les projections, les généralisations, les disqualifications, etc.


Corriger la représentation de la crise


Si la crise est perçue douloureusement comme une blessure ou un échec, elle risque de s’inscrire dans l’histoire de la personne comme une fragilité durable.

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Crise et psychothérapie

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