LES COMPLICATIONS DES CATHÉTERS VEINEUX CENTRAUX
Les recommandations américaines de bonnes pratiques de dialyse (DOQI) sont tout à fait claires : il faut décourager l’utilisation des cathéters veineux centraux (KT) comme abord vasculaire permanent. Un taux maximum de 10 % des voies d’abord est toléré. Ceci tient compte du cas de certains patients chez qui il existe de réelles difficultés pour créer une fistule artérioveineuse (FAV). Cette dernière reste la voie d’abord de référence dans tous les cas. En dehors des meilleurs débits sanguins, les FAV ont une survie technique très supérieure à celle des cathéters avec moins de complications.
LORS DE LA POSE DES CATHÉTERS ET LES SUITES IMMÉDIATES
Les accidents de ponction
La ponction pleuro-pulmonaire est classiquement rapportée lors du cathétérisme des veines subclavières (de 1 à 10 % des cas) mais elle peut, plus rarement, compliquer une ponction jugulaire. Elle se manifeste par la présence d’air dans la seringue, une douleur thoracique et une toux. Le pneumothorax cliniquement grave s’observe exceptionnellement en dehors de la ventilation artificielle en pression positive (anesthésie, réanimation). La radiographie de contrôle postopératoire peut ne pas faire le diagnostic d’un pneumothorax partiel ou retardé.
La ponction trachéale est sans conséquence en dehors de la réanimation (ponction de ballonnet).
Le taux de décès lié à la pose de cathéters varie de 0 à 1,25/1 000 cathéters.
LES INFECTIONS
Physiopathologie
- – la contamination de la face externe du cathéter avec la flore du patient. Cette voie de contamination, dite extraluminale, est la plus fréquente;
- – la contamination de la lumière interne du cathéter lors des manipulations des connexions, des injections et des perfusions;
- – la contamination à partir d’un foyer à distance par voie sanguine, c’est la plus rare.
- – la contamination de la lumière interne du cathéter lors des manipulations des connexions, des injections et des perfusions;
Les infections locales
On distingue les infections de l’orifice de sortie et les tunnelites (fig. 5-1). Elles sont rapportées avec une fréquence variant de 6 à 63 % et une incidence de 1 à 5/1 000 jours/cathéter. Le diagnostic bactériologique nécessite un écouvillonnage de l’orifice cutané. S’il n’y a pas de signes généraux, les hémocultures sont en général stériles. Une tunnelite peut être le point de départ d’une bactériémie et donner alors des signes généraux.
Les facteurs de risque et la prévention
► La réponse de l’hôte à l’infection
Chez l’insuffisant rénal, de nombreux facteurs concourent à diminuer les défenses immunitaires. L’urémie est connue pour entraîner une baisse de l’immunité cellulaire, de la phagocytose, de la bactéricidie et de la production d’anticorps. Plusieurs études ont mis en cause la surcharge en fer post-transfusionnelle comme facteur de risque. Le rôle délétère des traitements à base de fer n’est pas démontré. L’anémie favorise les infections, et le traitement par l’érythropoïétine (EPO) permet d’améliorer les fonctions phagocytaires des hémodialysés.
Le traitement des infections
Le problème est différent pour les cathéters transitoires qui doivent être enlevés ou changés en cas d’infection. Pour les cathéters tunnellisés, en cas d’infection d’émergence, le traitement fait appel aux soins locaux (antiseptique, mupirocine) et au traitement d’un eczéma associé. L’antibiothérapie générale n’est pas systématique. Les tunnelites doivent être traitées avec des antibiotiques antistaphylococciques par voie générale et au moins pendant 20 jours. En cas de bactériémie, l’antibiothérapie doit être réalisée en association et par voie parentérale. Dans tous les cas, le changement du cathéter doit être conseillé en cas d’échec (après 72 heures de traitement) ou de récidive. Un verrou antibiotique peut être associé pendant la période de traitement.
LES DYSFONCTIONS
Les dysfonctions primaires
Elles sont en rapport avec une plicature (fig. 5-2), une mauvaise position de l’extrémité ou un trajet aberrant du cathéter. Le diagnostic doit être fait lors du premier contrôle radiologique. Elles peuvent nécessiter une reprise chirurgicale, une intervention radiologique (lasso), ou le changement de cathéter.
Les dysfonctions secondaires
Plus rarement, on met en cause une thrombose extrinsèque, soit par un thrombus mural attaché à la paroi du vaisseau (gangue de fibrine) avec un effet «clapet», soit par la thrombose d’une veine centrale ou de l’oreillette.
Traitement des dysfonctions
La thrombolyse intraluminale (en verrou ou en perfusion continue d’urokinase) est efficace dans 75 à 95 % des cas mais assez onéreuse. Le passage d’un guide métallique souple dans les lumières du cathéter réalise une bonne thrombolyse mécanique mais est associé à un risque de perforation vasculaire (hémopéricarde). Il peut être réalisé par le radiologue avec plus de sécurité dans le cadre des traitements secondaires, à distance. On propose parfois un stripping radiologique de la gangue de fibrine par voie fémorale. Le succès immédiat est la règle mais des récidives sont fréquentes. En cas d’échec, on propose le changement du cathéter sur guide avec le risque de le replacer dans sa gangue de fibrine.
LES STÉNOSES ET THROMBOSES DES VEINES CENTRALES
Physiopathologie
- – le site des ponctions veineuses (traumatisme endothélial);
- – un manchon de fibrine entourant le cathéter;
- – les lésions dues aux frottements et contraintes du cathéter dans la lumière, expliquant la fréquence plus grande des lésions du côté gauche (70 % vs 30 %);
- – le rôle de l’hyperdébit en aval d’une FAV;
- – la formation de thrombi muraux liés au traumatisme de l’extrémité du cathéter.
- – un manchon de fibrine entourant le cathéter;
Conséquences
Elles sont parfois purement esthétiques avec un œdème localisé et une circulation collatérale (fig. 5-3). L’hyperpression veineuse peut entraîner des douleurs du membre. Des céphalées sont possibles en cas de thrombose cave supérieure ou jugulaire avec parfois une hypertension intracrânienne. L’ischémie, liée à la stase veineuse, se manifeste par des troubles trophiques des doigts avec la nécessité d’une correction radiologique ou chirurgicale. Dans certains cas, il faut lier une FAV avec pour conséquence la condamnation du membre pour tout abord périphérique ultérieur.
Fréquence
Il s’agit certainement de la complication la plus sous-évaluée pour les raisons précédemment citées. Le seul moyen de connaître la prévalence exacte des sténoses est de réaliser des phlébographies systématiques chez les patients qui ont été porteurs de cathéter, ce qui est rarement fait en routine. La veine jugulaire doit être explorée par une échographie. Pour les sténoses des veines subclavières et jugulaires internes, des fréquences de 0 à 50 % sont publiées. Une étude personnelle a montré une fréquence des sténoses des veines centrales, après un cathéter jugulaire, égale à 50 %. Les conséquences et symptômes sont beaucoup plus sévères pour les sténoses de la veine subclavière, veine de drainage du membre supérieur, surtout en cas de FAV. À noter la fréquence non négligeable des sténoses après la mise en place d’un stimulateur cardiaque — le plus souvent, hélas, par voie subclavière.
Facteurs de risque et prévention
Il est conseillé d’effectuer un dépistage radiologique systématique des sténoses, avant la création d’un abord périphérique artérioveineux, chez tout patient ayant eu un cathéter.
Traitement
Le plus souvent, la sténose est ancienne et l’on a recours à l’angioplastie percutanée radiologique. La chirurgie de dérivation est plus rarement utilisée. Ces techniques sont détaillées plus loin dans l’ouvrage (pp. 150 et 156). En cas de thrombose de moins de 4 heures, on peut proposer exceptionnellement une thrombolyse médicale.
CONCLUSION
Fort de ces arguments, nous devons tout mettre en œuvre pour diminuer l’utilisation des cathéters pour le court et le long terme, ce qui passe par une stratégie agressive de création de voies d’abord périphériques.
Bibliographie : 84, 85, 86, 87, 88.
LES COMPLICATIONS DES ABORDS ARTÉRIOVEINEUX
LES STÉNOSES
Physiopathologie de la sténose et de la resténose après angioplastie
► Histopathologie
L’hyperplasie néo-intimale veineuse a surtout été étudiée dans le cadre des prothèses [89]. Elle se développe au niveau de l’anastomose veineuse et dans la paroi veineuse proximale.
- – la prolifération des cellules musculaires lisses (CML) et des myofibroblastes dans la néo-intima;
- – le développement d’une angiogenèse dans l’adventice et la néo-intima;
- – une couche active de macrophages bordant les côtés adventitiel et luminal de la prothèse et infiltrant le matériel prothétique;
- – une forte expression de cytokines — en particulier de bFGF (basic fibroblast growth factor), VEGF (vascular endothelial growth factor), et de PDGF (platelet-derived growth factor) — par les CML, les myofibroblastes et les macrophages;
- – la présence de composants de matrice extracellulaire tels que collagène, fibronectine et ténascine.
- – le développement d’une angiogenèse dans l’adventice et la néo-intima;
► Différences entre l’hyperplasie néo-intimale veineuse et artérielle
- – aux différences hémodynamiques entre les deux systèmes vasculaires;
- – aux différences anatomiques entre les deux types de vaisseaux;
- – aux différences entre les propriétés des cellules entre artères et veines : production moindre d’oxyde nitrique (NO) et de prostacyclines, et nombre de récepteurs au bFGF plus élevé dans les veines que dans les artères;
- – à l’environnement différent : urémique dans un cas, le plus souvent athéromateux dans l’autre.
- – aux différences anatomiques entre les deux types de vaisseaux;
► Pathogénie
Le remodelage de l’adventice — l’hyperplasie pouvant se développer vers l’intérieur de la lumière du vaisseau, créant une sténose, ou vers l’extérieur du vaisseau.
► Facteurs de risque de développement d’une sténose ou d’une resténose après angioplastie
Dans une étude reprenant l’ensemble des abords vasculaires créés dans une unité de dialyse entre le 1er janvier 1987 et le 1er février 1997 (soit 196 abords vasculaires), les facteurs de risque de sténose suivants ont été mis en évidence [90] — tableaux 5-1 et 5-2.
Tableau 5-1 Risque relatif (RR) de sténose.
RR | p | |
---|---|---|
Prothèses vs fistule native | 4,2 | < 0,001 |
Fistules : Bras vs avant-bras | 3,4 | < 0,001 |
Prothèses : Taux de protide élevé Traitement par EPO Membrane de dialyse HF | 1,2 2,33 2,18 | < 0,001 < 0,04 = 0,04 |
(Von Ey, 1999) [90]
Tableau 5-2 Risque relatif (RR) de resténose après angioplastie.
RR | p | |
---|---|---|
Type d’AV Prothèse vs fistule native | 1,97 | < 0,02 |
Protidémie (Δ =1 g/l) | 1,06 | < 0,01 |
Précocité de la sténose (Δ0 =1 mois) | 1,02 | < 0,04 |
(Von Ey, 1999)
D’autres facteurs de risque ont été observés. La présence d’anticorps anti-thrombine bovine est corrélée avec le taux de thrombose des prothèses [91] après application de thrombine bovine comme hémostatique local. La perméabilité primaire des prothèses est plus faible chez les patients ayant une hypoalbuminémie [92] ou une hyperfibrinémie. Malgré la présence de récepteurs à l’EPO dans les sténoses prothétiques [93], il n’a pas été observé de différence de la durée de survie de l’abord vasculaire selon que le patient recevait de l’EPO ou pas [94]. Des marqueurs du stress oxydatif et des facteurs de croissance ont été retrouvés dans les sténoses (prothèses et FAV) [95]. Les facteurs plasmatiques circulants (cytokines, facteurs de l’hémostase, hyperinsulinisme, anomalies lipidiques) influencent la perméabilité primaire [96].
Ceci confirme le rôle favorisant le développement des sténoses que sont le port des prothèses et le syndrome inflammatoire.
Stratégies thérapeutiques
Les particularités du développement de l’hyperplasie néointimale des abords vasculaires sont liées à son développement sur une veine soumise à une hémodynamique particulière, et à l’environnement urémique. À ce titre la mise au point de modèles animaux d’hyperplasie néointimale veineuse [97] devrait permettre, par une meilleure connaissance des mécanismes cellulaires, de proposer des interventions thérapeutiques ciblées. Une meilleure connaissance des phénomènes hémodynamiques devrait aboutir à l’utilisation de matériaux mieux adaptés.
► Prévention médicamenteuse de la sténose
Actuellement deux médicaments seulement ont montré une influence positive sur la perméabilité des abords vasculaires : le dipyridamole, qui réduit le taux de thrombose des prothèses sans antécédent de thrombose [98], et l’huile de poisson [99]. La perméabilité primaire à 1 an a été de 75,6 % dans le groupe recevant 4 g d’huile de poisson par jour, contre 14,9 % dans le groupe contrôle. L’aspirine est susceptible d’avoir un effet délétère [98].

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