10 Chirurgie des lésions bénignes
Lésions épidermiques les plus superficielles
Le shaving est une technique simple et rapide particulièrement adaptée à la prise en charge des lésions bénignes car elle ne génère pratiquement pas de cicatrice. Par ailleurs, elle permet un contrôle histologique de la lésion, et est donc préférée à l’application aveugle d’azote liquide au moindre doute diagnostique, ou dès lors qu’une vérification anatomopathologique s’impose. Le shaving s’effectue classiquement avec une lame de bistouri stérile n° 11 ou 15, orientée tangentiellement à la lésion. Le geste est facilité par l’infiltration intradermique d’anesthésique local, le biseau de l’aiguille orienté vers le haut. On injecte d’autant plus en quantité, sous la lésion, que l’on souhaite un shaving plus profond. Le geste est généralement suivi d’une électrocoagulation (EC) qui, même effectuée très finement et précisément, peut carboniser inutilement la tranche de section augmentant les phénomènes inflammatoires et la profondeur de la destruction, donc la rançon cicatricielle. Nous préconisons une simple lame de rasoir [1] qui a l’avantage de s’incurver et permet donc d’ajuster parfaitement la profondeur du shaving. Le geste est plus sûr, sans cisaillement ni effilochage. Il peut s’agir d’une lame type Gillette (Figure 10.1) coupée en deux, stérilisable, mais aussi d’une lame sous emballage stérile, à usage unique, protégée par une coque plastique souple, permettant l’incurvation de la lame dans les deux sens sans risque de se blesser. Il nous semble préférable de remplacer l’EC par l’utilisation d’un hémostatique de contact [1]. Le chlorure d’aluminium est peu efficace, un alginate type Coalgan s’avère difficile à gérer du fait de la constitution d’une croûte saignant de nouveau à l’ablation du pansement. L’acide trichloracétique à 33 % apparaît trop caustique, source d’achromie potentielle, et ne se neutralise pas. Il est cependant souvent utilisé. Le chlorure ferrique en cristaux dilués à 20 % dans de l’eau, appliqué au coton-tige sur champ exsangue, ne laisse pas de pigmentation résiduelle, contrairement au chlorure ferreux, et a notre préférence (Figure 10.2). Cette préparation se périme rapidement, en 2 mois environ, et doit donc être conditionnée en petites quantités. Le chlorure ferrique est efficace chez les sujets sous anticoagulants. La cicatrisation est très rapide, en une semaine, favorisée par des pansements hydrocolloïdes.
Kératose séborrhéique
Il s’agit d’une prolifération épidermique à limites très nettes, comme posée sur la peau et refoulant le derme sous-jacent, facilement confirmée par la dermoscopie. On doit donc en pratiquer l’exérèse en privilégiant les méthodes superficielles. C’est souvent l’application d’azote liquide qui est réalisée mais il s’agit d’une méthode aveugle, parfois à l’origine de cicatrices achromiques ou au contraire d’hyperpigmentations. Elle expose volontiers aux récidives. Il s’agit donc d’une bonne indication de shaving. Une autre alternative est l’ablation à la curette sous anesthésie locale qui permet aussi l’examen histologique (Figure 10.3). Le curetage suivi d’une hémostase est particulièrement indiqué dans le cuir chevelu où les kératoses séborrhéiques sont fréquentes, épaisses et souvent de grande taille et où l’on souhaite épargner le follicule pileux. De très nombreuses lésions peuvent ainsi être retirées dans le même temps opératoire (Figure 10.4). Cette procédure est également particulièrement indiquée dans la dermatosis papulosa nigra (Figure 10.5).
Hyperplasie sébacée acquise
Ce sont des lésions fréquentes, souvent multiples, situées sur le visage (front, tempes, joues). Leur caractère ombiliqué et leur couleur jaunâtre rendent le diagnostic habituellement facile mais la confusion est possible avec certains carcinomes basocellulaires et une histologie par shaving doit être effectuée au moindre doute. Les lésions les plus superficielles fondent littéralement « comme du beurre » à l’EC à l’aiguille fine et ce sans cicatrice (Figure 10.6). Il faut bien veiller à détruire toutes les petites logettes. L’EC des lésions plus volumineuses fait sourdre un matériel sébacé qui nécessite d’être cureté. D’autres traitements ont été décrits : lasers CO2, erbium, photothérapie dynamique, seule ou associée aux lasers [2].
Hidradénome
Ils prédominent sur les paupières et dans le cou où ils sont souvent multiples et peuvent réaliser des nappes de papules jaunâtres et épaissies assez disgracieuses. Sur les paupières, l’accumulation des lésions est fréquemment associée au dermatochalasis. Il peut être alors judicieux de proposer une exérèse, « monobloc » d’une grande partie des lésions (habituellement symétriques), à la manière d’une blépharoplastie, éventuellement en plusieurs temps pour éviter le risque d’ectropion et en assurant une fermeture de la PDS suivant un axe parallèle au bord libre palpébral (Figure 10.7). La finesse de la peau à ce niveau assure généralement une cicatrisation de grande qualité. Nous déconseillons les EC classiques qui peuvent laisser des cicatrices achromiques et rétractiles. Celles-ci sont envisageables avec une aiguille très fine d’épilation et un bas voltage [3]. Le laser CO2 est une alternative classique [4].
Nævus verruqueux ou hamartome verruqueux
Sa disposition est le plus souvent linéaire ou métamérique, suivant une ligne de Blaschko, notamment dans le cuir chevelu (Figure 10.8). Les récidives ne sont pas exceptionnelles car il existe un véritable réservoir annexiel. Un geste chirurgical n’est raisonnablement envisageable que pour des lésions de petite taille ou linéaires. On préconise donc souvent une vaporisation au laser CO2.
Lésions dermoépidermiques plus profondes
Nævus pigmentaire
L’ablation d’un nævus est motivée par un problème diagnostique, ou pour une demande esthétique ou fonctionnelle. L’histologie est systématique, et un examen dermoscopique préalable est souhaitable, ce qui permet de réduire considérablement le nombre d’exérèses inutiles à visée diagnostique. L’aspect sous lequel se présente le nævus peut être très variable et conditionne le geste chirurgical en fonction de son caractère pédiculé ou non, achromique ou pigmenté, pileux, congénital ou acquis. Il s’agit dans la plupart des cas de lésions acquises, dont le développement a été lent et progressif.
Exérèse suture fusiforme
C’est la méthode la plus couramment utilisée. Un plan profond sera toujours réalisé, la suture superficielle la plus adaptée sur les membres et le thorax étant représentée par le surjet intradermique. L’absence de plan profond est une source systématique d’élargissement cicatriciel, et les points séparés laissent des marques en échelle de perroquet très inesthétiques. Sur le visage, des points séparés ou un surjet simple sont possibles compte tenu du délai d’ablation des fils qui est très court. La marge habituellement prise est de 2 mm [5], une incision trop au ras de la lésion exposant au risque de résurgence pigmentaire. On mettra à profit les différents raffinements utilisés pour la réalisation du fuseau et de ses variantes, développés dans le chapitre « Exérèses fusiformes » (page 43), pour assurer le meilleur résultat. Ainsi, les artifices de réduction de la longueur cicatricielle sont les bienvenus, de même que la correction des excès tissulaires [5] (Figure 10.9).
Quelques cas particuliers sont à souligner :