9. Substances volatiles

Chapitre 9. Substances volatiles





Oh, Tom ! C’est un gaz tellement étonnant que Davy a découvert ! […] Il m’a fait rire et vibrer… Cela te rend fort et tellement heureux !

Robert Southey

Tu es dans l’espace. Tu es Superman. Tu flottes dans les airs, tu vois double, t’es à côté de Dieu. C’est le pied.

Un adolescent anonyme, sniffeur de colle

Une forte odeur de térébenthine occupe tout l’espace.

Oliver Wendel Holmes, décrivant sa vision du paradis alors qu’il sniffe de l’éther

Avant d’être identifiés comme anesthésiques généraux, le protoxyde d’azote et l’éther diéthylique étaient utilisés à des fins récréatives. Aujourd’hui, l’abus de substances volatiles est un problème à l’échelle mondiale [1, 2]. Les différents produits utilisés contiennent souvent plusieurs composés ayant une action psychique, mais les états euphoriques ( highs) et les sensations ébrieuses qu’ils provoquent sont remarquablement similaires.


Pharmacologie et études chez l’animal


Parmi les classes chimiques auxquelles appartiennent les différents composés volatiles utilisés à des fins toxicomaniaques (tableau 9.1), l’hydrocarbure aromatique toluène et l’hydrocarbure halogéné trichloroéthane sont sans conteste les plus étudiés. Les effets aigus chez l’animal sont liés à la dose et sont similaires à ceux des sédatifs et de l’éthanol : une hyperactivité qui évolue vers l’ataxie, la sédation, le coma, la dépression respiratoire et le décès [3]. Chez la souris, le toluène et le xylène préviennent les crises convulsives induites par le pentylènetétrazol. Chez le rat, le toluène augmente le conditionnement opérant supprimé par les électrochocs [4]. Chez les rongeurs et les pigeons, de faibles doses de toluène et de xylène augmentent les taux de réponses opérantes, mais à fortes doses ils les diminuent [5, 6]. En revanche, les hydrocarbures halogénés, comme le trichloroéthane, et les cétones, comme la méthyl- n-amylcétone, diminuent les taux de réponses à faibles et fortes doses [3].






Tableau 9.1 Classification chimique des composés volatils entraînant un abus
Hydrocarbures aliphatiques
n-butane
– Isobutane
n-hexane
– Propane
– Pentane
Hydrocarbures aromatiques
– Toluène
– Xylène
– Benzène
– Naphtalène
– Paradichlorobenzène
Esters
– Acétate d’éthyle
Cétones
– Acétone
– Butanone
– Méthyléthylcétone
– Méthyl- n-butylcétone
– Méthylisobutylcétone
Hydrocarbures halogénés
– Chloroforme
– Halothane
– Enflurane
– Isoflurane
– Trichloroéthane
– Dichloroéthylène
– Trichloroéthylène
– Tétrachloroéthylène
– Dichlorométhane
– Tétrachlorure de carbone
– Dichlorodifluorométhane
– Chlorodifluorométhane
– Bromochlorodifluorométhane
– Trichlorofluorométhane
Éthers
– Éther diéthylique
Gaz anesthésiants
– Protoxyde d’azote
Nitrites
– Nitrite de butyle
– Nitrite d’isobutyle
– Nitrite d’amyle

Chez l’animal, les signes de l’installation d’une tolérance à ces agents sont équivoques. Dans le cas du toluène, une tolérance a été identifiée chez le rat, mais pas chez la souris ni chez le singe [7., 8. and 9.]. Concernant le trichloroéthane, aucun signe n’a pu être trouvé chez la souris [10]. L’existence d’une tolérance croisée entre l’éthanol et plusieurs anesthésiques volatils a été démontrée chez la souris, mais des effets similaires n’ont pas été retrouvés avec les solvants [3]. De la même manière, bien que des crises convulsives de sevrage apparaissent chez la souris suite à l’exposition à l’éthylène, à l’éther diéthylique ou au cyclopropane, et bien que le chloroforme puisse supprimer les signes du sevrage aux barbituriques, l’existence d’une dépendance physique au toluène, au trichloroéthane ou à d’autres solvants hydrocarbures n’a pas été démontrée chez l’animal [3].

Le singe s’autoadministre le chloroforme, l’éther diéthylique, le protoxyde d’azote et le toluène [3, 11, 12]. Dans les études de discrimination des drogues, les souris entraînées à reconnaître les barbituriques généralisent à l’halothane, au trichloroéthane et au toluène [13, 14]. Chez la souris, l’éthanol amplifie les effets comportementaux et létaux du trichloroéthane, et le toluène et le trichloroéthane amplifient les effets de l’éthanol et des sédatifs [3, 15]. Au cours d’un test visant à prédire l’action antianxiété des substances psychoactives (test du labyrinthe surélevé), le toluène a produit des effets dépendants de la concentration similaires à ceux produits par le diazépam, à la différence du trichloroéthane, qui n’a produit ces effets qu’à des doses qui contribuaient également à augmenter l’activité locomotrice [16].

Comme les autres drogues autoadministrées, le toluène stimule l’activité locomotrice et augmente la neurotransmission dopaminergique mésolimbique chez les rongeurs. L’effet dopaminergique semble être indirect et pourrait impliquer une inhibition de la neurotransmission au N-méthyl-D-aspartate (NMDA) et une facilitation de la neurotransmission à l’acide γ-aminobutyrique (GABA) [17, 18]. Cependant, la base neuronale de l’abus de substances volatiles est pour le moment moins bien connue que celle des autres drogues récréatives. Si l’on admet que les effets de l’éthanol ne sont pas simplement le résultat d’une « perturbation non spécifique de la membrane » mais qu’ils impliquent plutôt des interactions spécifiques avec plusieurs récepteurs de neurotransmetteurs, en particulier le glutamate et le GABA (voir le chapitre 12), on admet alors également que les anesthésiques généraux, les solvants volatils et d’autres vapeurs à risque de consommation abusive pourraient avoir le même type de spécificités envers ces récepteurs [19].


Contexte historique et épidémiologie


La pratique consistant à inhaler des vapeurs dans le but d’atteindre une extase religieuse est bien antérieure aux débuts de l’histoire connue ; les substances concernées sont notamment le cannabis et les hallucinogènes de l’ergot (voir les chapitres 7 et 8). Certains éléments tendent à prouver que les transes prophétiques des oracles de Delphes dans la Grèce antique étaient induites par des hydrocarbures gazeux (surtout le méthane, l’éthane et l’éthylène) qui s’infiltraient par des fissures dans la pierre à chaux constituant le sol des temples [19a]. La découverte de l’éther diéthylique au xiiie siècle a permis à cette pratique de perdurer. Au xviiie siècle, l’éther diéthylique était commercialisé sous la forme d’un tonique médicinal appelé « anodyne », qui devint rapidement une drogue récréative populaire en Grande-Bretagne, que le produit fût bu ou sniffé – il était meilleur marché que les boissons alcoolisées fortement taxées et produisait des effets de courte durée n’entraînant aucune « gueule de bois » [20]. En Irlande, au xixe siècle, l’éther diéthylique était proposé comme alternative à l’éthanol (créant les ether frolics, des rassemblements dans le but de consommer l’éther à des fins récréatives) et était largement utilisé par les étudiants américains bien avant que William Morton ne fasse la démonstration de ses propriétés anesthésiques utilisables en chirurgie, en 1846. Il a servi de substitut à l’alcool pendant la prohibition américaine (1920-1933) et pendant la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne.

Le protoxyde d’azote a été découvert en 1776 par sir Joseph Priestley et fut synthétisé plus tard par sir Humphrey Davy, qui décrivit personnellement ses effets toxiques et son potentiel addictif. Les amis de Davy, et notamment les poètes Samuel Taylor Coleridge et Robert Southey ainsi que le lexicographe Peter Roget, inhalaient à des fins récréatives le protoxyde d’azote, surnommé « gaz hilarant » [21, 22]. Au début du xixe siècle, l’inhalation du protoxyde d’azote était largement pratiquée aux États-Unis ; ce n’est qu’en 1845 que le dentiste Horace Wells, dans l’État du Connecticut, a commencé à l’utiliser comme anesthésique général [22].

Le chloroforme, comme l’éther diéthylique, est un liquide qui s’évapore facilement. Sa découverte en 1831 fut rapidement suivie d’une utilisation récréative. Bien qu’une tendance à provoquer la mort subite en ait limité la diffusion, les personnes dépendantes au chloroforme n’étaient pas rares au xixe siècle ; moins odorant que l’éther diéthylique ou le protoxyde d’azote, sa présence était très facilement cachée et les consommateurs pouvaient l’inhaler librement à n’importe quel moment de la journée. Horace Wells est resté dépendant du chloroforme jusqu’à la fin de sa vie [20].

Ces quelques dernières décennies, l’abus de substances volatiles a concerné de nombreux produits ménagers, en particulier les colles, les solvants et les carburants (tableau 9.2) [23, 24]. Il semblerait qu’un article publié en 1959 et consacré à des enfants de plusieurs villes de l’Ouest américain contienne la première description d’une inhalation de colle [25]. Cet article a immédiatement suscité de vives réactions alarmistes et, alors que des mises en garde exagérées ont conduit à la promulgation de lois et à de nombreuses arrestations, l’épidémie d’inhalation de colle s’est propagée sur l’ensemble du territoire des États-Unis [26]. Une diversification vers d’autres substances s’ensuivit rapidement, et aujourd’hui, l’abus de substances volatiles touche les enfants du monde entier.























































Tableau 9.2 Produits entraînant un abus et leur contenu
Produits Contenu
Aérosols (réfrigérants, nettoyants ménagers, antitussifs, laque de coiffage, bronchodilatateurs, shampooings, déodorants, antiseptiques, antalgiques) Hydrocarbures fluorés, propane, isobutane
Produits de nettoyage à sec, détachants, produits de polissage des meubles, dégraissants Hydrocarbures chlorés, naphta (hydrocarbures de l’essence)
Colles, ciments, rustines en caoutchouc Toluène, acétone, benzène, acétates aliphatiques, n-hexane, cyclohexane, trichloroéthylène, xylène, alcool butylique, dichloroéthylène, méthyléthylcétone, méthyléthylisobutylcétone, chloroforme, éthanol, triorthocrésyl phosphate
Combustible pour briquets Hydrocarbures aliphatiques et aromatiques
Agents utilisés dans les extincteurs Bromochlorodifluorométhane
Dissolvant pour vernis à ongles Acétone, acétates aliphatiques, benzène
Gaz en bonbonne Butane, propane
Blanc correcteur Trichloroéthane, trichloroéthylène
Gaz naturel Méthane, éthane, propane, butane
Stylos marqueurs Toluène, xylène
Boules antimites Naphtalène, paradichlorobenzène
Désodorisants pour toilettes Paradichlorobenzène
Peintures, émail, vernis, diluants pour vernis et peinture Toluène, chlorure de méthylène, acétates aliphatiques, benzène, éthanol
Pétrole (essence, naphta gazeux, benzine) De nombreux hydrocarbures aliphatiques, aromatiques et autres (exemple : oléfines, naphtènes), y compris butane, hexane, pentane, benzène, toluène et xylène ; plomb tétraéthyle
Anesthésiques (pour la chirurgie, pour les siphons de crème fouettée) Protoxyde d’azote, éther diéthylique, halothane, chloroforme, enflurane, isoflurane, trichloroéthylène
« Parfums d’intérieur » Nitrite d’amyle, de butyle et d’isobutyle

En 1979, ces produits étaient utilisés par environ 17 % des américains âgés de 18 à 25 ans et 10 % des enfants âgés de 12 à 17 ans [27, 28]. Ces chiffres n’ont pas bougé depuis cette époque. En arrivant en classe de CM1, 6%desenfantsaméricainsontdéjàessayéles substances volatiles, et il n’est pas rare que des enfants encore plus jeunes sniffent ces substances. Des rapports décrivent un enfant âgé de 3 ans dépendant de l’essence [29., 30. and 31.]. Selon l’ensemble des rapports sur le sujet, la consommation à long terme est maximale pendant l’année de quatrième avec 21 % des élèves concernés, dont 6 % déclarent une consommation au cours des 30 derniers jours. En terminale, la consommation à long terme déclarée concerne environ 12 % des élèves, et la consommation au cours des 30 derniers jours 2,5 % des élèves (la baisse paradoxale de la consommation à long terme chez les élèves plus âgés pourrait être expliquée par la tendance qu’ont les enfants dépendants des substances volatiles à quitter l’école). Aujourd’hui, il est plus probable que la première drogue illicite consommée par les enfants est une substance volatile plutôt que le cannabis [32, 33].

En 1989, l’abus de substances volatiles en Grande-Bretagne a été à l’origine de 113 décès, dont la moitié étaient des enfants âgés de 16 ans au plus [34]. Les produits les plus utilisés étaient les combustibles gazeux, en particulier le butane utilisé dans les briquets (33 %), les antitranspirants ou déodorants en aérosols (21 %) [de nombreux consommateurs avaient délaissé la colle en raison de son odeur caractéristique, de sa tendance à faire des taches et de la difficulté croissante à s’en procurer dans le commerce]. Les mêmes constatations ont été faites dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest, en Hongrie, au Canada, au Mexique, en Amérique du Sud, au Japon, en Afrique du Sud, en Israël, en Australie, à Singapour, en Malaisie et au Niger [35., 36., 37., 38., 39., 40., 41., 42., 43., 44., 45., 46., 47. and 48.].

Aux États-Unis, le rapport entre la consommation des garçons et celle des filles est de 10 : 1. Les Noirs sont très peu concernés [32]. Dans un rapport publié par un centre correctionnel pour mineurs en Virginie, 36 % des jeunes Blancs déclaraient une consommation de substances volatiles contre seulement 1,4 % des jeunes Noirs. Les substances les plus fréquemment utilisées étaient l’essence, le Fréon®, le butane liquide des briquets, la colle et le protoxyde d’azote [49]. Les individus qui abusent des substances volatiles ne font habituellement pas partie d’une sous-culture toxicomaniaque, bien que beaucoup d’entre eux consomment également d’autres drogues [50]. Les utilisateurs réguliers sont généralement des enfants issus d’un milieu socioéconomique défavorisé, souvent livrés à eux-mêmes, maltraités ou vivant au sein d’une cellule familiale instable [30, 51, 51a]. Comme les alcooliques, un grand nombre de ces consommateurs présentent un diagnostic de personnalité antisociale [52]. L’inhalation d’essence est particulièrement fréquente chez les Amérindiens des États-Unis et du Canada ; l’étude d’une communauté a révélé que 50 % des enfants âgés de 4 à 18 ans étaient des consommateurs abusifs [23, 53., 54. and 55.]. L’inhalation d’essence est également endémique dans les communautés aborigènes d’Australie [38, 56, 57]. Dans les années quatre-vingt-dix, la consommation de substances volatiles des jeunes Indiens d’Amérique a chuté comparativement aux hispaniques et aux Blancs, sans doute grâce aux programmes de prévention mis en place dans les communautés amérindiennes [58, 59].

C’est dans les années soixante-dix qu’ont été découverts les effets délétères des hydrocarbures fluorés utilisés comme propulseurs d’aérosols – notamment le mélange connu sous la marque Fréon® – sur la couche d’ozone de l’atmosphère terrestre. Les limites imposées à la fabrication de ces produits ont entraîné une diminution de leur abus [60].

Aux États-Unis, il existe trois principaux types de consommateurs abusifs des substances volatiles :




1. les adultes qui en sont dépendants ;


2. les adolescents polyconsommateurs de drogues ;


3. des consommateurs de substances volatiles plus jeunes [61].

La plupart des enfants finissent par « décrocher », mais certains deviennent dépendants et continuent de consommer ces substances à l’âge adulte [32, 62]. Les catégories professionnelles les plus représentées chez les adultes sont les fabricants de chaussures, les ébénistes, les imprimeurs, les peintres, le personnel des stations-service, les mécaniciens et réparateurs de vélos, les salariés des raffineries de pétrole et des usines chimiques [63]. L’abus de substances volatiles est également fréquent chez les recrues de l’armée et les détenus [30, 64]. Le risque professionnel d’abus d’anesthésiques pour les médecins et d’autres membres du corps médical est connu depuis plus d’un siècle [65].

L’inhalation de substances volatiles par les mineurs n’est pas limitée aux communautés pauvres ou aux familles éclatées ; des épidémies ont été observées dans des internats (généralement fréquentés aux États-Unis par des élèves issus de classes socioéconomiques plus privilégiées). Les enfants se procurent les produits chez eux, à l’école, dans les épiceries, les magasins de bricolage ou les réservoirs des automobiles, et sniffent l’essence, la colle, la peinture, le carburant pour briquet, le dissolvant pour vernis à ongles, les stylos marqueurs, les déodorants, le pétrole des lampes, les aérosols, le correcteur blanc, les gaz des laboratoires des écoles, le protoxyde d’azote, le diluant pour vernis, le liquide de transmission, les solvants servant à nettoyer les armes à feu et les agents contenus dans les extincteurs [63].

Les produits de cette liste peuvent être classés selon quatre catégories principales de substances volatiles :




1. les solvants volatils tels que les colles, les diluants pour peinture et l’essence ;


2. les aérosols tels que les bombes de laque pour cheveux, les déodorants et les bombes de peinture ;



Ces substances sont généralement sniffées (voie nasale) ou inhalées par la bouche à partir d’un chiffon imbibé (lorsque le produit est liquide), d’un sac en plastique (lorsque le produit est visqueux) ou directement dans la bouteille ou le flacon d’origine [28]. Une poêle à frire légèrement chauffée peut également être utilisée. L’inhalation par voie nasale peut continuer pendant des heures, et les consommateurs abusifs chroniques peuvent inhaler jusqu’à 0,5 l de produits par jour pendant des années. La même substance est parfois bue, bien que rarement, et peut être pour cela mélangée à une boisson faiblement alcoolisée (bière). Des enfants ont mélangé du dissolvant pour vernis à ongles avec du Coca-Cola [41]. Plus rarement, les substances volatiles sont injectées par voie intraveineuse [67, 68]. Un type de consommateurs abusifs de substances volatiles présente ses propres risques : les « cracheurs de feu », qui utilisent le propane ou le butane [59].


Effets aigus


Quelle que soit la substance utilisée, les effets recherchés ressemblent à ceux de l’intoxication à l’éthanol : une euphorie et une relaxation avec ou sans ataxie, une diplopie et des difficultés à parler de façon intelligible. Comme pour l’éthanol, une tendance à l’exagération et une impulsivité provoquent des accidents et entraînent de la violence. Un sentiment de « vide » ou « d’engourdissement » peut se manifester, et des pertes brèves de la conscience sont parfois observées. Des doses plus élevées produisent une psychose toxique. Les délires peuvent conduire à un comportement autodestructeur ; un jeune de 18 ans s’est arraché un œil alors qu’il sniffait de la colle [70]. Les distorsions ou les hallucinations visuelles peuvent être agréables ou terrifiantes – par exemple, des animaux sauvages, des fantômes ou des blessures sanglantes [30, 71., 72. and 73.]. La présence d’hallucinations pendant l’intoxication est peut-être le symptôme qui différencie le plus les substances volatiles de l’éthanol et des sédatifs [41]. Des doses élevées provoquent une ataxie, un nystagmus, une dysarthrie et une somnolence évoluant vers un coma et parfois des crises convulsives [74, 75].

L’intoxication s’accompagne souvent d’étourdissements, de bouffées congestives, d’une toux, d’éternuements, d’une salivation abondante, de nausées et de vomissements. Ces symptômes durent entre 15 et 30 min mais peuvent se prolonger jusqu’à plusieurs heures lors d’une utilisation répétée [64, 73]. À l’exception des céphalées occasionnelles, les consommateurs ne ressentent généralement aucune « gueule de bois » [76]. Certains ne se souviennent pas de cet épisode [77].

Le décès survient suite à des vomissements puis une inhalation, une suffocation due à un sac en plastique, un accident, la violence ou de manière brutale, sans aucune cause apparente [78., 79., 80., 81., 82., 83., 84. and 85.]. Une enquête épidémiologique réalisée en Grande-Bretagne a imputé 51 % des décès aux effets toxiques directs, 21 % à une asphyxie, 18 % à l’inhalation de vomi et 11 % à un traumatisme [86]. Certaines substances, comme le trichloroéthane, les hydrocarbures fluorés et les aérosols ne contenant pas de Fréon® mais par exemple de l’isobutane ou du propane, causent une arythmie cardiaque, en particulier en cas d’hypoxie ou lors d’un effort intense [87]. La pulvérisation de gaz froids (exemple : butane ou propulseurs d’aérosols) directement dans la bouche stimule le larynx et peut conduire à une dépression cardiovagale réflexe [88]. De nombreuses substances volatiles dépriment la contractilité myocardique et augmentent la sensibilité cardiaque aux catécholamines [89]. Un adolescent de 16 ans a présenté une fibrillation ventriculaire suite à l’inhalation nasale de toluène, et une mort subite liée à la prise d’une substance volatile est survenue pendant un rapport sexuel [90]. Un garçon de 15 ans a pu être réanimé après avoir été découvert en arrêt cardiorespiratoire suite à l’inhalation de blanc correcteur contenant du trichloroéthylène et du trichloroéthane [91]. Une dépression respiratoire s’est produite après l’inhalation de colle [92], de peinture [93] et d’essence [94]. Un adolescent de 15 ans s’est évanoui puis est décédé après avoir inhalé du bromochlorodifluorométhane provenant d’un extincteur [95]. Un garçon de 11 ans a été retrouvé mort après avoir sniffé du butane pour briquets, et un adolescent de 15 ans est décédé de brûlures pulmonaires alors qu’il « crachait du feu » avec du propane [96]. Sur 282 décès dus aux substances volatiles en Grande-Bretagne, 17 % étaient associés à une asphyxie sexuelle délibérée [86].

Les indices mettant sur la voie d’un abus de substances volatiles sont l’odeur des solvants dans l’haleine (qui peut persister plusieurs heures après l’utilisation) et, chez les personnes qui sniffent des produits contenus dans des sacs en plastique, des lésions caractéristiques autour du nez et de la bouche [2, 41]. La chromatographie en phase gazeuse permet d’identifier la plupart des composés volatiles présents dans le sang dans les 10 h qui suivent l’exposition, à l’exception de l’essence. Les métabolites urinaires du toluène, du xylène, du trichloroéthylène, du trichloroéthane et du tétrachloroéthylène peuvent être détectés. On peut également analyser l’air expiré au moyen de la spectrométrie de masse [35, 97]. Cependant, ces technologies n’ont un intérêt que lorsque la possibilité d’un abus de substances est envisagée. Un ancien alcoolique de 38 ans a souffert de « crises convulsives » caractérisées par des pertes de conscience périodiques suivies d’une difficulté à parler, d’une amnésie et d’un comportement étrange ; les examens pratiqués n’ont pas permis d’établir un diagnostic, jusqu’à ce que son épouse le voie en train d’inhaler du trichloroéthylène, pratique qu’il avait découverte après avoir arrêté de boire [98].

Les symptômes de l’intoxication aux substances volatiles sont de très courte durée, et ne nécessitent souvent aucun traitement, sauf en cas de complications cardiorespiratoires. Le risque d’arythmie cardiaque reste toutefois présent plusieurs heures après la fin de l’intoxication.

À la différence de ce qui est observé chez certains animaux, l’utilisation abusive de substances volatiles chez l’être humain entraîne une tolérance pour les effets aigus [30, 99]. L’arrêt brutal de la consommation peut produire des symptômes légers qui ressemblent aux symptômes du sevrage de l’éthanol [100], mais l’abus chronique de substances volatiles ne semble être associé à aucun syndrome d’abstinence cohérent [99, 101., 102. and 103.] (les signalements de delirium, hallucinations ou crises convulsives sont si rares qu’ils invitent au scepticisme [63]). La dépendance physique – c’est-à-dire l’addiction – est néanmoins fréquente [41].


Complications médicales et neurologiques



Lésions organiques touchant l’organisme entier


Différentes substances volatiles endommagent différents organes. Un homme de 24 ans qui avait sniffé un solvant servant au nettoyage des chaussures et contenant du trichloroéthylène a été victime d’une insuffisance cardiaque congestive [104]. L’autopsie d’un sniffeur de benzène a révélé des hémorragies pulmonaires massives et un œdème cérébral [80]. L’exposition à un grand nombre de ces substances, en particulier le benzène et les hydrocarbures chlorés, est souvent suivie de lésions rénales, hépatiques ou de la moelle osseuse [105, 106] (en raison de son association à des pathologies mortelles du foie, du rein et du cœur, le tétrachlorure de carbone a été retiré des produits ménagers mais il est encore utilisé dans l’industrie [73]). Le toluène provoque une acidose métabolique à trou anionique normal ou élevé ; une intoxication a été observée en association avec une cétoacidose diabétique sévère [107].

Les sniffeurs de colle peuvent être victimes d’une anémie aplasique mortelle [108]. Les sniffeurs de colle et de solvant peuvent également souffrir d’emphysème ou d’hypertension pulmonaire [109]. Un homme qui avait mélangé les poudres à récurer Cif® et Ajax® à de l’eau puis avait inhalé délibérément les vapeurs de chlore produites a développé une insuffisance pulmonaire et un cœur pulmonaire réversibles [110].


Troubles neuropsychiatriques


Plusieurs études ont découvert des anomalies comportementales, cognitives, électroencé-phalographiques et tomodensitométriques (TDM) chez les consommateurs abusifs de substances volatiles (ainsi que chez les individus exposés à ces substances dans le cadre de leur profession) [111., 112., 113., 114., 115., 116., 117., 118., 119. and 120.]. Plus l’altération est réduite, plus il est difficile de déterminer un lien de causalité. Parmi les problèmes méthodologiques rencontrés, on retrouve notamment la taille insuffisante des échantillons, l’absence de contrôles, l’absence de données avant l’exposition, l’incertitude concernant la date de la dernière consommation et l’absence d’insu. Il est certain que d’autres facteurs contribuants interviennent fréquemment, en particulier chez les enfants privés d’affection ou subissant des maltraitances physiques, et les perturbations comportementales peuvent tout aussi bien être la cause de l’abus de substances volatiles que sa conséquence. Il n’en reste pas moins que chez certains individus, l’abus de substances volatiles a des effets neuropsychiatriques dévastateurs.


Toluène


L’exposition chronique au toluène peut entraîner une encéphalopathie et une ataxie cérébelleuse persistantes [121., 122., 123., 124., 125., 126., 127., 128., 129., 130. and 131.]. Sur 25 adultes victimes d’un empoisonnement symptomatique au toluène après avoir sniffé de la peinture en aérosol, neuf ont souffert d’une faiblesse musculaire souvent grave et accompagnée d’une hypokaliémie, d’une hypophosphatémie et d’une arythmie cardiaque ; six souffraient de symptômes digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales, hématémèse) ; et 10 enfin présentaient des « syndromes neuropsychiatriques » [132]. L’acidose rénale tubulaire était fréquente, ce qui concorde avec d’autres rapports [133, 134].

Dans une étude de 20 jeunes adultes ayant sniffé des produits contenant du toluène pendant au moins 2 ans puis s’étant abstenu pendant au moins 4 semaines, il est apparu que 13 présentaient des anomalies neurologiques, y compris cognitives (60 %), pyramidales (50 %), cérébelleuses (45 %) et d’un nerf crânien ou du tronc cérébral (25 %). Sept souffraient de démence invalidante, avec une apathie, des difficultés à se concentrer, une perte de mémoire, un dysfonctionnement visuospatial et un « trouble de la cognition complexe ». Les troubles oculomoteurs étaient notamment des saccades oculaires sans pause ( flutter) et un opsoclonus. Quatre d’entre eux présentaient une surdité neurosensorielle bilatérale [135]. Chez les consommateurs abusifs de toluène souffrant de démence, l’IRM révèle la présence d’une atrophie diffuse du cerveau, du cervelet et du tronc cérébral, accompagnée d’une perte de différenciation entre la substance grise et la substance blanche ; une augmentation du signal dans la substance blanche périventriculaire et une diminution du signal dans le thalamus et le ganglion basal apparaissaient sur les images pondérées en T2 [136., 137., 138., 139. and 140., 140a]. L’autopsie d’un patient dément a révélé une pâleur myélinique diffuse, maximale dans la substance blanche cérébelleuse, périventriculaire et cérébrale profonde, sans perte neuronale, gonflement axonal ni gliose [136]. L’autopsie d’un autre sniffeur de toluène a montré la présence d’une atrophie cérébrale et cérébelleuse avec une dégénérescence et une gliose des voies longues [129]. Dans un autre rapport d’autopsie, l’examen ultramicroscopique de macrophages a mis en évidence des inclusions cytoplasmiques de structure trilaminaire semblables à celles observées dans l’adrénoleucodystrophie (ALD), et l’analyse biochimique de la substance blanche cérébrale a révélé une augmentation du nombre d’acides gras à très longue chaîne caractéristiques de l’ALD [141].

Une étude portant sur des peintres en bâtiment exposés aux solvants pendant plusieurs dizaines d’années a découvert la présence d’anomalies cognitives, mais peu ou pas de signes d’atrophie cérébrale à la TDM ; le débit sanguin était néanmoins significativement réduit par rapport aux contrôles [117]. Des études réalisées avec l’aide de la tomographie par émission de positons (TEP) chez des ouvriers exposés de manière chronique au tétrabromoéthane ont révélé un hypométabolisme cortical et sous-cortical [142], et les sujets exposés au toluène et au trichloroéthylène dans le cadre de leur travail présentaient des potentiels cérébraux cognitifs N100 et P300 d’une amplitude anormalement réduite [143].

Chez les jeunes rongeurs, le toluène a un effet délétère sur l’apprentissage, l’audition des hautes fréquences et la coordination, et il se concentre dans la substance blanche du système nerveux central (SNC) [144., 145., 146., 147. and 148.]. Cependant, aucune modification pathologique du SNC n’a pour l’instant été observée.

Des consommateurs abusifs de toluène ont été atteints d’une atrophie optique irréversible [126, 149], et un jeune homme qui sniffait de la colle depuis 5 ans a souffert d’une neuropathie optique progressive, accompagnée d’une perte auditive neurosensorielle grave [150]. Des anomalies plus subtiles mais durables ont été observées chez 12 sniffeurs de colle adolescents [151]. Deux jeunes sniffeurs de peinture souffrant de neuropathie optique, de démence et d’ataxie cérébelleuse présentaient des anomalies des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral et les signes tomodensitométriques d’une atrophie bulbopontique [152]. Le nystagmus pendulaire horizontal et vertical observé chez quatre sniffeurs de colle a été imputé à des lésions de la substance blanche du tronc cérébral et du cervelet ; ils présentaient tous en outre un déficit visuel, et deux présentaient une atrophie optique [153].

Un garçon de 15 ans a été victime d’un état de mal épileptique alors qu’il sniffait de la colle et il a ensuite continué à être atteint d’une épilepsie chronique et de troubles du comportement [154]. Un jeune homme âgé de 22 ans qui sniffait du diluant pour vernis depuis près de 10 ans a été atteint d’une paralysie périodique hypokaliémique ; les accès de faiblesse et l’acidose métabolique hyperkaliémique, hyperchlorémique, étaient corrélés chronologiquement à l’exposition au toluène [155]. Ce dernier ne provoque cependant probablement pas de neuropathies périphériques [119, 135].


Toluène plus chlorure de méthylène


Un adolescent de 17 ans qui sniffait un produit de nettoyage pour carburateurs contenant du toluène et du chlorure de méthylène (qui est métabolisé en dioxyde de carbone et en monoxyde de carbone) a été victime d’un empoisonnement par un mélange de monoxyde de carbone et de méthanol ; l’acidose métabolique significative et les taux sanguins accrus de carboxyhémoglobine qui se sont ensuivis ont été résolus par un traitement à l’oxygène et à l’éthanol [156].


Tétrachlorure de carbone


À la différence du toluène, le tétrachlorure de carbone entraîne un delirium, une ataxie cérébelleuse, des crises convulsives et un coma après une exposition brève. Les patients subissent souvent des céphalées et des myalgies durant plusieurs jours, puis ils développent une jaunisse, une insuffisance rénale, une insuffisance cardiaque congestive et les symptômes d’une atteinte du SNC. Les autopsies révèlent une perte de cellules de Purkinje ainsi que des hémorragies périveineuses surtout présentes dans le cervelet et la base du pont [157., 158. and 159.].


Essence


L’essence, qui contient des hydrocarbures aliphatiques et aromatiques, y compris le toluène, cause elle aussi une encéphalopathie chez les sniffeurs chroniques. L’essence contenant du plomb tétraéthyle entraîne de surcroît une encéphalopathie saturnine [57, 160., 161., 162., 163., 164., 165. and 166.]. Un adolescent qui sniffait de l’essence contenant du plomb a souffert de démence et d’ataxie puis il est décédé, et un autre sniffeur d’essence, âgé de 14 ans, également décédé, était victime de démence, de chorée, de neuropathie périphérique, de myopathie et de lésions hépatiques et rénales [167, 168]. Un sniffeur d’essence de 27 ans a été atteint de myoclonies généralisées, d’une agitation et d’hallucinations ; ses érythrocytes présentaient des granulations basophiles et le taux de plomb dans son sang était de 104 µg/dl [169]. Des anomalies neurologiques plus subtiles apparaissent dans des populations présentant une forte prévalence d’abus d’essence au plomb [168]. Un peintre qui avait ingéré délibérément de la peinture contenant du carbonate de plomb pour provoquer des hallucinations a souffert d’un empoisonnement au plomb, avec des coliques et une anémie [170]. Dans un article publié en Australie, des sniffeurs d’essence au plomb qui n’avaient jamais souffert d’encéphalopathie aiguë présentaient des difficultés à marcher un pied devant l’autre (à la manière d’un funambule), des anomalies de la coordination des membres, de l’attention, de la mémoire de reconnaissance et de l’apprentissage par association [171]. Chez certains inhalateurs d’essence, des neuropathies périphériques ont été imputées au triorthocrésyl phosphate contenu dans le produit utilisé [172].


n-hexane


La neuropathie périphérique chez les sniffeurs de colle et de diluant pour vernis est bien connue [119, 173., 174., 175., 176., 177., 178., 179., 180. and 181.]. Des paresthésies apparaissent dans les jambes, suivies d’une faiblesse et d’une atrophie progressivement ascendantes conduisant à une quadriplégie en quelques semaines. Les modifications trophiques sont fréquentes et des neuropathies crâniennes sont observées. Le liquide céphalorachidien (LCR) est normal, ou on constate une hyperprotéinorachie légère. La vitesse des conductions nerveuses diminue et l’on a décrit des blocs de conduction multifocaux [181a]. La biopsie nerveuse révèle une distension segmentaire des axones par des agrégats de neurofilaments puis une démyélinisation secondaire. L’abstinence permet une récupération incomplète, et la présence occasionnelle d’une spasticité pendant le rétablissement est le signe que le SNC pourrait avoir été endommagé, mais que ces lésions sont masquées par les signes périphériques. La toxine responsable est le n-hexane, dont le produit métabolique, la 2,5-hexanedione, est également le métabolite de la méthyl- n-butylcétone, qui entraîne une neuropathie périphérique chez les ouvriers de l’industrie [182]. Le n-hexane et la 2,5-hexanedione causent tous deux des dégénérescences des nerfs périphériques et des axones du SNC chez le rat [183, 184], et le n-hexane est probablement également la toxine responsable de la neuropathie périphérique associée à l’inhalation de naphta [185]. L’épidémie de neuropathie périphérique qui s’est déclenchée parmi des sniffeurs de colle berlinois après l’ajout de méthyléthylcétone au produit contenant du n-hexane indique que les additifs des colles pourraient être neurotoxiques [186]. Les sniffeurs de diluant pour vernis contenant du n-heptane peuvent souffrir d’une polyneuropathie grave, et le trichloroéthylène pourrait intervenir dans d’autres cas de neuropathies périphériques liées à des solvants [187, 188]. Dans les années soixante-dix, l’huile de moutarde, qui irrite les muqueuses, était ajoutée à de nombreuses colles pour décourager l’abus [189].

Une femme d’âge moyen exposée pendant des années au n-hexane dans le cadre de son travail a été atteinte d’un syndrome parkinsonien [190], et des rongeurs ayant reçu du n-hexane ou du 2,5-hexanedione présentaient des taux réduits de dopamine et d’acide homovanillique dans le striatum (mais ni la noradrénaline ni la sérotonine n’étaient affectées) [191]. Comme pour le 1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydropyridine (MPTP) [voir le chapitre 3], cette association a suggéré la possibilité que la maladie de Parkinson chez l’être humain pourrait être liée à des toxines environnementales de même nature [192].


Trichloroéthylène


Le trichloroéthylène, que l’on trouve dans les produits de nettoyage à sec, provoque une neuropathie trigéminale [119, 193]. Le mécanisme n’a pas encore été découvert, mais l’association a conduit à l’utiliser il y a quelques dizaines d’années pour traiter la névralgie trigéminale essentielle.

Un enfant de 12 ans qui sniffait régulièrement de la colle a été victime d’une hémiparésie sévère, avec occlusion de l’artère cérébrale moyenne à l’angiographie cérébrale. L’un des mécanismes suggérés est un vasospasme secondaire à une sensibilisation des récepteurs vasculaires aux catécholamines circulantes, induite par le trichloroéthylène [194]. L’imagerie radio-isotopique du cerveau d’un garçon souffrant d’un état de mal épileptique après avoir sniffé du toluène a révélé la présence de plusieurs zones cunéiformes de capture accrue de l’isotope dans les deux hémisphères, concordant avec des infarcissements [195]. Les effets des solvants sur la circulation cérébrale n’ont fait l’objet que de peu d’études chez l’animal ou chez l’être humain. Le chloroforme, l’éther diéthylique et le trichlo-roéthylène sont des vasodilatateurs cérébraux, mais leur utilisation chronique entraîne une diminution du débit sanguin cérébral [196].


Nitrites


Les nitrites d’amyle, de butyle et d’isobutyle ( snappers, poppers, pearls) sont particulièrement populaires chez les personnes qui fréquentent les boîtes de nuit. Pour contourner les réglementations de la Food and Drug Administration américaine (FDA), le nitrite de butyle et le nitrite d’isobutyle sont commercialisés dans des boutiques appelées head shops en tant que « parfums d’intérieur », « arôme liquide » ou « encens liquide ». Considérés comme augmentant le plaisir sexuel, en particulier par les homosexuels, ils sont vendus sous des noms de produits tels que Rush®, Kick®, Vaporole®, Bullet®, Locker Room®, Heart On®, Bang®, Climax® et Mama Poppers®, et ils sont souvent consommés avec de l’éthanol, du cannabis ou des sédatifs [32, 197]. En 1986, 9 % des lycéens américains en classe de terminale déclaraient avoir utilisé des nitrites d’alkyle au moins une fois [198]. L’euphorie ne dure que de quelques secondes à quelques minutes et s’accompagne d’une vasodilatation cérébrale et d’une augmentation de la pression intracrânienne ; les céphalées et les nausées sont fréquentes. Il se produit également une vasodilatation périphérique, des bouffées congestives ainsi qu’une sensation de chaleur [197., 198. and 199.]. On ignore si les effets subjectifs des nitrites sont uniquement la conséquence de leur action vasodilatatrice ou s’ils ont également une action directe sur le cerveau [19].

Les nitrites, qui irritent la peau et les muqueuses, provoquent l’apparition de croûtes autour de la bouche et des narines ainsi qu’une trachéobronchite [199], et peuvent également entraîner une méthémoglobinémie. La syncope a tendance à limiter le dosage lorsque les nitrites sont inhalés, mais une méthémoglobinémie symptomatique accompagnée d’une dyspnée, de nausées, d’une tachycardie, d’une léthargie, d’une stupeur, de crises convulsives, d’une arythmie cardiaque et d’une insuffisance circulatoire peut survenir consécutivement à l’inhalation [200., 201., 202., 203. and 204.]. L’ingestion de nitrates a provoqué des évanouissements, des comas et des décès en dépit d’un traitement au bleu de méthylène [205., 206., 207., 208., 209. and 210.].

Un homme de 43 ans a été victime de la rupture d’un anévrisme de l’artère basilaire lors d’un orgasme suite à l’inhalation de nitrite [211].

Un adolescent de 15 ans est devenu définitivement aveugle et a été atteint d’une atrophie optique irréversible après avoir inhalé du nitrite d’amyle ; il avait cependant souffert d’une maladie pseudo-grippale au préalable, ce qui pourrait s’avérer être un autre mécanisme [212].

Les nitrites sont des immunosuppresseurs [213], et les nitrosoamines cancérigènes font partie de leurs métabolites [197, 214]. Il est possible que les nitrites présentent un risque indépendant de contracter le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) pendant un rapport sexuel ou d’être affecté par le sarcome de Kaposi une fois infecté par le VIH [198, 214]. La production par les macrophages du facteur de nécrose tumorale a (TNFa) induite par les nitrites stimule directement la réplication du VIH et la croissance des cellules du sarcome de Kaposi [215]. Dans une étude épidémiologique réalisée chez des couples homosexuels de la ville de Boston, l’odds ratio (OR) pour l’infection par le VIH était bien plus élevé chez les hommes utilisant systématiquement des nitrites lors de rapports sexuels anaux réceptifs non protégés (OR = 31,8) que chez les hommes qui les utilisaient parfois (OR= 7,1) ou jamais (OR = 9) [215a]. Une étude menée à Vancouver auprès d’hommes homosexuels infectés par le VIH a montré que les nitrites constituaient un facteur de risque indépendant pour le sarcome de Kaposi [216]. Cependant, une étude semblable réalisée à San Francisco n’est pas arrivée à cette conclusion [217].


Protoxyde d’azote


Sans surprise, les professionnels de santé sont surreprésentés parmi les consommateurs abusifs d’anesthésiques volatiles, en particulier de protoxyde d’azote [218., 219. and 220.]. Une enquête menée dans une faculté de médecine réputée aux États-Unis a révélé que jusqu’à 20 % des étudiants en médecine et médecine dentaire utilisaient à des fins récréatives le protoxyde d’azote qu’ils se procuraient en général dans les siphons de crème fouettée ou les cartouches de gaz à crème fouettée, mais parfois à partir de sources médicales ou commerciales [218]. Des chiffres comparables ont été trouvés en Nouvelle-Zélande chez des étudiants à l’université [220a]. Des lésions cérébrales anoxiques, parfois fatales, ont été signalées chez des consommateurs abusifs de protoxyde d’azote [221., 222., 223., 224., 225., 226., 227. and 228.]. L’inhalation de protoxyde d’azote sous pression a entraîné un pneumomédiastin [229] et l’inhalation de protoxyde d’azote maison contaminé par du dioxyde d’azote a été responsable d’une insuffisance pulmonaire aiguë [230].

La myéloneuropathie qui survient suite à une exposition à long terme au protoxyde d’azote est cliniquement semblable à la dégénérescence combinée subaiguë secondaire à une carence en cobalamine (vitamine B 12). Les patients souffrent de différentes combinaisons de neuropathie périphérique, de myélopathie et d’altération de l’activité mentale [224., 225. and 226., 231., 232., 233., 234., 235., 236., 237., 238., 239., 240. and 241.]. Des études électrophysiologiques révèlent des potentiels évoqués somesthésiques et visuels anormaux [240]. L’anémie est étonnamment absente, et les anomalies hématologiques légères – macrocytose ou hypersegmentation des neutrophiles – sont rares. Sur 16 patients dont la concentration sanguine de cobalamine a été dosée, 13 avaient des taux normaux et 3 des taux légèrement inférieurs à la normale [231, 232, 236]. Le test de Schilling était normal chez tous les patients sauf un qui présentait un taux sérique de cobalamine à la limite inférieure de la normale et une malabsorption suggérant une anémie pernicieuse [242].

Un syndrome similaire accompagné d’observations pathologiques typiques touche les singes et les chauves-souris roussettes (mais pas les souris ou les rats) exposés au protoxyde d’azote sur de longues périodes [243, 244]. De plus, l’exposition plus courte de l’être humain au protoxyde d’azote provoque des modifications mégaloblastiques de la moelle osseuse [245], et l’anémie ainsi que la myéloneuropathie ont été déclenchées ou aggravées chez des patients carencés en cobalamine anesthésiés au protoxyde d’azote [246., 247. and 248.]. Ce gaz oxyde la cobalamine et inactive les enzymes dépendantes de la vitamine B 12 que sont la méthionine synthétase [249] et la méthyl-malonyl-CoA mutase [250], et les taux d’acide méthylmalonique d’un consommateur abusant de protoxyde d’azote avaient augmenté dans le sérum et dans le LCR, de façon encore plus significative [242]. Les patients souffrant d’une myéloneuropathie induite par le protoxyde d’azote doivent être traités par l’administration de cyanocobalamine pour remplacer leur cobalamine inactivée. Chez les animaux exposés au protoxyde d’azote, la méthionine a des effets protecteurs contre la myélopathie [251] et la méthionine a été décrite de façon empirique comme ayant des effets bénéfiques chez les êtres humains exposés [225].


Halothane, chloroforme


Des membres du personnel hospitalier qui avaient consommé délibérément de l’halothane par inhalation, ingestion ou injection ont été victimes d’une hépatite fatale ou d’une mort subite [252., 253. and 254.]. Des adolescents allemands ont sombré dans le coma après avoir sniffé du chloroforme [255].


Boules antimites


L’abus de boules antimites peut se faire en les sniffant, en les suçant ou en les mâchant [255a., 255b., 255c. and 255d.]. Les boules antimites faites de naphtalène causent des céphalées, une léthargie, des vomissements, une hémolyse, une méthémoglobinémie, une hyperkaliémie, une fièvre, une insuffisance hépatique et rénale aiguë, des crises convulsives et un coma. Les boules antimites faites de paradichlorobenzène causent une pathologie chronique des reins et du foie. Un garçonnet âgé de 10 ans, qui avait inhalé le naphtalène de boules antimites 8 heures par nuit pendant 2 mois, a souffert d’une hypertension portale et est décédé d’une insuffisance hépatique [255c]. Une femme de 54 ans, diabétique, qui avait sniffé ou mâché des boules antimites au naphtalène ou au paradichlorobenzène (ou du désodorisant pour toilettes contenant du paradichloroben-zène) depuis son adolescence a été atteinte d’une néphropathie au stade terminal ainsi que d’une polyneuropathie progressive avec une quadriparésie, mais l’arrêt de la consommation a amélioré la faiblesse musculaire [255d].


Salbutamol


Des rapports anglais décrivent l’abus de la préparation antiasthmatique en aérosol salbutamol, un agoniste β2-adrénergique [256., 257. and 258.]. Il est probable qu’à la fois le salbutamol lui-même (qui a les mêmes effets que l’amphétamine) et les fluorocarbures contenus dans le mélange contribuent au potentiel addictif [259, 260].


Effets sur la grossesse


On estime qu’environ 12 000 femmes enceintes abusent des substances volatiles chaque année aux États-Unis [261]. L’abus de ces substances avant l’accouchement provoque une détresse respiratoire du nouveau-né [62]. Certaines substances volatiles semblent être tératogènes [262]. Une ataxie cérébelleuse congénitale a été observée chez des nouveaunés de mère ayant abusé du toluène pendant la grossesse [132, 263]. Un « syndrome fœtal d’utilisation de solvant » semblable au syndrome d’alcoolisme fœtal est décrit, avec une microcéphalie, des anomalies crâniofaciales et un retard de croissance [261, 264., 265., 266., 267. and 268.]. Sur neuf femmes ayant donné naissance à des enfants présentant une agénésie sacrée, cinq avaient été exposées au xylène, au trichloroéthylène, au chlorure de méthyle, à l’acétone ou à l’essence [269]. Deux études cas-témoin réalisées en Finlande ont découvert une association entre une exposition in utero aux solvants et des anomalies congénitales du SNC [262, 270] ; cependant, une autre étude castémoin finnoise n’est pas parvenue à ce résultat [271]. Dans d’autres études, l’exposition in utero aux solvants était impliquée dans l’apparition d’une fente palatine et de malformations cardiovasculaires [273]. D’autres études décrivent un retard de la croissance et du développement, y compris de la cognition, du discours et des aptitudes motrices, chez des enfants exposés in utero au toluène [274, 275]. Un retard mental sévère, une hypotonie et une microcéphalie avec un occiput saillant ont été observés chez deux enfants nés de parents qui sniffaient de l’essence [276]. Toutefois, dans une étude de cohorte menée en Californie, aucune différence du développement comportemental n’a été constatée entre des enfants exposés in utero aux solvants et des enfants ne l’ayant pas été [277]. Cependant, la même étude a trouvé une association entre l’exposition aux solvants et la prééclampsie [278]. Un nourrisson exposé in utero au toluène était atteint d’acidose tubulaire rénale [279].

Une étude a constaté la présence d’un syndrome d’abstinence chez des nouveau-nés exposés in utero aux solvants, mais cette étude n’a pas été réalisée en conditions de simple insu [280]. Dans une autre étude, le trichloroéthane et le toluène ont semblé provoquer des signes néonataux semblables à ceux produits par l’éthanol (et atténués par l’éthanol, les barbituriques et les benzodiazépines) [281].

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May 3, 2017 | Posted by in IMAGERIE MÉDICALE | Comments Off on 9. Substances volatiles

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